Paris, France — Au vu de la 21ème et dernière conférence des parties de l’ONU en date, le rendez-vous annuel de discussion et de renégociation des efforts mondiaux sur la politique climatique, des milliers d’activistes de toute la planète ont convergé à Paris pour faire entendre leurs voix. Tandis que les dirigeants de 196 pays différents se retrouvaient au Bourget, un centre de conférence en périphérie de Paris, des délégations et des individus de groupes de défense du climat, des organisations de première ligne, et des groupes de la société civile ont fait connaître leur présence. J’ai eu l’opportunité de visiter Paris et de représenter un groupe d’action directe d’écodéfense de l’île de la Tortue, ainsi que de rencontrer et de soutenir des amis (anciens et nouveaux) dans l’organisation de leurs campagnes en France, le soi-disant pays de la “Liberté, Egalité, Fraternité”.

Les négociations climatiques, comme prévu, furent un échec complet. Les négociations étaient largement menées par les USA et l’Arabie Saoudite, lesquels ont tout intérêt à ce que l’addiction mondiale aux combustibles fossiles se perpétue. L’Arabie Saoudite, en particulier, a la réputation de régulièrement faire en sorte de saboter les discussions climatiques afin de garantir son maintien parmi l’élite des pays producteurs de pétrole. Pareillement, les USA, dont le secteur militaire est le principal émetteur de gaz à effet de serre au monde, ainsi qu’une présence mondialement intimidante — et dont la riche histoire de violations des droits humains me forcerait à complètement faire dérailler cet article, si l’envie me prenait de la détailler — avaient beaucoup à perdre dans ces négociations, et se sont battus pour retirer les dispositions relatives aux droits de l’homme de l’accord final. Accord final qui stipule que les nations signataires sont d’accord sur la limitation du réchauffement à 2°C, sur des efforts à fournir pour même la limiter à 1,5°C, mais qui ne fournit aucune mesure de comptabilité de cette limitation. Au contraire, l’accord fournit aux nations un cadre « facilitateur, non-intrusif, non-punitif ». Ce n’est absolument pas le genre de politique climatique dont nous avons besoin, mais je ne suis pas surpris. La gouvernance mondiale ne s’est jamais souciée de la santé de la planète.
S’attendant également à ce genre d’accord de la part des leaders mondiaux, les organisations de terrain avaient prévu, pour se faire entendre, de manifester le dernier jour, pour se faire entendre. Malgré l’état d’urgence mis en place à Paris après une nuit d’attaques terroristes en Novembre, les activistes et les organisateurs avaient planifié un certain nombre d’événements durant la conférence, culminant en une marche massive et un rassemblement le 12 décembre (D12). La manifestation des « lignes rouges » a été organisée par la Coalition Climat 21, une coalition qui comprenait des groupes comme 350.org, AVAAZ, OxFam, et le WWF, ainsi que nombre d’autres organisations plus petites représentant diverses causes. Le thème des lignes rouges symbolisait les « limites de la lutte climatique à ne pas dépasser », et les conditions minimum permettant une planète habitable, représentées par une longue banderole de 105 mètres de long, portée par une foule de plus de 15 000 personnes habillées en rouge. Bénéficiant d’une couverture médiatique racoleuse la qualifiant de geste audacieux dans une ville ayant interdit les rassemblements publics, cette action a rapidement été qualifiée de victoire par les dirigeants principaux du mouvement climatique ; à mes yeux, c’était tout sauf ça. D’ailleurs, la manifestation des Lignes Rouges était particulièrement trompeuse. Les organisateurs de l’action avaient négocié avec la police et le gouvernement français afin d’organiser l’événement. Censé encercler le site du Bourget, le point culminant de cette action a finalement encerclé le Champ de Mars, un parc près de la Tour Eifffel, tandis que les participants étaient soumis à une fouille policière, ne serait-ce que pour entrer dans le parc. Et ils osent parler d’une action audacieuse !

C’est pour cette raison que j’affirme que le soi-disant « mouvement climatique », appelé ainsi par 350.org, Avaaz, et leurs semblables, est mort. Une fois de plus, ceux d’entre nous en première ligne de la lutte climatique, les indigènes défenseurs de la Terre, les gens de couleur affrontant la brutalité policière, le racisme, la gentrification des villes toxiques, les écoguerriers qui mettent leurs vies en jeu pour défendre les forêts, les montagnes et les marais, ont été trahis par notre propre « avant-garde » complaisante. Nous ne pouvons pas continuer à attendre quoi que ce soit des groupes prêts à négocier avec l’état. Nous n’avons pas le temps pour cela. Le militarisme et l’impérialisme climatique sont les forces responsables de la situation des réfugiés climatiques, et du nombre de morts qui ne cesse d’augmenter rapidement. La répression étatique entrave tout progrès réel vers la libération raciale, sociale et environnementale. Les barrières économiques et sociales empêchent les quartiers pauvres de parvenir à l’autonomie et à la résilience communautaire. La « justice climatique », un terme tellement galvaudé qu’il ne signifie quasiment plus rien, ne sera JAMAIS obtenue en passant des accords avec les forces responsables de — et tirant profit de — l’écocide et de l’oppression. Les lignes rouges que nous sommes censés ne pas franchir ? Les grosses ONG vertes n’en ont que faire. Pire encore, nous attirons de nouveaux militants dans ce mouvement en leur promettant un changement par ce biais, et nous imprégnons la jeunesse d’aujourd’hui qui lutte pour le climat, les activistes de premier plan de demain, d’un optimisme inconscient. Au milieu de tous ces slogans clamant des « Nous sommes inarrêtables, un autre monde est possible », le monde que nous habitons actuellement est bulldozé, nos actions, manifestations, et revendications sont surveillées, réprimées, et réduites au silence.
