Nature sauvage et sauvagerie (par Paul Shepard)

Ce texte est un extrait tiré de l’ex­cellent livre Retour aux sources du Pléis­to­cène écrit par le bio­lo­giste Paul She­pard (édi­tions DEHORS).


Je perds un temps pré­cieux. Je dégé­nère et me trans­forme en une machine à faire de l’argent. Je dois m’é­va­der et aller dans la mon­tagne pour y apprendre les choses.

John Muir

La sau­va­ge­rie est un état géné­tique. La nature sau­vage est son lieu, pour nous-mêmes comme pour d’autres espèces. D’un point de vue éty­mo­lo­gique comme d’un point de vue bio­lo­gique, la nature sau­vage consti­tue l’habitat de notre sau­va­ge­rie. Bien que nous nous défi­nis­sions en termes de natio­na­li­té, de race, de pro­fes­sion et d’autres cri­tères de ce type, le contexte de notre être dans le pas­sé est de toute évi­dence la nature sau­vage. Nos gènes conti­nuent à y voir le cadre idéal de l’existence, et cette attente géné­tique de notre génome est loin de trou­ver satis­fac­tion dans le monde que nous avons créé. Tout se passe comme si nous avions besoin d’un bou­clier pour ne pas être broyés par le rou­leau com­pres­seur des temps modernes. Ima­gi­nez le poids de 10 000 ans de fermes et de civi­li­sa­tion apla­tis­sant tout sur son passage.

La loca­li­sa­tion de nou­veaux gènes défec­tueux à l’intérieur des chro­mo­somes est rap­por­tée presque quo­ti­dien­ne­ment dans de nom­breux bul­le­tins de recherche médi­cale qui spé­ci­fient leur posi­tion et leur fonc­tion sup­po­sée. Cer­tains pensent que les nou­velles tech­niques nous per­met­tront bien­tôt de rem­pla­cer les mau­vais gènes par d’autres plus sou­hai­tables, et ce dès le début de la vie d’un indi­vi­du. Même si c’est bien sûr la quête d’une san­té et de récoltes par­faites qui motive cette recherche, elle tra­vaille aus­si à défi­nir insi­dieu­se­ment une base géné­tique et une réa­li­té stan­dard qui déter­minent l’individu humain « nor­mal » ou opti­mal. Il est désor­mais prou­vé que le soi-disant « cultu­rel » (« l’acquis ») a un fon­de­ment géné­tique. L’expérience ou « l’éducation » ne sont au mieux qu’une espèce de faci­li­ta­tion. Nous appro­chons enfin de cette véri­té dou­lou­reuse : être humain est quelque chose dont on hérite. Tout comme le chim­pan­zé hérite sa nature, ain­si qu’en témoignent qua­rante ans d’es­sais man­qués pour faire des chim­pan­zés des êtres humains en les éle­vant par­mi les hommes. À la lumière de la recherche géné­tique, les beaux récits des huma­nistes et des socio­logues à pro­pos d’enfants qui, per­dus dans les bois et nour­ris par des loups, auraient gran­di en « enfants-loups » relèvent clai­re­ment du fan­tasme. Peu importent les cir­cons­tances, les enfants sont des enfants, et non des loups.

L’i­dée d’une nature sau­vage conçue à la fois comme royaume de puri­fi­ca­tion éloi­gné de la civi­li­sa­tion et comme espace doté de qua­li­tés béné­fiques s’enracine pro­fon­dé­ment dans la grande culture du monde occi­den­tal. La tra­di­tion nous offre toute une série de lieux com­muns sur ce thème : la nature sau­vage nous offre un récon­fort et un accès à notre propre natu­ra­li­té, elle nous rend sen­sibles à une esthé­tique spi­ri­tuelle ou à des forces méta­phy­siques non spé­ci­fiées, elle repré­sente une échap­pa­toire à la puan­teur urbaine, un refuge dans la soli­tude médi­ta­tive, et elle est aus­si le lieu d’une épreuve, d’un juge­ment et de visions d’un autre ordre. Il est vrai que la nature sau­vage est un endroit vers lequel on s’é­chappe, une sorte de terre ou de mer thé­ra­peu­tique qui nous libère de notre envi­ron­ne­ment sur­peu­plé et trop construit : une cure pour tous ceux qui se sentent atteints par la mala­die de la domes­ti­ca­tion. Nous voyons la nature sau­vage comme un lieu, un immense foyer peu­plé de créa­tures sau­vages. Elle existe aus­si sous une autre forme : dans cet aspect géné­tique de nous-mêmes qui occupe spa­tia­le­ment chaque corps et chaque cel­lule. Le « retour » vers la nature sau­vage est un voyage que nous effec­tuons sans cesse, puisque nous en sommes impré­gnés. Notre conscience et notre culture s’affairent autour de lui comme de minus­cules lumières, sans pour autant éclai­rer cette grande nuit d’où elles tirent l’éner­gie qui rend le moi possible.

