Est-t-il écologique d’artificialiser la nature ?
Vers une réinÂtroÂducÂtion des méthodes douces d’artificialisation des forêts en décoÂloÂniÂsant notre imaÂgiÂnaire d’occidentaux ne jurant que par l’AGER (guerre à la nature) / NouÂvelles interÂroÂgaÂtions autour des notions de SYLVA, AGER et HORTUS / Exemples des agriÂculÂtures WayamÂpi (Guyane franÂçaise) et YanoÂmaÂmi (VeneÂzueÂla)
Il est imporÂtant de ré-interÂroÂger le concept d’agriculture bioÂloÂgique et c’est avec raiÂson que la notion d’agroécologie entend attiÂrer l’attention sur les limites d’une agriÂculÂture qui se défiÂniÂrait seuleÂment par le négaÂtif : pas de ceci, pas de cela, essenÂtielÂleÂment pas de proÂduits chiÂmiques ni en tant qu’engrais ni pour les traiÂteÂments. Limites visibles surÂtout depuis que l’on assiste à la dérive de l’agriculture bioÂloÂgique vers le miméÂtisme des praÂtiques indusÂtrielles des gros exploiÂtants agriÂcoles. Comme par exemple cet absence d’esprit criÂtique par rapÂport au machiÂnisme agriÂcole, comme si l’usage des tracÂteurs de plus en plus puisÂsants et des outils qui vont avec devait resÂter en dehors des inquiéÂtudes face à la raréÂfacÂtion du pétrole, ou comme par exemple les acquiÂsiÂtions de vastes domaines pour faire de la « bio » dans les zones d’Europe où la terre appaÂraît peu chère aux agriÂculÂteurs de l’ouest, et ceci au détriÂment de l’agriculture payÂsanne traÂdiÂtionÂnelle locale, et au détriÂment des habiÂtudes comÂmuÂnauÂtaires d’entraide des cultures vilÂlaÂgeoises lonÂgueÂment constiÂtuées en microÂsoÂciéÂtés, en civiÂliÂsaÂtions payÂsannes. Qu’un « gros » arrive, accaÂpare tout, et cette forme de conquête en jouant sur le difÂféÂrenÂtiel des monÂnaies et des niveaux de vie fait voler en éclat une sociaÂliÂté vilÂlaÂgeoise. On n’est pas loin de l’ethnocide donc du génoÂcide cultuÂrel ! Sans parÂler de cet autre dérive qu’est la seule proÂducÂtion desÂtiÂnée aux grosses cenÂtrales d’achats, à cette grande disÂtriÂbuÂtion qui ajoute à ses proÂduits insiÂpides et créÂtiÂniÂsants, voire toxiques, le nouÂveau créÂneau porÂteur que serait la nourÂriÂture saine d’une bourÂgeoiÂsie éduÂquée éprise de « new-age » et de « bio ».
L’agroéÂcoÂloÂgie se veut une approche plus holisÂtique en faveur de la bioÂdiÂverÂsiÂté de tout l’écosystème habiÂté, comme en faveur de la conviÂviaÂliÂté chaÂleuÂreuse par encouÂraÂgeÂment à perÂséÂvéÂrer en tant que payÂsan et fier de l’être, sans se laisÂser fasÂciÂner par les sirènes de la moderÂniÂté arroÂgante barÂdée de prinÂcipes soit disant « scienÂtiÂfiques ». Cette moderÂniÂté qui se garÂgaÂrise du terme odieux d’exploitant agriÂcole.
Mais cette heuÂreuse prise de conscience a elle-même ses limites, et le but de ce texte est d’aller plus loin pour prendre la pleine mesure de l’ampleur des bouÂleÂverÂseÂments qu’il fauÂdra enviÂsaÂger si nous vouÂlons surÂvivre à la colosÂsale crise anthroÂpoÂloÂgique qui montre de plus en plus le bout de son nez.
ColosÂsale, car le troÂpisme artiÂfiÂciaÂliÂsaÂteur dont on voit mainÂteÂnant la fin s’était enclenÂché il y a des milÂliers d’années aux sources moyen-orienÂtales de ce qui donÂneÂra l’Occidentalité.
Une vision du monde orgueilleuÂseÂment anthroÂpoÂcenÂtrique où dès les temps pré-bibliques la nature (et la femme!) sera vue comme une entiÂté à mâter, à juguÂler, à maîÂtriÂser. Ce Moyen-Orient diaÂboÂliÂseÂra le corps de la femme : preÂmières injoncÂtions à le voiÂler attesÂtées dès 1730 avant notre ère et ne verÂra la nature que comme une enneÂmie à contraindre. La forêt est ce qui est là -bas, à l’extérieur (fora, defoÂra) loin, inquiéÂtant. La quiéÂtude étant l’espace anthroÂpiÂsé du Forum. L’Occident fera le choix de la rage maniaque à artiÂfiÂciaÂliÂser une nature vécue comme hosÂtile : le choix de l’AGER, ces champs défiÂniÂtiÂveÂment ouverts, pour une céréaÂliÂculÂture de plus en plus monoÂspéÂciÂfique.
En coloÂniÂsant, l’Occident tenÂteÂra d’implanter ailleurs son obsesÂsion anti-nature. Et anti-femmes : on recouÂvriÂra de texÂtiles les femmes nues des troÂpiques avec bien plus d’exigences que pour les corps masÂcuÂlins. Voir la signiÂfiÂcaÂtion de l’expression « elle montre sa nature » et l’étymologie des mots « noce », « nupÂtial » et « âge nubile » se ratÂtaÂchant au latin « nubes », nuage, donc ce qui voile le ciel, oriÂgine du voile musulÂman comme du voile chréÂtien, lié à la diaÂboÂliÂsaÂtion de la sexuaÂliÂté.
Prendre la pleine mesure de l’ampleur des bouÂleÂverÂseÂments nécesÂsaires, c’est avec Yves Cochet penÂser que Chris ClugÂston a raiÂson d’envisager avec un réaÂlisme lucide que la popuÂlaÂtion humaine monÂdiale va bruÂtaÂleÂment s’effondrer : nous serons peut-être 7 milÂliards 200 milÂlions en 2025 ou 2030 mais c’est alors que la chute lente d’abord, puis de plus en plus rapide des resÂsources énerÂgéÂtiques, et notamÂment les plus perÂforÂmantes et faciles d’usage d’entre elles, le pétrole et le gaz, entraîÂneÂra paralÂlèÂleÂment la chute de la popuÂlaÂtion monÂdiale. Chris ClugÂston pense que nous retomÂbeÂrons vite aux 2 milÂliards d’habitants que nous étions vers 1930. Sans compÂter que d’autres resÂsources énerÂgéÂtiques disÂpaÂraîÂtront elles ausÂsi très vite, tel l’uranium, et que dans l’ensemble, toutes les sociéÂtés indusÂtrielles et surÂtout les derÂnières arriÂvées (Inde, Chine) au parÂtage du gâteau empoiÂsonÂné, celui dont il faut chanÂger la recette, préÂcise Serge Latouche, vivront dans la douÂleur de la raréÂfacÂtion (et la hausse conséÂcuÂtive des coûts) de toutes les matières minéÂrales (cuivre, étain, nickel, etc.) par défiÂniÂtion non renouÂveÂlables.
