Les baleines meurent de faim – l’estomac plein de nos déchets plastique (par Philip Hoare)

Article ini­tia­le­ment publié (en anglais) sur le site du Guar­dian le 30 mars 2016, à l’a­dresse suivante.


13 cacha­lots échoués le long des côtes alle­mandes avaient ingé­ré d’immenses quan­ti­tés de plas­tique. Ils sont le sym­bole de notre mépris cho­quant pour la vie marine.

En Jan­vier, 29 cacha­lots se sont échoués autour de la Mer du Nord. Les résul­tats des nécrop­sies (l’équivalent ani­ma­lier d’une autop­sie) de 13 de ces baleines, retrou­vées sur les côtes alle­mandes, près de la ville de Tön­ning en Schles­wig-Hol­stein, viennent d’être publiés. Les esto­macs des ani­maux étaient pleins de débris plas­tique. Un filet de 13 mètres de long, une pièce de plas­tique d’une voi­ture de 70cm et d’autres mor­ceaux de détri­tus plas­tiques avaient été invo­lon­tai­re­ment ingé­ré par les ani­maux, qui les ont peut-être confon­dus avec leur nour­ri­ture, comme le cal­mar, leur met favo­ri, qu’ils consomment en les aspi­rant dans leur bouche.

Robert Habeck, ministre de l’environnement de l’état du Schles­wig-Hol­stein, explique : « ces décou­vertes nous montrent le résul­tat de notre socié­té du plas­tique. Les ani­maux consomment invo­lon­tai­re­ment des déchets plas­tiques, qui les font souf­frir, et pire, les font mou­rir de faim l’estomac plein ». Nico­la Hod­gins, de Whale and Dol­phin Conser­va­tion, ajoute : « Si les gros mor­ceaux occa­sionnent des pro­blèmes évi­dents et obs­truent les intes­tins, les plus petits mor­ceaux peuvent entraî­ner des pro­blèmes chro­niques pour toutes les espèces de céta­cés – pas seule­ment ceux qui s’alimentent pas aspi­ra­tion ».

L’image de ces grandes créa­tures, sen­sibles et pla­cides rem­plies de nos déchets est assez emblé­ma­tique de la rela­tion inégale entre l’humain et le cacha­lot. Le fait que ce der­nier pos­sède le plus grand cer­veau de tous les ani­maux ayant jamais exis­té ne fait que sou­li­gner cette déconnexion.

« La faute de l’homme »

Mal­heu­reu­se­ment, pour qui­conque suit l’histoire récente de notre impact sur les céta­cés, la situa­tion ter­rible des baleines alle­mandes n’est pas nou­velle – bien que l’importance des échoue­ments de jan­vier der­nier le soit. En 2011, un jeune cacha­lot a été trou­vé mort au large de l’île grecque de Myko­nos. Son esto­mac était tel­le­ment dis­ten­du que les scien­ti­fiques ont cru que l’animal avait pu ava­ler un cal­mar géant. Mais lorsqu’ils ont dis­sé­qués ses 4 esto­macs (les cacha­lots bien que des pré­da­teurs ont des pro­ces­sus diges­tifs simi­laires aux rumi­nants), ils ont retrou­vé envi­ron 100 sacs plas­tiques et autres débris. Un sac pré­sen­tait le numé­ro de télé­phone d’un res­tau­rant de souv­la­ki de Thes­sa­lo­nique. Les scien­ti­fiques plai­san­tèrent amè­re­ment en expli­quant que la baleine était dans l’incapacité d’appeler pour se plaindre des dom­mages cau­sés par leurs produits.

L’intensité du sort qui frappe ces baleines de la mer du Nord rap­pelle celui des alba­tros se repro­dui­sant sur l’île de Mid­way, cap­tu­ré de façon si poi­gnante par le pho­to­graphe Chris Jor­dan. Il a docu­men­té les restes sque­let­tiques de leurs jeunes, plein à cra­quer du plas­tique avec lequel leurs parents les nour­rissent invo­lon­tai­re­ment – mor­ceaux de can­nettes de bière, bou­chons de bou­teilles, bri­quets, etc. – au point que le manque de nutri­tion les fait mou­rir de faim.

