Il y a quelques jours, j’ai regardé une vidéo[1] d’une discussion entre plusieurs jeunes figures de l’écologie relativement grand public, intitulée « Face à l’effondrement, continuer à se battre ? ». Parmi les intervenants qui prenaient part à cette discussion, on retrouvait Nicolas Haeringer, qui travaille pour la branche française de l’ONG internationale 350.org.
Ainsi que le suggère le titre de la vidéo, leur discussion tournait autour de l’effondrement à venir de la civilisation industrielle, sujet — relativement — popularisé par le livre Comment tout peut s’effondrer de Pablo Servigne et Raphaël Stevens.
Dans cet ouvrage, les deux auteurs exposent en quoi la civilisation industrielle mondialisée, loin d’être une aventure pleine d’avenir, est vouée à s’autodétruire à court terme, dans les prochaines décennies. Et ce, pour de multiples raisons — pêle-mêle : la finitude des combustibles fossiles, des minerais et des métaux et des multiples ressources actuellement surexploitées par les nombreuses industries qui composent la société industrielle, les conséquences du réchauffement climatique lié aux émissions de gaz à effet de serre par l’industrie qui surexploite les énergies fossiles, les innombrables pollutions et destructions des milieux naturels liées au développement de la société industrielle, les instabilités politiques qui découlent et découleront des problèmes précédemment cités…
Le livre de Pablo Servigne et Raphaël Stevens stipule que les énergies renouvelables ne sont en rien une solution, qu’elles reposent également sur un extractivisme insoutenable. On peut ajouter à cela le livre plus récent de Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares, qui expose en quoi leur développement précipite de nombreuses catastrophes écologiques à travers le globe (dont celles liées aux extractions de terres rares en Chine), et en quoi toutes les hautes technologies dépendent de catastrophes écologiques planétaires (extraction du coltan, du cobalt, etc., en Afrique et ailleurs). Et celui de Philippe Bihouix, L’âge des low tech, qui expose également le mythe de la croissance verte et ses conséquences écologiquement désastreuses. Ces trois livres proposent une critique partielle du mythe des énergies renouvelables comme solution aux problèmes auxquels la société industrielle est confrontée.
Une évaluation plus complète prendrait en compte le caractère antidémocratique des états modernes. Elle rappellerait que toutes les hautes technologies sont les produits de ces sociétés autoritaires (ou de cette société autoritaire mondialisée, puisque tous les États participent désormais d’un système économique global). Qu’il en va ainsi des technologies dites « renouvelables » (qui font partie des hautes technologies), qu’en plus de cela la production d’électricité (toutes origines confondues, soi-disant verte ou officiellement pas verte du tout) ne sert qu’à alimenter en énergie une société dont tous les autres aspects sont également anti-écologiques : même si l’énergie verte était vraiment verte, son utilisation, elle, ne l’est jamais : recharger un téléphone portable, regarder la télévision ou rouler dans une voiture grâce à une énergie hypothétiquement verte n’a rien d’écologique ; quid de la fabrication de la télévision, de la voiture, des routes, etc. ?
Mais revenons-en à la discussion précédemment mentionnée. Les différentes analyses des participants présentaient plusieurs points communs. Tout d’abord, leur critique sociale était très limitée. Les notions d’esclavage salarial ou d’esclavage moderne, le caractère antidémocratique de la société industrielle, son caractère intrinsèquement inégalitaire, coercitif, oppressif, ses dynamiques impérialistes et expansionnistes séculaires, etc., n’ont été que peu ou pas mentionnés. Par contre, ont été mentionnésle fait de faire son savon soi-même, de manger bio, de recycler, de ne pas manger de viande issue d’élevages industriels, et tous les autres avatars de l’écocitoyenneté.
L’ONG internationale 350.org, pour laquelle travaille Nicolas Haeringer, fait la promotion de toutes les énergies dites « vertes » et milite « pour un avenir 100% renouvelable ».
Cela explique sûrement pourquoi Nicolas Haeringer a évité de parler de la réalité des énergies vertes, quand bien même un autre participant, Mathieu Duméry (le « Professeur feuillage » de la web-série écolo éponyme), soulignait timidement leur caractère douteux. Cela explique aussi pourquoi Nicolas Haeringer ne s’est pas épanché sur le sujet de l’effondrement — ce concept basé sur le livre de Pablo Servigne et Raphaël Stevens, qui expose assez clairement le mythe des énergies renouvelables. Or, participer à une discussion sur le thème de l’effondrement, tandis qu’on travaille pour une ONG dont la principale activité consiste à promouvoir les illusions renouvelables dans le monde entier, une ONG qui ignore totalement le concept d’effondrement, la réalité de l’insoutenabilité complète de la société industrielle, c’est pour le moins étonnant.
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La colonisation du continent africain
Changement de sujet, mais pour mieux y revenir. On peut faire remonter le début de la colonisation de l’Afrique par les puissances européennes au XVe siècle, avec le début de la traite négrière à destination de l’Europe. Traite négrière qui a ensuite pris son essor avec la colonisation de l’Amérique par les Européens, le massacre des Amérindiens, et le besoin d’esclaves (de main d’œuvre) des colons qui s’y établissaient.
Depuis cette époque, les puissances européennes (ces « races supérieures ») n’ont eu de cesse de « civiliser » les « sauvages » et autres « barbares » d’Afrique (ces « races inférieures »), ainsi que l’expliquait Jules Ferry en 1885 : « […] il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. »
C’est d’ailleurs en 1885, lors de la Conférence de Berlin, que l’Afrique a été découpée, politiquement, en différents États, selon les ambitions hégémoniques des puissances européennes et non pas selon les identités et les volontés des populations locales (ainsi que le souligne Tiken Jah Fakoly dans sa chanson « Ils ont partagé le monde »).