Voir et lire à ce proÂpos la vidéo et le texte de Pablo SerÂvigne et Raphael SteÂvens, dans l’arÂticle ci-après (cliÂquez sur l’iÂmage):
Pour surÂvivre à ce colosÂsal bouÂleÂverÂseÂment, du jamais vu depuis des milÂliers d’années, il fauÂdra réviÂser de fond en comble nos a prioÂri naïfs d’occidentaux, donc totaÂleÂment décoÂloÂniÂser notre imaÂgiÂnaire. A comÂmenÂcer par la nécesÂsiÂté de déconsÂtruire métiÂcuÂleuÂseÂment nos préÂjuÂgés inconsÂcients, sinon ce serait en resÂter au niveau de la « bêtise, cette non-penÂsée d’une idée reçue » (FlauÂbert). Telle cette idée reçue que pour vivre, il faut obliÂgaÂtoiÂreÂment praÂtiÂquer l’AGER, l’agriculture.
La tenÂdance natuÂrelle des écoÂsysÂtèmes est de parÂveÂnir à un stade de matuÂriÂté stable appeÂlée stade cliÂmaÂcique, ou cliÂmax. En Europe temÂpéÂrée comme sous les troÂpiques sufÂfiÂsamÂment arroÂsés, le cliÂmax est défiÂni par la préÂsence de la forêt. En Europe, les payÂsans vivaient pour moiÂtié des actiÂviÂtés en forêt, lieu de pâtuÂrage des chèvres et des cochons, lieu de chasse et de cueillettes, lieu d’approvisionnement en matéÂriaux ligneux et pour moiÂtié de cultures dans des espaces défriÂchés. Jusqu’à ce que l’étatisme cenÂtraÂliÂsaÂteur royal puis encore plus graÂveÂment tatillon avec l’étatisme répuÂbliÂcain, cherÂcheÂra à chasÂser des forêts les payÂsans traÂdiÂtionÂnels. Ce sera en France l’administration des Eaux et Forêts, qui se heurÂteÂra dans les années 1830 par exemple aux AriéÂgeois avec la Guerre des DemoiÂselles. Longue guéÂrilla : le derÂnier payÂsan tué le sera à MasÂsat en 1900. (1) Alors que pour le payÂsan, la forêt est un tout avec de mulÂtiples resÂsources, pour l’ingénieur foresÂtier créaÂteur du concept réducÂteur de sylÂviÂculÂture, la forêt n’est que le lieu de la proÂducÂtion ligneuse. Et si la proÂducÂtion natuÂrelle de la matière-bois ne sufÂfit pas, on praÂtiÂqueÂra la planÂtaÂtion. Or il serait temps de reveÂnir à une sylÂviÂculÂture payÂsanne alterÂnaÂtive conseille GeneÂviève Michon (2): « les maniÂpuÂlaÂtions et les reconsÂtrucÂtions foresÂtières mises en places par les payÂsans dépassent de loin, par leur invenÂtiÂviÂté et leur réusÂsite techÂnique, la pluÂpart des exemples de sylviculture(s) proÂfesÂsionÂnelle. »
Si l’AGER (3) est typique de l’ouest de l’Eurasie avec la domesÂtiÂcaÂtion des céréales, l’HORTUS est issu sous les troÂpiques des praÂtiques de culture vivrières au sein de sociéÂtés « contre l’Etat » (Pierre Clastres). AGER et HORTUS repréÂsentent deux modes presque antaÂgoÂnistes de gesÂtion du milieu.
« L’AGER se défiÂnit par la recherche d’une artiÂfiÂciaÂliÂsaÂtion de plus en plus pousÂsée du milieu mis en place. L’HORTUS, litÂtéÂraÂleÂment le jarÂdin, est au contraire caracÂtéÂriÂsé par une grande diverÂsiÂté d’espèces cultiÂvées, le plus souÂvent d’ailleurs des plantes à tuberÂcules et des arbres, traiÂtées pied à pied et non de façon masÂsale. C’est un lieu triÂdiÂmenÂsionÂnel d’architecture comÂplexe voire d’apparence chaoÂtique, desÂtiÂné à une proÂducÂtion variée. DiverÂsiÂté des comÂpoÂsantes et comÂplexiÂté des strucÂtures réduisent les coûts d’entretien et mulÂtiÂplient les foncÂtions du jarÂdin » (2).
AGER : rupÂture totale avec l’écosystème natuÂrel. HORTUS : se glisse avec souÂplesse en jouant au maxiÂmum sur les interÂfaces entre écoÂsysÂtèmes et tire proÂfit des dynaÂmiques natuÂrelles des végéÂtaÂtions, en contiÂnuiÂté nette avec l’écosystème. Si le jarÂdin devient « domiÂné par les arbres pluÂtôt que par les tuberÂcules ou par des grandes herÂbaÂcées comme les banaÂniers ou les papayers, la difÂféÂrence avec la forêt, SYLVA, s’estompe encore plus » (2). « La pluÂpart des sylÂviÂculÂtures payÂsannes oscilÂlent entre HORTUS et SYLVA, entre jarÂdin et forêt » (4). « Deux mots pour caracÂtéÂriÂser ces sylÂviÂculÂtures payÂsannes : variéÂté et diverÂsiÂté. VariéÂté et diverÂsiÂté des espèces et des resÂsources en jeu, qui sont ausÂsi bien des bois durs issus d’espèces de forêt sombre à croisÂsance lente ou des bois tendres proÂduits par les pionÂniers à croisÂsance rapide, que des resÂsources non ligneuses (écorces fruits exsuÂdats) proÂduits par des arbres, des lianes ou des buisÂsons » (2). Sans compÂter en plus les resÂsources aniÂmales découÂvrables dans ce couÂvert végéÂtal et ses enclaves aquaÂtiques : gibier, poisÂsons, insectes et cerÂtains sous-proÂduits aniÂmaux comme les Å“ufs ou le miel.

