Le texte qui suit est une traÂducÂtion d’un extrait du chaÂpitre « Abuse » [abus ou malÂtraiÂtance, en franÂçais] du livre « EndÂgame Volume 1 » (2009) écrit par DerÂrick JenÂsen.
Nous allons les comÂbattre et leur impoÂser notre volonÂté et nous les capÂtuÂreÂrons ou… les tueÂrons jusÂqu’à ce que nous ayons impoÂsé la loi et l’ordre dans ce pays. Nous domiÂnons la scène et nous contiÂnueÂrons d’imÂpoÂser notre volonÂté à ce pays.
Paul BreÂmer, U.S. AdmiÂnisÂtraÂteur of occuÂpied Iraq
Quelque chose de très déplaiÂsant est en train de se dérouÂler en Irak. Pas plus tard que cette semaine, le comÂmanÂdant d’une comÂpaÂgnie de la preÂmière diviÂsion d’inÂfanÂteÂrie améÂriÂcaine dans le Nord du pays a admis que, dans le but d’obÂteÂnir des inforÂmaÂtions sur les guéÂrillas qui tuent les troupes améÂriÂcaines, il était nécesÂsaire « d’insÂtilÂler la peur » chez les vilÂlaÂgeois locaux. Un traÂducÂteur iraÂkien traÂvaillant pour les AméÂriÂcains avait kidÂnapÂpé une grand-mère afin que ses filles et ses petites filles soient assez terÂriÂfiées pour penÂser qu’elle avait été arrêÂtée.
Le comÂmanÂdant d’un bataillon de la même zone l’exÂplique d’une manière encore plus simple : « Avec une bonne dose de peur et de vioÂlence, et beauÂcoup d’argent pour des proÂjets, je pense que nous pouÂvons convaincre ces gens que nous sommes là pour les aider. » Il s’exprimait depuis un vilÂlage que ses hommes avaient encerÂclé de fil barÂbeÂlé, avec un panÂneau annonÂçant : « Cette barÂrière est ici pour votre sécuÂriÂté. N’apÂproÂchez pas et n’esÂsayez pas de traÂverÂser, ou vous serez pris pour cible. »
Robert Fisk
L’autre jour, Dear Abby [nom de plume de l’auteure d’une rubrique de conseils dans un jourÂnal améÂriÂcain, NdT] a lisÂté les signes devant alarÂmer de potenÂtiels conjoints abuÂsifs, en écriÂvant (en majusÂcule, rien de moins), « SI VOTRE PARTENAIRE MONTRE CES SIGNES, IL EST TEMPS DE DÉCAMPER ». J’ai suiÂvi sa citaÂtion jusÂqu’au ProÂjet pour les VicÂtimes des VioÂlences FamiÂliales, et ce que j’ai vu m’a intriÂgué. ParÂtiÂcuÂlièÂreÂment la derÂnière phrase de l’inÂtroÂducÂtion du ProÂjet : « Au début, l’aÂbuÂseur tente d’exÂpliÂquer son attiÂtude comme une preuve d’aÂmour et d’imÂpliÂcaÂtion, ce qui, de prime abord, peut être flatÂteur pour la femme. Au fur et à mesure, son comÂporÂteÂment devient plus sévère, afin de domiÂner la femme. » Cela m’a rapÂpeÂlé ce qu’éÂcriÂvait Robert Jay LifÂton dans son extraÂorÂdiÂnaire ouvrage The Nazi DocÂtors [Les MédeÂcins nazis], à proÂpos du fait qu’aÂvant de comÂmettre n’imÂporte quelle atroÂciÂté de masse, vous devez vous convaincre que ce que vous faites n’est pas domÂmaÂgeable mais au contraire bénéÂfique, à l’instar, par exemple, des Nazis, qui, dans leur esprit, ne comÂmetÂtaient pas de génoÂcide ou de meurtres en masse mais puriÂfiaient la « race Aryenne ».
On peut, bien sûr, constaÂter la même chose au quoÂtiÂdien, puisque nous, les civiÂliÂsés, ne réduiÂsons pas les pauvres en esclaÂvage mais les civiÂliÂsons, et ne détruiÂsons pas le monde natuÂrel mais déveÂlopÂpons les resÂsources natuÂrelles. Et voiÂci ce que j’ai penÂsé à un niveau plus perÂsonÂnel : à quel point il est rare pour quelqu’un d’agir de telle ou telle manière parce qu’il ou elle est un‑e abruti‑e. Je sais qu’à chaque fois que j’ai fait du mal à des gens, j’aÂvais au préaÂlable entièÂreÂment ratioÂnaÂliÂsé mes actions, et que je croyais généÂraÂleÂment à mes ratioÂnaÂliÂsaÂtions. C’est une des choses magniÂfiques avec le déni : par défiÂniÂtion, on ne sait pas que l’on est dedans. A dire vrai, mes transÂgresÂsions ont franÂcheÂment été pluÂtôt mineures — quelques senÂtiÂments froisÂsés çà et là — mais je me suis interÂroÂgé sur quelque chose ayant eu, depuis mon enfance, de bien plus lourdes conséÂquences : est-ce que mon père croyait les menÂsonges qu’il nous disait sur sa propre vioÂlence ? Croyait-il vraiÂment que s’il batÂtait mon frère, c’éÂtait parce qu’il avait mal garé la voiÂture ? Ou, encore plus sérieuÂseÂment, arriÂvait-il à se convaincre lui-même lorsÂqu’il niait en bloc toute cette vioÂlence le lenÂdeÂmain ? De la même façon, ceux au pouÂvoir croient-ils leurs propres menÂsonges ? Au fond de leurs cÅ“urs (en admetÂtant qu’ils en aient encore un), les scienÂtiÂfiques de la FonÂdaÂtion NatioÂnale des Sciences croient-ils vraiÂment qu’il n’y a aucune connexion entre des exploÂsions soniques plus puisÂsantes qu’une exploÂsion nucléaire et la mort des baleines aux alenÂtours ? Les biosÂtiÂtués de l’AÂcaÂdéÂmie NatioÂnale des Sciences pensent-ils réelÂleÂment qu’il n’y a aucune connexion entre le manque d’eau dans la rivière KlaÂmath et la mort des sauÂmons ? Y a‑t-il quelÂqu’un qui croit vraiÂment que la civiÂliÂsaÂtion indusÂtrielle n’est pas en train de tuer la plaÂnète ?
RetourÂnons à la liste. J’ai réduit de manière conséÂquente (et dans cerÂtains cas modiÂfié) le comÂmenÂtaire du ProÂjet, et, bien que parÂfois des femmes battent des hommes (ce qui est proÂbable dans cette culture — où nous sommes tous plus ou moins fous — des femmes comÂmettent ausÂsi leur part d’aÂbus émoÂtionÂnel), la vioÂlence phyÂsique est sufÂfiÂsamÂment le fait d’hommes contre des femmes pour que j’utilise le proÂnom masÂcuÂlin pour désiÂgner les abuÂseurs. NéanÂmoins, si votre parÂteÂnaire est une femme et qu’elle corÂresÂpond à la desÂcripÂtion, il serait égaÂleÂment sage pour vous de suivre le conseil en majusÂcule de Dear Abby.
La liste comÂmence avec la jalouÂsie : bien que l’aÂbuÂseur dise que la jalouÂsie est une preuve d’aÂmour, c’est en réaÂliÂté une preuve d’inÂséÂcuÂriÂté et de posÂsesÂsion. Il vous demanÂdeÂra à qui vous parÂlez, vous accuÂseÂra de flirÂter, sera jaloux du temps pasÂsé avec votre famille, vos amis ou vos enfants. Il pourÂra vous appeÂler à tout moment ou vous rendre visite sans préÂveÂnir, vous empêÂcher d’alÂler au traÂvail parce que « vous pourÂriez renÂconÂtrer quelÂqu’un », ou vériÂfier le kiloÂméÂtrage de votre voiÂture.
Ceci nous amène au second signe, le besoin de contrôle : au début, l’aÂbuÂseur dira qu’il s’inÂquiète de votre sécuÂriÂté, de ce que vous utiÂliÂsiez bien votre temps ou preÂniez les bonnes déciÂsions. Il sera en colère si vous reveÂnez « tard » des courses ou d’un renÂdez-vous, vous interÂroÂgeÂra en détail sur l’enÂdroit où vous étiez, et vouÂdra savoir à qui vous avez parÂlé. Enfin, il pourÂra vous empêÂcher de prendre des déciÂsions perÂsonÂnelles concerÂnant votre maiÂson ou votre tenue vesÂtiÂmenÂtaire ; il pourÂra garÂder votre argent ou même vous contraindre à demanÂder la perÂmisÂsion de quitÂter la pièce ou la maiÂson.
La troiÂsième caracÂtéÂrisÂtique est l’enÂgaÂgeÂment rapide. Il y va fort — « je ne me suis jamais senÂti tant aimé par qui que ce soit » — et insiste pour que vous vous engaÂgiez de manière excluÂsive presque imméÂdiaÂteÂment.
Cette presÂsion relève de la quaÂtrième caracÂtéÂrisÂtique : il a désesÂpéÂréÂment besoin de quelÂqu’un car il est très dépenÂdant, et très vite il dépend de vous pour tous ses besoins, attenÂdant de vous que vous soyez la femme, la mère, l’aÂmante et l’aÂmie parÂfaites. Dès lors, il proÂjette sa dépenÂdance sur vous dans le but d’augÂmenÂter son contrôle, déclaÂrant « Si tu m’aimes, je suis tout ce dont tu as besoin ; tu es tout ce dont j’ai besoin. » Vous êtes cenÂsée prendre soin de tout pour lui, sur le plan émoÂtionÂnel et à la maiÂson.
A cause de sa dépenÂdance, il essaieÂra de vous isoÂler de toutes resÂsources. Si vous avez des amis hommes, vous êtes une « salope ». Si vous avez des amies femmes, vous êtes une lesÂbienne. Si vous êtes proche de votre famille, vous êtes « touÂjours dans les jupes de votre mère ». Il accuÂseÂra les gens qui vous souÂtiennent de « créer des proÂblèmes ». Il peut émettre le souÂhait de vivre à la camÂpagne sans le téléÂphone, ne pas vous laisÂser utiÂliÂser la voiÂture, et essayer de vous empêÂcher de traÂvailler ou d’alÂler étuÂdier.
La sixième caracÂtéÂrisÂtique est qu’il blâme les autres pour ses proÂblèmes. S’il ne réusÂsit pas dans la vie, quelÂqu’un doit se dévouer pour l’aiÂder. S’il fait une erreur, vous l’aÂvez sans doute agaÂcé, ou l’avez empêÂché de se concenÂtrer. C’est de votre faute si sa vie n’est pas parÂfaite.
Et c’est de votre faute s’il n’est pas heuÂreux. C’est de votre faute s’il est en colère, « Tu m’éÂnerves quand tu ne fais pas ce que je dis ». S’il doit vous faire du mal, là ausÂsi, c’est de votre faute : après tout, vous l’aÂvez renÂdu fou de rage. Et vous ne vouÂlez cerÂtaiÂneÂment pas cela.
Il s’éÂnerve faciÂleÂment. Il est hyperÂsenÂsible. Le moindre revers est une attaque perÂsonÂnelle.
Il est souÂvent cruel, ou tout au moins insenÂsible à la douÂleur et à la soufÂfrance d’aÂniÂmaux non-humains, et ausÂsi des enfants. Il peut les battre parce qu’ils sont incaÂpables de faire ce qu’il veut : par exemple, il pourÂra fouetÂter un enfant de 2 ans pour avoir mouillé sa couche.
Il peut confondre sexe et vioÂlence. Cela peut être sous l’apÂpaÂrence d’un jeu, en vouÂlant réaÂliÂser des fanÂtasmes dans lesÂquelles vous êtes sans défense, ce qui sert le besoin vital de vous faire comÂprendre que le viol l’exÂcite. Ou il pourÂrait simÂpleÂment ne plus se donÂner la peine de faire semÂblant.