Main dans la main, les puissances étatiques et les corporations européennes se sont appropriées le continent africain. Les nombreux peuples autochtones et leurs différentes cultures ont graduellement été soit décimés soit incorporés dans les sociétés (ou la société) que les colons y implantaient. Et après que la plupart des sociétés traditionnelles ont été éradiquées, et que les Européens ont imposé un peu partout sur le continent les structures sociales et culturelles qu’ils voulaient, une parodie de décolonisation a pris place, principalement au cours du XXe siècle.
En réalité, une forme plus subtile et plus insidieuse de colonisation voyait le jour, le néocolonialisme dont parlait Kwame Nkrumah[2]. La France, tout particulièrement, continuait à garder la main sur ses anciennes colonies à travers les mécanismes de la Françafrique (détaillés dans les travaux de François-Xavier Verschave, de l’association Survie, etc.).
Aujourd’hui, l’Afrique est toujours contrôlée et pillée par des forces extérieures au continent, dont, bien sûr, les puissances européennes, auxquelles s’ajoutent aussi la Chine, les USA et d’autres États, mais aussi des multinationales d’un peu partout (mais encore et surtout des multinationales des pays riches comme Shell, BP, Total, et ArcellorMittal) qui dévalisent ses ressources minières, pétrolières, forestières, qui accaparent ses terres arables, et ainsi de suite. Le tout avec l’aide des institutions internationales comme la Banque mondiale et le FMI, et la complicité des régimes fantoches du continent. Ce que décrit Tom Burgis, journaliste du Financial Times, dans un assez bon livre[3] intitulé The Looting Machine. Warlords, Tycoons, Smugglers and the Systematic Theft of Africa’s Wealth (en français : La machine à piller. Chefs de guerre, magnats, trafiquants et le vol systématique des richesses de l’Afrique) paru en 2015.
Ainsi, l’Afrique se trouve aujourd’hui, et peut-être plus que jamais, au cœur des dynamiques expansionnistes de la civilisation industrielle et du capitalisme mondialisé. La colonisation ne s’est jamais arrêtée. La décolonisation est restée lettre morte. Elle n’est qu’un concept creux et mensonger que brandissent ceux qui cherchent à justifier et à rationaliser la situation actuelle du continent. Ceux qui trouvent tout à fait normal et juste que l’Afrique et tous les Africains aient adopté un modèle de développement occidental, qu’ils soient montés dans le merveilleux train du « progrès », qu’ils aient été « civilisés », divisés en États, et tout ce qui s’ensuit. Ceux qui se fichent pas mal que tout ceci soit le résultat non pas de la volonté des peuples d’Afrique mais de celle des puissances coloniales qui ont ravagé et découpé et pillé le continent — et qui continuent.
Énergies renouvelables, greenwashing et nouvelle colonisation « verte »
Ce qui nous ramène au sujet initial de cet article, car c’est ici que le développement des énergies renouvelables entre en scène. La colonisation toujours en cours de l’Afrique — l’implantation de la société industrielle de consommation sur le continent — est désormais facilitée par le déploiement des énergies dites renouvelables qui permettent de fournir du courant assez facilement, même à des villages perdus dans la brousse, et donc de les relier au marché, de transformer leurs habitants en consommateurs.
Et qui se charge d’encourager les Africains à réclamer le déploiement des technologies « vertes » sur leur territoire ? L’ONG internationale 350.org, à travers une campagne d’un cynisme répugnant, intitulée « DeCOALonise Africa[4] » (en français : « Décoloniser l’Afrique », sauf que l’expression anglaise joue sur le fait que « coal » en anglais signifie « charbon », c’est-à-dire qu’en plus de « Décoloniser l’Afrique », ils entendent « Décharboniser l’Afrique »).
À travers cette campagne, l’ONG 350.org suggère que le « développement » de l’Afrique (à la sauce occidentale, comme partout) doit continuer — ce n’est même pas discuté, il s’agit pour eux d’une évidence — mais qu’il doit dorénavant se baser sur nos chères illusions vertes, et non pas sur le vilain charbon et sur les énergies fossiles qui étaient polluantes, mauvaises pour l’environnement (ce qu’elles sont évidemment, mais ce que sont aussi les énergies dites « renouvelables », au même titre que tout ce qui constitue le « développement », cette « croyance occidentale » qui n’est pas « autre chose que l’extension planétaire du système de marché », comme l’explique Gilbert Rist[5]).
Sur le site officiel de la campagne, on peut lire :
« À la manière du ”Partage de l’Afrique”, le développement du charbon et des énergies fossiles en Afrique est une nouvelle vague de colonisation entrepreneuriale qui profite aux corporations et aux super-riches. Toute nouvelle centrale au charbon engendrera des coûts immenses : des destructions environnementales locales, des impacts sur la santé des habitants, et une intensification du rythme et des impacts du changement climatique. »
Ce qui est exact. Même si c’est un peu tard pour se soucier des impacts des industries fossiles sur l’Afrique étant donné que cela fait des décennies que les multinationales de ce secteur pillent et ravagent le continent. Mais mieux vaut tard que jamais, pourrait-on croire.
Seulement, cette lutte contre le développement du charbon et des énergies fossiles n’en est pas vraiment une, dans les faits, elle correspond plutôt à un soutien au développement des énergies dites « vertes » dans l’espoir (absurde) que l’Afrique atteigne le fameux « 100% renouvelables » que nous promettent tous les apôtres du verdissement de la civilisation industrielle.
