Un monde sens dessus dessous : quelques rappels sur notre situation écologique en ce début 2017

« Méfions-nous de la catas­trophe spec­ta­cu­laire qui s’inscrit dans l’actualité, la pire est invi­sible. Le véri­table coût est cumu­la­tif, goutte à goutte, seconde après seconde s’accumule un Océan qui crè­ve­ra sur nos têtes. Quand la vraie catas­trophe aura lieu, il sera trop tard. […] Que l’on com­prenne, le plus grave n’est pas ce que nous savons, mais ce que nous igno­rons. […] Nous pou­vons être sûrs d’une chose, c’est que nous n’en savons rien ; et qu’il est fou de conti­nuer à fon­cer ain­si dans le noir. »

— Ber­nard Charbonneau

« Je pars de l’hypothèse que le monde est sens des­sus des­sous, que les choses vont mal. […] Je pars de l’hypothèse que nous n’avons pas grand-chose à dire là-des­sus : il nous suf­fit de nous pen­cher sur l’état du monde actuel pour réa­li­ser que c’est le chaos. »

— Howard Zinn

En ce début d’an­née 2017, et au vu des évè­ne­ments qui ont mar­qué l’an­née pré­cé­dente, nous vous pro­po­sons un bilan de notre situa­tion col­lec­tive, en nous appuyant sur les mul­tiples tra­duc­tions et publi­ca­tions de notre site, selon la pers­pec­tive qui nous paraît de loin la plus impor­tante, l’écologie. Le simple fait que cette pers­pec­tive ne soit pas consi­dé­rée, aujourd’hui, en 2017, comme pri­mor­diale par l’ensemble des humains, ni même par une majo­ri­té d’entre eux, annonce déjà l’allure du paysage.

Bilan

En octobre 2016, le WWF (World Wild­life Fund, en fran­çais Fonds mon­dial pour la nature), ONG grand public s’il en est une, que l’on accu­se­ra pas d’être mani­pu­lée par Pou­tine, publiait son rap­port annuel « Pla­nète Vivante » dans lequel il éva­lue « la bio­di­ver­si­té en col­lec­tant les don­nées recueillies sur les popu­la­tions de dif­fé­rentes espèces de ver­té­brés et en cal­cu­lant la varia­tion moyenne de l’a­bon­dance au fil du temps ». On y appre­nait, entre autres joyeu­se­tés, que « les popu­la­tions mon­diales de pois­sons, d’oiseaux, de mam­mi­fères, d’amphibiens et de rep­tiles ont régres­sé de 58 % entre 1970 et 2012 ».

En toute fran­chise, bien que ces chiffres soient bien plus que dra­ma­tiques, et dépassent l’entendement, pour ceux qui s’intéressent à la situa­tion de la vie sur leur pla­nète, ils ne sont guère éton­nant. Pour les autres, ceux qui ne prennent pas (ou ne peuvent pas prendre) le temps de s’y inté­res­ser, le site du WWF pro­po­sait une syn­thèse du rap­port (« Vous n’avez pas le temps de lire le rap­port com­plet ? Consul­tez-en la syn­thèse »). Et en effet, en 2016, pro­grès oblige, la plu­part des gens, trop occu­pés par les diverses acti­vi­tés qui cadencent leurs jour­nées de tra­vailleurs, ne prennent pas (ou n’ont pas) le temps de lire en entier un rap­port sur l’état de la vie sur Terre, ou, plus sim­ple­ment, de s’in­té­res­ser à la situa­tion éco­lo­gique de manière proactive.

N’étant pas (bien) infor­mée – pré­ci­sons que suivre l’actualité au tra­vers des JT ou des Unes des grands médias n’a rien à voir avec s’informer, qu’il s’agit au mieux d’une forme de gavage débi­li­tant –, n’en ayant ni le temps ou l’envie, et par­fois les deux, une grande par­tie de la popu­la­tion mon­diale ignore, et est donc à même de nier, la gra­vi­té de l’urgence éco­lo­gique que nous connais­sons. L’idée popu­laire la plus répan­due, concer­nant une crise éco­lo­gique, quelle qu’elle soit, consiste en une impres­sion vague selon laquelle un chan­ge­ment cli­ma­tique nous mena­ce­rait, nous, et, acces­soi­re­ment, les autres espèces vivantes. Cela s’explique par le fait que les médias de masse, lorsqu’ils daignent par­ler d’écologie, abordent ce sujet presque uni­que­ment sous l’angle du chan­ge­ment cli­ma­tique, et de ses consé­quences pour le bon fonc­tion­ne­ment (le déve­lop­pe­ment) de la socié­té indus­trielle mon­dia­li­sée dans laquelle nous vivons.

« EN MOYENNE, LES POPULATIONS DES ESPÈCES DE VERTÉBRÉS ONT DÉCLINÉ DE 58 % ENTRE 1970 ET 2012 »

A une époque où plus de 50% de la popu­la­tion mon­diale vit en ville (depuis 2008), dans un milieu entiè­re­ment arti­fi­ciel, cou­pé du monde natu­rel, il n’est pas éton­nant qu’un tel constat ne fasse pas réagir autant qu’il le devrait, pro­ba­ble­ment en rai­son du phé­no­mène d’aliénation décrit ci-après par le natu­ra­liste cana­dien John Livingston :

« Aujourd’hui, nous vivons pour la plu­part dans des villes. Cela signi­fie que nous vivons pour la plu­part dans ces cel­lules iso­lées, com­plè­te­ment cou­pées de tout type d’information ou d’expérience sen­so­rielle qui ne soit pas de fabri­ca­tion humaine. Tout ce que l’on voit, tout ce que l’on entend, tout ce que l’on sent, tout ce que l’on touche, est arte­fact humain. Toutes les infor­ma­tions sen­so­rielles que l’on reçoit sont fabri­quées, et bien sou­vent véhi­cu­lées par l’intermédiaire de machines. Je pense que la seule chose qui rende cela sup­por­table c’est le fait que nos capa­ci­tés sen­so­rielles soient si ter­ri­ble­ment atro­phiées – comme elles le sont chez ce qui est domes­ti­qué – afin que nous ne nous ren­dions pas compte de ce qui nous manque. L’animal sau­vage reçoit des infor­ma­tions pour tous les sens, d’une quan­ti­té innom­brable de sources dif­fé­rentes, à chaque moment de la vie. Nous n’en rece­vons que d’une seule source – nous-mêmes. C’est comme faire un soli­taire dans une chambre de réso­nance. Les gens qui font du soli­taire font des choses étranges. Et l’expérience com­mune des vic­times de pri­va­tions sen­so­rielles est l’hallucination. Je pense que le patri­moine cultu­rel que l’on reçoit, nos croyances et idéo­lo­gies anthro­po­cen­trées, peuvent aisé­ment être per­çues comme des hal­lu­ci­na­tions institutionnalisées. »

Nous (dans le sens des habi­tants de la civi­li­sa­tion indus­trielle) avons tué 58% de toute la faune sau­vage des ver­té­brés entre 1970 et 2012, et à un taux de 2% par an, nous aurons mas­sa­cré pas loin de 70% de cette faune d’ici 2020, dans 3 ans. Sachant qu’en 1970 la bio­di­ver­si­té pla­né­taire était déjà for­te­ment appau­vrie, et que ces esti­ma­tions ne tiennent pas compte de phé­no­mènes éco-psy­cho­lo­giques cru­ciaux, que Maria Tay­lor, une scien­ti­fique aus­tra­lienne, pré­sente briè­ve­ment dans un récent rap­port sur le réchauf­fe­ment climatique :