On pourÂrait appeÂler sylÂviÂculÂture interÂstiÂtielle un cerÂtain nombre de praÂtiques payÂsannes de gesÂtion de l’écosystème foresÂtier et de planÂtaÂtion de végéÂtaux sélecÂtionÂnés. Ici les efforts de proÂducÂtion ne cherchent pas à se subÂstiÂtuer totaÂleÂment à la forêt natuÂrelle mais au contraire à s’intégrer dans les strucÂtures foresÂtières en place. Cette sylÂviÂculÂture interÂstiÂtielle est à l’œuvre avec les praÂtiques favoÂriÂsant en forêts inonÂdées de l’estuaire de l’Amazone la pousse des palÂmiers Euterpe dont on mange le cÅ“ur. Autre artiÂfiÂciaÂliÂsaÂtion disÂcrète de l’écosystème foresÂtier : la culture en sous-bois du benÂjoin, arbre de taille moyenne proÂducÂteur de résine odoÂrante, à SumaÂtra sud, ou le rotin, un palÂmier liaÂnesÂcent cultiÂvé à KaliÂmanÂtan en éclairÂcisÂsant le sous-bois tout en conserÂvant l’ossature haute de la canoÂpée, ou la carÂdaÂmone, une herÂbaÂcée du sous-bois au Laos, ou encore le thé, un petit arbre de sous-bois qu’en Chine et en ThaïÂlande on cultive traÂdiÂtionÂnelÂleÂment soit en se contenÂtant de praÂtiÂquer un éclairÂcisÂseÂment sélecÂtif de la végéÂtaÂtion natuÂrelle autour des arbustes de thé sauÂvage, soit en transÂplanÂtant de jeunes arbres dans des pépiÂnières créées par netÂtoyage plus comÂplet du sous-bois. De telles cultures resÂtent relaÂtiÂveÂment temÂpoÂraires. Au maxiÂmum 50 ans pour le rotin et le benÂjoin. « Le prinÂcipe de toléÂrance des advenÂtices foresÂtiers est larÂgeÂment appliÂqué. L’articulation avec l’agriculture est moins visible, ce qui ne l’empêche pas d’être essenÂtielle. Elle s’opère surÂtout au niveau de la comÂpléÂmenÂtaÂriÂté entre actiÂviÂtés agriÂcoles et sylÂviÂcoles dans l’économie des ménages et les écoÂnoÂmies vilÂlaÂgeoises : ces sylÂviÂculÂtures ne sont jamais menées comme des entreÂprises uniques, mais comme des actiÂviÂtés assuÂrant la diverÂsiÂfiÂcaÂtion de l’ensemble du sysÂtème de proÂducÂtion » (2). Dans le sud de SumaÂtra, la culture de l’arbre damar mainÂtient 50% de la végéÂtaÂtion natuÂrelle. Pour ce qui est des herÂbaÂcées, des lianes et des épiÂphytes, la comÂpoÂsante sponÂtaÂnée est totaÂleÂment domiÂnante. La pluÂpart des mamÂmiÂfères sauÂvages foresÂtiers sont touÂjours là , ainÂsi que 60% des oiseaux (5). Il faut en finir avec le mythe de la sépaÂraÂtion entre agriÂculÂture et foresÂteÂrie.
Chez les KayaÂpo d’Amazonie, la triÂbu du fameux chef RaoÂni, le botaÂniste DarÂrell A. Posey a découÂvert la praÂtique de l’agriculture inviÂsible. La forêt que l’on croyait natuÂrelle était en fait disÂcrèÂteÂment cultiÂvée. Les KayaÂpo, dès qu’ils se déplacent, n’oublient jamais de transÂporÂter graines, tuberÂcules et bouÂtures, et de planÂter parÂtout, « l’une des tâches les plus imporÂtantes à réaÂliÂser au cours des expéÂdiÂtions » (6). VoiÂlà une incarÂnaÂtion troÂpiÂcale de la célèbre nouÂvelle de Jean GioÂno : « L’homme qui planÂtait des arbres » ! L’abondance des fruits dans les jarÂdins volonÂtaiÂreÂment abanÂdonÂnés, afin de praÂtiÂquer une jachère repoÂsante pour la nature, jarÂdins reconÂquis par la forêt, attire de nomÂbreux aniÂmaux, ce qui en favoÂrise la régéÂnéÂraÂtion d’autant que 90% des graines ont besoin des aniÂmaux pour leur disÂperÂsion et leur gerÂmiÂnaÂtion (zooÂchoÂrie dont le spéÂciaÂliste franÂçais est Pierre-Michel ForÂget). De plus ces anciens jarÂdins insÂcrits dans le cycle de l’agriculture itiÂnéÂrante sur brûÂlis deviennent des lieux de préÂdiÂlecÂtion pour la chasse.
On a recenÂsé dans les agroÂfoÂrêts d’Indonésie quelques 390 espèces de légumes et condiÂments dont 106 sont des espèces foresÂtières plus ou moins entreÂteÂnues ou cultiÂvées. Cette énorme bioÂdiÂverÂsiÂté est connue grâce à la préÂsence de plus d’un milÂlier d’ethnies, chaÂcune ayant sa langue. Pas de bioÂdiÂverÂsiÂté sans mainÂtien de l’ethnodiversité. « Les scienÂtiÂfiques qui font l’inventaire du conteÂnu de notre monde doivent battre de vitesse les phéÂnoÂmènes d’oubli et d’extinction. Les sociéÂtés améÂrinÂdiennes sont les seules qui détiennent les connaisÂsances et les traÂdiÂtions perÂmetÂtant de subÂsisÂter en forêt amaÂzoÂnienne. Les AméÂrinÂdiens, non seuleÂment savent appréÂcier à sa juste valeur tout ce qui existe dans ces forêts, mais ils savent ausÂsi comÂprendre, mieux que les scienÂtiÂfiques, les interÂreÂlaÂtions de nature écoÂloÂgiques qui lient entre elles les difÂféÂrentes parÂties de l’écosystème amaÂzoÂnien. Ils ont une perÂcepÂtion parÂtiÂcuÂlière de ces relaÂtions entre espèces que les bioÂloÂgistes comÂmencent seuleÂment à découÂvrir » (6). Mais rien qu’entre 1900 et 1950 au BréÂsil qui abrite 65% de la forêt amaÂzoÂnienne, 85 peuples améÂrinÂdiens disÂpaÂrurent à jamais. Il resÂteÂrait cepenÂdant en AmaÂzoÂnie bréÂsiÂlienne 69 ethÂnies sans aucun contact avec le monde coloÂnial et donc conserÂvant intéÂgraÂleÂment le préÂcieux savoir sur la bioÂdiÂverÂsiÂté et ses difÂféÂrents usages posÂsibles.
Leçons à tirer des Yanomami et des Wayampi.