350.org est une ONG internationale qui a été créée de toutes pièces grâce à l’argent des Rockefeller (plus précisément, grâce à l’argent du Rockefeller Brothers Fund), ces chers philanthropes. Son financement dépend aujourd’hui majoritairement de fondations privées[6], dont la ClimateWorks Foundation, une fondation qui regroupe, entre autres, la David and Lucile Packard Foundation, la William and Flora Hewlett Foundation (HP, ça vous dit quelque chose ? Hewlett-Packard, une des principales multinationales de l’informatique) et la Ford Foundation (Ford, tout le monde connaît) ; et le Clowes Fund, Inc., lié à la Eli Lilly and Company, une immense multinationale de l’industrie pharmaceutique (le Prozac, c’est elle), 10e groupe pharmaceutique mondial par son chiffre d’affaires ; et la Silicon Valley Community Foundation, dont les membres du conseil d’administration travaillent chez Microsoft, eBay, Electronic Arts, etc. ; et le New Venture Fund, une fondation financée, entre autres, par la Rockefeller Foundation, par la fondation de Bill & Melinda Gates, par la Ikea Foundation, etc. ; et la Overbrook Foundation, créée et encore dirigée par la famille Altschul, dont l’actuel président, Arthur Altschul Jr., a travaillé, comme son père avant lui, pour Goldman Sachs, et pour un paquet de multinationales américaines dans le secteur de l’industrie pharmaceutique, de la banque, etc. ; et la Tides Foundation, qui reçoit de l’argent de Warren Buffett, un des hommes les plus riches du monde, qui possède des investissements dans à peu près toutes les industries du monde, et aussi de George Soros, un autre milliardaire américain ; et de bien d’autres fondations liées à bien d’autres industries et à bien d’autres magnats de la finance.
Si tous ces admirables philanthropes — qui font partie des « super-riches » que dénonce la campagne de 350.org — financent directement ou indirectement cette ONG, c’est parce que son activité ne menace en rien leurs activités. En effet, nombre d’entre eux investissent d’ores et déjà dans les industries du solaire, de l’éolien, et dans toutes les industries des illusions vertes (en Afrique, de nombreuses centrales solaires sont construites par Vinci, Total, etc., les « renouvelables » sont une affaire juteuse pour les grands groupes industriels, ou pour de nouveaux groupes industriels), et tous tireront profit de la continuation du « développement » de l’Afrique — qui correspond, rappelons-le encore, à l’intégration de toute l’Afrique dans la civilisation industrielle planétaire, celle-là même qui est vouée à s’effondrer dans un futur relativement proche du fait de son insoutenabilité complète.
Mais en attendant, ce qui se déroule actuellement en Afrique, et ce que les énergies dites « renouvelables » servent désormais à appuyer — encore une fois, non pas à la place des énergies fossiles mais en plus — relève toujours de la colonisation, bien que la novlangue civilisée préfère parler de « développement[7] ».
C’est-à-dire que sous couvert d’un imaginaire de « décolonisation » mensonger, l’ONG 350.org encourage la continuation de la colonisation du continent africain. Une véritable décolonisation impliquerait le départ des multinationales de tous les secteurs (pas seulement de celles du secteur des industries fossiles), l’arrêt du pillage de l’Afrique par les puissances corporatistes et étatiques, la réappropriation par les Africains des terres qui sont les leurs afin qu’ils recouvrent leur autosuffisance, à travers une véritable souveraineté, individuelle et communautaire — ce que beaucoup réclament[8].
Mais, bien sûr, les ultra-riches capitalistes qui financent 350.org ne veulent pas de cette décolonisation-là. Celle qu’ils promeuvent, qui n’est en réalité qu’une continuation de la colonisation, mais défendue par de nouveaux arguments « renouvelables » et « verts », leur permet et leur permettra d’engranger toujours plus de profits. En apportant l’électricité ici et là en Afrique, grâce aux énergies pas vertes comme grâce aux technologies « vertes » (éoliennes, panneaux solaires, etc.), qui sont plus simples à implanter, ils permettent à des Africains d’acheter les appareils qui vont avec, smartphones, télévisions, lecteurs DVD, de développer des pratiques et toutes sortes d’activités industrielles et marchandes, etc[9] — « l’extension planétaire du système de marché » dont parle Gilbert Rist.
Dans sa série d’articles intitulée « Traversée d’une Afrique bientôt électrique », que j’examine dans cet autre article[10], le journal capitaliste le plus connu de France, Le Monde, expose cela de manière on ne peut plus significative. Par exemple, en rapportant les propos d’un certain William Kebet : « Quand nous connectons des clients au mini-réseau, nous leur proposons d’acheter des appareils ménagers : télé, frigo, micro-ondes, explique Anderson. Nous voulons qu’ils s’habituent à utiliser l’électricité avec des outils modernes. Plus ils en consomment, plus nous augmentons notre bénéfice. » Ou encore ces propos d’un autre protagoniste : « De plus en plus de gens veulent la lumière, la musique, les films. Ils découvrent les avantages de l’électricité, les rêves qu’elle porte. […] Désormais on peut regarder les nouvelles tous les jours à la télé. »
Dans un article de la BBC intitulé TV from the sun : « Now I am connected to the whole world » (en français : Télévision solaire : « Maintenant, je suis connecté au monde entier »), on apprend que des milliers de foyers africains, non connectés au réseau électrique, notamment au Kenya, peuvent désormais quand même regarder la télévision grâce à un kit solaire vendu par la marque Azuri, comprenant une antenne satellite qui leur permet d’accéder à un bouquet de 50 chaînes ! N’est-ce pas merveilleux ? C’est en cela que les panneaux solaires photovoltaïques permettent plus simplement de tous nous transformer en consommateurs de hautes technologies : pas besoin de réseau électrique et de toutes ses infrastructures (câbles, pylônes, etc.).