Le sympÂtôme annonÂciaÂteur suiÂvant est qu’il peut conceÂvoir et mettre en place des rôles sexuels rigides. Vous êtes cenÂsée resÂter à la maiÂson et le serÂvir. Vous devez lui obéir, en grande parÂtie parce que les femmes sont inféÂrieures, moins intelÂliÂgentes, incaÂpables d’être comÂplètes sans les hommes.
Il peut vous agresÂser verÂbaÂleÂment, en disant des choses cruelles, blesÂsantes, dégraÂdantes. Il peut miniÂmiÂser vos réusÂsites, et tenÂter de vous convaincre que vous ne pourÂriez pas foncÂtionÂner sans lui. L’aÂgresÂsion peut arriÂver par surÂprise, ou lorsque vous êtes vulÂnéÂrable : il peut, par exemple, vous réveiller dans le but de vous agresÂser.
Des chanÂgeÂments d’huÂmeur bruÂtaux doivent ausÂsi vous alarÂmer. Il peut être genÂtil un insÂtant et exploÂser de vioÂlence l’insÂtant suiÂvant, ce qui signiÂfie bien sûr qu’en réaÂliÂté il n’éÂtait pas vraiÂment genÂtil iniÂtiaÂleÂment.
Vous devriez vous méfier s’il a des antéÂcéÂdents en matière de vioÂlence. Il peut reconÂnaître qu’il a déjà frapÂpé des femmes par le pasÂsé, mais affirÂmeÂra qu’elles l’y avaient pousÂsé. D’anÂciennes parÂteÂnaires vous diront peut-être qu’il est violent. Il est cruÂcial de bien noter que la vioÂlence n’est pas contexÂtuelle : s’il a frapÂpé quelÂqu’un d’autre, il peut très bien vous frapÂper ausÂsi, même si vous vous appliÂquez à vous approÂcher de la perÂfecÂtion.
Vous devriez être très pruÂdente s’il vous menace ou se montre violent pour vous contrôÂler. « Je vais te faire ferÂmer ta gueule », ou « je vais te tuer », ou « je vais te péter la nuque ». Un homme violent peut essayer de vous faire croire que tous les hommes menacent leurs parÂteÂnaires, mais ce n’est pas vrai. Il peut égaÂleÂment tenÂter de vous convaincre que vous êtes resÂponÂsable de ses menaces : il ne vous menaÂceÂrait pas si vous ne l’y pousÂsiez pas.
Il peut casÂser ou vous jeter des objets. Il y a deux variantes à cette attiÂtude : l’une est la desÂtrucÂtion d’obÂjets auxÂquels vous tenez dans le but de vous punir. L’autre est de vous jeter vioÂlemÂment des objets pour vous faire peur.
La derÂnière caracÂtéÂrisÂtique de la liste du ProÂjet est l’uÂsage de la force sous toutes ses formes penÂdant une disÂpute : vous mainÂteÂnir au sol, vous contraindre phyÂsiÂqueÂment afin que vous ne quitÂtiez pas la pièce, vous pousÂser, vous forÂcer à l’éÂcouÂter.
J’ai trouÂvé cette liste très intéÂresÂsante en elle-même, et très imporÂtante, étant donÂné la fréÂquence à laquelle les femmes sont vicÂtimes d’aÂgresÂsion (juste dans ce pays, une femme est batÂtue par son parÂteÂnaire toutes les 10 secondes). Mais elle m’est appaÂrue encore plus intéÂresÂsante car il a été insÂtanÂtaÂnéÂment clair pour moi que ces signes alarÂmants corÂresÂpondent à notre culture dans son ensemble. ParÂcouÂrons à nouÂveau cette liste.
La jalouÂsie. Le Dieu de cette culture a touÂjours été jaloux. RéguÂlièÂreÂment, on lit dans la Bible « Moi, l’Éternel, ton Dieu, suis un Dieu jaloux, qui punis l’iÂniÂquiÂté des pères sur les enfants jusÂqu’à la troiÂsième et la quaÂtrième généÂraÂtion de ceux qui me haïssent », ou « Tu n’iÂras point après d’autres dieux, d’entre les dieux des peuples qui sont autour de toi ; car l’Éternel, ton Dieu, s’enÂflamÂmeÂrait contre toi, et il t’exÂterÂmiÂneÂrait de desÂsus la terre. » De nos jours, Dieu est tout ausÂsi jaloux, qu’on le nomme Science, CapiÂtaÂlisme ou CiviÂliÂsaÂtion. La Science est ausÂsi monoÂthéiste que le chrisÂtiaÂnisme, voire même davanÂtage, puisque la Science n’a même pas à expriÂmer sa jalouÂsie : son hégéÂmoÂnie a telÂleÂment été intéÂgrée que beauÂcoup pensent que la seule façon de comÂprendre quoi que ce soit du monde qui nous entoure relève de la science : la Science est la VériÂté. Le capiÂtaÂlisme est telÂleÂment jaloux qu’il ne pouÂvait pas même toléÂrer l’exisÂtence de sa verÂsion soviéÂtique (dans les deux cas, ce sont des écoÂnoÂmies plaÂniÂfiées, subÂvenÂtionÂnées par l’État, les prinÂciÂpales difÂféÂrences étant : a) la fusion sous le sysÂtème soviéÂtique des bureauÂcraÂties de l’État et des corÂpoÂraÂtions en une seule et même bureauÂcraÂtie géante, encore plus inefÂfiÂcace et non renÂtable que le sysÂtème « capiÂtaÂliste » de bureauÂcraÂties sépaÂrées foncÂtionÂnelÂleÂment mais traÂvaillant dans le but comÂmun de la proÂducÂtion, et b) le politÂbuÂro soviéÂtique était domiÂné par difÂféÂrentes facÂtions du parÂti comÂmuÂniste avec plus de 90% des voix allant à ce parÂti, alors que le congrès améÂriÂcain est domiÂné par difÂféÂrentes facÂtions du parÂti capiÂtaÂliste, avec plus de 90% des voix allant à ce parÂti). La civiÂliÂsaÂtion est ausÂsi jalouse que la science et le capiÂtaÂlisme, en ce qu’elle nous empêche sysÂtéÂmaÂtiÂqueÂment de perÂceÂvoir le monde en termes non-utiÂliÂtaires, c’est-à -dire autreÂment qu’en terme d’esÂclaÂvage ou en terme d’adÂdicÂtion, et donc de le perÂceÂvoir en terme relaÂtionÂnel. BeauÂcoup de soi-disant libres penÂseurs aiment à comÂmenÂter le fait que des dizaines de milÂlions de perÂsonnes furent tuées parce qu’elles refuÂsaient de vénéÂrer le dieu d’aÂmour des chréÂtiens — parce qu’au final, dieux est jaloux — mais ils ne font que rareÂment état des cenÂtaines de milÂlions de perÂsonnes (indiÂgènes et autres) qui ont été tuées parce qu’elles refuÂsaient de vénéÂrer le dieu proÂducÂtiÂviste de la civiÂliÂsaÂtion, un dieu tout ausÂsi jaloux que le dieu chréÂtien, un dieu proÂfonÂdéÂment dévoué à la converÂsion du vivant en inerte.
Le contrôle. Je réfléÂchis depuis deux jours à ce que je vais écrire dans ce paraÂgraphe. J’ai penÂsé que je pourÂrais parÂler du sysÂtème scoÂlaire publique, dont la foncÂtion priÂmaire est d’aÂnéanÂtir la volonÂté des enfants — en les faiÂsant s’asÂseoir au même endroit penÂdant des heures, des jours, des semaines, des mois et finaÂleÂment des années, rêvant d’une autre vie — en préÂpaÂraÂtion des leurs vies d’esÂclaves salaÂriés. Ensuite, j’ai penÂsé à la publiÂciÂté, et plus larÂgeÂment à la téléÂviÂsion, et à comÂment tout au long de nos vies nous sommes maniÂpuÂlés à disÂtance par des perÂsonnes qui n’ont pas à cÅ“ur de serÂvir notre meilleur intéÂrêt. J’ai penÂsé à cette citaÂtion de l’éÂcoÂnoÂmiste Paul Baran, « Le vrai proÂblème est… de savoir si oui ou non devrait être toléÂré un ordre écoÂnoÂmique et social dans lequel l’inÂdiÂviÂdu, depuis le berÂceau, est telÂleÂment forÂmaÂté, modeÂlé et ajusÂté dans le but de deveÂnir une proie facile pour l’enÂtreÂprise capiÂtaÂliste avide de proÂfit et un rouage docile de la dégraÂdaÂtion et de l’exÂploiÂtaÂtion capiÂtaÂliste. » Mais j’ai ensuite penÂsé que je ferais peut-être mieux de parÂler des logiÂciels de reconÂnaisÂsance faciale, et de l’imÂplanÂtaÂtion de puces RFID d’aÂbord dans les aniÂmaux de comÂpaÂgnie, puis dans les humains. J’ai penÂsé à ces mots du RapÂport du Conseil ScienÂtiÂfique ConsulÂtaÂtif des Forces Aériennes améÂriÂcaines de 1996 : « Nous pouÂvons imaÂgiÂner le déveÂlopÂpeÂment de sources d’énerÂgie élecÂtroÂmaÂgnéÂtiques dont l’exÂtraÂnt peut être pulÂsé, modeÂlé, et concenÂtré, qui peut s’asÂsoÂcier au corps humain de façon à inhiÂber les mouÂveÂment musÂcuÂlaires volonÂtaires, à contrôÂler les émoÂtions (et donc les actions), à proÂvoÂquer le somÂmeil, à transÂmettre des sugÂgesÂtions, à interÂféÂrer avec les mémoires à court et long terme, et à proÂduire ou supÂpriÂmer le souÂveÂnir d’une expéÂrience vécue. Cela ouvriÂra la porte au déveÂlopÂpeÂment de nouÂvelles comÂpéÂtences qui pourÂront être utiÂliÂsées dans les conflits armés, dans des situaÂtions de prise d’oÂtages par des terÂroÂristes, et à l’enÂtraîÂneÂment. » Bien sûr, il n’y a plus aucune raiÂson de ne faire qu’iÂmaÂgiÂner ce genre d’armes : beauÂcoup sont déjà opéÂraÂtionÂnelles. J’ai penÂsé au RapÂport Joint Vision 2020 et à l’obÂjecÂtif de « domiÂnaÂtion totale ». J’ai penÂsé au soi-disant HomeÂland SecuÂriÂty Act de 2002, voté par le Sénat améÂriÂcain à 90 contre 9, ce qui, même dans la bouche du conserÂvaÂteur William Safire, signiÂfie que « chaque achat que vous ferez avec votre carte de créÂdit, chaque abonÂneÂment pasÂsé pour une revue et chaque ordonÂnance qui vous sera déliÂvrée, chaque site interÂnet visiÂté et chaque e‑mail reçu ou envoyé, chaque diplôme dont vous serez graÂtiÂfié, chaque dépôt banÂcaire, chaque réserÂvaÂtion de voyage et chaque évéÂneÂment auquel vous parÂtiÂciÂpeÂrez — chaÂcune de ces tranÂsacÂtions et comÂmuÂniÂcaÂtions ira dans ce que le DéparÂteÂment de la Défense appelle une « grande base de donÂnée virÂtuelle et cenÂtraÂliÂsée ». AjouÂtez à ce dosÂsier inforÂmaÂtique de votre vie priÂvée de source comÂmerÂciale l’enÂsemble des inforÂmaÂtions que le gouÂverÂneÂment détient sur vous — pasÂseÂport, perÂmis de conduire et enreÂgisÂtreÂment de péages, archives judiÂciaire et mariÂtale, plainte de voiÂsins curieux au F.B.I., les archives papier de votre vie plus les nouÂvelles caméÂras de surÂveillances cachées — et vous obteÂnez le rêve du SuperÂfouiÂneur : une ConnaisÂsance Totale des InforÂmaÂtions de chaque citoyen améÂriÂcain. » J’ai penÂsé à la science, dont le but ultime (et si proche) est la converÂsion du monde natuÂrel sauÂvage et impréÂviÂsible en une chose ordonÂnée, préÂviÂsible et contrôÂlable. En fait, il y a simÂpleÂment trop d’exemples du besoin de contrôle insÂcrit dans les fonÂdeÂments de notre culture pour que je puisse faire un choix. ChoiÂsisÂsez, vous.