L’art de vivre en praÂtiÂquant une agriÂculÂture ou pluÂtôt une horÂtiÂculÂture comÂpaÂtible avec le mainÂtien des écoÂsysÂtèmes foresÂtiers garde intact le potenÂtiel des resÂsources de matières proÂtéiques. Par exemple (7) si les jarÂdins apportent 77,12% des caloÂries aux YanoÂmaÂmi (sud VeneÂzueÂla, nord BréÂsil), pour obteÂnir l’apport proÂtéique, il faut aller en forêt : pêche, chasse et cueillette apportent 73,06% des proÂtéines. Le tout en ne traÂvaillant que de 1,81 à 3,31 jours par semaine, soit moins de 3 heures par jour : 2H26 pour les femmes et 2H30 pour les hommes. La proÂducÂtiÂviÂté des difÂféÂrentes actiÂviÂtés se réparÂtie ainÂsi :
ActiÂviÂté à but aliÂmenÂtaire |
Input en Kcal |
OutÂput en Kcal |
ProÂducÂtiÂviÂté pour une Kcal de traÂvail invesÂtie |
AgriÂculÂture | 349,07 | 6918 | 19,8=le record ! |
chasse | 359,83 | 1006 | 2,8 |
pêche | 302,04 | 237 | 0,8 |
colÂlecte | 381,65 | 809 | 2,1 |
TOTAL | 1392,50 | 8970 | 6,49 proÂducÂtiÂviÂté moyenne |
L’agriculture est extrêÂmeÂment perÂforÂmante : les YanoÂmaÂmi obtiennent en agriÂculÂture plus de 19 fois ce qu’ils invesÂtissent en fatigue (énerÂgie musÂcuÂlaire invesÂtie, ou traÂvail mesuÂré en caloÂries, ajouÂté au temps de traÂvail pour réaÂliÂser artiÂsaÂnaÂleÂment l’outillage nécesÂsaire pour le jarÂdiÂnage) alors qu’en Beauce, un céréaÂliÂculÂteur, pour une Kcal invesÂtie, en récolte à la fin seuleÂment 2,2, tant l’aspect « input » est énorme puisqu’il faut compÂtaÂbiÂliÂser tous les intrants en amont, y comÂpris les mines et la sidéÂrurÂgie impliÂquées dans le proÂcesÂsus abouÂtisÂsant à l’outillage mécaÂnique, les engrais et les pesÂtiÂcides, le carÂbuÂrant comme les frais de transÂports de la récolte finale, et la part qui revient aux grosÂsistes et semi grosÂsistes jusqu’au détaillant. CalÂcuÂler tout cela pour l’élevage intenÂsif abouÂtit à un renÂdeÂment négaÂtif : il y a plus d’intrants (input) que d’extrants (outÂput) en compÂtant tous les tenants et abouÂtisÂsants en amont et en aval. Cela signiÂfie égaÂleÂment qu’il est faux de nous faire croire au proÂgrès de la renÂtaÂbiÂliÂté en agriÂculÂture, en nous expliÂquant par exemple qu’un agriÂculÂteur moderne nourÂrit à lui seul 80 perÂsonnes, alors qu’il n’en nourÂrisÂsait que 40 en 1930 et 20 en 1850. Ce genre de calÂcul nous fait oublier que cet agriÂculÂteur est de moins en moins seul pour abouÂtir à ces soi-disant perÂforÂmances : il y a derÂrière lui un nombre granÂdisÂsant et incalÂcuÂlable d’ouvriers impliÂqués dans la fabriÂcaÂtion de tout ce qu’utilise l’exploitant agriÂcole pour parÂveÂnir à son appaÂrente proÂducÂtiÂviÂté. AppaÂrente seuleÂment. Et cela explique que gloÂbaÂleÂment, tout étant lié à tout comme le savent ceux qui sont habiÂtués à réfléÂchir écoÂloÂgiÂqueÂment, la sociéÂté indusÂtrielle induit un bilan négaÂtif, plus de dépenses, d’ennuis, que de bénéÂfices, la résulÂtante de l’ensemble étant un dépasÂseÂment des capaÂciÂté régéÂnéÂraÂtrices de la bioÂsphère et une baisse de l’épanouissement humain, un senÂtiÂment de bonÂheur qui nous fait défaut et qui est remÂplaÂcé par l’impression douÂlouÂreuse de mal-être et de frusÂtraÂtion, dans un milieu de plus en plus malÂsain. Les YanoÂmaÂmi, eux, savent vivre de façon épaÂnouisÂsante, en traÂvaillant très peu, avec le senÂtiÂment de touÂjours faire des choses agréables, sans jamais se presÂser, et en entreÂcouÂpant à leur gré chaque actiÂviÂté de nomÂbreuses pauses. Le tout avec une empreinte écoÂloÂgique si faible que ce mode de vie est comÂpaÂtible à très long terme avec les capaÂciÂtés du milieu natuÂrel. En moyenne, toutes actiÂviÂtés confonÂdues, les YanoÂmaÂmi obtiennent 6,49 Kcal pour une kiloÂcaÂloÂrie invesÂtie.
Pour proÂduire ce total de 8970 Kcal, le traÂvail entre les hommes et les femmes se réparÂti ainÂsi :
Activité/Sexe |
Homme |
Femme |
Kcal | Kcal | |
agriÂculÂture | 293,82 | 55,25 |
chasse | 359,83 | 0 |
pêche | 135,24 | 166,08 |
cueillette | 45,88 | 355,66 |
Les femmes, et c’est un tabou valable dans toutes les sociéÂtés traÂdiÂtionÂnelles, n’ont pas le droit « d’ajouter du sang au sang », donc elles ne praÂtiquent pas toute forme de chasse qui risÂqueÂrait de faire couÂler du sang, mais ramènent à la maiÂson tout ce qui peut s’attraper sans armes qui feraient saiÂgner : petits aniÂmaux qui s’attrapent à la main, torÂtues, insectes, crabes, escarÂgots, têtards, etc. on voit sur le tableau ci-desÂsus que leur grosse part de traÂvail est la colÂlecte (355 kcal contre 45 Kcal pour les hommes). C’est qu’elles vont beauÂcoup plus souÂvent en forêt que les hommes, pour la cueillette : en moyenne menÂsuelle sur l’année les femmes 21 fois contre 4 fois pour les hommes.

Tableau du nombre moyen de sorÂties menÂsuelles pour chaque actiÂviÂté de subÂsisÂtance :
SaiÂson et sexe |
SaiÂson sèche |
SaiÂson des pluies |
||
actiÂviÂté | homme | femme | homme | femme |
agriÂculÂture | 16 | 18 | 15 | 15 |
chasse | 8 | zéro | 8 | zéro |
pêche | 3 | 4 | 7 | 5 |
colÂlecte | 1 | 7 | 3 | 14 |
TOTAL | 28 | 29 | 33 | 34 |
En moyenne, dans les vilÂlages YanoÂmaÂmi, 58% de la popuÂlaÂtion est active et 42% inacÂtive.
Moyenne du temps quoÂtiÂdien pasÂsé dans les difÂféÂrents lieux de traÂvail, en minutes :
SaiÂson | SaiÂson sèche | SaiÂson des pluies | ||
sexe | homme | femme | homme | femme |
habiÂtaÂtion | 20 H 58mn | 20 H 47mn | 20 H 03mn | 19 H 34mn |
jarÂdin | 0 H 50mn | 0 H 47mn | 1 H 12mn | 0H 44mn |
forêt | 2 H 12mn | 2 H 24mn | 2 H 45mn | 3 H 42 mn |
TOTAL | 24 H | 24 H | 24 H | 24 H |
Donc contraiÂreÂment au préÂjuÂgé : « la femme à la maiÂson, l’homme dehors », elles passent plus de temps en forêt que les hommes !