Et dans un récent article du Monde diplomatique intitulé « Batailles commerciales pour éclairer l’Afrique[11] », dont le sous-titre lit : « Fermes éoliennes, barrages, centrales solaires, géothermiques ou nucléaires… Le marché de l’énergie se développe sur tout le continent noir, suscitant la convoitise des géants mondiaux de l’électricité, mais aussi de certaines entreprises africaines », Aurélien Bernier écrit :
« On ne compte plus les initiatives destinées à alimenter l’Afrique en électricité. En 2012, les Nations unies inaugurent le dispositif Énergie durable pour tous, qui vise à fournir, d’ici à 2030, un accès universel aux sources modernes de courant, avec une priorité naturellement donnée à l’Afrique. En juillet 2013, c’est au tour du président américain Barack Obama de lancer, lors d’un voyage en Tanzanie, le plan Power Africa (Énergie pour l’Afrique), en partenariat avec la Banque africaine de développement (BAD) et la Banque mondiale. Ce programme piloté par l’Agence des États-Unis pour le développement international (Usaid) propose une expertise technique et juridique, des prêts et des outils financiers pour développer des projets durables… par le biais d’entreprises américaines. En octobre 2015, à la veille de la conférence de Paris sur le climat (COP21), le groupe des Vingt (G20) organise sa toute première réunion des ministres concernés, qui annoncent un plan d’accès à l’énergie pour l’Afrique subsaharienne. La même année, l’ancien ministre de l’écologie français Jean-Louis Borloo a créé une fondation, Énergies pour l’Afrique, qui vise à « connecter 600 millions d’Africains à l’électricité d’ici à 2025 ». De prestigieux partenaires apparaissent sur son site Internet : Vivendi, Carrefour, JC Decaux, Bouygues, Électricité de France (EDF), Dassault, Eiffage, Engie, Orange, Schneider Electric, Total, Veolia, Vinci… »
Il rappelle ensuite que : « Grâce à la délocalisation des filières de production de panneaux solaires et d’éoliennes dans les pays où la main‑d’œuvre est bon marché, leurs coûts d’installation sont de plus en plus faibles ». Et cite des propos tenus en 2015 par Thierno Bocar Tall, qui était alors président-directeur général de la Société africaine des biocarburants et des énergies renouvelables (Saber) : « Les capitaux internationaux ont enfin trouvé une porte à leur mesure pour entrer en Afrique : le développement des énergies renouvelables. »
Les Anglais parlent de greenwashing (en français, on parle d’écoblanchiment) lorsqu’une entreprise tente de se donner une image écologique et responsable. C’est en ce sens que les ONG comme 350.org participent au greenwashing de la colonisation (et du « développement » en général). La nouvelle colonisation (ou le nouveau « développement », ces expressions sont synonymes) est cool, « verte » et « durable », elle promet un avenir merveilleux « 100% renouvelable ».
Finalement, cette campagne africaine de l’ONG 350.org s’inscrit simplement dans l’entreprise médiatique mondiale de promotion des illusions vertes — en tant que solutions à tous nos problèmes, en tant que moyens pour que la civilisation industrielle perdure — et du mythe[12] du « développement durable » plus généralement.
En plus du désastre écologique qu’il constitue, le « développement » (durable ou pas, c’est exactement la même chose) est un ethnocide en expansion, un projet de destruction des (dernières) cultures humaines différentes de la monoculture dominante (celle des smartphones, des télévisions, des voitures, des MacDo, des avions, des anxiolytiques et des antidépresseurs, des « maladies de civilisation », des burn-out, des inégalités sociales colossales et qui ne cessent de croître, etc.).
En Afrique, les ONG comme 350.org ne sont que de nouveaux missionnaires « verts » (ou éco-missionnaires) qui continuent le travail de leurs prédécesseurs : civiliser les derniers sauvages, s’assurer que tous les Africains sont connectés à l’économie de marché mondialisée afin qu’ils deviennent eux aussi des consommateurs. D’aucuns diraient que c’est ce que veulent les Africains. Ce qui est probablement vrai, dans une certaine mesure. Dans la mesure où après des siècles de colonialisme, il est attendu que les colonisés aient les aspirations qu’on leur a inculquées, qu’ils soient habitués au système colonial. Comme nous le sommes en France. Combien sont ceux qui réalisent que le salariat n’est qu’une forme moderne d’esclavage ? Même chose dans tous les autres États — qui sont le résultat non pas de processus démocratiques et de volontés populaires, mais de l’imposition par la violence de la volonté d’une poignée au plus grand nombre (le produit d’une colonisation plus ou moins récente). Malheureusement, les voix des dernières populations qui ne veulent pas de ce « progrès » et de ce « développement » ne sont guère médiatisées. Qui s’intéresse à la volonté et au sort des Pygmées des forêts d’Afrique centrale, par exemple ?
