Nous nous sommes récemment entretenus avec les réalisatrices de l’excellent film documentaire « Voix d’Amazonie »: un documentaire indépendant, réalisé par trois jeunes femmes passionnées, au cœur des luttes que mènent les peuples d’Amazonie face à l’extraction pétrolière en Équateur. Un projet qui compte mettre en lumière les recherches d’alternatives développées avec beaucoup de créativité par et pour ces peuples.
- Pourquoi cet intérêt pour les peuples indigènes de l’Équateur ?
L’Équateur est à la fois le pays de désastres socio-environnementaux et celui de ses victoires.
Nous avons voulu montrer ces deux aspects : le désastre écologique et sanitaire causé par Chevron-Texaco au Nord de l’Amazonie équatorienne, chez des peuples tels que les Cofanes et les Secoyas.
Et la victoire du Peuple kichwa de Sarayaku. Premier peuple à avoir gagné un procès contre l’État, il est devenu un emblème de résistance en Équateur, mais aussi pour d’autres peuples qui se battent contre l’extractivisme et cherchent à préserver leurs terres.
Les peuples originaires ont mené un long combat pour la reconnaissance de leurs droits en Équateur. La marche de 1992 a marqué un point d’ancrage dans leur lutte et ils sont parvenus à faire entendre leurs revendications. Ces dernières se retrouvent en partie dans la Constitution de 2008, première au monde à instituer les Droits de la nature, et à accorder une place primordiale au « Buen-Vivir », un concept tiré directement des peuples amérindiens. C’est aussi en ce sens que le cas de l’Équateur nous a paru intéressant. Nous avons souhaité voir comment s’incarnait le Buen-Vivir (ou Sumak Kawsay en kichwa) sur le terrain, en Amazonie, en partant à la rencontre de ces peuples.
Pays d’une extrême biodiversité et à l’origine d’initiatives pour certaines révolutionnaires (on peut prendre le cas du Yasuni), l’Équateur est aussi un pays très dépendant du pétrole, en proie à ses contradictions. Le fameux « plus d’extractivisme pour sortir de l’extractivisme » du Président Rafael Correa est à cet égard éclairant.
Dans ce contexte paradoxal, nous avons donc souhaité mettre en lumière la lutte et la résistance des peuples autochtones face à l’extractivisme, mais aussi les solutions ou pistes de réflexion qu’ils proposent, dans un pays proclamé plurinational et multiculturel, reconnaissant l’existence de 14 « nationalités ».
A propos de leur documentaire : L’Équateur, premier pays à accorder une place primordiale à la nature dans sa constitution en 2008, doit aujourd’hui faire face à un compromis difficile entre croissance et respect de l’environnement. Jour après jour, l’exploitation pétrolière gagne du terrain en Amazonie, et les peuples qui y vivent en subissent les conséquences directes.
Soucieuse d’éclaircir le débat qui agite l’Équateur, notre équipe s’est rendue sur le terrain pour constater l’impact de ces activités dans des communautés qui résistent depuis des décennies et s’organisent chaque jour pour faire entendre leur voix.
La lutte passe d’abord par l’éducation. Les valeurs et savoirs qui leur sont propres sont transmis à la fois à l’école et par la vie en communauté. Voix d’Amazonie vous transportera dans ces espaces de créativité et mettra en lumière un enjeu global. Au travers d’images qui vous dévoileront des décors uniques, peuples originaires, défenseurs des droits humains et associations vous parleront de leur recherche d’alternatives.
- Comment vivaient-ils avant l’arrivée du « développement » (comprendre : avant l’arrivée de la culture dominante, aux caractéristiques diverses, extractivisme, privatisation du monde, etc.)