La rapiÂdiÂté de l’engagement : je ne sais pas ce qui peut être plus rapide que le temps laisÂsé à tant d’InÂdiens, tanÂdis qu’ils étaient attaÂchés à des pieux, un tas de bois autour des pieds, pour choiÂsir entre la ChréÂtienÂté et la mort. Un indien demanÂda, en guise de réponse : s’il se converÂtisÂsait, irait-il au paraÂdis ? Et dans ce cas, y aurait-il d’autres ChréÂtiens là -haut ? Quand on lui confirÂma que la réponse à ces deux quesÂtions était oui, il déclaÂra qu’il préÂféÂrait mouÂrir brûÂlé.
Autre chose, à proÂpos de rapiÂdiÂté. La civiÂliÂsaÂtion est arriÂvée sur le contiÂnent améÂriÂcain il y a seuleÂment quelques cenÂtaines d’anÂnées. De nomÂbreux endroits, comme celui où je vis, n’ont été atteints par la civiÂliÂsaÂtion que beauÂcoup plus récemÂment. PourÂtant, dans cet interÂvalle de temps extrêÂmeÂment court, cette culture nous a engaÂgé, l’enÂviÂronÂneÂment et nous, sur sa voie techÂnoÂloÂgique, déchiÂqueÂtant le tisÂsu natuÂrel de ce contiÂnent, esclaÂvaÂgeant, terÂroÂriÂsant, et/ou éraÂdiÂquant ses habiÂtants non-humains, et ne laisÂsant à ses résiÂdents humains que le choix de la civiÂliÂsaÂtion ou de la mort. AutreÂment dit, avant l’arÂriÂvée de la civiÂliÂsaÂtion, des humains vivaient sur ce contiÂnent depuis 10 000 ans, proÂbaÂbleÂment davanÂtage, et pouÂvaient boire en toute confiance l’eau des rivières et des torÂrents. En peu de temps, non seuleÂment cette culture a renÂdu toxiques les rivières et les nappes phréaÂtiques, mais ausÂsi le lait materÂnel. C’est un engaÂgeÂment extraÂorÂdiÂnaire et extraÂorÂdiÂnaiÂreÂment rapide envers ce mode de vie (ou mode de non-vie) techÂnoÂloÂgiÂsé. VoiÂci encore une autre façon de le dire : de nos jours, la déciÂsion d’emprisonner ou de tuer une rivière en y construiÂsant un barÂrage est généÂraÂleÂment prise en quelques années, le temps d’écrire un rapÂport d’imÂpact enviÂronÂneÂmenÂtal et de réunir les fonds nécesÂsaires. Le proÂcesÂsus peut s’éÂtendre sur une dizaine ou une vingÂtaine d’anÂnées au plus. Mais une telle déciÂsion, si elle doit vraiÂment être prise, ne devrait être mise en Å“uvre qu’aÂprès des généÂraÂtions d’obÂserÂvaÂtion : comÂment diable pouÂvez-vous savoir ce qui est le mieux pour n’imÂporte quel lieu sans interÂagir assez longÂtemps avec pour apprendre son rythme ?
[…] Si nous n’éÂtions pas ausÂsi agresÂsifs envers le terÂriÂtoire, envers autrui, et envers nous-mêmes, nous nous arrêÂteÂrions un insÂtant, et nous verÂrions alors ce que la terre est prête à donÂner volonÂtaiÂreÂment, ce qu’elle veut que nous ayons, ce qu’elle attend de nous, et ce dont elle a besoin. Il s’aÂgit là de prinÂcipes éléÂmenÂtaires pour l’éÂlaÂboÂraÂtion de relaÂtions saines, et non abuÂsives.
Mais nous le sommes, alors en un cliÂgneÂment d’œil géoÂloÂgique, nous avons entraîÂné ce contiÂnent (et le monde entier) dans une relaÂtion abuÂsive. La bonne nouÂvelle, c’est que la plaÂnète semble avoir entaÂmé un proÂcesÂsus visant à mettre fin à cette relaÂtion.
La dépenÂdance. L’un des avanÂtages de ne pas avoir à imporÂter de resÂsources est que l’on ne dépend ni des proÂpriéÂtaires des resÂsources ni de la vioÂlence nécesÂsaire à l’aÂnéanÂtisÂseÂment de ces proÂpriéÂtaires et à l’accaparement ce qu’ils détiennent. L’un des avanÂtages de ne pas avoir d’esÂclaves est que l’on ne dépend d’eux ni en matière de « confort et rafÂfiÂneÂment » ni pour les nécesÂsiÂtés de base. Là où nous en sommes renÂdus, nous sommes deveÂnus dépenÂdants du pétrole, des barÂrages, de ce mode de vie d’exÂploiÂtaÂtion (ou, une fois de plus, de « non-vie »). Sans tout cela, nombre d’entre nous mourÂraient, et la quaÂsi-totaÂliÂté d’entre nous perÂdraient leurs idenÂtiÂtés.
ÉviÂdemÂment, tout le monde est dépenÂdant. Une des grandes vaniÂtés de ce mode de vie est de préÂtendre que nous sommes indéÂpenÂdants du terÂriÂtoire, et de nos corps : que des cours d’eau non-polÂlués (ou du lait materÂnel non-polÂlué), ou des forêts intactes sont un luxe. Nous préÂtenÂdons pouÂvoir détruire le monde et y vivre. PouÂvoir empoiÂsonÂner nos corps et vivre à l’inÂtéÂrieur. C’est insenÂsé. Les ToloÂwas étaient dépenÂdants des sauÂmons, des airelles, des daims, des palourdes, et de tout ce qui les entouÂrait. Mais ces éléÂments ausÂsi étaient dépenÂdants des ToloÂwas, et les uns des autres, comme c’est le cas dans n’imÂporte quelle relaÂtion durable.
J’ai pasÂsé pluÂsieurs jours à essayer de comÂprendre les difÂféÂrences entre ces difÂféÂrentes formes de dépenÂdance : d’un côté la dépenÂdance paraÂsiÂtaire entre le maître et l’esclave, entre le droÂgué et son addicÂtion, et de l’autre la dépenÂdance concrète sur laquelle toute vie est basée. Bien sûr, dans cerÂtains cas, la difÂféÂrence est éviÂdente : la dépenÂdance n’est pas réciÂproque. Le monde natuÂrel ne tire rien du fait que l’on le réduise en esclaÂvage, ou du moins rien qui ne l’aide (le CO2 ne compte pas). Bien que les esclaves des biens matéÂriels soient en généÂral nourÂris, habillés et logés, les chances sont bonnes pour qu’ils puissent obteÂnir cela sans litÂtéÂraÂleÂment perdre leurs vies en esclaÂvage. Mais dans d’autres cas les difÂféÂrences sont plus subÂtiles. Mes étuÂdiants à la priÂson gagnaient cerÂtaiÂneÂment quelque chose en se droÂguant, sinon ils ne l’auÂraient pas fait volonÂtaiÂreÂment. Les perÂsonnes qui vivent des relaÂtions abuÂsives y gagnent cerÂtaiÂneÂment quelque chose — ou tout au moins imaÂginent qu’elles y gagnent quelque chose — sinon elles s’en iraient. Mais de quoi s’aÂgit-il ? Les milieux d’oÂriÂgine de nombre de mes étuÂdiants ne sont pas exacÂteÂment remÂplis d’aÂmour mais pluÂtôt du genre de vioÂlence extrême qui ferait pasÂser mon père pour un chaÂton. NomÂbreux sont ceux qui ont égaÂleÂment été éleÂvés dans des condiÂtions d’opÂpresÂsion raciale ou de classe. Pour eux, ces drogues neuÂtraÂlisent peut-être, comme ils le disent, une réaÂliÂté oppresÂsante. Mais cela va plus loin : je sais que beauÂcoup de peuples indiÂgènes autour du globe usent de manière rituelle (et pour la pluÂpart très rareÂment) de praÂtiques ou de subÂstances psyÂchoÂtropes dans le but d’augÂmenÂter leur clairÂvoyance. Quelle est la relaÂtion, s’il elle existe, entre l’uÂsage des drogues fait par mes étuÂdiants et celui des psyÂchoÂtropes chez les peuples indiÂgènes ? Je ne sais pas. Et jusÂqu’iÂci, comme dans toute relaÂtion abuÂsive, je le sais de ma propre expéÂrience, ma mère était convainÂcue (par mon père et par la sociéÂté) qu’elle n’aÂvait pas d’autre option, que de quitÂter la perÂsonne qui la batÂtait lui cauÂseÂrait trop de peine. Cela signiÂfiait perdre ses enfants, et proÂbaÂbleÂment sa vie. En échange de la soufÂfrance phyÂsique et émoÂtionÂnelle enduÂrée, elle pouÂvait vivre dans une belle maiÂson. Mais il y a autre chose.
Tout au long de la semaine, deux mots me sont réguÂlièÂreÂment venus en tête : imiÂtaÂtion toxique.
J’ai touÂjours penÂsé que la civiÂliÂsaÂtion était une culture de paroÂdies. Le viol est une paroÂdie de sexe. Les guerres des civiÂliÂsés sont des paroÂdies de comÂbats indiÂgènes, qui sont des formes de jeu exalÂtantes et relaÂtiÂveÂment non-létales, ce qui signiÂfie que les guerres des civiÂliÂsés sont des paroÂdies de jeu. Les relaÂtions abuÂsives sont des paroÂdies d’aÂmour. Les villes sont des paroÂdies de comÂmuÂnauÂtés, et être citoyen est une paroÂdie du fait d’être un membre d’une comÂmuÂnauÂté qui foncÂtionne. La science — dont les bases sont la préÂdicÂtion et le contrôle extrême — est une paroÂdie du plaiÂsir que l’on a à préÂdire et comÂbler les besoins ou les désiÂrs d’un ami ou d’un voiÂsin (cela m’a sauÂté aux yeux l’autre jour en voyant la joie de mes chiens quand ils ont deviÂné, penÂdant la balade, si j’alÂlais tourÂner à droite ou à gauche, et en senÂtant ma propre joie en deviÂnant la même chose réciÂproÂqueÂment). L’uÂsage récréaÂtif d’éÂtats altéÂrés dans cette culture est une paroÂdie de leur usage traÂdiÂtionÂnel. ChaÂcune de ces paroÂdies revêt l’apÂpaÂrence mais fait fi de l’esÂprit et de l’inÂtenÂtion de ce qui est paroÂdié.
Mais récemÂment, un ami m’a convainÂcu que cela n’éÂtait pas tout à fait exact : la paroÂdie ne fait pas fi de l’inÂtenÂtion, mais la perÂverÂtit et tente de la détruire. Le viol est une imiÂtaÂtion toxique du sexe. La guerre est une imiÂtaÂtion toxique du jeu. Le lien entre maître et esclave est une imiÂtaÂtion toxique du mariage. Pire, le mariage est une imiÂtaÂtion toxique du mariage, un réel parÂteÂnaÂriat dans lequel chaque parÂtie aide les autres à être pleiÂneÂment elles-mêmes.
J’aime cette expresÂsion, imiÂtaÂtion toxique, mais cela ne m’a pas aidé à découÂvrir la relaÂtion entre ces types de dépenÂdance. J’ai demanÂdé à ma mère.
Elle m’a donÂné une réponse en en seul mot : « IdenÂtiÂté ».