« Des concepts psy­cho­lo­giques sur la façon dont nous per­ce­vons le monde qui nous entoure, comme la « nor­ma­li­té ram­pante » ou « l’amnésie du pay­sage », bloquent la com­pré­hen­sion quo­ti­dienne de ce qu’impliquent les acti­vi­tés humaines en phase d’accélération — qu’il s’agisse de la crois­sance démo­gra­phique, du nombre de bar­rages et de rivières endi­guées, de la des­truc­tion des forêts, ou de l’impact des émis­sions des véhi­cules sur une brève période géo­lo­gique. La nor­ma­li­té ram­pante fait réfé­rence à des ten­dances lentes qui se perdent au sein de flux mas­sifs et aux­quelles les gens s’habituent sans bron­cher, tan­dis que l’amnésie du pay­sage décrit l’oubli de ce à quoi res­sem­blait le pay­sage il y a 20 à 50 ans. »

L’ornithologue Phi­lippe J. Dubois, auteur du livre « La grande amné­sie éco­lo­gique », le sou­ligne également :

« Je tente de mon­trer com­ment la lutte contre l’oubli est pri­mor­dial à l’égard de la bio­di­ver­si­té si nous ne vou­lons pas être un Homo ere­mus, l’homme dans le désert. Or la sélec­ti­vi­té de la mémoire s’accommode des pertes du vivant sans même en prendre conscience ; c’est le shif­ting base­line syn­drome, pro­ces­sus de réfé­rence chan­geante. En 1995, il y a eu une étude explo­rant la per­cep­tion des enfants cita­dins à l’égard de la nature. L’amnésie géné­ra­tion­nelle, c’est lorsque la perte de connais­sance se pro­duit parce que les jeunes géné­ra­tions ne sont pas au fait des condi­tions bio­lo­gique pas­sées. Il n’y a pas eu trans­mis­sion de l’information par leurs aînés. D’anciens culti­va­teurs ne savent plus ce qu’étaient telle race de vache ou varié­té de pomme du temps de leurs pères. L’amnésie per­son­nelle appa­raît lorsque l’individu a oublié sa propre expé­rience. Par exemple il ne se sou­vient plus que les espèces de plantes ou d’animaux aujourd’hui deve­nues rares étaient, dans son enfance, beau­coup plus com­munes. Le chan­ge­ment est oublié et le nou­vel état devient la réfé­rence. Si nous ne pre­nons pas conscience de ce que nous sommes en train de perdre, nous ris­quons de nous réveiller trop tard. »

Le der­nier rap­port Pla­nète Vivante du WWF nous indique ain­si que la pla­nète est bien moins vivante qu’avant. Et que nous avons tué cette vie. Que nous l’avons rem­pla­cé par du métal, de la brique, du plas­tique et du béton. Et pour­tant, nous nous com­por­tons vis-à-vis de cette extinc­tion comme s’il s’agissait de quelque chose que nous obser­vons de l’extérieur, dont nous ne par­ti­ci­pons pas vraiment.

Il s’agit mani­fes­te­ment d’une forme de folie, ou d’aliénation. Mais ce n’est pas tout, nous ne nous conten­tons pas de détruire les espèces non-humaines à grande vitesse, nous anéan­tis­sons éga­le­ment leurs habi­tats, et pol­luons l’environnement pla­né­taire et tous ses milieux, l’air (que nous avons ren­du can­cé­ri­gène, et que nous char­geons tou­jours plus de nano­par­ti­cules, aus­si appe­lées par­ti­cules fines), le sol (que nous détrui­sons avec nos pra­tiques agri­coles et toutes nos infra­struc­tures) et l’eau (que nous conta­mi­nons de nos sub­stances chi­miques toxiques, et que nous satu­rons de plas­tiques, entre autres déchets).

Tous les humains de la pla­nète ne sont pas res­pon­sables de ce désastre. Il existe encore des peuples, sur Terre, qui n’ont pas adop­té le mode de vie urbain du « civi­li­sé », des peuples de chas­seurs-cueilleurs, des peuples tri­baux, qui vivent en dehors de la civi­li­sa­tion. Sans cette nuance cru­ciale, il est impos­sible de com­prendre pour­quoi et com­ment nous en sommes arri­vés là. Bien que plus très nom­breux, ils incarnent encore la pos­si­bi­li­té pour l’être humain de mener une exis­tence qui ne soit pas des­truc­trice de sa propre matrice.

Des causes évidentes

En effet, les pra­tiques qui ont cau­sé toutes les dégra­da­tions pré­cé­dem­ment citées sont tout à fait connues. Au début du 20ème siècle, le géné­ra­liste Lewis Mum­ford se posait la ques­tion suivante :

« La conco­mi­tance d’une puis­sance et d’une pro­duc­ti­vi­té déme­su­rées avec une agres­si­vi­té, une vio­lence et une capa­ci­té de des­truc­tion tout aus­si déme­su­rées, est-elle pure­ment accidentelle ? »

A son époque, avec les ren­sei­gne­ments dont il dis­po­sait, il en avait déjà conclu que ce n’était pas le cas. Aujourd’hui, avec les infor­ma­tions dont nous dis­po­sons, nous abon­dons plus que jamais en son sens. Nous savons que l’agriculture à grande échelle, la mono­cul­ture, l’agriculture indus­trielle avec labour et intrants chi­miques, sont des nui­sances ter­ribles. Nous savons que la défo­res­ta­tion, les extrac­tions minières, les infra­struc­tures de trans­port et de com­mu­ni­ca­tion (routes, auto­routes, voie fer­rées, aéro­ports, etc.), les infra­struc­tures éner­gé­tiques (cen­trales à char­bon, bar­rages, pylônes, cen­trales nucléaires, forages pétro­liers, exploi­ta­tions gazières, pan­neaux solaires, éoliennes, hydro­liennes, etc.) et tout le sec­teur de la construc­tion en géné­ral, en sont aus­si. Nous savons que tout ce qui émane et requiert des pro­ces­sus de pro­duc­tion de masse est nui­sible par défi­ni­tion (que « les ins­ti­tu­tions poli­tiques, sociales et éco­no­miques actuelles sont l’inévitable réponse à la pro­duc­tion et à la dis­tri­bu­tion de masse »).

Dans les années 90, les ins­tances diri­geantes de la socié­té indus­trielle mon­diale (les grands médias, les déci­sion­naires poli­tiques, etc.) com­men­cèrent à recon­naitre que son déve­lop­pe­ment était insou­te­nable (un euphé­misme pour des­truc­teur). C’est alors qu’ils inven­tèrent l’expression (le men­songe) du « déve­lop­pe­ment durable ». Fon­da­men­ta­le­ment rien ne chan­geait, sauf que le dis­cours offi­ciel pré­sen­tait désor­mais les pro­ces­sus indus­triels comme « durables », sup­po­sé­ment « éco­lo­giques ». On com­men­ça à par­ler de tech­no­lo­gies (ou d’énergies) dites « vertes » (ou « propres » ou « renou­ve­lables »). Mais, comme tout ce qui néces­site l’infrastructure indus­trielle de la pro­duc­tion de masse, ces tech­no­lo­gies n’ont rien de « vertes » (ou « propres » ou « renou­ve­lables »). Nous savons et consta­tons l’insoutenabilité (la des­truc­ti­vi­té) de la pro­duc­tion du lithium dont sont com­po­sées les bat­te­ries des appa­reils élec­tro­niques, des voi­tures « vertes » et des tech­no­lo­gies « renou­ve­lables ». Pareille­ment, nous connais­sons les des­truc­tions et les pol­lu­tions asso­ciés à l’extraction de gra­phite, de cobalt, de col­tan, de cad­mium, d’arsenic, et de la plu­part des métaux que l’on retrouve dans les tech­no­lo­gies dites « vertes » (pan­neaux solaires, éoliennes, etc.) et dans les hautes tech­no­lo­gies en géné­ral. Nous consta­tons même la toxi­ci­té du simple contact phy­sique avec ces maté­riaux, dans cer­taines quan­ti­tés et concen­tra­tions. Nous connais­sons la nui­sance que sont les bar­rages pour les rivières et les cours d’eau, et la vie qu’ils abritent.

