Traduction d'un article initialement publié (en anglais) le 11 novembre 2013, à cette adresse.
En juin 1988, le cliÂmaÂtoÂlogue et scienÂtiÂfique de la NASA James HanÂsen s’exprimait devant le comiÂté de l’énergie et des resÂsources natuÂrelles du sénat des Etats-Unis. La temÂpéÂraÂture atteiÂgnait les 37 °C.
« La Terre est plus chaude en 1988 qu’à aucun autre moment de l’histoire des mesures insÂtruÂmenÂtales », expliÂquait HanÂsen. « Le réchaufÂfeÂment cliÂmaÂtique est mainÂteÂnant si imporÂtant que nous pouÂvons, avec un degré de cerÂtiÂtude éleÂvé, affirÂmer l’existence d’une relaÂtion de cause à effet entre celui-ci et le mécaÂnisme de l’effet de serre. Nos modéÂliÂsaÂtions cliÂmaÂtiques inforÂmaÂtiques nous indiquent que l’effet de serre est désorÂmais déjà assez imporÂtant pour comÂmenÂcer à affecÂter la proÂbaÂbiÂliÂté d’évènements extrêmes tels que des caniÂcules estiÂvales. »
HanÂsen est l’auteur d’ouvrages de litÂtéÂraÂture scienÂtiÂfique parÂmi les plus influents du domaine du chanÂgeÂment cliÂmaÂtique, et à l’instar de la grande majoÂriÂté des cliÂmaÂtoÂlogues, son traÂvail se concentre sur les derÂnières 150 à 200 années – depuis l’avènement de la révoÂluÂtion indusÂtrielle.
Cette période se caracÂtéÂrise par des émisÂsions masÂsives de gaz à effet de serre comme le dioxyde de carÂbone (CO2) et le méthane (CH4), ainÂsi que par le défriÂchage de terre à échelle plaÂnéÂtaire – le labour des praiÂries et l’abattage des forêts pour les villes et l’agriculture céréaÂlière.
Le monde est aujourd’hui au bord de la catasÂtrophe cliÂmaÂtique. HanÂsen et d’autres scienÂtiÂfiques cliÂmaÂtiques nous expliquent que si la civiÂliÂsaÂtion perÂsiste à brûÂler des comÂbusÂtibles fosÂsiles et à défriÂcher des terres, les cycles natuÂrels pourÂraient être détraÂqués jusqu’à effonÂdreÂment comÂplet de l’écosystème – un état où la temÂpéÂraÂture de la plaÂnète serait trop éleÂvée pour héberÂger la vie. HanÂsen appelle cela le synÂdrome Venus, du nom de la plaÂnète bouillante enveÂlopÂpée de nuages de gaz à effet de serre.
« Si nous brûÂlons égaÂleÂment les comÂbusÂtibles fosÂsiles issus des sables bituÂmiÂneux et des gaz de couche [des comÂbusÂtibles fosÂsiles riches en carÂbones mais de piètre quaÂliÂté], je pense que le synÂdrome Venus s’avèrera une inéÂlucÂtaÂbiÂliÂté létale », a‑t-il ajouÂté.
Si l’humanité souÂhaite avoir une chance d’éviter ce désastre, il est imporÂtant que nous comÂpreÂnions bien le réchaufÂfeÂment cliÂmaÂtique. Que se passe-t-il ? Quand cela a‑t-il comÂmenÂcé ? Quel en est le moteur ? Et, plus imporÂtant, comÂment l’arrêter ?
De quand date le réchauffement climatique ?
De nouÂvelles études révèlent que la phase de réchaufÂfeÂment cliÂmaÂtique actuel est bien plus ancienne que ce que l’on croyait – ce qui pourÂrait totaÂleÂment chanÂger notre straÂtéÂgie quant à son arrêt.
Bien que les comÂbusÂtibles fosÂsiles ne soient brûÂlés à grande échelle que depuis 200 ans, le défriÂchage de terre est une caracÂtéÂrisÂtique propre aux civiÂliÂsaÂtions – ces cultures fonÂdées sur les villes et l’agriculture – depuis leur avèÂneÂment il y a 8000 ans.