« VraiÂment », ai-je dit. Je n’aÂvais aucune idée de ce dont elle me parÂlait.
« Les abuÂseurs n’ont pas d’iÂdenÂtiÂté propre. »
J’alÂlais lui demanÂder ce qu’elle vouÂlait dire, mais je me suis souÂdain souÂveÂnu d’une converÂsaÂtion que j’aÂvais eue il y a des années avec CatheÂrine KelÂler, une phiÂloÂsophe et théoÂloÂgienne fémiÂniste, auteure du livre From A BroÂken Web [D’une toile briÂsée]. Nous avions parÂlé de la vioÂlence qui se comÂmuÂnique de généÂraÂtion en généÂraÂtion, et de l’imÂpact de cette vioÂlence — tant au niveau perÂsonÂnel que social — sur qui nous sommes. Elle m’a parÂlé du fait que toutes les cultures ne sont pas basées sur la domiÂnaÂtion, puis a aborÂdé l’éÂmerÂgence de cette culture et les effets de cette émerÂgence :
« Dans un groupe où les guerÂriers mâles sont mis en avant et dominent la triÂbu ou le vilÂlage, tous ses membres déveÂloppent un ego difÂféÂrent de celui des gens d’aÂvant, un ego qui reflète les défenses que la sociéÂté elle-même confiÂgure… AutreÂment dit, si des perÂsonnes essaient de vous contrôÂler, il sera très difÂfiÂcile pour vous — en parÂtie à cause de la peur — de mainÂteÂnir une ouverÂture vers eux ou vers autrui. Assez souÂvent, la douÂleur que vous avez subie, vous la transÂmetÂtrez aux autres. InexoÂraÂbleÂment, on constate que la source de la douÂleur — la desÂtrucÂtion et l’aÂbus — jaillit d’une blesÂsure antéÂrieure. Nous voiÂlà livrés à nous-mêmes avec une fabrique d’eÂgo incroyaÂbleÂment défenÂsifs qui ont émerÂgé de ce paraÂdigme de la domiÂnaÂtion. Et parce que ceux qui incarnent cette perÂsonÂnaÂliÂté défenÂsive dominent ces sociéÂtés, ce genre d’attitude défenÂsive autoÂdesÂtrucÂtrice et desÂtrucÂtive des comÂmuÂnauÂtés et de l’éÂcoÂloÂgie a tenÂdance à proÂliÂféÂrer comme un canÂcer. »
Je lui ai demanÂdé ce qu’elle entenÂdait par attiÂtude défenÂsive.
Elle a réponÂdu, « Alan Watts a dit que l’une des preÂmières halÂluÂciÂnaÂtions de la culture occiÂdenÂtale — et j’aÂjouÂteÂrais du paraÂdigme de la domiÂnaÂtion — est la croyance en ce que vous êtes est un ego entouÂré de chair. Et comme la chair vous défend des danÂgers du monde phyÂsique, l’ego vous défend des danÂgers du monde psyÂchique. Cela abouÂtit à ce que j’apÂpelle l’eÂgo sépaÂré. L’éÂtyÂmoÂloÂgie du mot sépaÂré est très révéÂlaÂtrice. Il vient de la comÂbiÂnaiÂson du mot « soi » en latin, se, qui signiÂfie « livré à lui-même », et parare, « se préÂpaÂrer ». Pour cette culture, c’est la sépaÂraÂtion qui préÂpare à l’auÂtoÂnoÂmie. »
Cela m’a fait penÂser à ma relaÂtion avec ma mère. Je vis très près d’elle — à 600m de chez elle — et ce sera le cas pour le reste de sa vie. C’est en parÂtie dû à des ennuis de sanÂté que nous avons chaÂcun de notre côté — je souffre du synÂdrome de Crohn, elle a des proÂblèmes de vue — en parÂtie au fait qu’elle est ma famille, et en parÂtie au fait que j’aime sa comÂpaÂgnie. Elle appréÂcie ausÂsi proÂbaÂbleÂment la mienne. Entre mes 20 et mes 30 ans pasÂsés, j’ai essuyé pas mal de criÂtiques de cette situaÂtion par cerÂtains Blancs de ma connaisÂsance — jamais des amis — qui me disaient que je soufÂfrais de ce qu’ils appeÂlaient l’angoisse de sépaÂraÂtion, et que si je vouÂlais granÂdir et deveÂnir pleiÂneÂment moi-même, je devais déméÂnaÂger plus loin. Je n’ai jamais comÂpris cela, parce que j’aÂvais ma propre vie (et elle ausÂsi), parce que cette situaÂtion — à l’éÂpoque nous vivions proÂbaÂbleÂment à 8 km l’un de l’autre — nous conveÂnait à tous deux très bien, tant sur le plan praÂtique qu’éÂmoÂtionÂnel, et parce que je savais que penÂdant la majeure parÂtie de l’exisÂtence de l’huÂmaÂniÂté — excepÂtion faire du siècle derÂnier — il était norÂmal que les vieux vivent près d’un ou pluÂsieurs de leurs enfants. Le chanÂgeÂment a été souÂdain. L’asÂpect signiÂfiÂcaÂtif du fait qu’auÂcun de mes amis indiÂgènes ou du tiers-monde ne consiÂdèrent cette situaÂtion autreÂment que norÂmale m’a frapÂpé. En fait, lorsque j’ai dit à mes connaisÂsances blanches que l’une des raiÂsons pour lesÂquelles nous pouÂvions vivre si proches est que je sais me monÂtrer clair et dire non aux choses que je ne veux pas faire pour elle — par exemple, je n’aime pas aller à l’éÂpiÂceÂrie donc en généÂral je ne l’emmène pas — ils hochaient de la tête et me féliÂciÂtaient d’aÂvoir insÂtauÂré de très bonnes limites. Lorsque j’ai dit la même chose à mes amis indiÂgènes ou du tiers-monde, ils m’ont regarÂdé, avec un air de peine et de dégoût, puis m’ont demanÂdé, « Avec sa vue défaillante, comÂment fait-elle pour aller à l’éÂpiÂceÂrie ? »
CatheÂrine a ajouÂté,
« Il y a de nomÂbreuses failles dans la croyance selon laquelle la sépaÂraÂtion préÂpare la voie pour l’auÂtoÂnoÂmie ; l’une, et pas des moindres, est que cela ne corÂresÂpond pas à la réaÂliÂté. Nous savons que sur le plan phyÂsique nul n’est « livré à lui-même », puisque nous devons resÂpiÂrer, manÂger, et excréÂter, et que même à l’éÂchelle moléÂcuÂlaire, nos limites sont perÂméables. C’est égaÂleÂment vrai sur le plan psyÂchique. La vie se nourÂrit de la vie, a dit WhiÂteÂhead, et si l’on se coupe de la nourÂriÂture psyÂchique que l’on reçoit des autres, la texÂture de nos vies devient fade et sans relief. Lorsque l’on vit dans un état de défense, on ne peut pas se nourÂrir, insÂtant après insÂtant, de la richesse des innomÂbrables relaÂtions au sein desÂquelles nous exisÂtons.
Pour que le sysÂtème de domiÂnaÂtion se perÂpéÂtue lui-même, il doit y avoir des récomÂpenses claires pour ceux qui traÂvaillent à mainÂteÂnir cet état de déconÂnexion. Ces perÂsonnes doivent être entraîÂnées et iniÂtiées à cet état, et récomÂpenÂsées par un senÂtiÂment de digniÂté, voire de viriÂliÂté, si elles sont capables de mainÂteÂnir un senÂtiÂment de contrôle de soi — par oppoÂsiÂtion au fait de vivre simÂpleÂment l’exÂpéÂrience — et un senÂtiÂment de contrôle de ceux qui les entourent, ce qui incluÂra autant de perÂsonnes que posÂsible.
Lorsque votre sociéÂté est orgaÂniÂsée de façon à ce que ceux situés en haut de l’éÂchelle bénéÂfiÂcient du traÂvail de la majoÂriÂté, cela vous incite forÂteÂment à déveÂlopÂper le genre de perÂsonÂnaÂliÂté qui vous mène là -haut. Le seul type de perÂsonÂnaÂliÂté qui vous y mèneÂra est celui qui vous perÂmet d’anesÂthéÂsier votre empaÂthie. Pour mainÂteÂnir le sysÂtème de domiÂnaÂtion, il est cruÂcial que l’éÂlite acquiert cette paraÂlyÂsie de l’empathie, de manière anaÂlogue à ce que Robert Jay LifÂton appelle « paraÂlyÂsie psyÂchique », afin que ses membres puissent contrôÂler et si nécesÂsaire torÂtuÂrer et tuer sans en soufÂfrir psyÂchoÂloÂgiÂqueÂment. Si ses membres ne sont pas capables de cette paraÂlyÂsie, ou s’ils n’ont pas été sufÂfiÂsamÂment entraîÂnés, le sysÂtème de domiÂnaÂtion s’efÂfonÂdreÂra. »
C’est une des raiÂsons, m’a-t-elle dit, pour lesÂquelles la civiÂliÂsaÂtion coopte si souÂvent les mouÂveÂments d’opÂpoÂsiÂtion. « La sociéÂté telle qu’on la connaît », a‑t-elle contiÂnué, « peut très bien avoir besoin de l’énerÂgie de ces mouÂveÂments alterÂnaÂtifs. Elle a besoin de sucer notre sang pour s’en nourÂrir, en parÂtie parce qu’un sysÂtème de domiÂnaÂtion n’est jamais rasÂsaÂsié. »
« ComÂment ? »
« Une fois déconÂnecÂtés de nos liens vitaux — relaÂtions de la trempe de ce que nous appeÂlons Nature, où il n’existe pas de barÂrières entraÂvant les relaÂtions des choses les unes avec les autres — une fois sépaÂrés de la toile du vivant, et tanÂdis que nous pourÂsuiÂvons les objecÂtifs de la civiÂliÂsaÂtion que nous connaisÂsons, la source de notre énerÂgie doit proÂveÂnir d’ailleurs. Dans une cerÂtaine mesure, l’énerÂgie peut venir du traÂvail des pauvres, et dans une cerÂtaine mesure, de l’exÂploiÂtaÂtion des corps des aniÂmaux et des humains traiÂtés comme des aniÂmaux. L’exÂploiÂtaÂtion du corps des femmes fourÂnit beauÂcoup d’énerÂgie. Mais le paraÂsiÂtisme de la culture domiÂnante est sans fin, parce qu’une fois tranÂché le lien qui vous unisÂsait aux flux intriÂqués de la vie orgaÂnique, il vous faut d’une façon ou d’une autre, récuÂpéÂrer une vie, artiÂfiÂcielÂleÂment. »
ReveÂnant à la converÂsaÂtion que j’aÂvais avec ma mère, je l’ai entenÂdue dire, « C’éÂtait en parÂtie le proÂblème de ton père. Il n’aÂvait pas de solide idenÂtiÂté propre, ce qui était une raiÂson de sa vioÂlence. Parce qu’il n’éÂtait pas sûr de sa propre idenÂtiÂté, pour exisÂter il falÂlait que ceux qui l’enÂtouÂraient le reflètent en perÂmaÂnence. Lorsque toi ou moi ou tes frères et sÅ“urs ne corÂresÂponÂdions pas à ses proÂjecÂtions — lorsque nous monÂtrions la moindre étinÂcelle de ce que nous étions réelÂleÂment, et ainÂsi le forÂcions à se confronÂter à autrui comme à quelqu’un difÂféÂrent de lui-même — il était terÂriÂfié, ou tout du moins il l’aurait été si seuleÂment il s’était autoÂriÂsé à resÂsenÂtir cela. Mais être terÂriÂfié lui faiÂsait trop peur, alors il se metÂtait en colère. »
Je l’ai regarÂdée. Je n’avais jamais entenÂdu cette anaÂlyse aupaÂraÂvant. Elle était très bonne. J’ai ausÂsi penÂsé que si mon édiÂteur avait été préÂsent, il se serait proÂbaÂbleÂment arraÂché les cheÂveux face à sa tenÂdance à ouvrir des parenÂthèses, comme il le fait face à la mienne.