La ques­tion de savoir si les humains sont ou non des êtres « domes­ti­qués » fait l’ob­jet d’un débat depuis des décen­nies, mais il s’agit avant tout d’un pro­blème séman­tique. Le mot « domes­tique » désigne une « race » ou une « varié­té », créée par la mani­pu­la­tion déli­bé­rée de la repro­duc­tion d’une popu­la­tion ani­male ou végé­tale, par des humains avec un objec­tif conscient. D’un point de vue géné­tique, nous sommes donc plus sau­vages que domes­ti­qués. Les méta­phores du « domes­tique » ont jeté un voile sur cette véri­té (à force d’as­so­cier le terme « domes­tique » à des atmo­sphères douillettes évo­quant la bouillie d’a­voine chaude et un joli che­val pas­sant la tête par la porte comme dans une pein­ture de Ver­meer, on a noyé ce mot dans le sucre et les bons sen­ti­ments au point de le rendre qua­si­ment inuti­li­sable). Bien sûr, nous sommes éga­le­ment appri­voi­sés, puisque n’importe quel ani­mal peut être dres­sé à accep­ter l’environnement humain. Un ani­mal sau­vage deve­nu domes­tique est aus­si condi­tion­né que nous le sommes à se com­por­ter de façon accep­table au sein du foyer. Notre doci­li­té (et non notre domes­ti­ca­tion) nous rend sen­sibles aux pay­sages domes­ti­qués, à une vie séden­taire entou­rée par les acces­soires du ménage, au roman­tisme du foyer et à la sécu­ri­té de la ferme : autant de res­tric­tions impo­sées par l’ordre public qui obs­cur­cissent la défi­ni­tion du « domes­tique ». Mais rien de tout ceci n’affecte le génome humain et donc sa sauvagerie.

La domes­ti­ca­tion des plantes et des ani­maux engendre typi­que­ment des chan­ge­ments géné­tiques rapides qui tendent à exa­gé­rer non seule­ment les carac­té­ris­tiques qu’on a sou­hai­té déve­lop­per, mais aus­si les autres. Cer­taines carac­té­ris­tiques délé­tères por­tées par un gène sont nor­ma­le­ment noyées dans la diver­si­té de la poche géné­tique qui fait ain­si office de filet de sécu­ri­té. De sorte que, si un gène porte une forme réces­sive sus­cep­tible de pro­duire telle mala­die chez un indi­vi­du, celui-ci en sera pro­té­gé par la pré­sence simul­ta­née d’un autre gène qui pré­vau­dra. La domes­ti­ca­tion consiste pré­ci­sé­ment à déve­lop­per des carac­té­ris­tiques anor­males chez les plantes et les ani­maux que nous sélec­tion­nons — géné­ra­le­ment en les croi­sant pour obte­nir des paires de gènes réces­sifs —, ce qui nuit bien évi­dem­ment à leur adap­ta­bi­li­té d’ensemble. Ces formes ne peuvent dès lors sur­vivre sans la pro­tec­tion des humains, dans des jar­dins, des cours de ferme, des mai­sons, des labo­ra­toires ou des serres, parce que leur résis­tance glo­bale ou leur intel­li­gence ont été sacri­fiées en vue de carac­té­ris­tiques spéciales.

Aujourd’hui nous habi­tons non seule­ment dans des struc­tures construites, mais aus­si dans un monde peu­plé de toutes sortes de plantes asso­ciées à la vie domes­tique : les pis­sen­lits, le pâtu­rin, les champs de céréales, et même les mau­vaises herbes qui sont des effets secon­daires de l’agriculture. Toute cette végé­ta­tion com­pose des pay­sages fami­liers où l’on sent la main de l’homme, mais l’impression d’équilibre qui s’en dégage est illu­soire, car l’environnement étouffe sous les pres­sions que l’homme et ses ani­maux domes­tiques font peser sur lui. Un des traits les plus étranges de cet uni­vers domes­tique est la per­sis­tance en son sein de micro-orga­nismes géné­ti­que­ment sau­vages, de même que ses abords hébergent légumes sau­vages et plantes à fleurs, insectes, renards, cor­beaux et musa­raignes. Aucune de ces formes de vie n’est stric­te­ment rat­ta­chée à la mosaïque de végé­taux et d’animaux domes­tiques qui dépendent des humains pour survivre.