Ce défriÂchage de terre a un impact sur le cliÂmat monÂdial. Lorsqu’un écoÂsysÂtème foresÂtier est remÂplaÂcé par de l’agriculture, plus des 2/3 du carÂbone qu’il stoÂckait sont relâÂchés, et le carÂbone conteÂnu dans les sols riches en matières orgaÂniques contiÂnueÂra à s’échapper au fur et à mesure de l’érosion qui s’ensuivra.
La science moderne nous donne une idée de l’ampleur de l’impact cliÂmaÂtique de ce défriÂcheÂment préÂinÂdusÂtriel. Au cours des derÂnières décenÂnies, dans le domaine de la cliÂmaÂtoÂloÂgie, l’accent a été mis sur l’impact du défriÂcheÂment sur le réchaufÂfeÂment contemÂpoÂrain. Le Groupe d’exÂperts interÂgouÂverÂneÂmenÂtal sur l’éÂvoÂluÂtion du cliÂmat, dans son rapÂport de 2004, attriÂbue 17% des émisÂsions monÂdiales à la coupe des forêts et à la desÂtrucÂtion des praiÂries – un chiffre qui ne tient pas compte des émisÂsions futures liées à ces défriÂcheÂments, comme le méthane émis par les rizières ou les comÂbusÂtibles fosÂsiles brûÂlés par l’outillage lourd qui est nécesÂsaire.
CerÂtaines études montrent que 50% du réchaufÂfeÂment cliÂmaÂtique des États-Unis peut être attriÂbué au défriÂcheÂment – un chiffre qui reflète l’impact démeÂsuÂré que l’occupation des sols peut avoir sur les temÂpéÂraÂtures, prinÂciÂpaÂleÂment en réduiÂsant la surÂface ombraÂgée et l’évapotranspiration (le proÂcesÂsus à traÂvers lequel un arbre de bonne taille émet chaque jour des cenÂtaines de litres d’eau dans l’atmosphère lors d’une jourÂnée chaude d’été – leur transÂpiÂraÂtion).
Si le défriÂcheÂment intenÂsif de terres est en cours depuis des milÂliers d’années, a‑t-il contriÂbué au réchaufÂfeÂment cliÂmaÂtique monÂdial ? Y a‑t-il des preuves des impacts de la civiÂliÂsaÂtion sur le cliÂmat monÂdial lui-même ?
10 000 ans de changement climatique
Selon l’auteure Lierre Keith, la réponse est un oui catéÂgoÂrique. Il y a près de 10 000 ans, les humains ont comÂmenÂcé à cultiÂver des plantes. Cette période marque l’avènement de la civiÂliÂsaÂtion, et, selon Keith et d’autres cherÂcheurs comme David MontÂgoÂmeÂry, un pédoÂlogue de l’université de WashingÂton, le début d’une ère de défriÂchage et d’érosion des sols à une échelle sans préÂcéÂdent – ainÂsi que le début d’émissions masÂsives de carÂbone.
« Au Liban (et en Grèce et en ItaÂlie) l’histoire de la civiÂliÂsaÂtion est insÂcrite dans les colÂlines rocheuses », écrit Lierre Keith. « L’agriculture, la hiéÂrarÂchie, la défoÂresÂtaÂtion, la desÂtrucÂtion des couches arables, le miliÂtaÂrisme et l’impérialisme s’imbriquèrent en autant de boucles de rétroÂacÂtions qui abouÂtirent à l’effondrement de cette bioÂréÂgion [le basÂsin MédiÂterÂraÂnéen], qui ne recouÂvreÂra proÂbaÂbleÂment pas la sanÂté avant la proÂchaine ère glaÂciaire. »
MontÂgoÂmeÂry explique lui, dans son excellent livre Dirt : The EroÂsion of CiviÂliÂzaÂtions (Le sol : l’érosion des civiÂliÂsaÂtions), que l’agriculture qui suiÂvit la défoÂresÂtaÂtion et le défriÂcheÂment mena direcÂteÂment aux colÂlines rocheuses dont parle Keith.
