Dans les États occidentaux — mais ailleurs aussi, selon toute probabilité — il existe un microcosme de personnalités écologistes autorisées et régulièrement invitées dans les médias de masse, assez appréciées des autorités de leur pays respectif, et qui, pour ces raisons, représentent à elles seules, aux yeux du grand public, la mouvance écologiste. « La » mouvance, parce que ces écologistes font grosso modo la promotion des mêmes idées, des mêmes croyances. Ils se congratulent d’ailleurs régulièrement les uns les autres, faisant immanquablement référence aux travaux des uns et des autres dans leurs différents ouvrages — édités par d’importantes maisons d’édition, ou produits par d’importantes boites de production, et chroniqués dans les plus grands quotidiens.
Aux USA, nous retrouvons par exemple Bill McKibben, Naomi Klein et Alexandria Ocasio-Cortez. William Ernest « Bill » McKibben, diplômé d’Harvard, commence sa carrière au New Yorker, où il travaille cinq années durant. À la suite de quoi il entame une carrière d’écrivain freelance, publiant régulièrement dans divers journaux et magazines majeurs — comme The New York Times, The Atlantic, The New Yorker, National Geographic, Rolling Stone et The Guardian — et signant quelques ouvrages chez d’importantes maisons d’édition. En 2007, il fonde, grâce aux dons de diverses fondations privées de richissimes capitalistes, comme le Rockefeller Brothers Fund, l’ONG désormais internationale 350(.org), qui continue d’être majoritairement financée par des fonds privés provenant de fondations privées, souvent liées à d’importantes multinationales (ClimateWorks, Ford Foundation, etc.). Le magazine Foreign Policy le compte parmi les 100 plus importants penseurs mondiaux de l’année 2009. En 2010, le Boston Globe le qualifie de « principal écologiste du pays », et le Time, en la personne de Bryan Walsh, de « meilleur journaliste écolo du monde ». Pendant les primaires présidentielles du Parti démocrate américain de 2016, Bill McKibben sert de remplaçant politique au sénateur du Vermont Bernie Sanders, l’unique candidat face à Hillary Clinton. Bernie Sanders nomme d’ailleurs Bill McKibben au sein du comité chargé d’écrire le programme politique du Parti démocrate pour 2016.
Naomi Klein est une journaliste et essayiste états-unienne, auteure de livres que certains prennent à tort pour des critiques du capitalisme en général cependant qu’elle précise elle-même dénoncer uniquement une certaine forme de capitalisme — un capitalisme financiarisé, débridé, incontrôlé, etc. Elle écrit également pour divers médias grand public, dont The Nation, The Globe and Mail, This Magazine, Harper’s Magazine et The Guardian, et siège au conseil d’administration de l’ONG 350(.org). Son dernier livre en date, publié fin 2019, s’intitule The Burning Case for a Green New Deal (« Plaidoyer brûlant en faveur d’un Green New Deal », ou, « Plaidoyer brûlant en faveur d’un nouvel accord vert », mais ça en jette moins).
Alexandria Ocasio-Cortez, diplômée de l’université de Boston, est une politicienne « élue le 6 novembre 2018 représentante du 14e district de New York à la Chambre des représentants des États-Unis ». Elle est ainsi « la plus jeune candidate jamais élue au Congrès américain ». Elle se revendique du socialisme démocratique de Bernie Sanders, qu’elle soutient pour les primaires présidentielles du Parti démocrate de 2020 (lors de la campagne présidentielle de 2008, elle faisait du démarchage téléphonique pour le candidat démocrate Barack Obama). Elle est connue pour son engagement en faveur d’un Green New Deal, afin, entre autres, que « les États-Unis passent d’ici 2035 à un réseau électrique fonctionnant à 100 % grâce aux énergies renouvelables, pour ainsi mettre fin à l’utilisation des combustibles fossiles ».
Au Royaume-Uni, mentionnons, par exemple, George Monbiot, Rob Hopkins et Kate Raworth. Kate Raworth est une économiste anglaise, auteure du livre La théorie du donut, et membre d’Extinction Rebellion. Elle fait d’ailleurs partie des auteurs du livre This Is Not A Drill : An Extinction Rebellion Handbook (« Ce n’est pas un exercice : un manuel d’Extinction Rebellion »). Elle soutient, elle aussi, l’idée d’un Green New Deal (nouvel accord vert).