Elle a contiÂnué, « Son manque d’une idenÂtiÂté sûre explique égaÂleÂment pourÂquoi il était ausÂsi rigide. Si tu n’es pas à l’aise avec qui tu es, tu dois forÂcer les autres à te confronÂter seuleÂment selon tes propres termes. Quoi que ce soit d’autre est encore une fois trop effrayant. Si tu es à l’aise avec qui tu es, alors ce n’est pas un proÂblème de laisÂser les autres être eux-mêmes autour de toi : tu as confiance dans le fait que qui qu’ils soient ou quoi qu’ils fassent, tu seras capable de réagir de manière approÂpriée. Tu peux t’adapter et répondre difÂféÂremÂment à difÂféÂrentes perÂsonnes, en foncÂtion de ce qu’ils te demandent. Il ne pouÂvait pas faire cela. »
La même chose se proÂduit à une échelle plus vaste, bien sûr. Éteints de l’intérieur, nous disons du monde qu’il est lui-même inerte, puis nous nous entouÂrons des corps de ceux que nous avons tués. Nous construiÂsons des payÂsages urbains où l’on ne voit pas d’êtres libres et sauÂvages. Nous voyons du béton, de l’acier, de l’asphalte. En ville, même les arbres sont en cage. Tout nous renÂvoie notre propre confiÂneÂment. Tout reflète notre propre mort intéÂrieure.
« Autre chose », a ajouÂté ma mère. « Ce manque d’une idenÂtiÂté propre est l’une des raiÂsons pour lesÂquelles tant d’abuseurs tuent leur parÂteÂnaire quand ce parÂteÂnaire essaie de parÂtir. Ils ne perdent pas seuleÂment leur parÂteÂnaire (et punÂchingÂball) mais égaÂleÂment leur idenÂtiÂté. »
C’est ausÂsi une des raiÂsons pour lesÂquelles cette culture doit tuer tous les peuples non-civiÂliÂsés, tant humains que non-humains : afin d’exclure toute posÂsiÂbiÂliÂté que l’on s’en échappe.
Ce qui nous amène à la catéÂgoÂrie suiÂvante : les abuÂseurs isolent leurs vicÂtimes des autres resÂsources. J’éÂcris ces lignes assis dans une chaise manuÂfacÂtuÂrée, en fixant un écran d’orÂdiÂnaÂteur manuÂfacÂtuÂré, en écouÂtant le ronÂronÂneÂment d’un venÂtiÂlaÂteur d’orÂdiÂnaÂteur manuÂfacÂtuÂré. A ma gauche se trouvent des étaÂgères manuÂfacÂtuÂrées remÂplies de livres manuÂfacÂtuÂrés, écrits par des êtres humains. Des êtres humains civiÂliÂsés et letÂtrés qui écrivent en anglais (les langues, et les langues indiÂgènes en grand nombre, sont éraÂdiÂquées ausÂsi vite que toutes autres formes de diverÂsiÂté, ce qui a un effet désasÂtreux : la langue parÂlée influence ce que l’on peut dire, cela influence ce que l’on peut penÂser, ce qui influence ce que l’on peut perÂceÂvoir, ce qui influence ce que l’on expéÂriÂmente, ce qui influence notre comÂporÂteÂment, ce qui influence qui tu es, ce qui influence ce que l’on dit, et ainÂsi de suite). A ma droite, une fenêtre cadre l’obsÂcuÂriÂté de l’exÂtéÂrieur et me renÂvoie le reflet de mes cheÂveux ébouÂrifÂfés entouÂrant le flou de mon visage. Je qui vêtu de vêteÂments fabriÂqués à la chaîne, et de panÂtoufles fabriÂquées à la chaîne. NéanÂmoins, j’ai un chat sur les genoux. Tous les signaux senÂsoÂriels à l’exÂcepÂtion du chat tirent leurs oriÂgines d’huÂmains civiÂliÂsés, et même le chat est domesÂtiÂqué.
Stop. RéfléÂchisÂsons. Toutes les senÂsaÂtions que je perÂçois ne viennent que d’une seule source : la civiÂliÂsaÂtion. Lorsque vous aurez terÂmiÂné ce paraÂgraphe, posez le livre un moment, et obserÂvez autour de vous. Que voyez-vous, qu’enÂtenÂdez-vous, que senÂtez-vous, que resÂsenÂtez-vous, que goûÂtez-vous qui ne tire pas son oriÂgine ou ne soit transÂmis par des humains civiÂliÂsés ? Le chant des greÂnouilles sur un CD de Sons de la Nature ne compte pas.
Tout cela est très étrange. Encore plus étrange — et extraÂorÂdiÂnaiÂreÂment révéÂlaÂteur du niveau auquel nous avons non seuleÂment accepÂté mais réiÂfié cette isoÂlaÂtion impoÂsée artiÂfiÂcielÂleÂment, transÂforÂmé notre névrose en un bien perÂçu — est la façon dont nous avons créé un fétiche, et la reliÂgion (et la science, tant qu’on y est, autant que le busiÂness) de tenÂter de nous défiÂnir comme sépaÂré de — difÂféÂrent de, isoÂlé de, en oppoÂsiÂtion à — la nature. Les abuÂseurs isolent simÂpleÂment leur vicÂtime des autres resÂsources. Bien plus que cela, la civiÂliÂsaÂtion nous isole tous — idéoÂloÂgiÂqueÂment et phyÂsiÂqueÂment — de la source de toute vie.
Nous ne croyons pas que les arbres aient quoi que ce soit à nous dire (même pas qu’ils puissent parÂler), ni les étoiles, ni les coyotes, ni même nos rêves. On nous a convainÂcu — et c’est la prinÂciÂpale difÂféÂrence entre les phiÂloÂsoÂphies occiÂdenÂtale et indiÂgène — de ce que le monde est muet à l’exÂcepÂtion des humains civiÂliÂsés.
Une des mesures les plus comÂmunes et nécesÂsaires prises par un abuÂseur dans le but de contrôÂler une vicÂtime est de monoÂpoÂliÂser la perÂcepÂtion de cette vicÂtime. C’est une des raiÂsons pour lesÂquelles les abuÂseurs coupent leurs vicÂtimes de leurs familles et de leurs amis : pour qu’au fil du temps, les vicÂtimes n’aient plus d’autre réféÂrence que celle de leurs abuÂseurs pour juger de la vision du monde et du comÂporÂteÂment des abuÂseurs. Un comÂporÂteÂment abuÂsif — comÂporÂteÂment qui autreÂment semÂbleÂrait extrêÂmeÂment étrange (à quel point est-il fou de vioÂler son propre enfant ? A quel point l’est-ce de rendre toxique l’air que l’on resÂpire ?) — se voit ainÂsi norÂmaÂliÂsé dans l’esÂprit de la vicÂtime (et, plus triste encore, dans son cÅ“ur). Aucune influence extéÂrieure ne doit venir rompre le charme. Il ne peut y avoir qu’une façon de perÂceÂvoir et d’être au monde, et c’est celle de l’aÂbuÂseur. Si l’aÂbuÂseur réusÂsit à filÂtrer toutes les inforÂmaÂtions qui atteignent la vicÂtime, la vicÂtime ne sera plus capable de concepÂtuaÂliÂser qu’il y a d’autres façons de faire. A parÂtir de là , l’aÂbuÂseur aura plus ou moins acquis le contrôle total.
C’est, bien éviÂdemÂment, le point que nous avons atteint en tant que culture. La civiÂliÂsaÂtion est parÂveÂnue à comÂplèÂteÂment accaÂpaÂrer, d’une façon sans préÂcéÂdent et quaÂsi parÂfaite, notre perÂcepÂtion, au moins pour ceux d’entre nous qui vivent dans le monde indusÂtriaÂliÂsé. HeuÂreuÂseÂment, il existe touÂjours des gens — prinÂciÂpaÂleÂment les pauvres, les habiÂtants des nations non-indusÂtriaÂliÂsées, et les indiÂgènes — qui gardent des connecÂtions priÂmorÂdiales avec le monde phyÂsique. Et heuÂreuÂseÂment, le monde phyÂsique existe touÂjours, chaÂcun d’entre nous peut encore, dans le pire des cas, touÂcher les arbres que l’on trouve encore dans les cages d’aÂcier et de béton. Nous pouÂvons voir des plantes qui transÂpercent le trotÂtoir, qui cassent la barÂrière de ciment qui les empêche de perÂceÂvoir les rayons du soleil. J’aiÂmeÂrais que nous puisÂsions tirer des enseiÂgneÂments de ces plantes et transÂperÂcer ces barÂrières concrètes et perÂcepÂtuelles.
La sixième caracÂtéÂrisÂtique des abuÂseurs est qu’ils blâment les autres pour leurs proÂblèmes. Pour faire le lien avec le niveau cultuÂrel, il serait facile de simÂpleÂment lisÂter les façons dont notre culture le fait, et s’arÂrêÂter là . Les médias capiÂtaÂlistes blâment les chouettes tacheÂtées et les humains qui les aiment pour les pertes d’emplois dans l’inÂdusÂtrie du bois, et pourÂtant (surÂprise, surÂprise) ignorent le plus grand nombre d’emplois perÂdus dans le même secÂteur dû à l’auÂtoÂmaÂtiÂsaÂtion et aux exporÂtaÂtions de grumes (et à la nature insaÂtiable de cette indusÂtrie). Les poliÂtiÂciens et autres proÂpaÂganÂdistes de l’inÂdusÂtrie du bois blâment les forêts natuÂrelles et les enviÂronÂneÂmenÂtaÂlistes pour les incenÂdies, et ignorent pourÂtant le fait que l’exÂploiÂtaÂtion foresÂtière soit une cause signiÂfiÂcaÂtive d’inÂcenÂdies, et de plus, que les feux brûlent à une temÂpéÂraÂture plus éleÂvée et de manière plus desÂtrucÂtrice dans une aire de coupe et dans une exploiÂtaÂtion foresÂtière que dans les forêts natuÂrelles. Ils ignorent en outre le rôle régéÂnéÂraÂteur que joue le feu dans les forêts. Nous qui nous souÂcions de la plaÂnète serions bien sages de ne pas ignoÂrer cette leçon au sujet du pouÂvoir destructeur/régénérateur du feu, mais de l’apÂprendre, et de l’apÂpliÂquer lorsqu’approprié aux barÂrières perÂcepÂtuelles et phyÂsiques qui accaÂparent notre perÂcepÂtion et tuent la plaÂnète.
Encore des reproches : le réacÂtionÂnaire blâme les pauvres mexiÂcains quand la planÂtaÂtion de son employeur ferme et est déloÂcaÂliÂsée au Mexique. Le proÂpriéÂtaire blâme les condiÂtions du marÂché ou les synÂdiÂcats pour ne lui laisÂser d’autre choix que de déloÂcaÂliÂser la planÂtaÂtion. RetourÂnez dans le pasÂsé et vous trouÂveÂrez les gouÂverÂnants d’IsÂraël, s’exÂpriÂmant à traÂvers leur Dieu, blâÂmant les CanaÂnéens de ce que les IsraéÂlites n’aient pas vouÂlu suivre les règles de Dieu (clin d’œil). AvanÂcez un peu et vous trouÂveÂrez les croiÂsés blâÂmant les femmes pour le manque de vicÂtoires sur le champ de bataille (le sexe, spéÂciaÂleÂment praÂtiÂqué avec un infiÂdèle, déplaît éviÂdemÂment à « Dieu »). Ensuite, vous trouÂveÂrez les colons blâÂmant les Indiens pour ne pas avoir cédé leur terre sans comÂbattre (comme John Wayne a plus tard déclaÂré : « Je ne pense pas que nous ayons comÂmis quoi que ce soit de mal en leur preÂnant leur magniÂfique pays. Un grand nombre de gens avait besoin de ces nouÂvelles terres, et les indiens tenÂtaient égoïsÂteÂment de la garÂder pour eux »). HitÂler et les Nazis blâÂmaient les comÂmuÂnistes et les Juifs pour tout, des guerres monÂdiales aux proÂthèses denÂtaires défecÂtueuses. Les AméÂriÂcains approuÂvèrent, du moins en ce qui concerne les comÂmuÂnistes. MainÂteÂnant, ce sont les terÂroÂristes qui nous empêchent de rejoindre la Terre ProÂmise de la Paix et de la ProsÂpéÂriÂté ÉterÂnellesâ„¢ (qui vous est proÂpoÂsée par ExxonÂMoÂbile). Il y a touÂjours quelÂqu’un (d’autre) à blâÂmer.