« L’avènement [de l’agriculture] a, selon moi, fonÂdaÂmenÂtaÂleÂment altéÂré l’équilibre entre la proÂducÂtion de sol et son éroÂsion – en augÂmenÂtant de manière draÂmaÂtique l’érosion. »
D’autres cherÂcheurs, comme Jed Kaplan et son équipe de l’Avre Group à l’école polyÂtechÂnique fédéÂrale de LauÂsanne en Suisse, ont affirÂmé que le défriÂcheÂment préÂinÂdusÂtriel avait eu un impact masÂsif sur le payÂsage écoÂloÂgique.
« Il est cerÂtain que les forêts de nombre de pays euroÂpéens ont été signiÂfiÂcaÂtiÂveÂment défriÂchées avant la révoÂluÂtion indusÂtrielle », écrivent-ils dans une étude datant de 2009.
Leurs donÂnées montrent que le couÂvert foresÂtier décliÂna en Irlande de 35% à 0% au cours des 2800 années qui préÂcéÂdèrent le début de la révoÂluÂtion indusÂtrielle. La situaÂtion fut simiÂlaire en NorÂvège, en FinÂlande, en Islande, ou 100% des terres arables furent défriÂchées avant 1850.
De la même façon, les praiÂries du monde ont été larÂgeÂment détruites : labouÂrées pour y planÂter du blé ou du maïs, ou enfouies sous l’étalement urbain. La ceinÂture céréaÂlière, qui s’étend des Grandes PraiÂries des Etats-Unis au CanaÂda, ainÂsi que sur une bonne parÂtie de l’Europe de l’Est, du Sud de la RusÂsie et du Nord de la Chine, a déciÂmé les champs infiÂnis d’herbes indiÂgènes en renouÂvelÂleÂment constant.
Le même proÂcesÂsus se proÂduit inexoÂraÂbleÂment dans le Sud, dans la pamÂpa en ArgenÂtine et dans le Sahel en Afrique. Des milÂliers d’espèces, chaÂcune spéÂciÂfiÂqueÂment adapÂtée aux herbes qui les abriÂtaient, sont préÂciÂpiÂtées vers l’extinction.
« L’agriculture, sous quelque forme que ce soit, est insouÂteÂnable par défiÂniÂtion », écrit l’expert en perÂmaÂculÂture Toby HemenÂway. « Nous pouÂvons voter des lois pour stopÂper cerÂtains des domÂmages entraiÂnés par l’agriculture, mais ces règles réduiÂront les récoltes. Dès que la nourÂriÂture manÂqueÂra, elles sauÂteÂront. Il n’existe pas de contrainte strucÂtuÂrelle limiÂtant les tenÂdances écoÂloÂgiÂqueÂment desÂtrucÂtrices de l’agriculture. »
Comme HemenÂway le souÂligne, la popuÂlaÂtion masÂsive du monde est essenÂtielÂleÂment dépenÂdante de l’agriculture pour sa surÂvie, ce qui fait du chanÂgeÂment poliÂtique une proÂpoÂsiÂtion difÂfiÂcile, au mieux. La graÂviÂté de ce proÂblème ne doit pas être sous-estiÂmée. 7 milÂliards de perÂsonnes dépendent d’un sysÂtème agriÂcole – la civiÂliÂsaÂtion agraire – qui détruit la plaÂnète.
Le preÂmier parÂtiÂsan de cette hypoÂthèse – selon laquelle les impacts humains sur le cliÂmat sont ausÂsi anciens que la civiÂliÂsaÂtion – est le Dr William RudÂdiÂman, un proÂfesÂseur à la retraite de l’université de VirÂgiÂnie. Cette théoÂrie est souÂvent appeÂlée l’hypothèse RudÂdiÂman, ou alterÂnaÂtiÂveÂment, l’hypothèse de l’anthropocène préÂcoce.