Rob Hopkins est « un enseignant en permaculture britannique, initiateur en 2005 du mouvement international des villes en transition » (Wikipedia). Mouvement qui s’est développé en France aussi, ses livres ayant été traduits en français. Son dernier, d’ailleurs, intitulé From What Is to What If : Unleashing the Power of Imagination to Create the Future, littéralement : « De ce qui est à ce qui pourrait être : libérer le pouvoir de l’imagination pour créer le futur que nous voulons », sera bientôt publié aux éditions Actes Sud, sous le titre « Et si ? » (plus court, on retient mieux), avec une préface de Cyril Dion. Actes Sud, précisons toujours, au cas où, c’est la maison d’édition de Françoise Nyssen, notre ex-ministre de la Culture de Macron, chez qui sont publiés Cyril Dion, Pierre Rabhi, etc., qui édite également une version française du livre Drawdown de Paul Hawken, un autre écolo états-unien relativement connu dans son pays et à l’international, promoteur d’un « capitalisme naturel » qui semble plaire à Cyril Dion (qui préface le livre, dont il espère qu’il « constituera une véritable feuille de route dont se saisirons les élus, les chefs d’entreprise et chacun d’entre nous »).
George Monbiot est un écrivain et journaliste qui travaille depuis longtemps pour le célèbre quotidien britannique The Guardian (pour lequel écrivent aussi Naomi Klein et Bill McKibben). Lui aussi soutient l’idée d’un Green New Deal (nouvel accord vert). Lui aussi critique parfois le capitalisme, mais pas vraiment, seulement les excès du capitalisme en réalité, jamais ses fondements. Bien des écolos sont dans le même cas : « le capitalisme, c’est pas bien » — mais bon, il nous faut tout de même des emplois verts, des entreprises écolos, des marchandises écolos/bio/durables, un système monétaire écolo, etc. En outre, et à la différence de la plupart des écolos ici mentionnés, Monbiot est un fervent défenseur/promoteur du nucléaire (« de la plupart », parce que vis-à-vis du nucléaire, Alexandria Ocasio-Cortez adopte une position de neutralité, « ni pour ni contre »).
En France, nous avons Cyril Dion et Nicolas Hulot, notamment, et dans une moindre mesure Isabelle Delannoy, Yann Arthus-Bertrand, Maxime de Rostolan & Co. Cyril Dion passe régulièrement à la télévision, collabore avec le gouvernement Macron, écrit dans le journal Le Monde, produits ses documentaires en collaboration avec France Télévisions, l’AFD, etc.
(Il existe certainement des Cyril Dion, des Bill McKibben et des Naomi Klein allemands, espagnols, italiens, etc., mais il ne me semble pas utile de multiplier les exemples.)
Malgré quelques différences, tous ces gens ont en commun de faire la promotion d’un futur vert relativement radieux, d’une société technologique et industrielle capitaliste (mais fonctionnant selon les règles d’un « autre capitalisme », d’un « capitalisme naturel », bio, ou que sais-je encore) écologique, verte, durable et démocratique. C’est-à-dire d’une version verte et démocratique de notre société actuelle, réagencée selon d’autres critères (bio, éco, durable), s’appuyant davantage voire uniquement sur des technologies vertes (versions bio ou éco des technologies non-encore-vertes actuelles : smartphones verts, voitures vertes, etc.). La même société, pour l’essentiel, mais en déclinaison « verte ».
Cela étant, certains de nos écologistes médiatiques sont plus grotesques que d’autres. Bill McKibben, par exemple, dans son dernier livre, intitulé Falter : Has the Human Game Begun to Play Itself Out ? (« Péricliter : le jeu humain tire-t-il à sa fin ? »), se contente de présenter les panneaux solaires comme la technologie magique qui nous permettrait de résoudre tous nos problèmes, sans trop examiner les tenants et les aboutissants de cette idée, sans trop examiner aucun des innombrables autres aspects qui composent l’insoutenabilité manifeste de la société industrielle. L’installation de panneaux solaires dans la brousse africaine afin de permettre aux locaux de recharger (et donc d’acheter) des smartphones, des téléviseurs, des lecteurs DVD, des chaines Hi-Fi, voilà la solution à tous nos problèmes. Le titre d’un article publié sur le site du Guardian, présentant Bill McKibben et son ONG, en dit long, citant McKibben lui-même : « Bill McKibben : ‘There’s clearly money to be made from sun and wind’ » (« Bill McKibben : « Il y a clairement de l’argent à gagner dans le solaire et l’éolien » »). Cyril Dion et Rob Hopkins, par exemple, ne mettent pas aussi grossièrement les pieds dans le plat. Pour autant, leurs récits ne sont pas moins absurdes.