Tout ce qui néces­site l’infrastructure indus­trielle, elle-même insou­te­nable et dépen­dante des extrac­tions minières, tout qui néces­site davan­tage encore d’extractivisme, et/ou de recy­clage de maté­riaux toxiques, de trans­port, de fabri­ca­tion en usine, et autres pra­tiques hau­te­ment éner­gi­vores, est pol­luant, nui­sible pour l’environnement, lit­té­ra­le­ment anti-éco­lo­gique. Même si, pour la dis­cus­sion, nous admet­tions hypo­thé­ti­que­ment que les éner­gies « renou­ve­lables » soient res­pec­tueuses de l’en­vi­ron­ne­ment (ce qu’elles ne sont pas), il res­te­rait tou­jours que ce qu’elles ali­mentent en élec­tri­ci­té ne l’est pas (objets élec­tro­niques, élec­tro­mé­na­gers, usines, etc.). Un exemple, par­mi la mul­ti­tude, au Congo, où le bar­rage de Lom Pan­gar, en plus d’a­voir entraî­né le dépla­ce­ment de nom­breuses familles, a noyé plus de 30 000 hec­tares de forêt pro­té­gée, et dont l’élec­tri­ci­té sera prin­ci­pa­le­ment des­ti­née à une immense usine d’aluminium, appar­te­nant à la Com­pa­gnie Came­rou­naise d’Aluminium (Alu­cam).

Le seul sec­teur de la construc­tion, de routes, de bâti­ments, est déjà lar­ge­ment insou­te­nable. Ça n’a rien d’un secret. L’entreprise bri­tan­nique pri­vée de construc­tion « Will­mott Dixon » l’admet sans aucun pro­blème dans un dos­sier sur les impacts de la construction :

« Près de la moi­tié des res­sources non-renou­ve­lables que l’humanité consomme est uti­li­sée par l’industrie de la construc­tion, ce qui en fait l’une des moins sou­te­nables au monde. […] Aujourd’hui, nous évo­luons quo­ti­dien­ne­ment dans et sur toutes sortes de construc­tions : nous vivons dans des mai­sons, nous voya­geons sur des routes, nous tra­vaillons et socia­li­sons dans des bâti­ments de toutes sortes. La civi­li­sa­tion humaine contem­po­raine dépend des bâti­ments et de ce qu’ils contiennent pour la conti­nua­tion de son exis­tence, et pour­tant notre pla­nète ne peut sou­te­nir le niveau de consom­ma­tion de res­source que cela engendre. »

La construc­tion de routes est d’ailleurs consi­dé­rée comme ce qui menace le plus le res­tant de vie sau­vage sur la pla­nète. William Lau­rance, pro­fes­seur à l’université James Cook en Aus­tra­lie, vient d’ailleurs de publier un nou­vel article, le 19 décembre 2016, inti­tu­lé « Les construc­tions mon­diales de routes détruisent la nature ». Et qui com­mence comme suit :

« Si vous deman­diez à un de vos amis de vous citer les pires menaces anthro­piques pour la nature, que répon­drait-il ? Le réchauf­fe­ment cli­ma­tique ? La chasse exces­sive ? La frag­men­ta­tion de l’habitat ?

Une nou­velle étude nous révèle qu’il s’agit en fait de la construc­tion de routes. »

Article qui se base d’ailleurs sur la même étude, publiée sur Scien­ce­mag le 16 décembre 2016 (« A glo­bal map of road­less areas and their conser­va­tion sta­tus », en fran­çais « Une carte mon­diale des zones dépour­vues de routes et de leur état de conser­va­tion ») qu’un dos­sier de Natio­nal Geo­gra­phic qui nous explique que « les endroits sau­vages dépour­vus de routes font par­tie des der­niers endroits rela­ti­ve­ment pré­ser­vés de la pla­nète ».

« Les pro­jec­tions actuelles sug­gèrent que d’ici 2050, il y aura envi­ron 25 mil­lions de kilo­mètres de routes pavées sup­plé­men­taires — assez pour faire plus de 600 fois le tour de la Terre. […] En Afrique, par exemple, nos ana­lyses révèlent que 33 « cor­ri­dors de déve­lop­pe­ment » tota­li­se­raient plus de 53 000 kilo­mètres de routes qua­drillant le conti­nent, en pas­sant à tra­vers beau­coup de régions iso­lées et sauvages. »

Les racines millénaires du piège progressiste

Le constat est sans appel. La civi­li­sa­tion est un pro­ces­sus insou­te­nable, et ce depuis déjà des mil­liers d’années (les défo­res­ta­tions mas­sives asso­ciées aux pre­mières formes d’urbanisations, comme Ur, Uruk et Baby­lone, menèrent droit à la créa­tion de déserts). Et il ne s’agit que de son aspect (anti-)écologique. Sur les plans éco­no­miques et poli­tiques, sur les­quels nous ne nous attar­de­rons pas, nous remar­quons clai­re­ment que la civi­li­sa­tion est une orga­ni­sa­tion sociale pro­fon­dé­ment inéga­li­taire. Sur le plan de la san­té phy­sique et men­tale, sur lequel nous ne nous attar­de­rons pas non plus, sou­li­gnons sim­ple­ment que l’in­ci­dence des troubles psy­cho­lo­giques aug­mente (stress, angoisses, dépres­sions, sui­cides), ain­si que de bien d’autres mala­dies de civi­li­sa­tion (dia­bète, athé­ro­sclé­rose, asthme, aller­gies, obé­si­té et can­cer). Perte de sens géné­ra­li­sée et mal­bouffe indus­trielle aidant.

Seule­ment, et c’est là un autre pro­blème majeur, le renon­ce­ment ne fait abso­lu­ment pas par­tie de l’idéologie pro­gres­siste de la civi­li­sa­tion, qui le tient en hor­reur. Toute la pro­pa­gande cultu­relle des organes du pou­voir s’est atte­lée, et s’attèle, depuis déjà des décen­nies, à dia­bo­li­ser le pas­sé, à le dépré­cier, et à le dif­fa­mer. Le Moyen Âge est pré­sen­té comme une période sombre, vio­lente et ter­rible, la préhis­toire est lar­ge­ment igno­rée et son appel­la­tion (pré-) sert clai­re­ment à la faire pas­ser pour ce qui n’est pas encore de l’histoire, pour un état de ges­ta­tion, infan­tile, qui donne ensuite nais­sance à la seule période impor­tante : l’His­toire. Comme si l’humanité et la vie en géné­ral n’avaient aucun inté­rêt avant l’invention (catas­tro­phique) de l’histoire, de l’écriture, de la civi­li­sa­tion. Des remarques stu­pides et insi­dieuses viennent ter­nir l’image de la vie pas­sé, et cherchent à don­ner l’impression que plus on remonte dans le temps, plus on s’enfonce dans la « bar­ba­rie ».

Tan­dis que, pour reprendre les mots de Phi­lip Sla­ter : « l’histoire […] est en très grande majo­ri­té, même aujourd’hui, un récit des vicis­si­tudes, des rela­tions et des dés­équi­libres créés par ceux qui sont avides de richesse, de pou­voir, et de célé­bri­té ».