Quelque chose d’inÂtéÂresÂsant se proÂduit lorsque vous comÂbiÂnez la proÂpenÂsion de l’aÂbuÂseur à faire des reproches avec la monoÂpoÂliÂsaÂtion de la perÂcepÂtion de la vicÂtime : la vicÂtime en arrive à concéÂder à l’aÂbuÂseur que tous les proÂblèmes sont de la faute de la vicÂtime. La femme tente inlasÂsaÂbleÂment de de concocÂter le menu parÂfait, et si elle est batÂtue c’est parce qu’elle n’est pas assez bonne cuiÂsiÂnière, ce qui signiÂfie qu’elle n’est pas une assez bonne comÂpagne, ce qui signiÂfie qu’elle n’est pas une assez bonne perÂsonne. Bien sûr, c’est en fait parce que son mari est violent, abuÂsif, fou. La fillette essaie de laver parÂfaiÂteÂment la vaisÂselle, et la vioÂlence s’aÂbat sur elle parce qu’elle est trop négliÂgente. L’aÂdoÂlesÂcent essaie de garer la voiÂture au bon endroit — ou pluÂtôt de ne pas la garer au mauÂvais endroit, qui change sans cesse — pour ne pas être frapÂpé. Dans une tenÂtaÂtive de mainÂteÂnir le contrôle dans une situaÂtion qui est sérieuÂseÂment hors de contrôle et qui ne peut que l’être tant que les vicÂtimes resÂtent à l’inÂtéÂrieur de la bulle perÂcepÂtuelle créée pour elles par leur abuÂseur, les vicÂtimes conspirent avec leurs abuÂseurs pour concenÂtrer l’atÂtenÂtion sur les modiÂfiÂcaÂtions de leur propre attiÂtude dans des tenÂtaÂtives futiles d’aÂpaiÂser leur abuÂseur, ou au moins de retarÂder ou d’atÂtéÂnuer la vioÂlence inéviÂtable, ou au strict miniÂmum de déplaÂcer cette vioÂlence sur une autre vicÂtime. Pire encore qu’une simple tacÂtique, cela devient une manière d’être (ou pluÂtôt de ne pas être) au monde, si bien que la vicÂtime en arrive à savoir que la faute est sienne. Au lieu d’arÂrêÂter les abus par tous les moyens nécesÂsaires, ils s’associent à l’aÂbuÂseur en se faiÂsant vioÂlence à eux-mêmes.
Ils oublient que faire porÂter « le blâme » ainÂsi est une imiÂtaÂtion toxique de la tâche nécesÂsaire d’atÂtriÂbuer la resÂponÂsaÂbiÂliÂté approÂpriée et rigouÂreuse pour la vioÂlence qui leur est faite, et faire quelque chose à ce proÂpos.
Ces mêmes schéÂmas sont reproÂduits à une échelle sociale plus large, au moins parÂmi ceux qui ont été sufÂfiÂsamÂment acculÂtuÂrés. Ce n’est proÂbaÂbleÂment pas le cas parÂmi les preÂmières vicÂtimes de notre culture, éviÂdemÂment : ceux qui resÂtent libres, hors de la bulle perÂcepÂtuelle de la civiÂliÂsaÂtion. Je suis assez cerÂtain que les sauÂmons, les espaÂdons, et les requins marÂteaux ne sont pas paraÂlyÂsés par des spasmes de culpaÂbiÂliÂté vis-à -vis de la situaÂtion désesÂpéÂrée dans laquelle ils se trouvent — Que pourÂrais-je faire pour calÂmer ces perÂsonnes ? Si seuleÂment j’éÂtais un meilleur poisÂson, ils ne me haïÂraient pas — mais au contraire savent très bien qui les décime. On peut dire la même chose des indiÂgènes. Il est difÂfiÂcile d’être plus clair que SitÂting Bull, forÂcé de parÂler lors de la céléÂbraÂtion d’aÂchèÂveÂment d’une voie de cheÂmin de fer scinÂdant ce qui avait été le terÂriÂtoire de son peuple : « Je vous hais. Je vous hais. Je hais tous les hommes blancs. Vous êtes des voleurs et des menÂteurs. Vous avez pris nos terres et fait de nous des parias, dès lors, je vous hais. » Il est imporÂtant de noter que l’inÂterÂprète blanc ne traÂduiÂsit pas ces mots, mais au lieu de cela, lut le « disÂcours amiÂcal et courÂtois qu’il avait préÂpaÂré ».
Et le proÂblème est bien là .
Ceux d’entre nous dont la vision a été défiÂnie par la civiÂliÂsaÂtion, dont les perÂsonÂnaÂliÂtés ont été forÂmées et déforÂmées dans ce creuÂset parÂtiÂcuÂlier de la vioÂlence, échouent parÂfois, à l’insÂtar des vicÂtimes de mauÂvais traiÂteÂments durant l’enÂfance, à attriÂbuer la resÂponÂsaÂbiÂliÂté pour la vioÂlence dont nous sommes vicÂtimes ou témoins, au lieu de cela, ils transÂforment les impulÂsions natuÂrelles d’attribution de la resÂponÂsaÂbiÂliÂté — « Vous avez pris nos terres et fait de nous des parias, dès lors, je vous hais » — en disÂcours amiÂcal et courÂtois : cerÂtains enviÂronÂneÂmenÂtaÂlistes proÂposent même des forÂmaÂtions de « comÂmuÂniÂcaÂtion non-vioÂlente » pour que les actiÂvistes soient sûrs de ne pas dire « Allez vous faire foutre » à la police leur infliÂgeant, dans le jarÂgon poliÂcier, une « techÂnique d’imÂmoÂbiÂliÂsaÂtion par la force », c’est à dire les torÂtuÂrant. Les enfants abuÂsés — et je sais cela d’exÂpéÂrience — sont généÂraÂleÂment incaÂpables d’afÂfronÂter le fait qu’ils n’ont praÂtiÂqueÂment aucun pouÂvoir pour arrêÂter la vioÂlence qui leur est infliÂgée, à eux et à ceux qu’ils aiment. En conséÂquence — et cela corÂresÂpond bien, ou pluÂtôt horÂriÂbleÂment, avec le fait que les abuÂseurs blâment les autres pour leurs propres proÂblèmes ausÂsi bien qu’ils monoÂpoÂlisent les perÂcepÂtions de leurs vicÂtimes — les vicÂtimes intéÂrioÂrisent souÂvent trop de resÂponÂsaÂbiÂliÂté, ce qui dans ce cas signiÂfie toute resÂponÂsaÂbiÂliÂté, pour la vioÂlence qu’ils subissent ou dont ils sont témoins. Je dois avoir fait quelque chose de mal, sinon mon père ne me frapÂpeÂrait pas. Je dois être une salope ou une tenÂtaÂtrice, et je dois vouÂloir qu’il me fasse subir ceci — je le sais parce qu’il me le dit — ou bien il ne vienÂdrait pas me visiÂter la nuit. Cela perÂmet à ces enfants de préÂtendre qu’ils ont au moins le pouÂvoir d’arÂrêÂter ou de ralenÂtir la vioÂlence qui leur est infliÂgée, peu importe que tous les indices montrent que ce pouÂvoir est illuÂsoire. Cette illuÂsion peut en fait être essenÂtielle à la surÂvie émoÂtionÂnelle. Bien sûr, lorsÂqu’ils ne sont plus des enfants, l’illuÂsion devient absurde et nuiÂsible.
De la même manière, nombre d’entre nous qui essaient d’arÂrêÂter la desÂtrucÂtiÂviÂté de cette culture — et je le sais non seuleÂment de ma propre expéÂrience mais ausÂsi pour avoir traÂvaillé avec et parÂlé à des cenÂtaines voire des milÂliers d’autres actiÂvistes — sont réguÂlièÂreÂment frapÂpés par la quaÂsi comÂplète inefÂfiÂcaÂciÂté de notre traÂvail à tous les niveaux excepÂté le plus symÂboÂlique. A bien des égards, notre traÂvail spéÂciaÂleÂment en tant qu’acÂtiÂvistes pour l’enÂviÂronÂneÂment est un échec lamenÂtable. Pas plus tard qu’auÂjourd’Âhui, j’ai disÂcuÂté avec une amie qui a pasÂsé les dix derÂniers mois assise dans un vieux séquoia dans le comÂté d’HumÂboldt, au Sud d’iÂci, dans une tenÂtaÂtive d’empêcher que l’arbre et la forêt dont il fait parÂtie soient couÂpés. PaciÂfic LumÂber défoÂreste ce basÂsin verÂsant, comme il défoÂreste une grande parÂtie de l’éÂtat, et finiÂra tôt ou tard par atteindre l’arbre dans lequel elle vit désorÂmais. Les coupes opéÂrées préÂcéÂdemÂment par cette corÂpoÂraÂtion ont engenÂdré de telles inonÂdaÂtions que les maiÂsons des locaux ont été détruites. CerÂtains ont construit sur piloÂtis. Des réserves d’eau qui étaient autreÂfois crisÂtalÂlines resÂsemblent mainÂteÂnant à du choÂcoÂlat au lait garÂni de bouts de bois, assaiÂsonÂnés d’herÂbiÂcides et de carÂbuÂrant dieÂsel. Il y a des années, en réponse à l’inÂdiÂgnaÂtion des citoyens, l’OfÂfice RégioÂnal de la QuaÂliÂté de l’Eau de la Côte Nord de l’État — désiÂgné par le gouÂverÂneur, qui est proÂfonÂdéÂment inféoÂdé aux grandes corÂpoÂraÂtions de l’inÂdusÂtrie du bois — a forÂmé une comÂmisÂsion scienÂtiÂfique pour étuÂdier le proÂblème, ce qui est presque touÂjours un bon moyen de retarÂder les mesures concrètes tout en perÂmetÂtant aux preÂmières desÂtrucÂtions de contiÂnuer. Mais la comÂmisÂsion a surÂpris l’OfÂfice en déclaÂrant unaÂniÂmeÂment que les coupes doivent être réduites drasÂtiÂqueÂment et imméÂdiaÂteÂment, non seuleÂment pour proÂtéÂger les habiÂtants humains, mais parce qu’elles mettent sévèÂreÂment en danÂger le sauÂmon coho et bien d’autres espèces. La déciÂsion de l’OfÂfice ? Vous l’aÂvez deviÂné : ignoÂrer les citoyens qu’il préÂtend serÂvir, ignoÂrer l’éÂquipe scienÂtiÂfique qu’il a réuni, tout ignoÂrer en dehors des « besoins » de cette corÂpoÂraÂtion extrêÂmeÂment desÂtrucÂtrice. VoiÂlà la démoÂcraÂtie en action. C’est la sépaÂraÂtion de la réaÂliÂté et de la poliÂtique (ou pluÂtôt, il n’y a rien à sépaÂrer puisÂqu’elles l’ont touÂjours été). C’est le démemÂbreÂment de la plaÂnète. C’est une rouÂtine indéÂcente, à couÂper le souffle.
Nos efforts les plus couÂraÂgeux et les plus sinÂcères ne sont jamais sufÂfiÂsants face à la tâche d’arÂrêÂter ceux qui détruisent.