Qui s’intéresse à ce que nous a dit Ati Quigua, membre du peuple des Arhuacos (qui vit sur le territoire que l’on appelle la Colombie), lors de la 15ème session du Forum permanent de l’ONU sur les questions autochtones, à New-York, en 2016 : « Nous nous battons pour ne pas avoir de routes et d’électricité — cette forme d’autodestruction qui est appelée “développement” c’est précisément ce que nous essayons d’éviter. »
Le continent africain, au contraire de l’Europe, abrite encore des populations qui savent vivre sans la machinerie commerciale internationale. Des populations qui n’ont pas encore été rendues — entièrement — dépendantes ni du système marchand ni des hautes technologies de la civilisation industrielle, qui savent vivre avec leur environnement immédiat, en tirer leur subsistance quotidienne, sans le détruire.
Ceux qui promeuvent le « développement » (« durable » ou pas, « vert » ou pas, c’est exactement le même) sont coupables de promouvoir la catastrophe sociale et écologique que l’on devrait tous être en mesure de constater.
Nicolas Casaux
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P.S. : La même chose se produit un peu partout dans le monde. Et même en Polynésie. Dans un autre article, j’étudie l’exemple édifiant de l’archipel des Tokelau, qui fait partie de la Nouvelle-Zélande. Depuis qu’une centrale solaire y a été installée, ses habitants, qui vivaient encore il n’y a pas si longtemps de manière véritablement soutenable et saine, sont désormais accros à la bière importée, à la télévision, surfent sur internet à l’aide de leurs tablettes, de leurs smartphones ou de leurs ordinateurs portables, se déplacent en voiturettes de golf électriques, etc. — c’est-à-dire qu’ils ne vivent plus du tout de manière ni saine ni soutenable. Comme beaucoup, ils sont passés d’êtres humains à consommateurs. Voici leur histoire :
https://partage-le.com/2016/06/le-desastre-ecologique-renouvelable-des-tokelau/
- https://youtu.be/AdkX0hQDs74 ↑
- http://re.ivoire-blog.com/archive/2015/05/19/definition-du-neo-colonialisme-par-nkrumah-kwame-460409.html ↑
- https://www.cairn.info/revue-afrique-contemporaine-2015–3‑page-153.htm ↑
- https://decoalonise.africa/ ↑
- Voir ici : http://journals.openedition.org/lectures/11782 et là : https://youtu.be/1VOI3xs7b1c ↑
- https://350.org/2016-annual-report/ ↑
- Pour comprendre la nature coloniale du « développement », vous pouvez lire cet excellent article de Joaquin Sabat publié sur le journal du Mauss, intitulé « Le développement est-il colonial ? » : http://www.journaldumauss.net/?Le-developpement-est-il-colonial, un article excellent mais trop timide ; il n’ose pas répondre franchement à la question alors qu’il démontre pourtant l’évidence de la réponse : le développement est évidemment colonial, au même titre que la « mission civilisatrice », et de ses autres appellations. ↑
- Voir les nombreux articles en français publiés sur ce sujet par le World Rainforest Movement, le Mouvement mondial pour les forêts tropicales (une ONG internationale mais qui n’est pas financée par les super-riches), dont celui-ci, par exemple, intitulé « Des femmes africaines exigent que les entreprises de palmier à huile leur rendent leurs terres et que cesse la violence » : https://wrm.org.uy/fr/actions-et-campagnes/signer-le-petition-des-femmes-africaines-exigent-que-les-entreprises-de-palmier-a-huile-leur-rendent-leurs-terres-et-que-cesse-la-violence/ ↑
- Pour plus de détails sur ce sujet, voir cet article intitulé : « L’électrification ou l’expansion de la société industrielle de consommation : l’exemple de l’Afrique » : https://partage-le.com/2016/12/de-la-bible-a-lelectricite-loccidentalisation-du-monde-lexemple-de-lafrique/ ↑
- https://partage-le.com/2016/12/de-la-bible-a-lelectricite-loccidentalisation-du-monde-lexemple-de-lafrique/ ↑
- https://www.monde-diplomatique.fr/2018/02/BERNIER/58354 ↑
- Voir cet excellent article de Derrick Jensen intitulé « Le développement durable est un mensonge » : https://partage-le.com/2015/12/le-developpement-durable-est-un-mensonge-par-derrick-jensen/ ↑
Le progrès et le développement sont des armes à destruction massive.
J’aimerais croire aux énergies renouvelables. J’aimerais envoyer chaque mois quelques sous pour des organisations comme 350.org. et me sentir utile. J’aimerais me réjouir de l’Afrique « développée », d’être l’otage de l’industrie éolienne qui a commencé de coloniser mon village. J’aimerais me sentir libre au volant de ma voiture électrique pour aller chercher mon lait au super marché en faisant signe aux propriétaires des vaches qui broutent autour de chez moi. Je voudrais adorer passer ma vie entre mon travail sous surveillance vidéo et mes loisirs dans des salles de sport climatisées label eco+++. Je voudrais me réjouir de mourir dans ces maisons spécialisées après avoir sagement servi ce système qui aura dicté ma vie, corrompu mes enfants, anéantis mon environnement, bouffé mon temps en échange de sa reconnaissance d’avoir laisser faire pour ne pas avoir d’histoire, d’être la conne qu’il m’a demandé d’être, d’avoir renoncé à ma vie pour que perdure l’injustice, le profit, la domination. Te lire Nicolas me redonne ce courage qui parfois vient à manquer : dans ma région nous ne sommes pas nombreux à sentir la corde serrée autour de notre cou par toutes ces fausses solutions, type énergies renouvelables, auxquelles s’accrochent nos voisins, nos amis même parfois, repartis de plus belle derrière ces illusions avec le sentiment de faire la révolution verte… Ce ne sera pas facile de les arrêter, ils sont tellement sûrs d’être en guerre contre le système ! Le greenwashing a eu raison de leur cerveau aussi.