Notre uti­li­sa­tion et notre abus des ani­maux semblent en pro­por­tion inverse de la révé­rence qua­si rituelle dont nous pré­ten­dons faire preuve à leur égard. Les baleines sont deve­nues l’icône marine de la menace éco­lo­gique. Nous révé­rons leur gran­deur. Mais par­fois, je me demande si tout cela n’est pas qu’illusion. Nous nous féli­ci­tons d’avoir ces­sé de les chas­ser (enfin, presque, la plu­part d’entre elles). Pour­tant de nom­breux céta­cés sont atta­qués ou tués par la pol­lu­tion que nous déver­sons dans les océans. Nous ne par­ve­nons pas à com­prendre la connexion directe entre les bou­teilles d’eau en plas­tique et leur impact sur le cycle de l’eau. Les baleines sont tou­jours vic­times de notre indus­tria­li­sa­tion, de notre insa­tiable soif de crois­sance au détri­ment de tout le reste – bien que, peut-être, de manière moins directe que par le passé.

Récem­ment, en visi­tant l’unité de sto­ckage où le Muséum d’Histoire Natu­relle de Londres range les mil­liers de spé­ci­mens qu’ils sont inca­pables – ou réti­cents – d’exposer dans le musée, le conser­va­teur des ver­té­brés, Richard Sabin, m’a mon­tré un car­ton sans rien d’inscrit dans un coin. Il m’a conseillé de regar­der à l’intérieur. Lorsque je l’ai ouvert, j’ai trou­vé des tas de blocs solides d’huile de sper­ma­ce­ti, l’huile soli­di­fié tirée de la tête des cachalots.

Image tirée d’un article du site web bri­tan­nique « The Sun », inti­tu­lé « des sonars sous-marins aux éoliennes, exa­men des mys­tères der­rière les échoue­ments mas­sifs de baleines au Royaume-Uni »

Des baleines dans des car­tons – voi­là com­ment nous les voyons. Voi­là la sub­stance pour laquelle les balei­niers amé­ri­cains et bri­tan­niques se ren­daient dans les mers du Sud. Cette chose qui, lorsque liquide, illu­mi­nait les rues de Londres, New-York, Ber­lin et Paris. Uti­li­sée pour faire des bou­gies et du maquillage ; comme lubri­fiant des machines de la révo­lu­tion indus­trielle. L’huile de sper­ma­ce­ti est si bonne que la Nasa l’utilisait lors de ses mis­sions spa­tiales, étant don­né qu’elle ne gèle pas dans l’espace.

C’est ce maté­riel de baleine qui me hante. Ce qu’elles ont four­ni, bien qu’involontairement, afin que nous puis­sions pou­voir et illu­mi­ner nos propres vies. Même les excré­tions des cacha­lots – sous forme d’ambre gris – sont les sub­stances natu­relles les plus chères à nos yeux, tou­jours uti­li­sées comme fixa­teur pour les par­fums de luxe. Il faut oppo­ser cet usage à ce que nous savons aujourd’hui qu’ils sont des ani­maux cultu­rels, pro­fon­dé­ment liés par des liens fami­liaux. Bien sûr, c’est ce qui nous rend si proches qui fina­le­ment nous touche – et ce qui pour­rait consti­tuer notre salut com­mun. J’ai dit à Mee­ra Syal, lorsque je l’ai ren­con­trée à Radio 4 l’autre jour, que les socié­tés des baleines étaient entiè­re­ment matriar­cales, et que chez cer­taines espèces, les baleines mâles res­taient avec leurs mères toutes leurs vies. « Ah, dit-elle, ce sont des baleines indiennes ».

Phi­lip Hoare


Tra­duc­tion : Nico­las Casaux

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