Tout le dis­cours « civi­li­sé », depuis l’invention de la civi­li­sa­tion, consiste à déni­grer le sau­vage, le bar­bare, le non-civi­li­sé. Et pour­tant le latin sil­va « forêt » donne en bas latin sal­va­ti­cus, alté­ra­tion du latin clas­sique sil­va­ti­cus. Syl­vestre signi­fie : « fores­tier ». Sau­vage en est venu à signi­fier : qui vit en liber­té dans la forêt. Le dis­cours des « civi­li­sés », de ceux qui n’hésitent pas à raser des forêts entières pour construire leurs cités, vise donc clai­re­ment à rabais­ser ceux qui vivent dans la forêt. Le mépris de la civi­li­sa­tion pour le monde natu­rel, pour l’écologie pla­né­taire, se mani­feste on ne peut plus clai­re­ment dans cette dicho­to­mie civilisé/bon, sauvage/mauvais (ou arrié­ré, archaïque).

Aujourd’hui, les der­niers « sau­vages » sont aus­si les der­niers groupes humains à vivre sur la pla­nète sans la détruire, contrai­re­ment à ce que sug­gère l’ex­pres­sion « mythe du bon sau­vage » (et ses inven­teurs civi­li­sés, bien évi­dem­ment). Sans idéa­li­ser les peu­plades indi­gènes à tra­vers l’histoire, dont les modes de vie n’é­taient (et ne sont) cer­tai­ne­ment pas exempts d’im­per­fec­tions, de pré­ca­ri­té, et de dif­fi­cul­tés, il devrait être clair qu’eux ne détruisent pas le monde, comme les « civi­li­sés ». L’ar­gu­ment avan­cé afin de sou­te­nir l’i­dée selon laquelle les peuples de four­ra­geurs détrui­saient aus­si leur envi­ron­ne­ment consiste à poin­ter du doigt les extinc­tions du pléis­to­cène, comme une preuve irré­fu­table et suf­fi­sante de la des­truc­ti­vi­té inhé­rente au mode de vie des chas­seurs-cueilleurs. Dans son livre « The Sto­ry of B », Daniel Quinn, un écri­vain amé­ri­cain, aborde le sujet :

Ques­tion : Vous dites que l’être humain a vécu en paix avec le monde pen­dant les mil­lions d’années qui pré­cé­dèrent notre révo­lu­tion agri­cole. Mais de récentes décou­vertes n’ont-elles pas révé­lées que les anciens peuples four­ra­geurs ont chas­sé beau­coup d’espèces jusqu’à extinction ?

Réponse : Je crois que je me sou­viens encore des mots que j’ai uti­li­sés il y a un moment à peine, lorsque je disais que l’être humain vivait en paix avec le monde : « cela ne signi­fie pas qu’il mar­chait sur Terre à la manière du Boud­dha. Sim­ple­ment qu’il vivait de manière aus­si ano­dine que la hyène, que le requin ou que le ser­pent à son­nette ». Lorsqu’une nou­velle espèce vient au monde, des ajus­te­ments se pro­duisent au sein de la com­mu­nau­té du vivant — et cer­tains de ces ajus­te­ments s’avèrent fatals pour cer­taines espèces. Par exemple, lorsque les puis­sants et véloces chas­seurs de la famille des félins appa­rurent à la fin de l’éocène, cela entrai­na des réper­cus­sions au sein de toute la com­mu­nau­té — et par­fois des extinc­tions. Les espèces qui consti­tuaient des « proies faciles » s’éteignirent parce qu’elles ne pou­vaient se repro­duire assez rapi­de­ment pour rem­pla­cer les indi­vi­dus que les félins empor­taient. Cer­taines espèces concur­rentes des félins s’éteignirent aus­si, pour la simple rai­son qu’elles étaient dépas­sées — pas assez puis­santes ou pas assez rapides. Ces appa­ri­tions et dis­pa­ri­tions d’espèces sont le fon­de­ment de l’évolution, après tout.

Les chas­seurs humains de la période du méso­li­thique ont peut-être chas­sé le mam­mouth jusqu’à extinc­tion, mais ils ne l’ont cer­tai­ne­ment pas fait de manière volon­taire, comme les agri­cul­teurs de notre culture chassent les coyotes et les loups, sim­ple­ment pour s’en débar­ras­ser. Les chas­seurs du méso­li­thique ont peut-être chas­sé le Méga­cé­ros jusqu’à extinc­tion, mais ils ne l’ont cer­tai­ne­ment pas fait par indif­fé­rence totale, comme les chas­seurs d’ivoire mas­sacrent les élé­phants. Les chas­seurs d’ivoire savent bien que chaque tue­rie rap­proche l’espèce de l’extinction, mais les chas­seurs du méso­li­thique n’avaient aucun moyen de devi­ner que c’était ce qui atten­dait le Mégacéros.

Il est impor­tant de gar­der à l’esprit le fait que la poli­tique de l’agriculture tota­li­taire consiste à éra­di­quer les espèces jugées indé­si­rables. Si les anciens four­ra­geurs ont chas­sé une espèce jusqu’à extinc­tion, ce n’était pas parce qu’ils vou­laient se débar­ras­ser de leur propre nourriture !

De la part de membres de la culture la plus des­truc­trice et toxique que le monde ait jamais por­tée (la civi­li­sa­tion), l’af­fir­ma­tion selon laquelle le non-civi­li­sé qui vit en har­mo­nie avec la nature est un mythe, en plus d’être lar­ge­ment absurde et fausse, est d’une pré­ten­tion invrai­sem­blable et relève d’un mépris colos­sal envers toutes les cultures autres que la glo­rieuse civi­li­sa­tion. En effet, au-delà du fait que les extinc­tions du pléis­to­cène (pour les­quelles cer­tains groupes humains, et pas tous les sau­vages, ou tous les indi­gènes, en un bon gros amal­game sim­pli­fi­ca­teur comme on aime à en faire pour ne pas trop pen­ser, seraient à blâ­mer) sont éga­le­ment liées à d’autres fac­teurs, tout ce que nous en savons aujourd’­hui reste dans le domaine de la théo­rie, et ne pour­ra qu’y demeu­rer. Bien des cher­cheurs, anthro­po­logues, pré­his­to­riens et autres, sou­tiennent d’ailleurs la thèse inverse (comme Loren Eise­ley, ancien pré­sident de l’Ins­ti­tut amé­ri­cain de Paléon­to­lo­gie, ou le bio­lo­giste Ken Fisch­man, ou encore l’ar­chéo­logue Donald Gray­son). Tou­jours est-il que nous savons aujourd’­hui, grâce à l’é­tude de peuples chas­seurs-cueilleurs encore exis­tants, que les pra­tiques des non-civi­li­sés sou­tiennent bien sou­vent l’in­té­gri­té écologique.

Par exemple, d’après John Gow­dy, pro­fes­seur de sciences et tech­no­lo­gies dans l’état de New-York :

« Les chas­seurs-cueilleurs sont bien plus que d’intéressantes reliques du pas­sé dont l’histoire pour­rait nous four­nir des infor­ma­tions inté­res­santes sur d’autres manières de vivre. Les chas­seurs-cueilleurs ain­si que d’autres peuples indi­gènes existent encore et nous montrent encore des alter­na­tives à l’individualisme pos­ses­sif du monde capi­ta­liste. Les peuples indi­gènes sont bien sou­vent, et dans le monde entier, en pre­mière ligne des luttes pour la digni­té humaine et la pro­tec­tion envi­ron­ne­men­tale (Nash 1994). Mal­gré les assauts contre les cultures du monde, de nom­breux peuples indi­gènes main­tiennent, et par­fois déve­loppent des alter­na­tives à l’homme éco­no­mique (Lee 1993, Sah­lins 1993). Ces alter­na­tives pour­raient un jour nous mener vers une nou­velle éco­no­mie, éco­lo­gi­que­ment sou­te­nable et socia­le­ment juste ».

