Sauver la civilisation ou endiguer la destruction du monde ?
De l’importance de savoir ce que nous voulons
« Leur écologie et la nôtre » ou Quand l’écologie change de sens : Biocentrisme vs. Technocentrisme
Pour le youtubeur Vincent Verzat (« Partager c’est sympa »), éco-vidéactiviste, « être écolo aujourd’hui, c’est penser la rupture, prévoir la résilience de nos villes dans un monde qui s’effondre » (source : la dernière vidéo qu’il a mise en ligne).
Il s’agit sans doute, également, à peu de choses près, de la définition de l’écologie d’un Bill McKibben, de Cyril Dion, Naomi Klein, Rob Hopkins, etc., mais aussi de celle (mais sans la notion d’effondrement, ou en la remplaçant par celle du dérèglement climatique) d’un Pascal Canfin, de Macron, de Borne, etc.
L’écologisme comme courant visant à assurer l’avenir des villes. Cette définition nouvelle et étrange de l’écologie est très éloignée de la définition commune qui en fait (ou en faisait) un mouvement « ayant pour objectif la protection de la nature et de l’environnement ». Cela dit, cette affirmation de Vincent Verzat vient confirmer, assez explicitement, la remarque de Mark Boyle (tirée de son texte intitulé « L’écologisme se souciait de préserver le monde naturel — ce n’est plus le cas ») :
« La plupart d’entre nous sommes moins dérangés par l’idée de vivre dans un monde sans martres des pins, sans abeilles mellifères, sans loutres et sans loups qu’à l’idée de vivre dans un monde sans médias sociaux, sans cappuccinos, sans vols économiques et sans lave-vaisselle. Même l’écologisme, qui a un temps été motivé par l’amour du monde naturel, semble désormais plus concerné par la recherche de procédés un peu moins destructeurs qui permettraient à une civilisation surprivilégiée de continuer à surfer sur internet, à acheter des ordinateurs portables et des tapis de yoga, que par la protection de la vie sauvage. »
Savoir ce que l’on veut, c’est la base. C’est fondamental. L’objectif de l’écologisme de Cyril Dion, par exemple, est « de conserver le meilleur de ce que la civilisation nous a permis de développer (la chirurgie, la recherche scientifique, la mobilité, la capacité de communiquer avec l’ensemble de la planète, une certaine sécurité) et de préserver au mieux le monde naturel. » Là aussi, les choses sont claires : d’abord, préserver le meilleur de la civilisation : la technologie (internet, chirurgie, transports à grande vitesse, etc.). Préserver la civilisation (qui désigne, étymologiquement, les villes, on rejoint ainsi la définition de Verzat). Ensuite, si possible (« au mieux »), préserver quelques géraniums et quelques pandas.
Que voulons-nous ? Que voulez-vous ? Personnellement, je voudrais que la destruction du monde prenne fin, que la vie sur Terre recommence à prospérer, et que les êtres humains puissent vivre libres. Et vu que le monde est très précisément, très littéralement, très concrètement en train d’être détruit par la civilisation, et qu’elle n’a aucun avenir, et qu’elle est un enfer, c’est d’elle dont il s’agirait de se débarrasser (sachant que tout, ou presque, devrait nous amener à comprendre qu’il est à la fois impossible et indésirable d’avoir le beurre et l’argent du beurre, de parvenir à faire de la civilisation techno-industrielle une société verte et démocratique). Comme le formule Derrick Jensen :
« Je sais ce que je veux. Je veux vivre dans un monde où il y aurait davantage de saumons sauvages chaque année, davantage d’oiseaux migrateurs chaque année, davantage de forêts anciennes chaque année ; dans un monde où, chaque année, il y aurait moins de dioxine dans le lait maternel des mères [humaines ou non], dans un monde avec davantage de tigres, de grizzlys, de singes et d’espadons chaque année. »
La différence entre la perspective de Jensen (qui est aussi la mienne) et celle d’un Verzat ou d’un Dion, c’est la différence entre le biocentrisme (ou l’écocentrisme) et le technocentrisme (ou entre le biocentrisme et l’anthropocentrisme, ou, mieux encore, entre le biocentrisme et un certain sociocentrisme). Le biocentrisme, c’est cette « humilité principielle » qui consiste à « placer la vie avant l’homme », ainsi que l’énonce Lévi-Strauss (Mythologiques 3, L’origine des manières de table) :
« En ce siècle où l’homme [et plus précisément la civilisation, ou l’homme civilisé] s’acharne à détruire d’innombrables formes vivantes, après tant de sociétés dont la richesse et la diversité constituaient de temps immémorial le plus clair de son patrimoine, jamais, sans doute, il n’a été plus nécessaire de dire, comme font les mythes, qu’un humanisme bien ordonné ne commence pas par soi-même, mais place le monde avant la vie, la vie avant l’homme ; le respect des autres êtres avant l’amour-propre ; et que même un séjour d’un ou deux millions d’années sur cette terre, puisque de toute façon il connaîtra un terme, ne saurait servir d’excuse à une espèce quelconque, fût-ce la nôtre, pour se l’approprier comme une chose et s’y conduire sans pudeur ni discrétion. »
Le technocentrisme (le sociocentrisme spécifique à la civilisation techno-industrielle), c’est considérer que l’important, c’est la continuation de la société technologique, de la civilisation, c’est la préservation de la technosphère.
