Monsanto+Bayer=MoBay : le cartel des empoisonneurs contre la planète (par Vandana Shiva)

Traduction d'un article initialement publié (en anglais) le 8 septembre 2016, à l'adresse suivante.

L’Inde est embour­bée dans une contro­verse arti­fi­cielle créé par Mon­san­to à pro­pos de la pre­mière culture géné­ti­que­ment modi­fiée, cen­sée avoir reçu le feu vert pour sa com­mer­cia­li­sa­tion. Impli­quée dans des litiges sur plu­sieurs fronts, Mon­san­to tente de contour­ner nos lois sur les bre­vets, la loi de pro­tec­tion de la varié­té végé­tale, celles sur les droits des agri­cul­teurs, sur les pro­duits de base et sur la concur­rence. Elle se com­porte comme s’il n’y avait, en Inde, aucun par­le­ment, aucune démo­cra­tie, aucune loi sou­ve­raine  à laquelle elle devrait obéir. Ou tout sim­ple­ment, elle s’en moque.

Sur un autre ter­rain, Mon­san­to et Bayer sont en train de fusion­ner. Elles ont déjà dans le pas­sé for­mé une seule enti­té appe­lée MoBay (Mon­san­to­Bayer), digne héri­tière du car­tel d’empoisonneurs IG Far­ben. Les par­ti­ci­pa­tions majo­ri­taires de ces deux entre­prises étaient entre les mains des mêmes socié­tés d’in­ves­tis­se­ment pri­vées. Le domaine d’ex­per­tise de ces firmes, c’est la guerre. IG Far­ben, moteur éco­no­mique d’Adolf Hit­ler et prin­ci­pale source de devises étran­gères de l’Allemagne d’a­vant guerre, était éga­le­ment une machine de ren­sei­gne­ments étran­gers. Her­mann Schmitz était le pré­sident d’IG Far­ben, son neveu Max Ilgner était un direc­teur d’IG Far­ben, tan­dis que le frère de Max, Rudolph Ilgner, diri­geait la branche new-yor­kaise comme vice-pré­sident de Chemnyco.

Paul War­burg, frère de Max War­burg (du conseil d’ad­mi­nis­tra­tion d’IG Far­ben), fon­da le sys­tème de réserve fédé­ral des USA. Max War­burg et Her­mann Schmitz ont joué un rôle cen­tral dans l’empire IG Far­ben. Carl Bosch, Fritz ter Meer, Kurt Oppen­heim et George von Schnitz­ler étaient d’autres diri­geants de l’en­tre­prise. Tous, sauf Paul War­burg, furent jugés et condam­nés comme cri­mi­nels de guerre à  Nuremberg.

Les accusés d'IG Farben à Nuremberg
Les accu­sés d’IG Far­ben à Nuremberg

Mon­san­to et Bayer ont une longue his­toire. Elles fabri­quaient des explo­sifs et des gaz toxiques mor­tels à l’aide de tech­no­lo­gies par­ta­gées et les ven­daient aux deux camps des deux guerres mon­diales. Les mêmes pro­duits chi­miques étaient ache­tés par les Alliés et les forces de l’Axe, aux mêmes fabri­cants, avec de l’argent emprun­té à la même banque.

MoBay four­nis­sait les ingré­dients de l’Agent orange (acide 2,4,5‑T aux dioxines) durant la guerre du Viet­nam. Près de 75 mil­lions de litres de défo­liants et d’herbicides MoBay furent pul­vé­ri­sés sur le Sud-Viet­nam. Des enfants naissent encore avec des mal­for­ma­tions congé­ni­tales, des adultes ont des mala­dies chro­niques et des can­cers à cause de l’exposition aux pro­duits chi­miques de MoBay. La résis­tance de l’agent orange cobre­ve­té par Bayer et Mon­san­to a été codé­ve­lop­pée pen­dant des décen­nies. Des guerres étaient menées, des vies per­dues, des nations cise­lées en terres pro­mises — avec des fron­tières arti­fi­cielles pro­fi­tant à la colo­ni­sa­tion et au pillage des res­sources — tan­dis que Bayer et Mon­san­to ven­daient des pro­duits chi­miques sous forme de bombes et de poi­sons, et que leurs frères four­nis­saient les prêts pour ache­ter ces bombes.