Très beau commentaire.
Ça fait plaisir de voir que je ne suis pas seul à ressentir l’aliénation constante de cet culture mortifère.
Merci pour ça.
Simplement.
Salut, manifestement ton raisonnement sur le sujet est beaucoup trop partiel. C’est un sujet qu’on a étudié en long en large et en travers. Pour comprendre pourquoi je te dis ça, je te conseille de lire ces quelques articles :
1. https://partage-le.com/2017/07/letrange-logique-derriere-la-quete-denergies-renouvelables-par-nicolas-casaux/
2. https://partage-le.com/2017/08/ce-nest-pas-seulement-la-production-delectricite-qui-pose-probleme-cest-son-utilisation-et-tout-le-reste/
3. https://partage-le.com/2017/02/lecologie-du-spectacle-et-ses-illusions-vertes/
Et plus généralement de fouiller par ici si ça te ne suffit pas :
https://partage-le.com/category/environnement-ecologie/energie/
Au contraire de Nicolas je trouve ton bref exposé pertinent, et sa conclusion d’autant plus.
Il y aurait certainement des solutions à tenter, non pas dans une vraie démocratie mais dans la liberté. Solutions qui cependant ne serviraient à rien puisqu’une bonne partie de l’humanité pourrie jusqu’à l’os les saboteraient par leur immobilisme.
Comme l’écrit Dauriannes, ça fait du bien de lire certaines proses. Et j’ajoute, une fois de plus cher Nicolas : mais ça ne sert à rien d’autre — sauf peut-être à mieux préparer le lecteur au choc.
Il est difficile de répondre de manière brève à l’ensemble de ce post, d’autant qu’il alterne analyse & juxtaposition de faits (ce qui ne vaut ni démonstration ni argumentation).
Je ne répondrai pas ici sur la question des financements de 350, me contentant de souligner que :
– il est totalement grotesque, pour ne pas dire diffamatoire, de laisser entendre que 350 serait l’allié de Total ou d’Engie
– les fondations basées aux Etats-Unis ne sont pas liées aux entreprises dont elles portent le nom – les liens entre la Fondation Ford (dont l’histoire est par ailleurs aussi complexe que problématique) et l’entreprise Ford n’ont rien à voir avec les liens qui existent entre Total et la Fondation Total.
– La seule chose que dit le fait que 350 soit financé par des fondations privées, c’est que 350 n’est pas une organisation qui se revendique comme anti-capitaliste – ce qui n’est nullement une surprise, 350 ne prétend le contraire nulle part.
Quelques précisions ensuite : 350.org ne fait pas campagne pour n’importe quel type de renouvelable, mais pour susbsituer aux fossiles des renouvelables contrôlés par la « communauté » (au sens anglo-saxon). Il n’est donc nullement question d’un soutien aux mégas projets solaires ou éoliens que des entreprises comme Total peuvent soutenir / dans lesquels ils peuvent investir. Nous ne disons par ailleurs nulle part que nous souhaitons maintenir (et encore moins faire croître) la consommation énergétique, ou que notre ambition serait d’amener téléviseur, congélateur, tablette, imprimante 3D ou que sais-je encore dans chaque maison, partout dans le monde. Nous faisons cependant le choix de nous centrer sur les politiques de l’offre, considérant que c’est à un levier de changement essentiel Y COMPRIS de la demande.
Nous ne sommes par ailleurs pas des soutiens béats des renouvelables, qui seraient vertueuses en tant que telles. À titre personnel, je mentionne aussi souvent que je peux le fait qu’un futur 100% renouvelable pourrait parfaitement être totalement dystopique, et réduire la société à un agrégat d’invididus, sans droits collectifs – après tout, c’est ce futur que Tesla, Amazon, Apple ou encore Google nous préparent.
Je pense en revanche que remettre en cause un mode d’approvisionnement en énergie n’est pas qu’une simple question technique & que sortir de l’ère des combustibles fossiles ouvre donc la voix à des bouleversements bien plus profonds que la simple question de savoir si notre électricité est d’origine fossile, nucléaire, renouvelable industrielle ou renouvelable communutaire. Et je pense qu’il n’est pas aberrant de faire le choix de construire le changement par une approche de « campagnes » (autour d’un objectif précis, limité, et « atteignable ») plutôt qu’autour de grands signifiants parfois vides ou de revendications trop générales (quand bien même elles sont justes).
J’ai toutefois l’impression que le désaccord principale (ou du moins, me semble-t-il, le plus intéressant à creuser) tourne autour de la question de l’effondrement – c’est d’ailleurs le point de départ de la (très) vive critique qui m’est adressée.
Je ne pense personnellement pas que l’effondrement soit un cadre d’analyse pertinent pour penser des stratégies et construire des mobilisations collectives, pour au moins deux raisons : la question du temps & celle de l’espace.
Le temps : je suis assez mal à l’aise avec l’idée d’effondrement comme quelque chose « à venir » : si la notion doit avoir un sens, alors il faut reconnaître qu’il est déjà en cours (ou qu’il est déjà advenu) dans de nombreux endroits du monde (à commencer par la colonisation « des amériques », qui a provoqué la mort de plus de 90% de la population autochtone). Plus récemement, l’épidémie du Sida a représenté, me semble-t-il, un effondrement – face auquel les malades ont réagi et inventé des manières de s’organiser collectivement – non pas pour « vivre après l’effondrement » mais le juguler et faire en sorte qu’il ne soit plus l’unique horizon possible.