L’agriculture et la chasse apportent 90,6% des caloÂries et 83% des proÂtéines mais ne nécesÂsitent que 55% du temps de traÂvail :
actiÂviÂté | en % du poids | en % des caloÂries | en % des proÂtéines | En proÂporÂtion du temps de traÂvail | |
agriÂculÂture | |||||
79,6 | 75,8 | 14,2 | 33 | ||
Chasse | 11 (11+79,6=90,6%) | 14,8 | 68,8 | 22 (22+33=55%) | |
Pêche | 1,8 | 1,9 | 7,6 | 22 | |
Cueillette | 7,8 | 7,5 | 9,4 | 23 |
Temps moyen consaÂcré quoÂtiÂdienÂneÂment aux difÂféÂrents traÂvaux et temps qu’il reste pour les loiÂsirs et le repos :
saiÂson | sèche | sèche | pluies | pluies | moyenne | annuelle |
ActiÂviÂté / sexe | homme | femme | homme | femme | homme | femme |
agriÂculÂture | 46 mn | 20 mn | 1 h 09 mn | 14 mn | 57 mn | 17 mn |
chasse | 64 mn | zéro | 1 h 25 mn | zéro | 1 h 14 mn | zéro |
pêche | 26 mn | 33 mn | 48 mn | 53 mn | 37 mn | 43 mn |
colÂlecte | 2 mn | 43 mn | 16 mn | 1 h 58 mn | 9 mn | 1 h 20 mn |
PréÂpaÂraÂtion des aliÂments | 21 mn | 1 h O8 mn | 24 mn | 1 h 39 | 22 mn | 1 h 23 mn |
FabriÂcaÂtion et répaÂraÂtion d’obÂjets | 1 h 02 mn | 1 h 43 mn | 58 mn | 5 mn | 1 h | 54 mn |
Soins au ménage | 1 h 2O mn | 2 h 24 mn | 45 mn | 1 h 41 mn | 1 h 02 mn | 2 H 02 mn |
Repos et loiÂsirs | 19 h 38 mn | 17 h 15 mn | 18 h 25 mn | 17 h 05 mn | 19 h 01 mn | 17 h 31 mn |
En supÂpoÂsant que les hommes et les femmes dorment 9 heures par nuit, il leur reste chaque jour de 8 h 30 à 10 h 30 de loiÂsirs. Si ce tableau montre que les femmes traÂvaillent légèÂreÂment plus que les hommes, il faut consiÂdéÂrer qu’elles ont souÂvent entre les mains la queÂnouille pour filer le coton, petit traÂvaille réaÂliÂsé presque sans en avoir l’air, tout en parÂtiÂciÂpant actiÂveÂment aux bavarÂdages et aux blagues comme au plaiÂsir de chanÂter, tout en faiÂsant ce traÂvail utile, le tout dans une chaÂleuÂreuse conviÂviaÂliÂté. Les proÂcesÂsus artiÂsaÂnaux de proÂducÂtion perÂmettent de tout fabriÂquer dans la transÂpaÂrence, au vu et au su de tous et toutes. Rien ne se passe dans la frusÂtrante opaÂciÂté, comme dans notre monde indusÂtriel. Or la transÂpaÂrence garanÂti le besoin fonÂdaÂmenÂtal d’intimité, posÂsible seuleÂment si tout est fabriÂcable « à la maiÂson ». Ici, chaÂcun se sent dans une relaÂtion d’intimité avec tous les objets de la vie quoÂtiÂdienne, car tout le monde sait comÂment ils se fabriquent. Et tout se fabrique sur place avec art et amour : l’artisan prend plaiÂsir à mettre sa touche perÂsonÂnelle dans l’objet, même le plus banal.
VariaÂtion des actiÂviÂtés avec les saiÂsons :
saiÂson | SaiÂson | sèche | SaiÂson des | pluies | ||
ActiÂviÂté | / sexe | homme | femme | homme | femme | |
SubÂsisÂtance et aliÂments | 2 h 39 mn | 2 h 44 mn | 4 h 02 mn | 4 h 44 mn | ||
Autres traÂvaux | 2 h 22 mn | 4 h 07 mn | 1 h 43 mn | 1 h 46 mn | ||
Repos et loiÂsirs | 10 h 38 mn | 8 h 09 mn | 9 h 15 mn | 8 h 30 mn | ||
Nuit de somÂmeil | 9 h | 9 h | 9 h | 9 h | ||
TraÂvail quoÂtiÂdien consaÂcré à la subÂsisÂtance :
SaiÂson | SaiÂson sèche | SaiÂson des pluies |
Homme | 2 h 39 mn | 4 h 02 mn |
femme | 2 h 44 mn | 4 h 44 mn |
Les spéÂciaÂlistes du calÂcul de l’effort pour la subÂsisÂtance comme Richard Lee ont trouÂvé chez les BoschiÂman le même indice : 0,21 qu’ici chez les YanoÂmaÂmi.
Autre astuce des YanoÂmaÂmi pour vivre heuÂreux : améÂnaÂger le temps de traÂvail tout au long des saiÂsons pour que la moyenne soit agréable, même si la saiÂson des pluies entraîne plus d’activités car c’est le moment où il y a plus de fruits à récolÂter en forêt, et le moment où il faut aller plus à la chasse. Grâce à la pluie, on fait moins de bruit en forêt, car le tapis de feuilles humides ne craque pas sous les pas du chasÂseur, et c’est la saiÂson du gibier gras, plus nourÂrisÂsant, le aniÂmaux trouvent en abonÂdance de quoi se nourÂrir car la pluÂpart des fruits sont à matuÂriÂté et ils sont plus facile à repéÂrer car on devine vers quels arbres fruiÂtiers ils vont aller se nourÂrir. Tableau de cette dépense énerÂgéÂtique qui varie peu selon les saiÂsons : à peine une cenÂtaine de kilo-caloÂries !
SaiÂson | SaiÂson sèche | SaiÂson des pluies |
Homme | 1970 Kcal | 2014 Kcal |
femme | 1666 Kcal | 1772 Kcal |
ConnaisÂsance et usage de la bioÂdiÂverÂsiÂté.
Les YanoÂmaÂmi peuvent nomÂmer 328 plantes sauÂvages difÂféÂrentes dont 68,5 % sont des arbres et des arbustes. QuesÂtion : comÂbien de plantes et d’arbre peut nomÂmer un franÂçais moyen ?
ParÂmi les 65 plantes aliÂmenÂtaires sauÂvages, 15 sont à cerÂtains moments de l’année une resÂsource relaÂtiÂveÂment imporÂtante, et cerÂtaines servent à accomÂpaÂgner agréaÂbleÂment les bananes-légumes, celles qu’il faut cuire.
En moyenne, les végéÂtaux sauÂvages repréÂsentent 11,48 % de toutes les resÂsources comesÂtibles, 13,72 % de tous les proÂduits végéÂtaux, 8,53 % des caloÂries et 8,26 % des proÂtéines, comÂpaÂré à l’ensemble des aliÂments.
Les resÂsources végéÂtales sauÂvages servent ausÂsi à des usages non aliÂmenÂtaires :
- La fabriÂcaÂtion d’objets,
- ObteÂnir des teinÂtures pour coloÂrer,
- ObteÂnir des halÂluÂciÂnoÂgènes pour les céréÂmoÂnies chaÂmaÂniques, comÂprendre les causes des malaÂdies et soiÂgner
- ObteÂnir les poiÂsons de chasse et de pêche,
- ObteÂnir des parures,
- Se pourÂvoir en bois pour les feux de cuiÂsine.
Les YanoÂmaÂmi cultivent des plantes de 19 familles botaÂniques disÂtriÂbuées en 25 espèces et 89 variéÂtés.