Ou, comme nous pou­vons le lire dans une étude sur « les rôles et les impacts des chas­seurs-cueilleurs sur les chaines ali­men­taires marines du Paci­fique Nord », publiée le 17 février 2016, sur le site de la revue scien­ti­fique Nature :

« […] Un four­ra­geage impor­tant, assis­té par une tech­no­lo­gie limi­tée, et pra­ti­qué par une popu­la­tion humaine aux proies chan­geantes, sou­te­nait l’intégrité écologique ».

Ou encore, comme l’explique Madhav Gad­gil, pro­fes­seur de bio­lo­gie à Har­vard, dans un arti­cle sur « les savoirs indi­gènes et la conser­va­tion de la bio­di­ver­si­té » :

« Les preuves abondent de savoirs et de pra­tiques indi­gènes asso­ciés à une aug­men­ta­tion de la bio­di­ver­si­té environnementale ».

Et enfin, comme nous le rap­por­tions dans un article publié en août 2016, inti­tu­lé « En Colom­bie-Bri­tan­nique, avant la civi­li­sa­tion, les Pre­mières Nations enri­chis­saient l’environnement », que nous avons tra­duit et publié sur notre site :

L’occupation humaine est habi­tuel­le­ment asso­ciée avec des pay­sages éco­lo­giques dété­rio­rés, mais une nou­velle recherche montre que 13 000 années d’occupation régu­lière de la Colom­bie Bri­tan­nique par des Pre­mières Nations ont eu l’effet inverse, en aug­men­tant la pro­duc­ti­vi­té de la forêt vierge tempérée.

Andrew Trant, un pro­fes­seur de la facul­té d’environnement de l’université de Water­loo, en res­sources et sou­te­na­bi­li­té, a diri­gé cette étude en par­te­na­riat avec l’université de Vic­to­ria et l’Institut Hakai. Leur recherche com­bi­nait des don­nées de télé­dé­tec­tions éco­lo­giques et archéo­lo­giques de sites côtiers où les Pre­mières Nations ont vécu pen­dant des mil­lé­naires. Elle montre que les arbres pous­sant sur les anciens lieux d’habitation sont plus grands, plus larges et en meilleure san­té que ceux de la forêt envi­ron­nante. Cette décou­verte s’explique, en grande par­tie, par les dépôts de coquillages et les feux.

« Il est incroyable qu’à une époque où tant de recherches nous montrent les legs nocifs que les gens laissent der­rière, nous obser­vions une his­toire oppo­sée », explique Trant. « Ces forêts pros­pèrent grâce à leur rela­tion avec les Pre­mières Nations de la côte. Pen­dant plus de 13 000 ans – 500 géné­ra­tions – ils ont trans­for­mé ce pay­sage. Cette région, qui, à pre­mière vue, semble intacte et sau­vage, est en réa­li­té hau­te­ment modi­fiée et amé­lio­rée grâce à une culture humaine ».

Ce qui se cache der­rière la popu­la­ri­té de l’ex­pres­sion « mythe du bon sau­vage », c’est en réa­li­té tout le carac­tère raciste de l’i­déo­lo­gie du pro­grès (carac­té­ris­tique de la civi­li­sa­tion), jus­ti­fiant ain­si le sort réser­vé à ces sau­vages, qui ne sont pas consi­dé­rés comme « bons » (une façon dégui­sée de dire qu’ils sont mau­vais). Rayer du champ des pos­sibles, ou du sou­hai­table, l’i­dée d’un mode de vie « sau­vage », libre, en lien avec le monde sau­vage, d’un mode de vie pour­tant infi­ni­ment plus sain et connec­té au monde natu­rel que celui de la culture domi­nante, pro­fite au ver­rouillage sys­té­mique actuel, ce qui réduit l’u­nique voie à suivre, pour l’hu­ma­ni­té, au seul choix (qui n’en est donc plus un) de la civi­li­sa­tion, à la conti­nui­té de ce que nous connais­sons actuel­le­ment, et, par là même, ce qui garan­tit que le désastre empire, encore, et toujours.

Mais il doit en être ain­si, puisque la civi­li­sa­tion se carac­té­rise par un besoin fon­da­men­tal de contrôle, par une into­lé­rance totale envers tous les modes de vie autres que le sien, et envers tout ce dont elle n’a pas ordon­nan­cé l’existence.

C’est ce que Des­cartes lais­sait entendre lorsqu’il écri­vait que l’homme devait se rendre maître et pos­ses­seur de la nature. Au lieu d’accepter le monde natu­rel tel qu’il est, en ten­tant de s’y inté­grer de la meilleure manière pos­sible, la civi­li­sa­tion tente de s’en extir­per, de s’en sépa­rer, de le contrô­ler, et fina­le­ment de le refa­çon­ner entiè­re­ment afin qu’il se sou­mette à ses volon­tés déli­rantes et à sa culture de la machine.

Quoi qu’il en soit, répé­tons-le, le constat est sans appel. Mais du fait de son alié­na­tion, la civi­li­sa­tion ne compte renon­cer à aucune des pra­tiques qui la com­posent, et qui pré­ci­pitent actuel­le­ment cette anni­hi­la­tion du vivant. Beau­coup de scien­ti­fiques recon­naissent désor­mais que la 6ème extinc­tion de masse est en cours, sauf qu’à la dif­fé­rence des pré­cé­dentes extinc­tions de masse, celle-ci est cau­sée par l’être humain, et plus pré­ci­sé­ment par l’être humain « civi­li­sé ».

Un optimisme pathologique

Ce refus de renon­cer à tout ce qui est consi­dé­ré comme du « pro­grès » (au mépris des consé­quences clai­re­ment des­truc­trices et auto-des­truc­trices) s’appuie sur une croyance qua­si-reli­gieuse en ce que la tech­no­lo­gie, d’une manière ou d’une autre, bien que lar­ge­ment res­pon­sable du pro­blème mons­trueux auquel nous fai­sons face, sera notre salut. L’activiste Sebas­tien Carew Reid, membre de l’organisation d’écologie radi­cale Deep Green Resis­tance, l’énonce comme suit, dans son article « L’op­ti­misme et l’a­po­ca­lypse » :

« Le fait que notre mode de vie requière des morts et une des­truc­tion sys­té­ma­tique – et pour cette rai­son, qu’il doive être déman­te­lé – est sim­ple­ment trop lourd à gérer, et les hor­mones de stress déclenchent alors une réponse bio­lo­gique fon­da­men­tale visant à res­tau­rer la tran­quilli­té men­tale à tout prix. Consé­quence ? Nous nous accro­chons aux faux espoirs ras­su­rants selon les­quels les tech­no­lo­gies « vertes », les chan­ge­ments dans nos habi­tudes de consom­ma­teurs, ou le bon par­ti poli­tique nous sau­ve­ront un jour, d’une façon ou d’une autre. »

En cela, le pro­gres­sisme s’appuie sur un opti­misme qui relève de l’auto-illusionnement, et de l’illusion de manière plus géné­rale, ce que Sebas­tien Carew Reid détaille ensuite :

Robert Tri­vers, théo­ri­cien de l’évolution et pro­fes­seur à Har­vard, s’intéresse à la science de ces méca­nismes de défense pro­fon­dé­ment ancrés, dans son livre Deceit and Self-Decep­tion (Trom­pe­rie et Auto-Illu­sion­ne­ment, en fran­çais), et sou­ligne « qu’il s’agit de bien plus que d’une simple erreur de cal­cul, d’une erreur de sous-échan­tillon­nage, ou de sys­tèmes valides de logique qui tournent mal de temps à autre. Il s’agit d’auto-illusionnement, c’est-à-dire d’une série de pro­cé­dures de biais qui affectent tous les aspects de l’acquisition d’information et de l’analyse. Il s’agit d’une défor­ma­tion sys­té­ma­tique de la véri­té à chaque étape du pro­ces­sus psy­cho­lo­gique ». En d’autres termes : nous mani­pu­lons la véri­té afin de réduire notre res­pon­sa­bi­li­té per­son­nelle et de ratio­na­li­ser l’inaction, condam­nant ain­si nos réponses pour qu’elles demeurent inap­pro­priées et inef­fec­tives. Tri­vers sou­ligne que « le sys­tème immu­ni­taire psy­cho­lo­gique ne cherche pas à répa­rer ce qui nous rend mal­heu­reux mais à le contex­tua­li­ser, à le ratio­na­li­ser, à le mini­mi­ser, et à men­tir à ce sujet… L’auto-illusionnement nous piège dans le sys­tème, nous offrant au mieux des gains tem­po­raires tan­dis que nous échouons à régler les vrais problèmes ».