L’espace : l’intérêt de la notion d’effondrement est sans aucun doute sa capacité à nous aider à articuler ensemble des situations très diverses, à englober des histoires et des réalités très différentes, dans un récit commun. Mais ce faisant, elle ne nous aide pas à penser les situations particulière – or ce sont ces situations particulières qui nous permettent, le plus souvent, d’agir et de penser des formes efficaces de résistance.
J’ai dit une partie de cela dans l’émission – mais il me semble que le problème de l’effondrement, au fond, c’est que pour beaucoup, il fonctionne comme un système auto-référencé : il n’y a pas de désaccord possible. Quand on exprime des réserves quant à sa pertinence, on se voit rétorquer qu’on est encore dans le déni (la fameuse première phase du deuil) ou, comme c’est le cas ici, qu’on est en fait un agent infiltré des multinationales qui pillent la planète.
Il y aurait pourtant énormément de choses à tirer d’une discussion de fond sur ces désaccords, plutôt qu’à les rejetter purement et simplement.
À mon sens, la notion d’effondrement remplit un vide : le fait que nous n’avons pas de cadre d’analyse nous permettant de penser comment organiser et avancer suffisamment vite dans toutes les sorties que nous devons prendre : sortie des fossiles, sortie des fissiles, des pesticides, de l’extractivisme, de l’emprise de la finance sur nos vies, etc.
Mais je ne crois pas que l’effondrement remplisse ce vide de manière opérante. Et je crois que ce post de blog en est une preuve supplémentaire : si des désaccords (importants & fondamentaux) débouchent sur la conclusion que l’une des parties (350 et moi, en l’occurrence) sont des idiots utiles du pillage du monde et de l’Afrique en particulier, alors c’est que le raisonnement qui sous-tend cette conclusion se place à un niveau de généralité et d’abstraction bien trop élevé.
Bon, essayons d’organiser.
1. 350, Total et Engie travaillent à développer les énergies dites « renouvelables ». Il me semble que cela les range déjà dans une catégorie commune. Cela constitue un point commun.
2. Les fondations qui financent 350 reçoivent bien souvent de l’argent des magnats des entreprises dont elles portent le nom et d’autres magnats de différentes industries, plusieurs exemples sont donnés (de Buffett à Soros en passant par les Rockefeller : leur argent vous finance).
3. Les « renouvelables contrôlés par la « communauté » » ne diffèrent pas vraiment des autres. Un panneau solaire fabriqué en Chine et vendu en masse à une entreprise ou acheté à l’unité par une « communauté », v’la la différence. L’uberisation du déploiement des renouvelables c’est ça l’idée ? On sait que le désastre de l’industrie des renouvelables relève, d’une part, de leur fabrication qui relève comme bien d’autres de l’extractivisme (cf. le livre de Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares). Comme toutes les productions de masse, la production de masse de panneaux solaires et d’éoliennes, c’est un désastre. Mais c’est loin d’être le seul problème lié au déploiement des technologies dites « renouvelables ». Par exemple, que vous le vouliez ou non, que vous vouliez ou non « amener téléviseur, congélateur, tablette, imprimante 3D ou que sais-je encore dans chaque maison, partout dans le monde », c’est précisément ce à quoi servent les renouvelables. Très concrètement, c’est ce qui se passe, votre numéro 1, Bill McKibben en parle ici : https://www.newyorker.com/magazine/2017/06/26/the-race-to-solar-power-africa
Parce que le problème fondamental, que tu me sembles esquiver en parlant de l’effondrement, même si c’était un point intéressant, puisque 350 est à des années-lumières de considérer les implications des analyses mises en avant par la collapsologie (cela dit, je te l’accorde, l’effondrement, c’est du flan, une idée vague qui ne sert pas à grand-chose finalement, et puis le véritable effondrement c’est celui du monde naturel et des populations indigènes, c’est l’écocide et l’ethnocide), c’est que le déploiement des renouvelables en Afrique sert le « développement » (ce projet colonialiste), l’industrialisme, l’ouverture de nouveaux marchés pour les industries et les industriels. On le voit partout (dans les nombreux liens que j’ai mis qui renvoient vers la série d’articles du Monde Afrique, par exemple, dans l’article de Bill McKibben ci-avant, mais une simple recherche google avec en mots-clés « Afrique, solaire » ou « Africa, solar », ou « Africa, renewables », ce genre de choses, te donnera des tas d’autres exemples).
4. La com’ de 350.org, les objectifs affichés, parlent toujours de parvenir au 100% renouvelables. En tant qu’ONG, vous êtes précisément des « des soutiens béats des renouvelables » (si je me trompe, montre-moi en quoi ce n’est pas le cas). Que tu émettes personnellement des réserves, okay, c’est un autre sujet. En tant qu’ONG, vous êtes précisément « des idiots utiles du pillage du monde et de l’Afrique », mais vous n’êtes pas les seuls, beaucoup de grosses ONG servent à cela, l’ONG-isation de la résistance et le colonialisme soft (soft power) que constituent les ONG sont étudiés et très justement dénoncés par plusieurs figures des luttes sociales (d’Arundhati Roy à David Harvey).
Sur le point 1 : comment peut-on sérieusement écrire que « Total travaille à développer les énergies dites renouvelables » et affirmer que 350.org appartient à la même catégorie ?