77 % des surÂfaces jarÂdiÂnées sont occuÂpées par les 11 variéÂtés de banaÂniers, 6 % par les 5 variéÂtés de manioc. Les 6 variéÂtés de choux caraïbes couvrent 5,5 % des jarÂdins, puis viennent le coton, le tabac et le maïs.
SouÂvent, sous les banaÂniers, on trouve mêlés le manioc, le coton, le tabac, le taro et le maïs.
Les WayamÂpi du Haut OyaÂpock cultivent 37 espèces difÂféÂrentes, y comÂpris les plantes à usage techÂnique comme celles pour tisÂser (coton) et celles pour obteÂnir des conteÂnants pour liquides : gourdes et caleÂbasses. Ils tiennent à avoir dans leurs jarÂdins 11 variéÂtés de bananes, 13 variéÂtés de piment, 12 variéÂtés d’ignames vioÂlets, 7 variéÂtés de coton, 8 variéÂtés de patates douces, 5 variéÂtés de maïs, 3 variéÂtés de hariÂcots de Lima, 3 variéÂtés de papayes, 3 variéÂtés de caleÂbasÂsiers, 3 variéÂtés de cacaÂhuètes, 3 variéÂtés d’ananas, 2 variéÂtés de roseaux pour faire des flèches, 3 variéÂtés pour faire des gourdes. Au total, pour ces 37 espèces cultiÂvées, on dénombre 134 variéÂtés.
Les WayamÂpi ne basent pas leur agriÂculÂture sur les bananes comme les YanoÂmaÂmi, mais sur le manioc amer, qui peut couÂvrir les 9/10e de la surÂface de l’abattis. Ils connaissent 30 clones difÂféÂrents de manioc, et chaÂcun a un usage préÂcis en cuiÂsine. Le manioc perÂmet de récolÂter 18,4 tonnes de tuberÂcules à l’hectare.
Les WayamÂpi trouvent en mai, cÅ“ur de la saiÂson des pluies, 39 espèces de fruits sauÂvages, nombre qui tombe au pire à 5 au cÅ“ur de la saiÂson sèche. Mais pour comÂpenÂser, la saiÂson sèche est la meilleure pour la pêche.
62 % de la chasse est praÂtiÂquée en suiÂvant le calenÂdrier de la frucÂtiÂfiÂcaÂtion des arbres, car on sait de cette façon comÂment choiÂsir les zones de forêt où on aura plus de chance de trouÂver tel ou tel gibier, en foncÂtion d’une connaisÂsance fine de ses goûts aliÂmenÂtaires, lors de la matuÂriÂté des fruits en saiÂson des pluies. Dans 25 % des cas seuleÂment, la chasse est le fruit du hasard.
Chez les WayamÂpi du Haut OyaÂpock, 52 % des proÂtéines aniÂmales viennent des mamÂmiÂfères, 28% des poisÂsons, 13% des oiseaux et 7% des repÂtiles.
Chez les YanoÂmaÂmi, 46,08% des proÂtéines viennent de la chasse, 16,15% de la pêche et 11,43% de la cueillette, la forêt apporÂtant 63,66% des proÂtéines mais que 23,88% des caloÂries, d’où l’importance pour l’équilibre aliÂmenÂtaire des jarÂdins, source de 77,12% des caloÂries.
Chez les WayamÂpi, l’alimentation est comÂpoÂsée à 43% des proÂduits foresÂtiers et à 57% de leur horÂtiÂculÂture.
Les WayaÂna de Guyane, au mode de vie plus bouÂleÂverÂsé par la sédenÂtaÂriÂsaÂtion forÂcée (traÂdiÂtionÂnelÂleÂment, on chanÂgeait de place les vilÂlages tous les 10 ans) et le regrouÂpeÂment des vilÂlages alors que la sagesse recomÂmanÂdait de ne pas être plus de 10 familles dans le même vilÂlage, pêchent plus, les poisÂsons constiÂtuants 42% de l’alimentation carÂnée, du fait des difÂfiÂculÂtés à trouÂver faciÂleÂment du gibier. C’était plus facile du temps du semi-nomaÂdisme et de l’éclatement et la disÂperÂsion des petits vilÂlages. 42% contre 28% chez les WayamÂpi et 16% seuleÂment chez les YanoÂmaÂmi, beauÂcoup moins pêcheurs car beauÂcoup plus traÂdiÂtionÂnels.
Au total, chez les WayamÂpi, on compte une surÂface de forêt de 166 ha par perÂsonne (250 Km2 pour 150 perÂsonnes), dont 96,2% reste de la forêt priÂmaire, essenÂtielle pour l’apport en proÂtéines, et 3,8% seuleÂment est plus ou moins anthroÂpiÂsé.
Chez les YanoÂmaÂmi, la capaÂciÂté de charge pourÂrait être de 64 à 72 habiÂtants au Km2, mais la réaÂliÂté constaÂtée n’est que de 0,24 habiÂtants au Km2, d’où l’on peut conclure que les YanoÂmaÂmi n’utilisent que 0,36% du potenÂtiel agriÂcole, seuleÂment 124 ha pour les 2068 YanoÂmaÂmi cenÂtraux étuÂdiés penÂdant 23 années de suite par Jacques Lizot, soit 0,0215% des terres disÂpoÂnibles. (8)
Débat.
Cette sous-utiÂliÂsaÂtion du potenÂtiel nourÂriÂcier est le signe des sylÂviÂliÂsaÂtions (le terme « civiÂliÂsaÂtion », du latin civis, la ville, est impropre pour les peuples qui ne supÂportent pas l’entassement urbain et la diviÂsion des tâches comme la hiéÂrarÂchie!) qui estiment que notre plaÂnète est desÂtiÂnée à tout le vivant, au proÂfit d’une bioÂdiÂverÂsiÂté maxiÂmum : vision phiÂloÂsoÂphique bioÂcenÂtrique, à l’opposé de la vision orgueilleuÂseÂment anthroÂpoÂcenÂtrique qui, actuelÂleÂment, nous mène à la Sixième extincÂtion masÂsive des espèces. Il est posÂsible au vu de l’emballement du réchaufÂfeÂment cliÂmaÂtique de voir disÂpaÂraître tous les grands arbres et tous les mamÂmiÂfères de plus de trois kilos. On est pasÂsé mainÂteÂnant d’un rythme d’extinction d’une espèce tous les 400 ans à une espèce par mois.