Chez ces figures de l’écologisme médiatique, nulle remise en question de l’État ou des fondements du capitalisme, l’important consiste à créer de l’emploi (vert) et à produire de l’énergie « verte » (qui, idéalement, remplacerait la non-verte) pour que les gens puissent travailler et acheter les marchandises (vertes) dont ils ont besoin ; à faire diminuer le taux de carbone atmosphérique ; nulle interrogation sur la compatibilité (ou l’incompatibilité) entre technologies complexes (hautes technologies) et démocratie, entre industrialisme et démocratie, entre société de masse et démocratie, entre industrialisme et écologie, entre high-tech et écologie ; nul examen des prétentions « vertes » associées à de toujours plus nombreuses technologies (panneaux solaires, éoliennes, centrales à biomasse, etc.). Ainsi font-ils la promotion des technologies de production d’énergie dite « verte », panneaux solaires et éoliennes, notamment, sans jamais, ou presque, examiner leurs impacts environnementaux, de bout en bout de leur chaîne de production, les infrastructures industrielles, les outils industriels nécessaires à leur production ; sans jamais, ou presque, examiner le genre de régime politique, d’organisation sociale, que requiert leur production ; sans jamais, ou presque, examiner les usages de ces énergies dites « vertes » : outre la question de savoir si oui ou non les panneaux solaires peuvent être considérés comme des technologies « vertes » (multiplier l’ajout de « moindres maux » dans une situation déjà très mauvaise, est-ce une bonne chose ?), quid de l’électricité qu’ils produisent ? Qu’alimente-t-elle ? Ses usages peuvent-ils être considérés comme écologiques ?
Quoi qu’il en soit, au bout du compte, on comprend aisément pourquoi ces individus sont invités par les médias de masse, qui les présentent comme les dignes représentants du « mouvement écologiste », à diffuser la bonne parole. Pourquoi ils bénéficient de soutiens financiers en tous genres (mécènes, fondations, institutions d’État, etc.) pour leurs travaux. Vendre des illusions rassurantes, faire en sorte que les gens gardent espoir (une autre société techno-industrielle capitaliste est possible), accompagner et faire accepter le développement technologique actuel de la société industrielle, invisibiliser les courants écologistes plus gênants car plus critiques, plus menaçants vis-à-vis de l’ordre social actuel : leur rôle est multiple.
Leur succès relatif s’explique entre autres par le fait qu’ils jouent sur une corde sensible présente chez la plupart des habitants de la société industrielle. Y compris chez les écologistes. La plupart d’entre nous avons été conditionnés de telle façon qu’une de nos principales inquiétudes, un de nos principaux souhaits, est la perpétuation de la société technologique. D’où toutes ces Unes titrant des choses comme : « Si les choses continuent comme ça, la civilisation industrielle pourrait s’effondrer ! ». Voilà la crainte. Ce n’est pas tant la destruction (en cours) du monde que celle (potentielle, à venir) de la civilisation industrielle (les deux, la civilisation industrielle et le monde, tendent d’ailleurs à être confondus). Mark Boyle, un écologiste britannique, le formule ainsi :
« La plupart d’entre nous sommes moins dérangés par l’idée de vivre dans un monde sans martres des pins, sans abeilles mellifères, sans loutres et sans loups qu’à l’idée de vivre dans un monde sans médias sociaux, sans cappuccinos, sans vols économiques et sans lave-vaisselle. Même l’écologisme, qui a un temps été motivé par l’amour du monde naturel, semble désormais plus concerné par la recherche de procédés un peu moins destructeurs qui permettraient à une civilisation surprivilégiée de continuer à surfer sur internet, à acheter des ordinateurs portables et des tapis de yoga, que par la protection de la vie sauvage. »
Bien loin des enthousiastes récits verts que nous content les écolos médiatiques, ce que l’on constate, concrètement, c’est le développement de nouvelles nuisances estampillées « vertes », « propres », « durables » (construction de parcs éoliens, de centrales solaires, etc.), qui s’ajoute au développement des nuisances industrielles classiques (routes, usines, exploitations forestières, minières, etc.) — nuisances industrielles classiques qui servent d’ailleurs parfois à permettre le développement des nouvelles nuisances vertes (il faut bien que les matériaux servant à fabriquer panneaux solaires et éoliennes, voitures électriques et batteries au lithium, à fabriquer et alimenter les centrales à biomasse, viennent de quelque part). Les forêts partent en fumée, les océans s’acidifient, se réchauffent et se remplissent de plastique. La machine est inarrêtable.