Lorsque l’on regarde dans un dic­tion­naire, voi­ci une défi­ni­tion de l’optimisme que l’on peut trouver :

  1. Doc­trine qui sou­tient que Dieu étant par­fait, tout est néces­sai­re­ment pour le mieux dans le meilleur des mondes pos­sibles (opti­misme abso­lu), et plus géné­ra­le­ment que, dans le monde, le bien l’emporte sur le mal, ou que le mal n’y a de sens qu’en fonc­tion du bien.
  2. Dis­po­si­tion d’es­prit qui consiste à voir le bon côté des choses, à trou­ver que tout est pour le mieux, à ne pas s’in­quié­ter des embar­ras pré­sents et à bien augu­rer de l’avenir.

Cette dis­po­si­tion d’esprit est aujourd’hui très répan­due, on le remarque à tra­vers le suc­cès de sites web et d’associations qui se spé­cia­lisent dans l’information « posi­tive » comme « Posi­ti­vr », « Mr Mon­dia­li­sa­tion », « We Demain », ou « Kai­zen » (« le maga­zine 100% posi­tif »), et à tra­vers les « buzz » (le par­tage mas­sif) des nom­breux articles de grands médias sup­po­sés col­por­ter des « bonnes nou­velles » (on ne compte plus le nombre de par­tages d’articles men­son­gers ayant pour titre quelque chose comme « Le Cos­ta Rica tourne à 100 % avec des éner­gies renou­ve­lables », ou, comme le der­nier en date, repris en chœur par les médias de masse : « Las Vegas fonc­tionne désor­mais entiè­re­ment avec des éner­gies renou­ve­lables »). Cette soif de « bonnes nou­velles », pro­ba­ble­ment engen­drée par un sen­ti­ment géné­ral assez néga­tif sur l’é­tat des choses, incite fina­le­ment beau­coup trop de gens à sou­te­nir des ini­tia­tives qu’on leur pré­sente insi­dieu­se­ment comme des chan­ge­ments posi­tifs, mais qui n’en sont pas en réalité.

C’est ce que Der­rick Jen­sen dénonce dans son der­nier article inti­tu­lé « Le mythe des éner­gies renou­ve­lables », où il aborde éga­le­ment l’ab­sur­di­té de l’ef­fer­ves­cence média­tique qui accom­pagne tout déve­lop­pe­ment d’éner­gies dites « renou­ve­lables », en ana­ly­sant le cas du Cos­ta Rica :

« Un large pan de « l’environnementalisme » – et en par­ti­cu­lier l’activisme du mou­ve­ment cli­ma­tique – en a été réduit à n’être, de fait, qu’un outil de lob­bying au ser­vice d’un sec­teur indus­triel. Il s’agit d’un tour de passe-passe très habile de la part du capi­ta­lisme et des capi­ta­listes : trans­for­mer une inquié­tude très réelle vis-à-vis du réchauf­fe­ment cli­ma­tique en un mou­ve­ment de masse, puis uti­li­ser ce mou­ve­ment de masse pour sou­te­nir les objec­tifs de sec­teurs spé­ci­fiques de l’économie indus­trielle capitaliste.

Si vous deman­dez aux per­sonnes mobi­li­sées au sein de ce mou­ve­ment de masse pour­quoi elles mani­festent, elles vous répon­dront peut-être qu’elles essaient de sau­ver la pla­nète. Mais si vous leur deman­dez quelles sont leurs reven­di­ca­tions, elles vous répon­dront sans doute qu’elles sou­haitent davan­tage de sub­ven­tions pour les sec­teurs indus­triels du solaire, de l’éolien, de l’hydroélectrique et de la biomasse.

C’est un incroyable tour de force des rela­tions publiques / du mar­ke­ting. Je ne blâme pas les mani­fes­tants. Ce ne sont pas eux le pro­blème. Le pro­blème, c’est que c’est pré­ci­sé­ment la spé­cia­li­té du capi­ta­lisme. Et le vrai pro­blème, c’est que le solaire et l’hydroélectrique pro­fitent à l’industrie, pas au monde réel. Les tor­tues du désert ont-elles besoin que l’on construise des cen­trales solaires en lieu et place de ce qui était autre­fois leurs mai­sons ? Les sau­mons ont-ils besoin que l’on construise des bar­rages sur les rivières qui étaient autre­fois leurs mai­sons ? Quid des silures géants du Mékong ?

Pour être clair, la nature sau­vage – des mou­flons cana­diens du désert aux fleurs-singe du Michi­gan et aux halo­philes de John­son – ne béné­fi­cie pas le moins du monde de ces soi-disant éner­gies alternatives. […] 

De la même façon, peu importe à quel point les acti­vistes cli­ma­tiques, les poli­ti­ciens et les « envi­ron­ne­men­ta­listes » pré­tendent que les bar­rages sont « verts » et « renou­ve­lables », il devrait être évident qu’ils tuent les rivières. Ils tuent les zones lacustres qu’ils inondent. Ils privent les rivières situées en amont des nutri­ments appor­tés par les pois­sons ana­dromes. Ils privent les plaines d’inondation en aval des nutri­ments qui cir­culent dans les rivières. Ils privent les plages de sédi­ments. Ils détruisent les habi­tats des pois­sons et des autres espèces qui vivent dans les rivières sau­vages, et pas dans des réser­voirs tièdes à l’écoulement alenti. […] 

Même en ce qui concerne les émis­sions de car­bone, nombre de soi-disant vic­toires des acti­vistes cli­ma­tiques ne sont pas le fruit de réduc­tions fac­tuelles d’émissions car­bone, mais plu­tôt de magouilles de comp­ta­bi­li­té. Par exemple, voi­ci un gros titre : « Le Cos­ta-Rica reven­dique 99% d’énergie renou­ve­lable en 2015 ». Eh bien non, déso­lé. Tout d’abord, il s’agit « d’électricité » pas d’énergie. Dans la plu­part des pays, l’électricité repré­sente envi­ron 20% de l’utilisation d’énergie. Alors rédui­sez leur pour­cen­tage de 99% à un peu moins de 20%.

Ensuite, l’article affirme que « les trois quarts de l’électricité du Cos­ta Rica sont géné­rés par des cen­trales hydro­élec­triques, pro­fi­tant de l’abondant réseau hydro­gra­phique du pays et des fortes pluies tro­pi­cales ». Cette élec­tri­ci­té est donc géné­rée par des bar­rages, qui, comme nous l’avons vu, tuent les rivières. Les bar­rages, qui plus est, ne sont même pas « neutres en car­bone », ain­si que le pré­tendent les gou­ver­ne­ments, les capi­ta­listes et les acti­vistes cli­ma­tiques. On sait depuis des décen­nies que cette affir­ma­tion est fausse. Les bar­rages émettent tel­le­ment de méthane, un puis­sant gaz à effet de serre, qu’on peut les qua­li­fier de « bombes à méthane » ou « d’usines à méthane ».