La recherche de RudÂdiÂman, qui repose surÂtout sur les donÂnées atmoÂsphéÂriques des gaz priÂsonÂniers des glaces en AntarcÂtique et au GroenÂland, montre qu’il y a enviÂron 11 000 ans, les niveaux de dioxydes de carÂbone dans l’atmosphère comÂmenÂcèrent à décliÂner, à cause d’un cycle natuÂrel lié à la fin du derÂnier âge de glace. Cela corÂresÂponÂdait à un schéÂma natuÂrel déjà obserÂvé lors des préÂcéÂdents âges de glace.
Ce déclin contiÂnue jusqu’à il y a 8000 ans, lorsque la tenÂdance natuÂrelle du déclin du dioxyde de carÂbone comÂmence à s’inverser, et que la quanÂtiÂté des gaz à effets de serre comÂmence à augÂmenÂter. Cela coïnÂcide avec la proÂpaÂgaÂtion de la civiÂliÂsaÂtion à traÂvers plus de terres en Chine, en Inde, dans le Nord de l’Afrique, au Moyen-Orient et dans d’autres régions.
Les donÂnées de RudÂdiÂman montrent que la défoÂresÂtaÂtion sur les milÂliers d’années qui suiÂvirent relâÂcha dans l’atmosphère enviÂron 350 GigaÂtonnes de carÂbone, une quanÂtiÂté corÂresÂponÂdant à peu près à ce a été émis depuis la révoÂluÂtion indusÂtrielle. Ce chiffre est corÂroÂboÂré par la recherche de Kaplan et de son équipe.
Il y a près de 5000 ans, les popuÂlaÂtions de l’Est et du Sud de l’Asie comÂmenÂcèrent à cultiÂver du riz en rizière – des champs irriÂgués constamÂment subÂmerÂgés d’eau. Comme une zone humide artiÂfiÂcielle, les rizières créent un enviÂronÂneÂment anaéÂroÂbie, où des bacÂtéÂries métaÂboÂliÂsant des subÂstances basées sur le carÂbone (comme les plantes mortes) émettent du méthane pluÂtôt que du dioxyde de carÂbone, en tant que sous-proÂduit de leur consomÂmaÂtion. RudÂdiÂman met en lumière un pic de la concenÂtraÂtion atmoÂsphéÂrique en méthane obserÂvé dans les glaces, datant d’il y a enviÂron 5000 ans, comme une preuve de plus du réchaufÂfeÂment lié à l’agriculture.
D’autres cherÂcheurs, comme R. Max Holmes de l’Institut de recherche de Woods Hole, et Andrew Bunn, un cliÂmaÂtoÂlogue de l’université de WesÂtern WashingÂton, pensent que ces preuves ne sufÂfisent pas. Selon eux, les donÂnées autour des périodes interÂglaÂciaires et les détails exacts des courbes du dioxyde de carÂbone et du méthane ne seraient pas assez préÂcis pour arriÂver à une concluÂsion défiÂniÂtive. Quoi qu’il en soit, il est cerÂtain que l’impact préÂinÂdusÂtriel des humains civiÂliÂsés sur la plaÂnète a été signiÂfiÂcaÂtif.
« Nos donÂnées montrent des impacts signiÂfiÂcaÂtifs de l’homme sur l’environnement durant des milÂliers d’années », explique Kaplan. « Cet impact doit être pris en compte lorsque nous penÂsons au cycle du carÂbone et au gaz à effet de serre. »
Restaurer les prairies : une stratégie pour la survie
Si la desÂtrucÂtion des praiÂries et des forêts marque le début de la fin pour le cliÂmat de la plaÂnète, cerÂtains pensent que la resÂtauÂraÂtion des comÂmuÂnauÂtés natuÂrelles pourÂrait constiÂtuer une soluÂtion.
Au-delà de leur beauÂté et de leur valeur intrinÂsèque, des praiÂries intactes fourÂnissent beauÂcoup de choses à l’humanité. De nomÂbreuses cultures pasÂtoÂrales subÂsistent entièÂreÂment à l’aide des proÂtéines aniÂmales si abonÂdantes dans les praiÂries en bonne sanÂté. En AméÂrique du Nord, des pâtuÂrages qui héberÂgeaient autreÂfois plus de 60 milÂlions de bisons (et au moins autant d’antilopes d’Amérique, ainÂsi qu’une popuÂlaÂtion imporÂtante d’élans, d’ours, de cerfs, et bien d’autres) supÂportent aujourd’hui moins de 45 milÂlions de têtes de bétail – des aniÂmaux inadapÂtés à cet écoÂsysÂtème, qui endomÂmagent leur enviÂronÂneÂment pluÂtôt qu’ils ne l’enrichissent.