Pour en savoir plus sur les liens entre les grandes ONGs et les corporations, un exemple, celui du WWF :
Mais je pense que tout n’est pas perdu. Nous sommes une foule diversifiée, nous sommes bien plus que cette expression du « mouvement climatique », et nous avons de nombreuses forces, et faiblesses. Cette expression ne peut plus nous décrire, ou exprimer notre véritable potentiel. Nous nous battons pour bien plus que le climat ; nous nous battons pour notre survie et celle de notre planète. Tandis que le complexe industriel non-lucratif agite ce drapeau de la « justice climatique », et continue ses négociations avec l’appareil étatique, plus de 7000 réfugiés sont arrivés au camp appelé « la jungle », situé à une heure et demie de Paris. Cherri Foytlin, une activiste et écrivaine basée en Louisiane, a visité la jungle pour en rendre compte. Selon son témoignage, les connexions entre la dégradation environnementale, la violence militariste, et le désastre économique, sont flagrantes. Les tendances impérialistes et la désolation des écosystèmes sont la cause de cette crise, et nos luttes de terrain ne peuvent se permettre de serrer la main des responsables de ces catastrophes mondiales.
Nous ne prenons pas à la légère notre position de monnaie d’échange sur l’échiquier politique. Je suis conforté par le fait de ne pas être le seul à exposer la farce des ONG pour ce qu’elle est. Comme Sean Bedlam, un activiste australien et vidéaste pour Whistleblowers, Activists and Citizens Alliance (WACA, Lanceurs d’alertes, Activistes et Alliance Citoyenne, en français), l’a dit ce soir-là : « Je suis… stupéfait mais pas surpris que nous ayons été trahis aujourd’hui, à Paris, par ceux qui sont censés être des nôtres ». WACA, ainsi que le groupe Climate Guardian Angels (un groupe avec qui j’ai coopéré à de nombreuses reprises durant la COP21), ont poussé à ce que la marche des lignes rouges se transforme en marche massive de désobéissance civile, en occupant le pont d’Iéna pendant plus d’une heure. Ils n’étaient pas les seuls à ne pas être satisfaits des évènements du jour. Ce soir- là, une marche non-planifiée et non-autorisée « pour ceux qui en ont assez du capitalisme vert et de la répression étatique » a défilé dans les rues de Paris. A l’aide des tactiques du Black Bloc, les gens ont agi en toute autonomie pour exprimer leur rage et leur déception face à un mouvement qui les laissait tomber et un système plus intéressé par son auto-préservation que par la lutte climatique. Cette colère libérée semblait un contrepoids poignant au polissage ayant eu lieu durant la COP21. Des centaines de personnes hurlèrent dans la nuit, scandalisées par les assignations à résidence de plusieurs organisateurs locaux, par les arrestations de centaines de manifestants, deux semaines plus tôt, place de la République, et par le musellement des voix de ceux en première ligne, ces voix qui doivent être entendues. Même après la dispersion du gaz lacrymogène, les activistes furent relâchés sans inculpations ni même identifications.
Durant mon séjour à Paris, j’ai constamment été inspiré par le travail de nombreux activistes venus du monde entier. C’est là que repose notre force : nous ne progresserons pas, nous ne sauverons pas notre planète en comptant sur les ONG principales, pour représenter nos intérêts, mais en combinant nos campagnes populaires. Que ce soit en tant que médiateur pour le Indigenous Environmental Network [les Réseaux autochtones sur l’environnement] et pour It Takes Roots (une coalition de plusieurs POC en première ligne et de groupes indigènes pour la justice sociale et environnementale), en fournissant un support médiatique pour une coalition européenne de TreeSit [occuper un arbre, pour empêcher sa coupe], ou en aidant à bloquer les portes d’une centrale d’énergie parisienne importante, avec des australiens touchés par les pratiques d’extractions minières de la compagnie, les connections les plus profondes et les amitiés les plus fortes que j’ai connues ont été directement forgées en aidant directement d’autres écoguerriers dans leurs actions. C’est ce désir de continuer à édifier de telles relations qui alimente actuellement ma flamme intérieure. Cela personnalise les luttes, les rend concrètes, et urgentes. Nos forces sont en nous et en l’autre, et plus nous nous soutenons directement les uns les autres, concrètement, plus notre « mouvement » se renforce. Tel un réseau de petits groupes populaires, tous conscients de la gravité de la situation, nous sommes résilients et capables de construire le futur que nous voulons. Nous n’avons pas besoin des dirigeants des grosses ONG et de leurs compromis. Dans un communiqué publié par la délégation It Takes Roots, les échecs de la direction climatique étaient juxtaposées à notre au besoin de continuer notre travail pour aller de l’avant : « Nous quittons Paris plus alignés encore, plus impliqués et convaincus que jamais, par le fait que notre pouvoir collectif et notre mouvement qui prend de l’ampleur, est ce qui propulse la question de l’extraction dans l’arène mondiale. Nous continuerons à nous battre à tous les niveaux pour défendre nos communautés, la Terre et les générations futures ». C’est cette implication qui sauvera la planète, rien de moins.
Traduction : Nicolas Casaux
Édition & Révision : Héléna Delaunay & Maria Grandy