[Ce n’est pas tout, ajoutons également une autre pollution importante liée aux barrages, qui n’est pas évoquée ici, et que le quotidien suisse "Le Temps" exposait le 5 décembre 2016 dans un article intitulé : "L’empoisonnement au mercure, l’effet caché des barrages". Plus d’infos dans cette vidéo. NdT]

Tota­li­sant 23% de toutes les émis­sions de méthane par les humains, ils en sont la plus impor­tante source d’émissions d’origine anthro­pique. Les bar­rages peuvent émettre, par uni­té d’énergie, jusqu’à 3 fois et demi la quan­ti­té de car­bone atmo­sphé­rique émise par la com­bus­tion du pétrole, prin­ci­pa­le­ment parce que, comme le fait remar­quer un article du New Scien­tist, « de larges quan­ti­tés de car­bone conte­nues dans les arbres sont relâ­chées lorsque le réser­voir est rem­pli pour la pre­mière fois et que les plantes pour­rissent. Après ce pre­mier stade de désa­gré­ga­tion, les matières orga­niques décan­tées au fond du réser­voir se décom­posent en l’absence d’oxygène, ce qui a pour consé­quence une accu­mu­la­tion de méthane dis­sout. Ce méthane est relâ­ché dans l’atmosphère lorsque l’eau tra­verse les tur­bines du bar­rage ».

Donc lorsque qu’on vous raconte que les bar­rages sont « neutres en car­bone », en réa­li­té, on vous raconte qu’on « ne prend pas en compte le car­bone émit par les bar­rages ». Mais tout cela n’est que comp­ta­bi­li­té et n’a rien à voir avec le monde réel, qui lui, n’a que faire de la comptabilité.

Du point de vue de la san­té de la pla­nète, le mieux que l’on puisse dire des bar­rages est qu’ils fini­ront par s’effondrer, et que si la rivière est tou­jours en vie à ce moment-là, elle fera de son mieux pour s’en remettre. »

A pro­pos de l’i­nu­ti­li­té et de l’i­nep­tie des alter­na­tives soi-disant vertes.

En plus de n’avoir rien d’écologiques, cette nou­velle indus­trie des « renou­ve­lables » ne rem­place pas celles des éner­gies issues des com­bus­tibles fos­siles, ou du nucléaire, au contraire, elles s’y ajoutent. En effet la Chine lance actuel­le­ment la construc­tion de cen­trales nucléaires (« flot­tantes » !), la Rus­sie, le Pakis­tan et l’Iran en construisent éga­le­ment, l’Inde construit tou­jours plus de cen­trales au char­bon, etc.

Il n’y a pas de « tran­si­tion éner­gé­tique », c’est un mythe, expo­sé, entre autres, par Jean-Bap­tiste Fres­soz dans son texte « Pour une his­toire déso­rien­tée de l’éner­gie », dont voi­ci un extrait :

« La mau­vaise nou­velle est que si l’histoire nous apprend bien une chose, c’est qu’il n’y a en fait jamais eu de tran­si­tion éner­gé­tique. On ne passe pas du bois au char­bon, puis du char­bon au pétrole, puis du pétrole au nucléaire. L’histoire de l’énergie n’est pas celle de tran­si­tions, mais celle d’additions suc­ces­sives de nou­velles sources d’énergie pri­maire. L’erreur de pers­pec­tive tient à la confu­sion entre rela­tif et abso­lu, entre local et glo­bal : si, au 20ème siècle, l’usage du char­bon décroît rela­ti­ve­ment au pétrole, il reste que sa consom­ma­tion croît conti­nû­ment, et que glo­ba­le­ment, on n’en a jamais autant brû­lé qu’en 2013.

S’extraire de l’imaginaire tran­si­tion­niste n’est pas aisé tant il struc­ture la per­cep­tion com­mune de l’histoire des tech­niques, scan­dée par les grandes inno­va­tions défi­nis­sant les grands âges tech­niques. À l’âge du char­bon suc­cé­de­rait celui du pétrole, puis celui (encore à venir) de l’atome. On nous a récem­ment ser­vi l’âge des éner­gies renou­ve­lables, celui du numé­rique, de la géné­tique, des nanos etc. Cette vision n’est pas seule­ment linéaire, elle est sim­ple­ment fausse : elle ne rend pas compte de l’histoire maté­rielle de notre socié­té qui est fon­da­men­ta­le­ment cumulative. »

Le constat est sans appel, et il empire. Avec l’industrialisation des pays en déve­lop­pe­ments, de l’Afrique, de l’Amérique du Sud, de l’Asie, la consom­ma­tion en matières pre­mières ne va faire que grim­per en flèche, et avec elle les pol­lu­tions et les dégra­da­tions envi­ron­ne­men­tales. Les diri­geants des grandes cor­po­ra­tions mon­diales, qui se fichent éper­du­ment de la situa­tion éco­lo­gique pla­né­taire, voient dans l’électrification des pays en déve­lop­pe­ment, dans leur reliage à la socié­té indus­trielle de consom­ma­tion d’objets super­flus et toxiques, une oppor­tu­ni­té de crois­sance, de pro­fits, d’expansion. Le mode de vie dont on sait qu’il est lar­ge­ment insou­te­nable dans les pays dits « déve­lop­pés », ils l’étendront au monde entier.

C’est en cela que l’optimisme de beau­coup trop de gens, qui les pousse à croire en un salut par l’innovation tech­no­lo­gique, en un réfor­misme de la civi­li­sa­tion, plu­tôt qu’à exi­ger son déman­tè­le­ment total, relève de l’auto-illusionnement, de l’illusion, et fina­le­ment du men­songe. Et c’est en cela qu’il est dan­ge­reux, puis­qu’il per­met à tous les indi­vi­dus qui com­posent la civi­li­sa­tion indus­trielle de ratio­na­li­ser leur par­ti­ci­pa­tion à un pro­blème qu’ils font alors durer, et empi­rer, mais avec l’es­poir qu’il fini­ra un jour par ces­ser de s’ag­gra­ver, d’une façon ou d’une autre, une fois que suf­fi­sam­ment d’in­no­va­tions tech­no­lo­giques auront vu le jour.

Ain­si, au lieu de défendre le peu de nature sau­vage qu’il reste, ils cherchent à défendre un mode de vie des­truc­teur mais confor­table, dont ils ne sup­portent pas l’idée qu’il puisse ne pas être viable, pure­ment et simplement.

Ensuite parce qu’en se concen­trant sur quelques détails, quelques ini­tia­tives qu’ils s’acharnent à consi­dé­rer comme « posi­tives », mais qui ne le sont que très rare­ment (cf. le mythe des éner­gies renou­ve­lables), ils occultent la réa­li­té mas­sive des faits, qui nous indique très clai­re­ment un empi­re­ment constant de la situa­tion, et n’en mesurent abso­lu­ment pas l’urgence.

La néces­si­té de renon­cer à l’industrialisme, et donc à la pro­duc­tion de masse de hautes-tech­no­lo­gies, d’objets élec­tro­niques et élec­tro­mé­na­gers en tous genres, de mar­chan­dises ali­men­taires usi­nées en tous genres, de médi­ca­ments phar­ma­ceu­tiques indus­triels en tous genres, etc., est donc repous­sée, au béné­fice d’éco-innovations men­son­gères, et au détri­ment de la nature. Et cela, nous pou­vons tous le consta­ter, par­tout et tous les jours.