Dans la situation présente, particulièrement complexe, des tas de questions cruciales méritent d’être posées qui ne le sont jamais par nos écologistes médiatiques — logique, leur rôle est, entre autres, d’éviter qu’elles ne le soient — (en voici quelques-unes : Que voulons-nous ? Quelles sont les choses les plus importantes au monde ? La chose la plus importante au monde ? Qu’est-ce que le monde ? Une gigantesque conurbation ? Des métropoles, des banlieues, des routes, des bâtiments, des magasins, des usines, des téléviseurs, des smartphones ? L’habitat de l’homme, qui aurait tout intérêt à en faire un immense champ bio agrémenté d’exploitations forestières productrices de biomasse à destination de centrales d’énergie verte, et d’exploitations minières écologiques à fournir des matériaux pour les écofairphones du futur ? Ou la planète Terre, l’habitat d’innombrables espèces, qu’une société humaine — la civilisation industrielle — détruit à grande vitesse ? La société industrielle peut-elle être réformée ? Ou constitue-t-elle une machine irréformable ? Cela a‑t-il un sens de compter sur les gouvernements pour sauver la situation ? High-tech — technologies complexes — et écologie sont-elles compatibles ? High-tech et démocratie ? Société de masse et démocratie ? Les technologies dites vertes le sont-elles vraiment ? À quoi sert l’énergie dite verte ? Les usages qu’à la société industrielle de l’énergie qu’elle obtient sont-ils bénéfiques ou nuisibles pour le monde naturel ? Est-il plus probable que les destructions écologiques planétaires soient enrayées par une réforme de la société industrielle ou par son effondrement ? Un mouvement visant à faire écrouler la société industrielle a‑t-il une chance d’y parvenir ? Est-il possible de concilier des objectifs réformistes avec des objectifs révolutionnaires ? Existe-t-il des initiatives à rejoindre ou à créer qui, sans être immédiatement révolutionnaires, ou décisives, peuvent permettre de véritablement améliorer la situation sur des plans sociaux et/ou écologiques ?).
Il n’y a qu’en parvenant à formuler les interrogations et les discussions les plus honnêtes possibles que nous aurons une chance de parvenir aux réponses les plus justes possibles.
(L’image de couverture de cet article, reprise, voire ci-dessous, pour la couverture du dernier livre, à paraître en français, de Rob Hopkins, est significative car représentative des innombrables images d’un futur urbain-high-tech-éco-bio que les écolos grand public vendent aux gens. Vous remarquerez l’engin volant écolobio qui domine l’écocité avec son écotramway etc., etc. Un fantasme — que beaucoup trouveraient fort souhaitable, mais que ceux qui apprécient les grands espaces relativement sauvages, qui vivent mal la surconcentration démographique, l’artificialisation/l’anthropisation totale du paysage, trouveraient sans doute cauchemardesque — qui n’a aucune chance d’advenir.)

Nicolas Casaux
Si j’étais un intellectuel, publiant ou publié, je prendrais de plus en plus en compte et de plus en plus sérieusement le sérieux de l’hypothèse suivante : La mission <> du problème écologique et de ses dérivés est avant tout de faire apparaitre dans le récit collectif et donc dans la conscience collective et dans l’inconscient collectif le fait que les « grands » médias, intellectuels, élites économiques et politiques, prennent la cause du vivant en grande considération pour faire oublier aux yeux de tous que pendant ce temps là toutes les formes de pouvoir promouvant le mondialisme et le globalisme travaillent à convertir l’humain en une marchandise, qui plus est en une marchandise comme une autre.
En bref, une dictature se voulant humaniste aux yeux des masses pour continuer à avancer de plus en plus vite et avec toujours plus de latitudes..
Merci pour cet article, et je suis tombé là dessus juste aujourd’hui :
https://green.blogs.nytimes.com/2011/10/06/q‑and-a-forests-and-climate/?searchResultPosition=10
Ça a un peu vieillit mais cela représente tacitement l’imaginaire que vous dénoncé dans l’article. Ça en devient même presque caricatural!!!