Des popuÂlaÂtions saines d’herbivores contriÂbuent ausÂsi au piéÂgeage du carÂbone en augÂmenÂtant le recyÂclage des nutriÂments, un phéÂnoÂmène puisÂsant qui perÂmet à ces comÂmuÂnauÂtés natuÂrelles de réguÂler le cliÂmat monÂdial. Elles encouÂragent égaÂleÂment la croisÂsance des racines, qui capÂturent d’autant plus de carÂbone dans le sol.
Tout comme des herÂbiÂvores ne peuvent surÂvivre sans herbes, les herbes ne peuvent prosÂpéÂrer sans herÂbiÂvores.
Les praiÂries capÂturent si bien le dioxyde de carÂbone de l’atmosphère que cerÂtains consiÂdèrent leur resÂtauÂraÂtion natuÂrelle comme une de nos meilleures soluÂtions dans la lutte contre l’emballement cliÂmaÂtique monÂdial.
« Les herÂbaÂcées sont si effiÂcaces dans leur fabriÂcaÂtion d’un sol [riche en carÂbone] que la resÂtauÂraÂtion de 75% des pâtuÂrages du monde ramèÂneÂrait le niveau de CO2 atmoÂsphéÂrique au-desÂsous des 330 ppm en moins de 15 ans », écrit Lierre Keith.
Les impliÂcaÂtions sont immenses. Cela signiÂfie, très simÂpleÂment, que l’une des meilleurs manières de capÂtuÂrer les gaz à effet de serre atmoÂsphéÂriques est d’abandonner l’agriculture, qui se fonde sur la desÂtrucÂtion des forêts et des praiÂries, et de se tourÂner vers d’autres modes de subÂsisÂtance. Cela implique de se détourÂner d’un mode d’existence vieux de 10 000 ans. De repenÂser la totaÂliÂté de la strucÂture de notre sysÂtème aliÂmenÂtaire – et finaÂleÂment de la strucÂture de notre culture dans son intéÂgraÂliÂté.
CerÂtains indiÂviÂdus visionÂnaires et ambiÂtieux traÂvaillent selon cette straÂtéÂgie, dans une course contre le temps pour resÂtauÂrer les praiÂries et staÂbiÂliÂser le cliÂmat de la Terre.
En RusÂsie, dans l’état sepÂtenÂtrioÂnal isoÂlé de YakouÂtie, en SibéÂrie, un scienÂtiÂfique appeÂlé SerÂgei Zimov a un plan ambiÂtieux pour recréer une grande praiÂrie – un terÂriÂtoire autreÂfois parÂcouÂru par des milÂlions d’herbivores comme des mamÂmouths, des cheÂvaux sauÂvages, des rennes, des bisons, des bÅ“ufs musÂqués, jusqu’à la fin du derÂnier âge de glace.
« Dans le futur, pour préÂserÂver le perÂmaÂfrost, nous devons rameÂner plus d’herbivores », explique Zimov. « PourÂquoi est-ce utile ? D’abord, pour pouÂvoir reconsÂtruire un bel écoÂsysÂtème [de praiÂrie]. C’est imporÂtant pour la staÂbiÂliÂté cliÂmaÂtique. Si le perÂmaÂfrost fond, beauÂcoup de gaz à effet de serre seront relâÂchés par ces sols. »
Le proÂjet de Zimov est appeÂlé « le parc du pléisÂtoÂcène » et s’étend sur une vaste région de buisÂsons et de mousse, sur des comÂmuÂnauÂtés peu proÂducÂtives appeÂlées « la taïÂga ». Jusqu’à il y a 12 000 ans, et penÂdant 35 000 ans, ce payÂsage était un pâtuÂrage hauÂteÂment proÂducÂtif héberÂgeant de vastes trouÂpeaux de rumiÂnants, ainÂsi que leurs préÂdaÂteurs.