Dans ce contexte extrêÂmeÂment incerÂtain, et à la veille de bouÂleÂverÂseÂments draÂmaÂtiques, il est inutile de s’aveugler en imaÂgiÂnant la pourÂsuite tranÂquille des courbes clasÂsiques telles celles de la pourÂsuite de l’exode rural et de l’urbanisation : un monde sans pétrole, sans transÂports, va se reruÂraÂliÂser ou celle de la pourÂsuite de la hausse gloÂbale de la démoÂgraÂphie humaine. L’agonie des sociéÂtés indusÂtrielles se traÂduiÂra dans un preÂmier temps par le raiÂdisÂseÂment poliÂcier et miliÂtaire des parÂties priÂviÂléÂgiées du globe, cette élite éprise d’American Way of Life, surÂtout chez les derÂniers parÂveÂnus au banÂquet de la frime tapaÂgeuse ! cette élite qui s’empiffre du gâteau empoiÂsonÂné, gâteau que les théoÂries sociaÂlo-marÂxistes veulent seuleÂment parÂtaÂger au nom de la jusÂtice sociale, même chez les adeptes actuels du N.P.A., ce NouÂveau ParÂti AnaÂchroÂnique devrait-on dire, puisqu’ils se contentent d’être seuleÂment anti-capiÂtaÂlistes, alors qu’il faut être beauÂcoup plus que cela, bien plus révoÂluÂtionÂnaire : il faut être anti-indusÂtriel, voire « anti-civiÂliÂsaÂtion » comme on dit dans les tenÂdances contesÂtaÂtaires les plus radiÂcales dans les pays anglo-saxons. Les durÂcisÂseÂments étaÂtiques vioÂlents auront à affronÂter le durÂcisÂseÂment des foules frusÂtrées, pleine d’un resÂsenÂtiÂment ausÂsi insÂtincÂtif que stéÂrile, au sein des popuÂlaÂtions récemÂment ethÂnoÂciÂdées et aggluÂtiÂnées aux portes des mirages urbains, durÂcisÂseÂment exploiÂté par les prêÂcheurs fonÂdaÂmenÂtaÂlistes attiÂsant la haine revanÂcharde.
Par sa publiÂciÂté intemÂpesÂtive, ses séries téléÂviÂsées créÂtiÂniÂsantes, la SociéÂté de ConsomÂmaÂtion monÂdiaÂliÂsée nourÂri ce resÂsenÂtiÂment en créant ces désiÂrs absurdes.
Faute de sagesse, celle de Majid RahÂneÂma et d’Héléna NorÂbert-Hodge, prôÂnant la pauÂvreÂté, ou modéÂraÂtion épaÂnouisÂsante de la vie simple, inverse de la misère, le désir perÂvers de richesse et de puisÂsance détourÂneÂra trop longÂtemps les ethÂnoÂciÂdés, les peuples arraÂchés à leurs camÂpagnes, leurs forêts, leurs savanes et tounÂdras des vraies soluÂtions : la redéÂcouÂverte de la supéÂrioÂriÂté du « mode de vie sauÂvage », en termes de capaÂciÂté à proÂduire le bonÂheur et le bien-être. Trop longÂtemps. Donc en plus du corÂtège des mesures de plus en plus drasÂtiÂqueÂment poliÂcières et sécuÂriÂtaires, à coups de fichage orwelÂlien dopé aux nanoÂtechÂnoÂloÂgies et aux puces RFID, arseÂnal de la bioÂméÂtrie omniÂsurÂveillante, en plus du corÂtège des guerres autour des matières preÂmières minières et énerÂgéÂtiques deveÂnues rares (et préÂcieuses pour les toxiÂcoÂdéÂpenÂdants de la vie moderne et urbaine), nous allons vers les famines et les épiÂdéÂmies.
Ce sera un retour aux panÂdéÂmies du Moyen-Age douÂblé d’une moderÂniÂsaÂtion de l’art de tuer en masse : on regretÂteÂra les méthodes artiÂsaÂnales des nazis à côté de ce qui nous attend ; les souches résisÂtantes metÂtront hors serÂvice les antiÂbioÂtiques, la mobiÂliÂté interÂnaÂtioÂnale des gens monÂdiaÂliÂseÂra les virus et les bacÂtéÂries morÂtelles. Déjà , des aboÂviÂroses mutantes sortent des forêts troÂpiÂcales où jusque-là elles se tenaient en équiÂlibre dans un milieu jadis stable et comÂmencent à infesÂter l’espèce humaine. Le virus H.I.V. en est un exemple, la dengue hémorÂraÂgique un autre [NdE, et plus récemÂment, le virus Zika]. On vient de déceÂler 80 nouÂvelles aboÂviÂroses, dont 14 sont morÂtelles. Sans compÂter la stéÂriÂliÂsaÂtion du vivant par les perÂturÂbaÂteurs endoÂcriÂniens, et la toxiÂciÂté granÂdisÂsante du mode de vie moderne par envaÂhisÂseÂment non juguÂlable des proÂduits chiÂmiques.
Tout cela conduit à penÂser au caracÂtère inéÂlucÂtable de la triade morÂtiÂfère hélas clasÂsique : guerre, famines et épiÂdéÂmies, et à la jusÂtesse de l’analyse de Chris ClugÂston difÂfuÂsée par Yves Cochet : oui, nous allons régresÂser démoÂgraÂphiÂqueÂment, jusqu’à peut-être retomÂber au chiffre que nous étions avant l’ère indusÂtrielle. C’est dans ce cadre qu’il faut enviÂsaÂger un réexaÂmen des notions d’AGER, SYLVA et HORTUS, en retrouÂvant à la place de la notion impruÂdente de DEVELOPPEMENT, celle de l’ENVELOPPEMENT, ou art d’occuper peu de place sur cette plaÂnète, grâce au repli dans les écoÂsysÂtèmes sauÂvages et à la remise à l’honneur des praÂtiques subÂtiles de l’agro-sylvo-foresterie, cette horÂtiÂculÂture disÂcrète et non pérenne, ne modiÂfiant qu’épisodiquement le stade cliÂmaÂcique, donc foresÂtier, de l’écosystème, grâce à une utiÂliÂsaÂtion maxiÂmum de toute la bioÂdiÂverÂsiÂté, et la sélecÂtion traÂdiÂtionÂnelle de variéÂtés innomÂbrables dans ces jarÂdins où exisÂtaient depuis des milÂliers d’années la perÂmaÂculÂture, avant que le concept appaÂraisse. Le déveÂlopÂpeÂment n’est que l’étalement mono-direcÂtionÂnel de la préÂsence humaine, alors que l’enveloppement fuit cette hubris si redouÂtée des anciens grecs, cette démeÂsure. L’enveloppement est pluÂriÂdiÂrecÂtionÂnel, il est fait de toutes les torÂsades des cirÂconÂvoÂluÂtions enrouÂlées sur elles-mêmes, de telle sorte que les interÂfaces, les points de contacts sont mulÂtiples et décuplent les posÂsiÂbiÂliÂtés de liens, les occaÂsions de conviÂviaÂliÂté, tout en laisÂsant l’essentiel des écoÂsysÂtèmes à la libre divaÂgaÂtion des espèces sauÂvages.
L’AGER, c’est la guerre à la nature. L’idéal moyen-orienÂtal du champ ouvert et perÂmaÂnent, une blesÂsure saiÂgnante infliÂgée à la nature. Cette héréÂsie moyen-orienÂtale qui contaÂmiÂneÂra l’Europe puis par l’odieuse coloÂniÂsaÂtion raciste, le reste du monde, se douÂbleÂra de l’hérésie étaÂtiste, ce troÂpisme cenÂtraÂliÂsaÂteur desÂtrucÂteur de l’ethnodiversité. Et l’Etat détriÂbaÂlise, l’Etat uniÂfie, l’Etat détruit le pluÂriel linÂguisÂtique. On dit que 80% des 5000 langues resÂtantes sont déjà menaÂcées. 2000 langues ont disÂpaÂrues depuis 1980. L’érosion de l’ethnodiversité est encore plus rapide que celle de la bioÂdiÂverÂsiÂté, mais ne fait guère la Une de la presse, au point que l’occurrence du terme « ethÂnoÂdiÂverÂsiÂté » est encore très loin de la fréÂquence de celle de « bioÂdiÂverÂsiÂté ». PourÂtant les deux sont inséÂpaÂrables.