Il y a de cela des années, j’ai écrit : « Chaque matin, en me réveillant, je me demande si je ferais mieux d’éÂcrire ou de faire sauÂter un barÂrage. » J’ai écrit cela parce que peu importe comÂbien traÂvaillent les actiÂvistes, peu importe comÂbien je traÂvaille, peu importe comÂbien les scienÂtiÂfiques étuÂdient, rien de tout cela ne semble aider. Les poliÂtiÂciens et les hommes d’afÂfaire mentent, retardent, et contiÂnuent simÂpleÂment leur comÂporÂteÂment desÂtrucÂteur, épauÂlés par la toute-puisÂsance de l’État. Et les sauÂmons meurent. Je l’ai dit et je le répète, il s’aÂgit d’une relaÂtion conforÂtable pour chaÂcun d’entre nous mais pas pour les sauÂmons. Chaque matin, je prends la déciÂsion d’éÂcrire, et chaque matin je pense de plus en plus que je prends une putain de mauÂvaise déciÂsion. Les sauÂmons sont dans un état bien pire que la preÂmière fois que j’ai écrit ces lignes.
J’en ai honte.
Nous obserÂvons leur extincÂtion.
J’en ai ausÂsi honte.
Pour disÂsiÂmuÂler notre impuisÂsance face à cette desÂtrucÂtion, beauÂcoup d’entre nous tombent dans le même schéÂma que ces enfants vicÂtimes d’aÂbus, et plus ou moins pour la même raiÂson. Nous intéÂrioÂriÂsons trop de resÂponÂsaÂbiÂliÂté. Cela nous perÂmet, à nous actiÂvistes, de préÂtendre que nous avons au moins un peu de pouÂvoir pour arrêÂter ou ralenÂtir la vioÂlence qui nous est infliÂgée, à nous et à ceux que nous aimons, qu’imÂporte, une fois de plus, que tous les indices nous montrent que ce pouÂvoir est illuÂsoire. Et ne me faites pas un serÂmon sur le fait que si nous ne faiÂsions pas ce traÂvail, la desÂtrucÂtion aurait lieu de manière en plus rapide : bien sûr c’est le cas, et bien sûr, nous devons contiÂnuer à mener ces comÂbats d’arÂrière-garde — je ne laisÂseÂrais jamais entendre le contraire — mais réaÂliÂsez-vous à quel point il est pathéÂtique que toutes nos « vicÂtoires » soient éphéÂmères et défenÂsives, et toutes nos défaites perÂmaÂnentes et offenÂsives ? Je ne peux pas parÂler à votre place, mais je veux davanÂtage que simÂpleÂment empêÂcher la desÂtrucÂtion de tel ou tel endroit sauÂvage penÂdant un an ou deux : je veux prendre l’ofÂfenÂsive, repousÂser ceux qui détruisent, reprendre ce qui est sauÂvage et libre et natuÂrel, le laisÂser se régéÂnéÂrer seul : je veux arrêÂter en cheÂmin les desÂtrucÂteurs, et je veux les rendre inaptes à cauÂser des dégâts supÂpléÂmenÂtaires. DésiÂrer ne serait-ce qu’un peu moins, c’est cauÂtionÂner la desÂtrucÂtion défiÂniÂtive de la plaÂnète.
Si je devais mouÂrir demain, la défoÂresÂtaÂtion contiÂnueÂrait sans relâche. En fait, comme je l’ai monÂtré dans un autre livre, ce n’est pas la demande qui guide l’inÂdusÂtrie du bois : la surÂcaÂpaÂciÂté d’uÂsines de bois et de pâte à papier extrêÂmeÂment coûÂteuses (autant, éviÂdemÂment, que la pulÂsion de mort de cette culture) déterÂmine en grande parÂtie comÂbien d’arbre sont abatÂtus. De la même façon, si je mouÂrais, la culture de la voiÂture ne freiÂneÂrait pas d’un iota.
Oui, il est vital de faire des choix de vie qui attéÂnuent les domÂmages engenÂdrés par le fait d’être membre de la civiÂliÂsaÂtion indusÂtrielle, mais s’atÂtriÂbuer la resÂponÂsaÂbiÂliÂté preÂmière, et se concenÂtrer prinÂciÂpaÂleÂment sur le fait de s’aÂméÂlioÂrer perÂsonÂnelÂleÂment, est une esquive immense, une abroÂgaÂtion de la resÂponÂsaÂbiÂliÂté. Avec le monde entier en jeu, c’est à la fois comÂplaiÂsant, phaÂriÂsaïque et vaniÂteux. C’est ausÂsi une attiÂtude quaÂsiÂment uniÂverÂselle. Et cela sert les intéÂrêts de ceux au pouÂvoir en détourÂnant d’eux l’atÂtenÂtion.
Je fais ça tout le temps. Je dis : nous sommes en train de tuer la plaÂnète. Eh bien non, pas moi, mais merÂci de me consiÂdéÂrer si puisÂsant. Parce que je prends des douches chaudes, je suis resÂponÂsable de l’éÂpuiÂseÂment des aquiÂfères. Eh bien non. Plus de 90% de l’eau utiÂliÂsée par les humains l’est pour l’agriculture et l’inÂdusÂtrie. Les 10% resÂtants sont diviÂsés entre les muniÂciÂpaÂliÂtés (il faut bien garÂder verts les greens de golf) et les vériÂtables êtres humains de chair et d’os. Nous défoÂresÂtons 900 km² par jour, une aire comÂpaÂrable à celle de la ville de New York. Eh bien non, pas moi. Bien sûr, j’uÂtiÂlise du bois et du papier, mais je ne suis pas à l’oÂriÂgine du sysÂtème.
VoiÂci la vraie hisÂtoire : si je veux arrêÂter la défoÂresÂtaÂtion, je dois démanÂteÂler le sysÂtème qui en est resÂponÂsable.
Pas plus tard qu’Âhier, je me suis surÂpris à endosÂser une resÂponÂsaÂbiÂliÂté insenÂsée. Je terÂmiÂnais un livre avec George DrafÂfan concerÂnant les causes de la défoÂresÂtaÂtion monÂdiale. PenÂdant cent cinÂquante pages, nous avons claiÂreÂment et indéÂniaÂbleÂment mis en lumière le fait que cette culture a défoÂresÂté chaÂcun des endroits où elle s’est proÂpaÂgée à une vitesse touÂjours croisÂsante penÂdant enviÂron 6000 ans, et que cette défoÂresÂtaÂtion en cours était l’entreprise d’un sysÂtème masÂsiÂveÂment corÂromÂpu par l’enchevêtrement des gouÂverÂneÂments, et des corÂpoÂraÂtions souÂteÂnues, comme touÂjours, par une abonÂdance de solÂdats et de poliÂciers armés. (Mais vous le saviez déjà , n’est-ce pas ?) CepenÂdant, au bout du compte, je me retrouve imploÂrant mes lecÂteurs de conduire les défoÂresÂteurs hors de nos propres cÅ“urs et esprits. J’ai écrit, « Nous n’arÂrêÂteÂrons pas de détruire les forêts tant que nous ne nous serons pas débarÂrasÂsés de l’urÂgence de détruire et de consomÂmer qui se cache dans nos cÅ“urs, nos esprits et nos corps. » Je m’arÂrête là . C’est une bonne preÂmière étape — j’inÂsiste sur preÂmière — parce que nous ne pourÂrons cerÂtaiÂneÂment pas arrêÂter la desÂtrucÂtion si nous ne l’appelons pas desÂtrucÂtion, si nous l’appelons « proÂgrès » ou « déveÂlopÂpeÂment de resÂsources natuÂrelles », ou si nous la quaÂliÂfions « d’iÂnéÂviÂtable ». Mais, quel rapÂport avec le fait d’expulser l’ensemble des défoÂresÂteurs hors des forêts ? C’est le point cenÂtral. Faire ne serait-ce qu’un peu moins est bien pire qu’une perte de temps pour tous : cela ouvriÂrait la voie pour davanÂtage de desÂtrucÂtion.
J’ai récemÂment vu une excelÂlente expliÂcaÂtion des danÂgers de s’iÂdenÂtiÂfier à ceux qui tuent la plaÂnète. C’éÂtait dans un « Groupe de disÂcusÂsion sur DerÂrick JenÂsen » sur InterÂnet. […] Une femme avait comÂmenÂté en écriÂvant que « Nous allons parÂtir en guerre en Irak ». Un homme a releÂvé son usage du mot nous, sans comÂprendre qu’elle était iroÂnique. Sa méprise n’afÂfecte en rien l’imÂporÂtance de son comÂmenÂtaire : « Je me rends compte que beauÂcoup de gens (moi y comÂpris quand je n’y prends pas garde) en viennent à utiÂliÂser le terme « nous » lorsÂqu’ils parlent des actions du gouÂverÂneÂment états-unien. Je rejoins DerÂrick JenÂsen lorsÂqu’il affirme que le gouÂverÂneÂment (je dirais même tous les gouÂverÂneÂments) est un gouÂverÂneÂment d’ocÂcuÂpaÂtion, tout comme cette culture est une culture d’ocÂcuÂpaÂtion. Bien que je sois contraint de parÂtiÂciÂper au sysÂtème (en payant des taxes, en traÂvaillant, en dépenÂsant de l’argent dans l’éÂcoÂnoÂmie) je ne me consiÂdère pas pour autant comme un déciÂsionÂnaire. Mes choix sont de faux choix, et ma voix n’est pas repréÂsenÂtée par le gouÂverÂneÂment. Un ami porÂtait l’autre jour un insigne perÂtiÂnent, « Les USA hors de l’AÂméÂrique du Nord ». Ceux au pouÂvoir veulent que nous nous assiÂmiÂlions à eux, que nous deveÂnions une parÂtie du « nous » pour que nous deveÂnions indisÂsoÂciables d’eux. De cette façon, ils ne pourÂront être contesÂtés, mis en cause, ou renÂverÂsés sans que nous nous attaÂquions nous-mêmes. C’est le but ultime du natioÂnaÂlisme, uniÂfier une nation entière dans le consenÂteÂment avec leurs diriÂgeants, afin qu’auÂcune action, quel que soit son degré d’obsÂcéÂniÂté, ne soit quesÂtionÂnée. C’est peut-être la raiÂson pour laquelle lorsque je souÂligne les fautes du gouÂverÂneÂment, du capiÂtaÂlisme, du comÂplexe techÂno-indusÂtriel, ou de la culture dans son ensemble, beauÂcoup de gens se montrent extrêÂmeÂment défenÂsifs, comme si j’aÂvais insulÂté leur mère. Plus nous perÂmetÂtrons à ceux au pouÂvoir de nous convaincre que nous sommes resÂponÂsables de leurs actions, plus nous serons incaÂpables de sépaÂrer ce que nous faiÂsons de ce que nous sommes forÂcés de faire ou de ce que les diriÂgeants font en notre nom. Plus c’est le cas, plus ils gagnent en pouÂvoir et plus toute forme de contesÂtaÂtion devient difÂfiÂcile. »
* * *
Le téléÂphone sonne. Je décroche. C’est une de mes amies. Elle me demande : « ComÂbien de temps encore penses-tu que nous allons resÂter en AfghaÂnisÂtan ? »
Elle ne peut pas le voir, mais je regarde autour de moi, puis je regarde les séquoïas, dehors. Je réponds, « Nous sommes en AfghaÂnisÂtan ? Je penÂsais que nous étions au nord de la CaliÂforÂnie. »
Silence dans le téléÂphone. Un souÂpir, puis elle dit finaÂleÂment, « ComÂbien de temps penses-tu que nos troupes vont resÂter en AfghaÂnisÂtan ? »
Je réponds « J’ai des troupes ? VraiÂment ? Est-ce qu’elles feront tout ce que je leur ordonne ? Si je leur demande de détruire les barÂrages sur la rivière ColumÂbia, est-ce qu’elles le feront ? »
Encore un silence, jusÂqu’à ce qu’elle dise, « VoiÂlà pourÂquoi je ne t’apÂpelle que de temps en temps. On se reconÂtacte. »
* * *
[…]
VoiÂci, une fois de plus, la vériÂtable hisÂtoire. La culpaÂbiÂliÂté que nous nous infliÂgeons nous-mêmes, en raiÂson de ce que nous parÂtiÂciÂpons au sysÂtème morÂtiÂfère appeÂlé civiÂliÂsaÂtion, masque (et est une imiÂtaÂtion toxique de) notre péché fonÂdaÂmenÂtal. Bien sûr, j’uÂtiÂlise du papier toiÂlette. Et alors ? Cela ne me rend pas ausÂsi couÂpable que le PDG de WeyeÂrHauÂser, et penÂser que c’est le cas, c’est faire un énorme cadeau à ceux qui nous dirigent en détourÂnant vers nous l’atÂtenÂtion qui devrait être concenÂtrée sur eux.