« La pluÂpart des petits os ne surÂvivent pas, à cause du perÂmaÂfrost », explique SerÂgei Zimov. « [Mais] la denÂsiÂté des squeÂlettes dans ce sédiÂment, ici et à traÂvers l’ensemble de ces plaines : 1000 squeÂlettes de mamÂmouths, 20 000 de bisons, 30 000 de cheÂvaux, et enviÂron 85 000 de rennes, 200 de bÅ“ufs musÂqués, et autant de tigres [par kiloÂmètre carÂré]. »
Ces hordes de rumiÂnants accomÂpaÂgnaient non seuleÂment des préÂdaÂteurs, mais préÂserÂvaient le perÂmaÂfrost, ce sol qui contient aujourd’hui 5 fois plus de carÂbone que toutes les forêts troÂpiÂcales du monde. Selon Zimov, le fourÂraÂgeage hiverÂnal de ces herÂbiÂvores en était le mécaÂnisme de préÂserÂvaÂtion.
« En hiver, tout est couÂvert de neige », explique Zimov. « S’il y a 30 cheÂvaux par kiloÂmètre carÂré, ils foulent et tassent la neige, ce qui constiÂtue un très bon isoÂlaÂteur therÂmique. S’ils foulent la neige, le perÂmaÂfrost sera bien plus froid durant l’hiver. L’introduction des herÂbiÂvores peut réduire les temÂpéÂraÂtures du perÂmaÂfrost et ralenÂtir la fonte. »
Dans les grandes plaines aux États-Unis et au CanaÂda, un plan simiÂlaire de resÂtauÂraÂtion du payÂsage et de ré-ensauÂvaÂgeÂment du terÂriÂtoire émerge. Créé par DeboÂrah et Frank PopÂper, ce plan préÂcoÂnise l’acquisition graÂduelle de pâtuÂrages et de terres agriÂcoles à traÂvers l’Ouest et le MidÂwest, dans le but de créer une vaste réserve natuÂrelle appeÂlée la BufÂfaÂlo ComÂmons, soit 10–20 milÂlions d’acres de nature sauÂvage, une zone 10 fois plus grande que le plus grand parc natioÂnal des USA (le parc natioÂnal WranÂgell-St. Elias en AlasÂka).
Dans ce parc, les PopÂpers imaÂginent une grande praiÂrie native, où des préÂdaÂteurs pourÂsuiÂvraient des hordes vagaÂbondes de bison améÂriÂcain et d’autres rumiÂnants qui pourÂsuiÂvraient eux les herbes chanÂgeantes, elles-mêmes pourÂsuiÂvant les pluies capriÂcieuses. La nature flucÂtuante du terÂrain des grandes plaines requiert de l’espace, et ce proÂjet lui en proÂpose d’une ampleur inégaÂlée depuis des cenÂtaines d’années.
Dans cerÂtaines parÂties du MonÂtaÂna, l’ouvrage a déjà comÂmenÂcé. De nomÂbreux proÂpriéÂtaires terÂriens ont venÂdu leurs fermes à des groupes de conserÂvaÂtion priÂvées afin de remÂplir les blancs entre les secÂtions isoÂlées des grandes parÂcelles publiques. De nomÂbreuses triÂbus indiennes, à traÂvers les États-Unis et le Sud du CanaÂda, Å“uvrent égaÂleÂment à la resÂtauÂraÂtion du bison, qui constiÂtue non seuleÂment une nourÂriÂture traÂdiÂtionÂnelle, saine et de quaÂliÂté, mais qui contriÂbue égaÂleÂment à la bioÂdiÂverÂsiÂté et à la resÂtauÂraÂtion de la sanÂté des praiÂries, entre autres à traÂvers leur tenÂdance à se rouÂler par terre, qui crée de petites zones humides.