Cet enréÂgiÂmenÂteÂment des petits peuples locaux tranÂquilleÂment autoÂsufÂfiÂsants (tous savaient vivre quaÂsiÂment sans traÂvailler, ou très peu, même dans les enviÂronÂneÂments qui nous paraissent hosÂtiles, comme au cÅ“ur du SahaÂra ou au nord du GroenÂland) n’est là que pour nourÂrir le désir de PuisÂsance et de Richesse de quelques-uns. L’Etat et l’Empire ne sont que ces invenÂtions monsÂtrueuses pour assouÂvir ces désiÂrs perÂvers. Ailleurs, au sein des SYLVILISATIONS, avoir plus que le voiÂsin était mal vu, et des mécaÂnismes sociaux rééquiÂliÂbraÂteurs perÂmetÂtaient de réinÂtroÂduire l’égalité sociale et l’absence de hiéÂrarÂchie. Par exemple le rituel du potÂlach chez les AméÂrinÂdiens de la Côte Nord-Ouest canaÂdienne, cette grande fête où tout est donÂné pour que tout le monde redeÂvienne pareil.
PuisÂsance et Richesse, deux termes qui se fondent sur la notion de « riki » en langue franÂcique. Quelle est cette psyÂcho-pathoÂloÂgie qui incite des humains à s’enivrer de puisÂsance et de richesse et qui en incitent d’autres à resÂpecÂter ce troÂpisme pathoÂgène en se laisÂsant aller à la « serÂviÂtude volonÂtaire » au lieu de se révolÂter ? Pierre Clastres était sur la piste des bonnes quesÂtions de La BoéÂtie lorsque la mort le frapÂpeÂra trop jeune le 31 juillet 1977, le même jour que Vital MichaÂlon devant la cenÂtrale nucléaire de MalÂville.
Si l’AGER, c’est la guerre à la nature, il est difÂfiÂcile de se satisÂfaire de l’expression « agroéÂcoÂloÂgie » que l’on préÂsente comme porÂteuse d’une proÂmetÂteuse améÂlioÂraÂtion de la clasÂsique « agriÂculÂture bioÂloÂgique ». L’agroécologie serait une agriÂculÂture écoÂloÂgique. Mais est-il écoÂloÂgique de tout faire repoÂser par ethÂnoÂcenÂtrisme (occiÂdenÂtaÂloÂcenÂtré) sur l’AGER en oubliant la SYLVA et l’HORTUS ?
DécoÂloÂniÂser notre imaÂgiÂnaire, c’est ausÂsi nous sorÂtir de nos habiÂtudes occiÂdenÂtales d’agriculteurs en allant voir du côté des peuples encore non occiÂdenÂtaÂliÂsés, car ils nous renÂseignent sur ce que nous savions faire, nous ausÂsi, en Europe, avant l’invasion de l’hérésie moyen-orienÂtale, cet anthroÂpoÂcenÂtrisme qui est le berÂceau des ravages actuels de notre fraÂgile et petite plaÂnète.
ThierÂry SalÂlanÂtin, Paris, venÂdreÂdi 28 novembre 2008.
Notes 1°- CorÂvol A. 1987 : L’homme au bois. HisÂtoire des relaÂtions de l’homme et de la forêt , XVII-XX e siècle. Fayard. LarÂrère R. NouÂgaÂrède O. 1993 : Des hommes et des forêts. GalÂliÂmard.
2°- Michon GeneÂviève 1999 : CultiÂver la forêt : sylÂva, ager ou horÂtus ? in BahuÂchet, Bley, PageÂzy, dir. L’homme et la forêt troÂpiÂcale. Ed. du BerÂgier 311–326.
3°- HauÂdriÂcourt A.G. 1943 : L’homme et les plantes cultiÂvées. Payot BarÂrau J. 1967 : De l’homme cueilleur à l’homme cultiÂvaÂteur. Cahiers d’histoire monÂdiale X,2, 275–292.
4°- Michon G . De ForesÂta H. 1997 : AgroÂfoÂrests :preÂdoÂmesÂtiÂcaÂtion of forest trees or true domesÂtiÂcaÂtion of forest ecoÂsysÂtems ? NetherÂland JourÂnal of AgriÂculÂtuÂral Science vol.45 : 451–462.
5°- ThiolÂlay J.M. 1995 in ConserÂvaÂtion BioÂloÂgy 335–353.
6°- Posey D.A. 1996 in HlaÂdik C.M.,Pagezy H. dir. : L’ aliÂmenÂtaÂtion en forêt troÂpiÂcale. InterÂacÂtions bioÂculÂtuÂrelles et persÂpecÂtives de déveÂlopÂpeÂment. UNESCO-MAB 131–144.
7°- Lizot Jacques, 1978 : EcoÂnoÂmie priÂmiÂtive et subÂsisÂtance. Essai sur le traÂvail et l’alimentation chez les YanoÂmaÂmi. Revue LIBRE n° 4 Petite BiblioÂthèque Payot.
8°- Lizot Jacques 1980 : La agriÂculÂtuÂra YanoÂmaÂmi. CaraÂcas AntroÂpoÂloÂgiÂca.
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Afficher les commentaires Hide comments[…] Le texte qui suit, traÂduit par nos soins (article oriÂgiÂnal en anglais à cette adresse), nous semble poser des quesÂtions et des remarques intéÂresÂsantes (peu ou jamais disÂcuÂtées). Cela dit, celles-ci semblent plus corÂresÂpondre à l’être humain indusÂtriel civiÂliÂsé qu’à l’indigène/autochtone inciÂviÂliÂsé, vivant de et avec l’écosystème dont il fait parÂtie. En effet, en ce qui concerne les soufÂfrances de la vie dont parle David BenaÂtar, liées par exemple aux malaÂdies dégéÂnéÂraÂtives, entre autres, celles-ci sont le plus souÂvent des malaÂdies dites de « civiÂliÂsaÂtion » ; à proÂpos de la « desÂtrucÂtiÂviÂté » inhéÂrente à l’homme, qu’il menÂtionne, ce comÂporÂteÂment semble caracÂtéÂriÂser une fois de plus l’être humain indusÂtriel civiÂliÂsé et pas l’indigène/autochtone inciÂviÂliÂsé, dont la culture lui a parÂfois perÂmis (et lui perÂmet encore dans quelques cas) de vivre en harÂmoÂnie, … […]
[…] Un long article fort intéÂresÂsant sur le mode de culture (horÂtiÂculÂture) des peuples dit priÂmiÂtifs mais qui représente(nt), sans doute, le futur de l’humanité, à lire par ici […]