Or, si la définition initiale, commune, de l’écologie (ou de l’écologisme), relevait davantage du biocentrisme (ou de l’écocentrisme), désormais, l’écologie grand public se fonde davantage sur le technocentrisme qui domine l’ensemble de la civilisation industrielle.
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L’absurdité du technocentrisme (de l’écologie grand public) : un exemple
Polanski est une ordure, et les César, c’est de la merde ; de la merde d’inspiration USAméricaine, d’ailleurs (ersatz français des Oscars), comme beaucoup de merdes de cette époque du capitalisme mondialisé. Mais si une grande partie des merdes qui polluent notre environnement, psychologiquement et physiquement, sont d’inspiration états-unienne, beaucoup (parfois, voire souvent, les mêmes) sont fabriquées en Chine, ou dépendent de quelque manière du bon fonctionnement de la mégamachine industrielle chinoise. C’est le cas, par exemple, de ces si écolos panneaux solaires et éoliennes, ainsi que le rapporte cet article publié par Les Échos, intitulé « Le coronavirus pourrait ralentir les installations d’éoliennes et de panneaux solaires en Europe » :
« Le ralentissement de l’économie chinoise lié à la crise du coronavirus commence à inquiéter les producteurs européens d’énergie renouvelable. […] Les panneaux solaires pourraient en effet venir à manquer si la crise se prolonge. La Chine domine de très loin le marché mondial du silicium. Ce matériau, fabriqué dans des fours à partir de quartz, est un composant essentiel pour la quasi-totalité des panneaux solaires installés en Europe. “Quand il n’y a plus de matière première, tous les fabricants de panneaux solaires ne peuvent pas travailler”, explique Xavier Daval, président de la branche solaire du Syndicat des énergies renouvelables (SER). »
Contrairement à ce que prétendent aussi bien un média supposément indépendant et alternatif comme Reporterre (l’achat de panneaux solaires serait « l’appropriation des outils de production et de distribution par les citoyens ») qu’un média grand public très conventionnel comme Les Échos (« Une occasion pour les citoyens de reprendre les pleins pouvoirs sur leur consommation »), l’achat de panneaux solaires, c’est simplement acheter un appareil issu du système industriel qui détruit le monde pour alimenter en énergie d’autres appareils issus de ce même système. L’énergie que génèrent, une fois installés, ces appareils de production « locale » [sic, ce qu’il faut occulter pour parler de production locale d’énergie, c’est consternant] d’électricité, qui sert à alimenter les mêmes machines issues du système industriel qu’alimentaient auparavant des systèmes de production d’énergies non-« vertes », s’ajoute le plus souvent à la production énergétique globale. Pour le dire autrement : les éoliennes et les panneaux solaires ne poussent pas dans les arbres et ne servent pas à faire fleurir les jonquilles ; ils sont construits à l’aide de matériaux obtenus ou extraits ici et là, dans des usines dispersées ici et là, au moyen de tout un ensemble d’infrastructures et de machines industrielles, le tout reposant sur les régimes gouvernementaux (tout sauf démocratiques) des États actuels ; et ils servent à alimenter des téléviseurs, des réfrigérateurs, des ordinateurs, et tout un tas d’autres machines.