De tels pay­sages sus­citent un léger malaise, une intui­tion fugi­tive que nous com­pre­nons mal parce que ces symp­tômes sont aus­si bien sociaux qu’écologiques. Mais la rai­son pro­fonde en est peut-être que les envi­ron­ne­ments domes­ti­qués conviennent moins à notre équi­libre que les pay­sages sau­vages dans les­quels notre ADN est tou­jours pro­gram­mé pour vivre. Si nous trou­vons de la beau­té aux pay­sages rus­tiques, c’est pro­ba­ble­ment en rai­son de leur res­sem­blance super­fi­cielle avec les savanes de notre évo­lu­tion. De fait, les traits typiques du pay­sage agraire peuvent évo­quer dans les pro­fon­deurs de notre mémoire le sou­ve­nir d’une alter­nance de forêts et de terres ouvertes.

Mais cette appa­rence est super­fi­cielle. Nos envi­ron­ne­ments domes­ti­qués sont des inven­tions humaines, les résul­tats d’une tech­no­lo­gie empi­rique qui existe depuis dix mil­lé­naires et de la tech­no­lo­gie scien­ti­fique qui s’est sur­tout déve­lop­pée au cours de ces trois cents der­nières années. Mal­gré notre immer­sion dans des pay­sages domi­nés par des formes construites et domes­tiques, nous ne sommes pas encore enfer­més. Notre poten­tiel humain se trouve moins dans ces pay­sages arti­fi­ciels que dans les endroits et les cultures qui sont plus direc­te­ment le pro­duit de notre genèse évo­lu­tion­naire, et dans les­quels nous pou­vons nous épa­nouir en tant qu’individus accom­plis au sein de com­mu­nau­tés géné­reuses et paisibles.

Comme les ratons laveurs et les ours, nous sommes des créa­tures omni­vores adap­tées aux zones fron­tières, et cette apti­tude à vivre dans des habi­tats très dif­fé­rents tend à mas­quer les contraintes éco­lo­giques qui pèsent sur nous. La vie moderne dis­si­mule notre besoin inhé­rent d’une exis­tence sau­vage, diver­si­fiée et natu­relle, mais elle ne modi­fie pas pour autant ce besoin. Les preuves de notre frus­tra­tion sont tel­le­ment omni­pré­sentes que nous ne les voyons pas direc­te­ment, car elle s’exprime prin­ci­pa­le­ment sous forme de stress psy­chique et de troubles sociaux. Nous avons per­du contact avec la forme de vie qui nous convien­drait le mieux : c’est l’évidence que le monde moderne s’at­tache à nier.

Le fait que nous soyons en mesure (comme les opos­sums et les cafards) de sur­vivre dans des envi­ron­ne­ments hos­tiles a sou­vent été inter­pré­té comme une preuve de la supé­rio­ri­té humaine — puisque nous avons réus­si à sur­mon­ter la spé­cia­li­sa­tion bio­lo­gique, cette ridi­cule erreur qui coû­ta si cher aux dino­saures et à tant d’autres formes de vie aujourd’hui éteintes. Les obser­va­teurs insistent depuis des géné­ra­tions sur le fait que notre espèce est « géné­ra­li­sée », alors que tout autour de nous les ani­maux fos­siles prouvent que cer­taines formes ont com­mis « l’erreur » de deve­nir « trop spé­cia­li­sées ». Le fait que les dino­saures aient exis­té pen­dant 170 mil­lions d’années (et existent encore sous forme d’oiseaux) ne semble pas gêner ceux qui tiennent à sou­li­gner le carac­tère éphé­mère de ces grands reptiles.