De quoi, alors, sommes-nous couÂpables ? Eh bien, de bien pire que d’être employé comme rédacÂteur techÂnique ou comme aide-serÂveur. Bien pire que mon traÂvail d’éÂcriÂvain dont les livres sont issus de la chair des arbres. Bien pire que l’uÂsage de papier toiÂlette, que conduire des voiÂtures, que le fait de vivre dans des maiÂsons en contreÂplaÂqué de bouÂleau colÂlé au forÂmalÂdéÂhyde. Pour tout cela, nous pouÂvons être parÂdonÂnés, car nous n’aÂvons pas créé ce sysÂtème et parce que nos posÂsiÂbiÂliÂtés de choix ont sysÂtéÂmaÂtiÂqueÂment été éliÂmiÂnées (ceux au pouÂvoir ont vidé les rivières de leurs sauÂmons et c’est nous qui devrions nous senÂtir couÂpables d’aÂcheÂter notre nourÂriÂture dans un superÂmarÂché ? A quel point est-ce stuÂpide ?). Mais nous ne pouÂvons être — ni ne serons — parÂdonÂnés de ne pas avoir anéanÂti le sysÂtème ayant engenÂdré ces proÂblèmes, de ne pas avoir chasÂsé des forêts les défoÂresÂteurs, de ne pas avoir chasÂsé les polÂlueurs de la terre, de l’eau, de l’air, de ne pas avoir chasÂsé les marÂchands du temple qui est notre seule maiÂson. Nous sommes couÂpables car nous perÂmetÂtons à ceux au pouÂvoir de contiÂnuer à détruire la plaÂnète. Je sais bien que nous sommes plus ou moins constamÂment inciÂtés à n’uÂtiÂliÂser que de la rhéÂtoÂrique incluÂsive, mais quand réaÂliÂseÂrons-nous qu’une guerre contre le monde natuÂrel, contre nous tous, a déjà été déclaÂrée, par ceux qui détiennent le pouÂvoir ? Nous devons les arrêÂter par tous les moyens nécesÂsaires. Parce que nous ne le faiÂsons pas, nous sommes infiÂniÂment plus couÂpables que ce que la pluÂpart d’entre nous — moi y comÂpris, éviÂdemÂment — ne serons jamais en mesure de conceÂvoir.
* * *
Que les choses soient claires. Je ne suis pas couÂpable de la défoÂresÂtaÂtion sous préÂtexte que j’uÂtiÂlise du papier toiÂlette. Je suis resÂponÂsable de la défoÂresÂtaÂtion parce que j’uÂtiÂlise du papier toiÂlette et que je n’hoÂnore ma part du marÂché proie-préÂdaÂteur. Si je consomme la chair d’un autre être, je suis resÂponÂsable de la pérenÂniÂté de sa comÂmuÂnauÂté. Si j’uÂtiÂlise du papier toiÂlette, ou n’imÂporte quel autre proÂduit dériÂvé du bois, il est de mon devoir d’uÂtiÂliÂser tous les moyens nécesÂsaires pour assuÂrer le mainÂtien de la bonne sanÂté des comÂmuÂnauÂtés de la forêt natuÂrelle. Il est de mon devoir d’uÂtiÂliÂser tous les moyens nécesÂsaires pour mettre fin à l’exÂploiÂtaÂtion foresÂtière indusÂtrielle.
* * *
La caracÂtéÂrisÂtique suiÂvante des abuÂseurs est qu’ils s’éÂnervent faciÂleÂment. Ils sont hyperÂsenÂsibles, et le moindre revers est perÂçu comme une attaque perÂsonÂnelle. La raiÂson à cela est en grande parÂtie liée à la quaÂtrième préÂmisse de ce livre, la vioÂlence dans cette culture ne cirÂcule que dans un sens. C’est vrai non seuleÂment de la vioÂlence, mais de toutes les formes de contrôle et d’iÂniÂtiaÂtive. Ceux d’en haut sont autoÂriÂsés à avoir accès au contrôle et à l’iÂniÂtiaÂtive. Ceux d’en bas n’y ont accès que dans la mesure où le contrôle et l’iÂniÂtiaÂtive font d’eux des manÂdaÂtaires plus effiÂcaces de ceux d’en-haut.
Tout écart de comÂporÂteÂment doit être géré rapiÂdeÂment, parÂfaiÂteÂment et comÂplèÂteÂment, afin que la hiéÂrarÂchie demeure transÂpaÂrente, tranÂquilleÂment inavouée, à l’aÂbri de toute posÂsiÂbiÂliÂté de chanÂgeÂment que ce soit à l’initiative de la vicÂtime ou de l’auÂteur.
[…] La moindre disÂsiÂdence réelle — non confiÂnée en des endroits, moments et moyens améÂnaÂgés ou approuÂvés par ceux au pouÂvoir — est perÂçue par ceux au pouÂvoir comme une attaque envers la légiÂtiÂmiÂté de leur règleÂment.
ProÂbaÂbleÂment parce que c’est le cas.
C’est une chose merÂveilleuse de se releÂver, de se tenir à nouÂveau (ou pour la preÂmière fois) debout, de dire « Allez vous faire foutre » — en dépit des cours de comÂmuÂniÂcaÂtion non-vioÂlente — ou de dire « Vous n’aÂvez pas le droit » ou « Non » à ceux au pouÂvoir, de choiÂsir où quand et comÂment vous vous expriÂmeÂrez, où quand et comÂment vous défenÂdrez ce et ceux que vous aimez contre ceux qui les exploitent et les détruisent.
Vous devriez essayer à l’ocÂcaÂsion. C’est vraiÂment amuÂsant.
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La caracÂtéÂrisÂtique suiÂvante est que les abuÂseurs sont au miniÂmum insenÂsibles à la douÂleur des enfants et des non-humains. Pour élarÂgir ce proÂpos au niveau cultuÂrel, il sufÂfit, me semble-t-il, d’un mot : viviÂsecÂtion. Bon, d’acÂcord, un autre : zoos. Deux de plus : éleÂvage indusÂtriel. Aller, encore quelques-uns : nous sommes en train de tuer la plaÂnète. CorÂrecÂtion : ils sont en train de tuer la plaÂnète, et claiÂreÂment, ils n’enÂtendent pas les hurÂleÂments de douÂleur.
Et vous, les entenÂdez-vous ?
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Les abuÂseurs confondent souÂvent sexe et vioÂlence. Les taux de viol — telÂleÂment comÂmuns qu’ils sont quaÂsi-norÂmaÂliÂsés dans cette culture — exposent claiÂreÂment la confuÂsion entre sexe et vioÂlence sur le plan social. BeauÂcoup de films le montrent égaÂleÂment. BeauÂcoup de relaÂtions. On peut ausÂsi proÂnonÂcer ces mots magiques : chiÂrurÂgie d’imÂplanÂtaÂtion mamÂmaire. Pas plus tard qu’Âhier, j’ai entenÂdu parÂler d’une nouÂvelle tenÂdance en chiÂrurÂgie esthéÂtique : refaÂçonÂner la vulve pour la rendre plus plaiÂsante visuelÂleÂment, quoi que cela puisse bien vouÂloir dire (quid du fait que si l’on aime une femme, on trouÂveÂra sa vulve magniÂfique, simÂpleÂment parce que c’est la sienne ?).
En réaÂliÂté, la confuÂsion cultuÂrelle entre le sexe et la vioÂlence peut être réduite en un mot : baiÂser / niquer. Il est extraÂorÂdiÂnaire de constaÂter que dans cette culture, un seul et même mot signiÂfie à la fois faire l’aÂmour et infliÂger de la vioÂlence.
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Les abuÂseurs mettent souÂvent en place des rôles sexuels rigides. Il est presque inutile de souÂliÂgner que cette réaÂliÂté s’applique à un niveau cultuÂrel plus large, et qu’elle va bien au-delà des valeurs masÂcuÂlines stéÂréoÂtyÂpées qui dominent la culture. Cela dépasse égaÂleÂment l’homophobie qui se base sur la peur de tout ce qui pourÂrait trouÂbler ces rôles sexuels rigides.
Ces derÂniers temps, j’ai beauÂcoup sonÂgé à l’obsession d’apparence scienÂtiÂfique qui consiste à vouÂloir artiÂfiÂcielÂleÂment créer ou modiÂfier la vie, ainÂsi qu’à l’obsession de recherche d’une vie extra-terÂrestre. Il m’a touÂjours semÂblé proÂfonÂdéÂment absurde et immoÂral que des milÂlions de dolÂlars soient dépenÂsés pour découÂvrir de la vie sur d’autres plaÂnètes, tanÂdis que des milÂliards sont dépenÂsés afin d’éradiquer la vie sur celle-ci. Si les scienÂtiÂfiques découÂvraient de mignonnes petites créaÂtures poiÂlues aux oreilles penÂdantes et au museau fréÂtillant, les prix Nobel ne tarÂdeÂraient pas à pleuÂvoir (pour les scienÂtiÂfiques, pas pour les MarÂtiens aux oreilles penÂdantes). Mais lorsque des scienÂtiÂfiques étuÂdiant l’environnement de notre plaÂnète Terre observent de telles des créaÂtures dans le monde réel, ils attrapent leurs flaÂcons de laque à cheÂveux et leur en pulÂvéÂrisent dans les yeux pour effecÂtuer un test de Draize (ces scienÂtiÂfiques qui, bien éviÂdemÂment, se metÂtraient à exploiÂter les lapins marÂtiens en moins de temps qu’il n’en faut pour proÂnonÂcer HunÂtingÂton Life Sciences).
De la même façon, notre (comÂpreÂnez leur) obsesÂsion pour recréer le « miracle de la vie » en laboÂraÂtoire durant que nous (comÂpreÂnez ils) détruiÂsons jour après jour la pléÂniÂtude — nous réaÂliÂsons que ce n’est pas une infiÂniÂté — des miracles qui nous entourent, n’a aucun sens.
Je comÂprends mieux aujourd’hui. Ces rôles sexuels rigides se comÂbinent à une dépréÂciaÂtion du fémiÂnin, à une jalouÂsie névroÂtique envers le fait de donÂner la vie, le tout couÂronÂné de frusÂtraÂtion et de dépit ; en résuÂmé, les femmes font des bébés et les hommes non. Si les femmes sont prinÂciÂpaÂleÂment ou excluÂsiÂveÂment idenÂtiÂfiées — de manière rigide — par leur rôle de créaÂtrices de vie, et si les femmes sont perÂçues comme inféÂrieures (ce qui signiÂfie que quoi que les femmes fassent, les hommes feront mieux), alors les hommes, pour ne pas se senÂtir eux-mêmes inféÂrieurs aux femmes qu’ils dédaignent, doivent trouÂver le moyen de détruire le monde natuÂrel, qu’ils méprisent, mais égaÂleÂment le moyen de créer eux-mêmes quelque chose qui se rapÂproche de la vie.
DerÂrick JenÂsen
TraÂducÂtion : JesÂsiÂca Aubin
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