Et les panneaux solaires et les éoliennes, c’est juste un exemple. La transition écologique n’existe pas. Les promesses et/ou les rêves d’une civilisation industrielle verte (et démocratique) sont des chimères pathétiques. Et pendant que les écolos sont tout fiers de leur Convention-citoyenne-qu’elle-va changer-le-monde (rendre la civilisation écodurable), c’est-à-dire de leur promotion desdites chimères, des cons organisent, par plaisir d’être des cons, des « courses automobiles dans des écosystèmes fragiles » (Extreme E), dans une sorte de provocation diabolique, de pied de nez à l’écologie, à la vie.
On remarquera que, pour perturber le business-as-usual, pour atténuer les dégâts que génère le fonctionnement normal de la civilisation industrielle mondialisée, le « Covid-19 » est bien plus efficace que tous les écologistes du monde entier (ce qui prouve bien que la civilisation est elle-même son propre pire ennemi, ou, pour le dire autrement, ce qui illustre bien cet aphorisme apocryphe selon lequel « la civilisation n’est qu’une course sans espoir visant à trouver des remèdes aux maux qu’elle génère »).
Nicolas Casaux
Ça va s’arranger tout seul !
Et là, ça commence !
Pas besoin de théorie, on va passer à la phase pratique. Il vaudra mieux avoir des bras, du bon sens et pas être trop exigeant. Ne rien attendre des autres.
Tout ce qu’on aura en plus sera du bonus.
Si on y est encore…
A ciao…
‘llo,
Trouvé dans l’avant dernier lien de l’article l’excellente comparaison, mondialisation -> pangée, ce goliath capitalo-civilisationnel ayant pour seul credo hors la cupidité, la libre circulation des capitaux, des produits, des hommes (avec papiers…) & donc des virus, mouarf !
« Cuvid-19 vs Goliath-2020 » donc, mais comme il épargne plutôt les enfants, je serais assez d« accord avec l’impertinent canard :
« Vive le Corona » & s’il mute intelligeamment d’ici l’été, il pourrait même nous mettre par-terre les JO nippons, cet autre petit goliath, remouarf !
C’est vraimment très drôle, très désespérant et très vrais.
C’est consternant l’immensité de leur aveuglement mais à leur décharge je pense qu’ils ne savent pas que la nature existe (le monde normal sans civilisation), ils n’ont sans doute jamais fait une sieste dans une forêt où sans bouger on se régale de laisser un Rouge-gorge nous insulter et le Loriot nous chanter son nom le temps d’un éclair du haut de la canopée.
Aucune séance citadine de yoga, méditation ou drogue ne peut procurer autant de bien être.
Il faut leur prendre la main et les emmener dans la forêt, les laisser se remplir de sens.
Ils ne sont peut-être pas con mais simplement pas instruits, c’est la nature qui nous éduque en s’y plongeant ‚même les mots les plus simples et les plus beaux n’ont pas ce pouvoir.
C’est d’éducation sensorielle dont il s’agit ?
Merci Nicolas
Il faut qu’on te lise avant que tu soit au programme de littérature, histoire et écologie dans les écoles.
Nicolas, aphorisme apocryphe ? tu m’expliques ?
Je rajouterai qu il semblerai aussi que le corps biologique meurt mais fini par inscrire ses apprentissages en la generation suivante qui les acquiert comme un don.
Cet aphorisme, c’est une citation que j’ai trouvée en naviguant sur des sites anglo-américains, lesquels l’attribuent toujours à Jean-Jacques Rousseau (forme anglaise : « civilization is a hopeless race to discover remedies for the evils it produces »). Seulement, impossible de la trouver en français, elle est introuvable dans les écrits de Rousseau (même en changeant des mots).
Une conclusion qui fait écho à mes pensées actuelles, et qui contredit le billet sur l’écopsychologie qui dit que quitte à être en stress, autant lutter. Est-ce que la pandémie ne montre pas que la nature saura bien régler ses comptes sans les activistes ?
Merci à M. Casaux pour ces derniers articles, qui font du bien, parfois. 😉
violent mais tellement vrai !