*Chiffre d’affaires Total en 2015*
165 357 millions USD
*Investissements organiques amont (extraction de pétrole et gaz)en 2015*
20 508 millions USD
*R&D en 2015*
1 068 millions USD
*R&D annuelle 2015–2019 consacrée aux cleantech*
370 millions USD
165 000 millions de chiffre d’affaire annuel, à peine plus de 100 millions investis annuellement dans les « cleantech » (qui ne recouvrent par ailleurs pas que les renouvelables) = Total ne travaille pas à développer les énergies renouvelables. Total travaille à piller, à creuser, à forer jusqu’à la dernière goutte tous les gisements d’hydrocarbures possibles.
Je veux bien qu’on ait un désaccord sur la question du développement et de la civilisation (et encore, il faudrait discuter à un niveau d’abstraction moins élevé pour vraiment comprendre où se situe le désaccord), mais de là à affirmer des choses aussi en décalage avec les faits…
2/ Je n’ai jamais écrit le contraire. J’ai simplement dit que les fondations US n’étaient pas stratégiquement liées aux entreprises dont elles portent le nom.
3 & 4/ C’est sans doute là le désaccord de fond : je ne pense personnellement pas que le type de renouvelable soit indifférent (et répondre « uberisation » quand on parle « contrôlé par la communauté » = il y a à l’évidence un gros malentendu — ou il faudrait qu’on m’explique en quoi Uber est contrôlé par la « communauté ») & je ne pense pas que trouver des manières de produire de l’électricité à petite échelle, dans des schémas contrôlés par les consommateurs de la dite électricité, soit équivalent à un pillage ou au développement comme étape ultime du processus colonial.
Et je continue à avoir franchement du mal à comprendre comment on peut sérieusement considérer qu’il n’y a aucune différence fondamentale entre les énergies fossiles et des projets renouvelables, a fortiori de petite taille.
(au passage, merci d’avoir mis de l’ordre dans mes premiers commentaires mal positionnés et illisibles)
1. Peu importe la différence de magnitude et les différences liés au fait que Total opère dans bien des domaines, l’idée était simplement que Total participe (peu importe à quel point, ou avec quelle proportion de son budget) au déploiement des EnR. EnR dont 350 fait la promotion. Oui ou non ?
2. 3. 4. Tu éludes la question de savoir à quoi servent les EnR (et celle de leur production). A te lire on croirait que 350 encourage exclusivement l’auto-construction de petites éoliennes Pigott. Ce n’est pas du tout ça, je ne sais pas si c’est de la mauvaise foi (mais en même temps je n’attends pas grand-chose de cette discussion c’est ton employeur), mais 350 encourage à fond le développement du solaire et des EnR en Afrique (entre autres), c’est ouvertement ce que déclare McKibben, par exemple dans ses campagnes avec 350 Ghana, « l’Afrique pourrait devenir un leader des énergies renouvelables ». Pas du tout des éoliennes Pigott et des panneaux solaires construits en récup. En France aussi on a des « coopératives d’énergies citoyennes » qui font dans la « gouvernance citoyenne », ça ne change pas beaucoup la nature des technologies utilisées, l’énergie produite sert toujours à alimenter un appareillage industriel tout sauf écologique, etc. En Afrique (et ailleurs), c’est un fait que le développement des renouvelables sert à la propagation du capitalisme, l’ouverture de marchés, des gens qui se mettent à acheter toutes les merdes du système industriel mondialisé (les kits de petits panneaux solaires en Afrique servent à ce que les gens s’achètent télévision, téléphone, etc.). Peut-être que tu comprendrais mieux notre point de vue (pas forcément facile à comprendre pour un non-initié de manière immédiate) en lisant ça, sait-on jamais : https://partage-le.com/2016/06/le-desastre-ecologique-renouvelable-des-tokelau/
D’autre part le colonialisme en Afrique correspond au « développement », l’Afrique a été « développée » par les colonisateurs, c’est ainsi qu’ils le concevaient et l’énonçaient. Le développement en ce sens ça renvoie à l’idéologie décrite et dénoncée par exemple par Gilbert Rist. Le développement c’est l’industrialisation, la modernisation, la mondialisation, etc. Un processus dont on sait (ou on devrait savoir) aujourd’hui que c’est une catastrophe tant sociale qu’écologique.
Au-delà de tout ça, je me demande si tu réalises que le développement des renouvelables sert globalement à deux choses : 1. à fournir du jus à une civilisation industrielle qui est de centaines de manières différentes une calamité écologique et sociale (même en version soi-disant « durable », « verte », etc.), et 2. à permettre de l’étendre encore davantage sur le globe. Où est-ce que ta vision c’est on va fournir de la lumière aux Africains ?
Pour le dire autrement, remplacer la source de l’alimentation en énergie de la civilisation industrielle par les EnR (qui sont faussement « renouvelables », « vertes », etc.) ne changera rien à sa nocivité, même si les EnR étaient parfaitement et magiquement 100% non-dommageables pour le monde naturel, ça ne changerait globalement pas les problèmes auxquels nous faisons face (ça les ferait d’ailleurs pt’et rapidement empirer, cf. le paradoxe de Jevons).
Et apporter le progrès ou la modernité sous la forme de l’électricité aux endroits où des populations savaient encore vivre indépendamment de la mégamachine, pour croire que c’est une bonne chose il faut être ignorant, ou très naïf, ou plein de mauvaise foi, ou les trois ou un peu des trois j’imagine.
Pour le dire encore autrement, l’idée n’est pas qu’il n’y a « aucune différence fondamentale entre les énergies fossiles et des projets renouvelables », mais que les deux sont nuisibles et participent de la même chose en fin de compte : la civilisation industrielle, son alimentation énergie et/ou son expansion géographique.