Notre aveu­gle­ment culmine dans l’idée selon laquelle le cer­veau humain, véhi­cule magique de notre intel­li­gence et de notre maî­trise, aurait été la clé de notre excep­tion au cours d’une évo­lu­tion bio­lo­gique qui a par ailleurs acca­blé et exter­mi­né tant d’autres espèces. C’est pour­tant bien le même cer­veau et le même sys­tème ner­veux qu’on trouve aujourd’hui chez les humains détra­qués sub­sis­tant tant bien que mal sur les terres sca­ri­fiées du Proche-Orient et du Moyen-Orient, dans la majeure par­tie de l’Afrique, en Asie, et dans tous les milieux urbains. Cet excellent cer­veau (d’ailleurs hau­te­ment spé­cia­li­sé) qui per­met­tait si bien au pri­mate ter­restre de s’orienter dans une niche du Pléis­to­cène, est évi­dem­ment peu adap­té à l’existence moderne mar­quée par la sur­po­pu­la­tion et le recul de la nature.

Nous ne sommes pas l’espèce géné­ra­li­sée que cer­tains reven­diquent. L’ontogenèse humaine (notre évo­lu­tion à tra­vers les âges), com­pa­rable en cela à notre sys­tème ner­veux cen­tral, est un com­plexe bio­lo­gique très fine­ment équi­li­bré. Le para­doxe de ce que nous avions inter­pré­té comme une adap­ta­bi­li­té sans limites et une extrême spé­cia­li­sa­tion de la volon­té humaine résou­dra pro­ba­ble­ment ses propres contra­dic­tions au 21ème siècle. Alors, peut-être, une fois que nous aurons mené notre adap­ta­bi­li­té à ses limites phy­siques et psy­cho­lo­giques, nous décou­vri­rons que les choix cultu­rels, à la dif­fé­rence de nos corps, ne connaissent aucune limite natu­relle et aucune exi­gence propre. Les contraintes sont mal vues par l’i­déo­lo­gie, faite d’aspirations illi­mi­tées, qui gou­verne les socié­tés riches ; mais dans cette bous­cu­lade d’in­di­vi­dus qui se créent tout seuls, le moi humain est géné­ra­le­ment béant comme une bles­sure. Nos choix cultu­rels sont récom­pen­sés ou punis en fonc­tion de nos natures res­pec­tives. Ces contraintes font par­tie d’un héri­tage bio­lo­gique uni­ver­sel adap­té à la réa­li­té du Pléis­to­cène, et affi­né au cours de ces trois mil­lions d’années qui se sont ache­vées il y a envi­ron 10 000 ans.

Au cours du 20ème siècle, une nou­velle concep­tion de la nature humaine est appa­rue. On a com­men­cé à remettre en ques­tion l’hy­po­thèse d’un pro­grès inexo­rable et le prin­cipe de la domi­na­tion de l’homme sur les « lois de la nature ». La fin de cette illu­sion (celle qui consiste à pen­ser que nous pou­vons être tout ce qui nous plaît, aller n’importe où, ou façon­ner la pla­nète à notre guise) a été annon­cée par les tra­vaux de quelques pen­seurs cou­ra­geux ; tous avaient en com­mun d’être acquis à ce qui fut peut-être la meilleure idée de ces der­niers 5 000 ans : la théo­rie de l’évolution énon­cée par Charles Darwin.

Encore récem­ment, on uti­li­sait deux fic­tions oppo­sées pour décrire l’état ori­gi­naire des humains : d’un côté, celle du noble sau­vage vivant à l’âge d’or de la per­fec­tion humaine ; de l’autre, celle de l’homme des cavernes, repré­sen­té comme une brute titu­bant aux fron­tières de l’humanité, des­ti­né à fré­quen­ter les bêtes et à vivre comme elles. Comme je l’ai évo­qué dans le cha­pitre 5, ces deux images sont des fic­tions sur nous-mêmes : la pre­mière cor­res­pond au soli­taire exclu du para­dis per­du, la seconde au sau­vage à peine sor­ti d’une ani­ma­li­té à four­rure et sans lan­gage. Pour les Grecs, les Romains et les Chré­tiens, l’Homme Sau­vage était le pro­duit de l’état sau­vage, sans mora­li­té et dénué de toute autre ver­tu, et demeu­rait le pas-encore-humain du pas­sé, au-delà de qui le Pro­grès et la Culture allaient nous élever.