Les praiÂries ont non seuleÂment la capaÂciÂté de resÂtauÂrer la bioÂdiÂverÂsiÂté et de serÂvir de source de nourÂriÂture abonÂdante et riche en nutriÂments, mais égaÂleÂment de staÂbiÂliÂser le cliÂmat monÂdial. Les sols du monde ne surÂviÂvront plus très longÂtemps aux civiÂliÂsaÂtions agraires. Si les labours contiÂnuent, cette culture finiÂra comme celle de l’île de Pâques, comme les mayas, les grecs, les macéÂdoÂniens, les harapÂpéens, ou comme l’empire romain – soufÂflée par le vent. Notre air est plein des restes des sols anciens, qui prennent enfin leur revanche contre les mauÂvais traiÂteÂments que nous leur faiÂsons subir.
La terre ne veut pas de nos champs. Elle appelle le retour des bisons. Elle aspire au retour des praiÂries, des forêts, des zones humides, des oiseaux. Au retour des humains, mais de ceux qui savent vivre en bonne harÂmoÂnie avec le sol et tous ceux qu’il fait vivre. La terre cherche l’équilibre, et nous pouÂvons aider. Nous pouÂvons prendre soin du sauÂvage et nous tourÂner vers d’autres modes de subÂsisÂtance, ceux qui ont fait vivre nos ancêtres penÂdant des milÂlions d’années. C’est la seule straÂtéÂgie qui prenne en compte les besoins du monde natuÂrel, les besoins d’une terre libéÂrée de la charÂrue et des tracÂteurs.
Avec le temps, avec la chance et beauÂcoup d’efforts, le carÂbone ancien sera retiÂré de l’atmosphère – douÂceÂment, au début, mais de plus en plus vite ensuite. Les criÂtères du sucÂcès sont clairs : un cliÂmat apaiÂsé, des rivières qui s’écoulent libreÂment, une bioÂdiÂverÂsiÂté remonÂtante. Les tâches pour parÂveÂnir à ce sucÂcès sont des défis immenses, mais à l’aide de ceux qui croient en la resÂtauÂraÂtion du sol, nous pouÂvons défaire 8000 ans d’erreurs, et finaÂleÂment comÂmenÂcer à vivre à nouÂveau en tant qu’une espèce comme les autres, à sa place, dans sa maiÂson, en paix et en équiÂlibre, libre du farÂdeau des erreÂments de nos ancêtres.
Max WilÂbert
BiblioÂgraÂphie :
CliÂmate meddÂling dates back 8,000 years. By AlexanÂdra Witze. April 23rd, 2011. Science News. http://www.sciencenews.org/view/generic/id/71932/title/Climate_meddling_dates_back_8%2C000_years#video
U.S. EnviÂronÂmenÂtal ProÂtecÂtion AgenÂcy. GloÂbal EmisÂsions. AccesÂsed June 23rd, 2012. http://epa.gov/climatechange/ghgemissions/global.html
The preÂhisÂtoÂric and preinÂdusÂtrial defoÂresÂtaÂtion of Europe. By Kaplan et al. Avre Group, Ecole PolyÂtechÂnique FedeÂrale de LauÂsanne. QuaÂterÂnaÂry Science Reviews 28 (2009) 3016–3034.
‘Land Use as CliÂmate Change MitiÂgaÂtion.’ Stone, Brian Jr. EnviÂronÂmenÂtal Science and TechÂnoÂloÂgy 43, 9052–9056. 11/2009.
‘FuncÂtioÂnal Aspects of Soil AniÂmal DiverÂsiÂty in AgriÂculÂtuÂral GrassÂlands’ by BardÂgett et al. Applied Soil EcoÂloÂgy, 10 (1998) 263–276.
Zimov, SerÂgei. PerÂsoÂnal InterÂviews, June/July 2010.
TraÂducÂtion : NicoÂlas Casaux
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Afficher les commentaires Hide commentsÀ terme, rien de ce qui sera entreÂpris ne pourÂra abouÂtir si nous n’aÂgisÂsons pas en paralÂlèle en termes de démoÂgraÂphie. On lit souÂvent que MalÂthus s’est tromÂpé, mais sur les temps longs il finit par avoir mathéÂmaÂtiÂqueÂment raiÂson.
MerÂci de nous faire prendre conscience de l’importance d’agir pour préÂserÂver notre terre.