Avant l’arrivée des premiers missionnaires, puis des entreprises pétrolières, les peuples autochtones vivaient principalement de chasse, de pêche et d’agriculture itinérante. Cette dernière était permise par l’occupation d’une grande surface de terre. Cela permettait de ne pas solliciter toujours le même endroit, de le laisser se reposer, contribuant par la même à sa régénération. Ces activités persistent aujourd’hui, mais à une échelle beaucoup moins large et avec de profonds bouleversements dans les méthodes utilisées (apparition des fusils, des moteurs à essence, d’avionettes…)
- Quelle est la situation aujourd’hui, quelles sont les conséquences (sociales, écologiques, etc.)? Comment réagissent-ils face à ce « développement » ? Qui tire profit de ce « développement » ?
Les peuples vivant en Amazonie dénoncent le fait qu’ils ne reçoivent aucun bénéfice des richesses tirées de l’extraction du pétrole, alors que l’arrivée de Rafael Correa au pouvoir s’est accompagnée d’une forte hausse des dépenses sociales : rénovation et création d’infrastructures, investissements dans le domaine de la santé et de l’éducation. Tout comme en Bolivie, l’Équateur a renégocié les contrats d’exploitation avec les compagnies étrangères : alors que les multinationales gardaient 80 % des bénéfices suite à une opération en Équateur, c’est à présent l’Etat équatorien qui garde ces 80 % et reverse les 20 % restant à l’entreprise. Grâce à ces revenus, on a vu l’émergence d’une classe moyenne et d’une petite bourgeoisie citadine, des gens qui accédaient pour la première fois à un certain confort, aux biens et aux services, au « développement ». D’un point de vue général, beaucoup d’équatoriens ont vu leur niveau de vie augmenter. Cependant, les peuples que nous avons rencontrés ne conçoivent pas le développement de la même manière et ne semblent pas avoir bénéficié d’une redistribution des richesses…
Les peuples vivant dans les zones touchées par l’extractivisme sont aujourd’hui dans des situations alarmantes, et les conséquences de ces activités sont indéniables. Les écosystèmes sont bouleversés, et les peuples qui y vivent et contribuent à la régénération des équilibres naturels depuis des centaines d’années se voient lourdement affectés. Lorsqu’ils ne subissent pas les déplacements forcés, ils sont contraints de vivre dans des espaces pollués, où l’usage de l’eau constitue un véritable fléau. Dans le nord de l’Amazonie équatorienne, les gens se lavent, cuisinent et consomment de l’eau contaminée quotidiennement. L’augmentation du nombre de maladies y est fulgurante. 10 800 cas de cancers (dont un grand nombre de leucémies) ont été répertoriés dans cette région en 2012, un nombre bien plus élevé que dans le reste de l’Équateur.
La situation est également complexe dans les zones qui ne sont pas encore affectées. Ces peuples, comme l’explique Yaku Viteri dans le film, ne sont pas imperméables au changement et connaissent bien sûr des transformations, des évolutions culturelles. Ils ont eux aussi été tentés par les changements technologiques. La force des bras est aujourd’hui largement complétée par celle des moteurs à essence, la chasse ne se fait plus seulement avec des lances mais aussi grâce aux fusils, on importe des produits manufacturés depuis la ville, on utilise les avions lorsque la pirogue pose problème… il y a une accélération des modes de vie ; des nécessités qui émergent là où elles n’existaient pas avant. Leur lutte même recouvre ce paradoxe : ils dénoncent l’usage des énergies fossiles tout en les nécessitant pour porter leur message. C’est un fait dont ils ont tout à fait conscience, raison pour laquelle diverses organisations autochtones cherchent aujourd’hui à développer les énergies renouvelables (avec des moteurs fonctionnant à l’énergie solaire sur les canots par exemple).
Leur impact environnemental est par ailleurs à relativiser, notamment suite à l’observation d’un recoupement entre les zones que ces peuples occupent et la biodiversité qui s’y trouve. Ce qu’ils dénoncent avant tout, c’est l’étendue et l’intensité des activités extractives, tout comme la manière dont cela est fait. Même avec précaution, l’extractivisme n’est jamais dénué de risque en termes d’impact socio-environnemental. Ces peuples cherchent donc à repenser le concept même de développement, en ne le pensant plus comme stricte « croissance économique », mais en plaçant le centre du développement dans l’être humain, visant un objectif final : celui d’une relation pérenne entre l’humain et la nature, conforme au concept de « Buen Vivir ».