Plus récem­ment, Bayer CropS­cience AG et Mon­san­to auraient enga­gé un par­te­na­riat à long terme. Ce qui leur donne accès aux her­bi­cides de l’un et de l’autre et donc à une double tech­no­lo­gie de résis­tance aux her­bi­cides. À tra­vers des accords de licences croi­sées, des fusions et des acqui­si­tions, l’industrie de la bio­tech­no­lo­gie devient l’IG Far­ben de notre temps, avec Mon­san­to aux commandes.

L’industrie mon­diale des pro­duits chi­miques et des OGM — Bayer, Dow Agro, DuPont Pio­neer, Mahy­co, Mon­san­to et Syn­gen­ta — s’est syn­di­quée sous forme de Fédé­ra­tion de l’Industrie semen­cière d’ Inde (FSII) afin d’augmenter son pou­voir de nui­sance sur les pay­sans indiens, sur l’environnement et les lois démo­cra­ti­que­ment éla­bo­rées qui pro­tègent le public et l’intérêt natio­nal. Ceci en plus de l’Association des Entre­prises de Bio­tech­no­lo­gie (ABLE), qui a ten­té de s’attaquer au contrôle des prix des  semences en Inde mis en place par la loi sur les pro­duits de base n fai­sant appel à la Haute Cour de  jus­tice du Kar­na­ka­ta à Ban­ga­lore, qui a reje­té la plainte.

Ce nou­veau groupe n’a rien à voir avec « l’industrie semen­cière », il ne pro­duit pas de semences. Il tente d’étendre le prin­cipe du bre­vet aux pro­duits chi­miques afin d’obtenir la pro­prié­té de semences, même dans des pays où les bre­vets sur les semences et les plantes ne sont pas auto­ri­sés. Comme en Inde, en Argen­tine, au Bré­sil, au Mexique et dans beau­coup d’autres pays.

Toutes les affaires Mon­san­to, en Inde sont liées à sa reven­di­ca­tion non-scien­ti­fique, illé­gale et de bre­vets sur les  semences, au mépris des lois indiennes, et à sa ten­ta­tive d’extorquer des rede­vances à l’industrie semen­cière indienne et aux agri­cul­teurs. La FSII est une « réunion de famille sécu­laire d’IG Far­ben », un ras­sem­ble­ment d’en­ti­tés indé­pen­dantes et autonomes.

Le car­tel chi­mique fami­lial d’IG Far­ben aété res­pon­sable de l’extermination de gens dans des camps de concen­tra­tion. Il repré­sente un siècle d’écocide et de géno­cide, entre­pris au nom de l’expérimentation scien­ti­fique et de l’innovation. Aujourd’hui, ce car­tel d’empoisonneurs porte des habits d’ingénieur géné­tique et répète ad nau­seam le man­tra de l’innovation. Les camps de concen­tra­tion d’Hitler furent une « inno­va­tion » dans le domaine du meurtre ; et presque un siècle après, la famille Far­ben est en train de mener la même exter­mi­na­tion, silen­cieu­se­ment, mon­dia­le­ment et efficacement.

L’innovation de Mon­san­to consis­tant à extor­quer des royal­ties illé­gales et à pous­ser des pay­sans indiens au sui­cide est aus­si une inno­va­tion dans la manière de tuer ni vu ni connu et indi­rec­te­ment. La nou­veau­té de la méthode d’assassinat ne rend pas le meurtre plus juste. « L’innovation », comme toutes les acti­vi­tés humaines, a ses limites — défi­nies par l’éthique, par la jus­tice, par la démo­cra­tie, les droits des per­sonnes et de la nature.

IG Far­ben a été jugée à Nurem­berg. Nous avons des lois natio­nales pour pro­té­ger les per­sonnes, leur droit à la vie et à la san­té, ain­si que l’environnement. Les lois indiennes sur les bre­vets et la bio­sé­cu­ri­té, ain­si que celle sur la varié­té végé­tale visent à contrô­ler les pro­prié­taires voraces d’en­tre­prises his­to­ri­que­ment cou­pables de crimes contre la nature et l’humanité.