Dans les deux cas, la concep­tion géné­ra­le­ment répan­due de notre condi­tion « ani­male » anté­rieure cor­res­pond à ce que nous avons conclu, à tort, de l’observation des bêtes stu­pides et folles de la basse-cour. Le seul espoir d’échapper à cette glou­ton­ne­rie, à cette avi­di­té, et à cette vio­lence aurait donc été d’adopter une rigueur morale, de croire en un salut reli­gieux, ou en une sorte d’amélioration sociale capable de frei­ner ces ins­tincts des­truc­teurs. Mal­gré sa pro­fon­deur et son acui­té, la psy­cho­lo­gie de Sig­mund Freud limi­tait l’instinct à un élan com­ba­tif et sexuel qui devait être répri­mé et contrô­lé par la pen­sée ration­nelle. En tant qu’héritiers de concep­tions si laides sur la sau­va­ge­rie et la nature du moi, il n’est pas sur­pre­nant que notre idée moderne de la valeur de la nature sau­vage soit si peu en rap­port avec le fon­de­ment bio­lo­gique de notre être. Elle se fonde plu­tôt sur l’esthétique, sur une éthique ration­nelle de la bio­di­ver­si­té, sur le concept d’une enclave de pro­tec­tion de la vie sau­vage, ou sur une « recréa­tion ».

Il existe cepen­dant une pos­si­bi­li­té de réta­blir l’équilibre pri­mor­dial. Ce nou­veau para­digme s’inspire des qua­li­tés opti­males de la vie humaine, non seule­ment en termes phi­lo­so­phiques et cultu­rels mais éga­le­ment en ce qui concerne la nour­ri­ture, l’exercice et la socié­té tels qu’ils exis­taient chez les hommes du Pléis­to­cène et existent encore chez les der­niers peuples de chas­seurs-cueilleurs. La nature sau­vage, nous le voyons à pré­sent, n’est pas seule­ment une des­ti­na­tion pour le riche voya­geur ou une source « d’ins­pi­ra­tion » pour une classe édu­quée, elle est aus­si le moule social et éco­lo­gique de notre espèce, qui est tou­jours fon­da­men­tal pour nous. […] 

Nous accep­tons aujourd’­hui comme un fait l’im­por­tance déter­mi­nante du génome sur notre exis­tence, non parce que la socié­té serait deve­nue plus sen­sible à l’é­vo­lu­tion, mais grâce à la recherche médi­cale. Notre inté­gri­té héré­di­taire est la consé­quence d’un pas­sé très ancien qui se pour­suit en nous. Notre san­té au sens large en dépend. À mesure que nous éta­blis­sons des liens entre nos mala­dies orga­niques et le déca­lage entre les besoins du génome et les envi­ron­ne­ments contem­po­rains que nous avons créés, nous ces­sons de faire la guerre aux pro­ces­sus natu­rels et à la notion d’é­tat sau­vage. Nous sommes des homi­ni­dés du Pléis­to­cène, consti­tués de façon infi­ni­ment pré­cise pour une vie omni­vore en petits groupes sur les lisières des forêts et des plaines, au cœur de la nature sau­vage. Nous sommes de plus en plus nom­breux à souf­frir d’une into­lé­rance immu­no­lo­gique au lait, aux céréales et à pâtir de mala­dies vas­cu­laires, nos artères étant bou­chées par les graisses domes­tiques et le cho­les­té­rol. Nous sommes confron­tés à la décré­pi­tude du corps et de l’es­prit cau­sés par la séden­ta­ri­té, les psy­choses des popu­la­tions sur­peu­plées, des onto­ge­nèses ratées, et des cos­mo­lo­gies qui font des dégâts parce qu’elles exigent un contrôle sur la nature sau­vage, au lieu de s’y sou­mettre. Ces cos­mo­lo­gies sont fon­dées sur le modèle cen­tra­li­sé de la basse-cour.

Si nous avons com­men­cé depuis peu à mieux nous ali­men­ter et à faire de l’exercice, ce n’est pas parce que nous per­ce­vons que la vie dis­pa­rue des ères gla­ciaires était faite pour nous, mais en réponse aux symp­tômes qui tra­hissent pré­ci­sé­ment notre éloi­gne­ment vis-à-vis d’elle. En géné­ral, nous ne nous ren­dons pas compte que le monde loin­tain de « l’ère gla­ciaire » est l’endroit où se sont éla­bo­rés les cri­tères qui décident encore aujourd’hui du suc­cès ou de l’échec de nos thé­ra­pies médi­cales. C’est aus­si là qu’il faut cher­cher la véri­table pos­si­bi­li­té d’un rétablissement.

Paul She­pard

 

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