- Pourrait-on dire qu’au vu de ces conséquences (et de bien d’autres à travers la planète), les concepts de « développement » et de « progrès » devraient être remis en questions ?
Il est certain que nous vivons sur une planète aux ressources limitées, qui ne pourra pas répondre indéfiniment à un extractivisme illimité. Partant de ce constat, il est nécessaire de repenser nos modes de consommation et de trouver des solutions énergétiques.
Ces dernières ne semblant malheureusement pas passer par les énergies renouvelables, — qui ne sont elles-mêmes possibles qu’à partir d’un extractivisme accru et d’une grande consommation énergétique —, il s’agit donc surtout de repenser les concepts de « développement » et de « progrès », en voyant où nous les plaçons.
Comment parler de « progrès » lorsque nous vouons l’humanité à sa perte ? Ce que cherchent à faire nombre de peuples amérindiens, c’est de penser le développement non pas en termes strictement économiques et financiers, liés à l’accumulation d’argent et de biens, mais en terme de qualité de vie : une terre et des aliments sains, la circulation, le partage et recyclage des biens, le fait de pouvoir prendre le temps de vivre…
- Comment conseilleriez-vous, aux gens qui se sentent concernés, d’agir, à leur échelle ?
Utiliser les transports en commun, limiter ceux en avion, privilégier l’achat « en vrac » plutôt que l’emballé. Favoriser les circuits courts, consommer local et bio (quand on peut !). La solution des AMAPs permet par exemple de trouver un compromis entre local, de qualité et économiquement abordable. Encourager les activités paysannes, se réapproprier les terres cultivables, plutôt que d’alimenter les filières agro-industrielles et les grandes industries de la « fast » et malbouffe. Nous pouvons aussi créer nos propres cosmétiques, notre propre lessive, etc… Cela permet de limiter le nombre de composants, et d’éliminer par là même ceux qui peuvent être toxiques…
L’engagement associatif permet aussi de s’investir dans la société et d’agir, à son échelle. Bien sûr, cela demande du temps. C’est justement pour cela que la question doit être pensée dans un cadre beaucoup plus large : il faut s’attaquer aux structures mêmes de ce système qui nous conditionne au salariat et à la compétitivité (à cet égard, l’idée du « salaire à vie » de Bernard Friot est intéressante).
Le combat se situe donc aussi dans la lutte contre l’accumulation illimitée de richesses par certains grâce à la force de travail des autres. Alberto Acosta, économiste équatorien qui intervient dans notre film, démontre par exemple que « si les segments les plus puissants de la population payaient 1,5 % d’impôts supplémentaires sur leurs immenses profits, l’État collecterait immédiatement plus d’argent que tout ce que pourra générer l’exploitation du pétrole d’ITT [Yasuni ITT]. »
La question environnementale est donc intrinsèquement liée à la question économique et aux choix politiques adoptés.
- Prochaines projections, futurs projets, etc.?
D’autres projections sont en train de s’organiser en France (Paris et Province), mais aussi en Équateur, au Canada, et nous espérons aussi ailleurs. Nous les actualiserons régulièrement sur cette page : http://www.voixdamazonie.com/p/projections.html et les annoncerons au fur et à mesure via notre page facebook : https://www.facebook.com/voixdamazonie/
Nous avons terminé le montage de Voix d’Amazonie très récemment, et commençons à peine la diffusion. Nous sommes donc ouvertes à toute proposition de projection, diffusion… Et nous vous tiendrons bien sûr informé-e‑s des nouveaux projets dès qu’ils seront un peu mieux dessinés !
Et pour vous procurer le documentaire, plusieurs solutions, vous pouvez leur écrire pour en commander, via leur page facebook, ou à l’adresse voixdamazonie@gmail.com. Il y aussi une dizaine de DVD en vente à Paris, au passage Verdeau, à la boutique de France Amérique Latine. Et il sera probablement bientôt disponible à l’achat en ligne !