L’industrie se pré­pare à lan­cer son nou­veau « gène », la mou­tarde GM (DMH-11). La mou­tarde GM, pro­mue comme une « inno­va­tion » du sec­teur public, se base sur le sys­tème de gènes barnase/barstar pour créer des plantes mâles sté­riles et sur un gène bar pour la résis­tance au glu­fo­si­nate. En 2002, la demande d’approbation par pro-Agro (Bayer) de plan­ta­tion com­mer­ciale de mou­tarde GM basée sur le même sys­tème avait été rejetée.

Bien que ban­nie en Inde, Bayer trouve les moyens de vendre du glu­fo­si­nate illé­ga­le­ment aux plan­ta­tions de thé d’Assam et aux pom­me­raies d’Himachal Pra­desh, dans le nord-ouest de l’Inde. Des reven­deurs font pas­ser la vente de glu­fo­si­nate dans la caté­go­rie « autres » pour contour­ner la loi. Ces pro­duits chi­miques se fraient un che­min jusqu’aux corps de nos enfants sans l’accord du gou­ver­ne­ment. Essen­tiel­le­ment, tous les bre­vets clés liés au gène bar sont déte­nus par Bayer CropS­cience, qui a acquis Aven­tis Crops­cience, elle-même créé à par­tir des dépar­te­ments de génie géné­tique de Sche­ring, Rhône-Pou­lenc et Hoechst. Puis Bayer a fait l’acquisition de Plant Gene­tic Sys­tems, et a pas­sé un accord de coopé­ra­tion avec Evo­gene, qui détient des bre­vets dans le sec­teur de la car­to­gra­phie génomique.

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Avant qu’une auto­ri­sa­tion soit accor­dée à la mou­tarde modi­fiée géné­ti­que­ment, le pro­blème des limites de la bre­ve­ta­bi­li­té doit être réso­lu sur la base des lois indiennes, et les bre­vets sur les plantes, les semences et les méthodes agri­coles ne doivent pas être auto­ri­sés. Dee­pak Pental, un pro­fes­seur à la retraite et déve­lop­peur d’OGM ne com­mer­cia­li­se­ra pas la semence de mou­tarde GM. Ses don­neurs d’ordre de Bayer/Monsanto/MoBay le feront.

Au vu de notre expé­rience avec le coton GM, le minis­tère de l’Environnement et des Forêts envi­sage d’é­ta­blir des direc­tives pour l’évaluation socio-éco­no­mique des varié­tés OGM pro­po­sées, pre­nant en compte des fac­teurs comme l’économie, la san­té, l’environnement, la socié­té et la culture.

Au cœur de cette éva­lua­tion socio-éco­no­mique, on retrouve le pro­blème des mono­poles et des car­tels, et de leur impact sur les petits agri­cul­teurs. Bien que les bre­vets sur les semences ne soient pas auto­ri­sés, pen­dant plus de 15 ans, Mon­san­to a illé­ga­le­ment extor­qué des rede­vances aux pay­sans indiens, les pié­geant par la dette, et déclen­chant ain­si une épi­dé­mie de sui­cides. La guerre de Mon­san­to contre la pié­taille de l’Inde — les pay­sans — est une guerre menée par la famille IG Far­ben contre notre famille terrienne.

Van­da­na Shiva


Tra­duit par  Nico­las Casaux
Edi­té par  Faus­to Giu­dice Фаусто Джудиче 
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[...] la folie des associations dites écologistes que j’ai étrillées ici durement [principalement Greenpeace, le WWF, FNE - France Nature Environnement, et la FNH - Fondation Nicolas Hulot, NdE], mais de manière argumentée, c’est qu’elles tiennent officiellement le même discours. Leur baratin, car c’en est un, consiste à pleurnicher chaque matin sur la destruction de la planète, avant d’aller s’attabler le midi avec l’industrie, dont le rôle mortifère est central, puis d’aller converser avec ces chefs politiques impuissants, pervers et manipulateurs qui ne pensent qu’à leur carrière avant de signer les autorisations du désastre en cours.