Bien sûr, des cam­pagnes de pro­pa­gande média­tique mas­sive, qui servent à entre­te­nir le mythe de ces « illu­sions vertes », ain­si que les qua­li­fie le cher­cheur amé­ri­cain Ozzie Zeh­ner, sont dif­fu­sées en conti­nu. Cam­pagnes qui leurrent le grand public en lui racon­tant que le chan­ge­ment cli­ma­tique est l’en­ne­mi numé­ro 1, tan­dis qu’il est « l’effet secon­daire d’un mode de vie déjà pro­fon­dé­ment nui­sible pour la pla­nète », comme nous l’é­cri­vions dans un pré­cé­dent article, où nous ana­ly­sions la manière dont les médias de masse pré­sentent la crise écologique :

« En igno­rant les pro­blèmes liés aux fon­de­ments même du mode de vie urbain, en pla­çant le chan­ge­ment cli­ma­tique en enne­mi numé­ro 1, l’agriculture en deuxième posi­tion, et le bra­con­nage ensuite, le prin­ci­pal est pas­sé sous silence. La mani­pu­la­tion est habile. Ils pré­sentent alors une liste de pro­blèmes qui semblent solubles, et dont les « solu­tions » ne mettent pas en dan­ger le sys­tème éco­no­mique mon­dia­li­sé de la civi­li­sa­tion indus­trielle, puisque au contraire, elles lui offrent de nou­velles pos­si­bi­li­tés de gains finan­ciers, avec la fameuse crois­sance « verte ». Les éner­gies « propres » (« vertes » ou « renou­ve­lables » selon le choix de l’équipe mar­ke­ting) sont alors pré­sen­tées comme une solu­tion au chan­ge­ment cli­ma­tique, l’agriculture bio™ comme une solu­tion aux pro­blèmes liés à l’agriculture indus­trielle, l’implémentation de plus de lois et de plus de règle­ments comme une solu­tion aux pro­blèmes liés au bra­con­nage, et ain­si de suite. Fon­da­men­ta­le­ment, rien ne change. L’essentiel, selon eux, qui n’est pas la san­té de la pla­nète, pas la pré­ser­va­tion de la bio­di­ver­si­té, mais la conti­nua­tion d’un mode de vie hau­te­ment tech­no­lo­gique et d’un ordre éco­no­mique inéga­li­taire (avec des puis­sants et des faibles, des pauvres et des riches), qui est le « pro­grès », le « déve­lop­pe­ment » ou « la crois­sance », est sauf. »

L’empire de l’illusion ne doit jamais se dis­si­per. Son rôle pré­pon­dé­rant à tra­vers l’histoire des civi­li­sa­tions est décrit par Gus­tave Le Bon dans son livre sur « la psy­cho­lo­gie des foules » :

« Depuis l’au­rore des civi­li­sa­tions les foules ont tou­jours subi l’in­fluence des illu­sions. C’est aux créa­teurs d’illu­sions qu’elles ont éle­vé le plus de temples, de sta­tues et d’au­tels. Illu­sions reli­gieuses jadis, illu­sions phi­lo­so­phiques et sociales aujourd’­hui, on retrouve tou­jours ces for­mi­dables sou­ve­raines à la tête de toutes les civi­li­sa­tions qui ont suc­ces­si­ve­ment fleu­ri sur notre pla­nète. C’est en leur nom que se sont édi­fiés les temples de la Chal­dée et de l’É­gypte, les édi­fices reli­gieux du moyen âge, que l’Eu­rope entière a été bou­le­ver­sée il y a un siècle, et il n’est pas une seule de nos concep­tions artis­tiques, poli­tiques ou sociales qui ne porte leur puis­sante empreinte. […] L’illu­sion sociale règne aujourd’­hui sur toutes les ruines amon­ce­lées du pas­sé, et l’a­ve­nir lui appar­tient. Les foules n’ont jamais eu soif de véri­tés. Devant les évi­dences qui leur déplaisent, elles se détournent, pré­fé­rant déi­fier l’er­reur, si l’er­reur les séduit. Qui sait les illu­sion­ner est aisé­ment leur maître ; qui tente de les dés­illu­sion­ner est tou­jours leur victime. »

Ce rôle pour­rait être com­pa­ré à celui du Soma du fameux roman d’Aldous Hux­ley, « Le meilleur des mondes », tel qu’il le décrit lui-même :

« La ration de soma quo­ti­dienne était une garan­tie contre l’inquiétude per­son­nelle, l’agitation sociale et la pro­pa­ga­tion d’idées sub­ver­sives. Karl Marx décla­rait que la reli­gion était l’opium du peuple, mais dans le Meilleur des Mondes la situa­tion se trou­vait ren­ver­sée : l’opium, ou plu­tôt le soma, était la reli­gion du peuple. Comme elle, il avait le pou­voir de conso­ler et de com­pen­ser, il fai­sait naître des visions d’un autre monde, plus beau, il don­nait l’espoir, sou­te­nait la foi et encou­ra­geait la charité.

[…] Le soma de ma fable avait non seule­ment la pro­prié­té de tran­quilli­ser, d’halluciner et de sti­mu­ler, mais aus­si d’augmenter la sug­ges­ti­bi­li­té et pou­vait donc être uti­li­sé pour ren­for­cer les effets de la pro­pa­gande gouvernementale. »

Le jour­na­liste aus­tra­lien John Pil­ger, grand repor­ter de guerre indé­pen­dant, dont nous avons sous-titré le der­nier (excellent) docu­men­taire, inti­tu­lé « The Coming War On Chi­na » (en fran­çais : La menace d’une guerre contre la Chine), qui vient de sor­tir en décembre 2016, écrit que « les véri­tés offi­cielles sont sou­vent de puis­santes illu­sions ». Toute son œuvre, tous ses films docu­men­taires et ses livres, sont une dénon­cia­tion des mani­pu­la­tions et des illu­sions qu’entretiennent les puis­sants dans leur quête de contrôle et de pouvoir.

Le mythe des ONG

ou Comment l’ONG-isation étouffe la résistance

Par­mi cet ensemble de « puis­santes illu­sions », on retrouve le sec­teur des ONG, qui joue un rôle de plus en plus grand dans l’ingénierie sociale, très bien dénon­cé par l’auteure et mili­tante indienne Arund­ha­ti Roy :

« La plu­part des ONG sont finan­cées et patron­nées par les agences d’aide au déve­lop­pe­ment, qui sont à leur tour finan­cées par les gou­ver­ne­ments occi­den­taux, la Banque mon­diale, les Nations unies et quelques entre­prises mul­ti­na­tio­nales. Sans être iden­tiques, ces agences font par­tie d’un ensemble poli­tique aux contours flous qui super­vise le pro­jet néo­li­bé­ral et dont la demande prio­ri­taire est d’obtenir des coupes dras­tiques dans les dépenses gouvernementales.

[…] Au bout du compte — sur une plus petite échelle, mais de manière plus insi­dieuse — le capi­tal mis à la dis­po­si­tion des ONG joue le même rôle dans les poli­tiques alter­na­tives que les capi­taux spé­cu­la­tifs qui entrent et sortent des éco­no­mies des pays pauvres. Il com­mence par dic­ter l’ordre du jour. Il trans­forme ensuite la confron­ta­tion en négo­cia­tion. Il dépo­li­tise la résis­tance et inter­fère avec les mou­ve­ments popu­laires locaux, qui sont tra­di­tion­nel­le­ment indé­pen­dants. Les ONG manient des bud­gets leur per­met­tant d’employer des per­son­nels locaux, qui auraient autre­ment été des mili­tants dans les mou­ve­ments de résis­tance, mais qui désor­mais peuvent sen­tir qu’ils font le bien de manière immé­diate et créa­tive (et tout cela en gagnant leur vie). La résis­tance poli­tique réelle n’offre pas ce genre de raccourcis.

L’ONG-isation de la poli­tique menace de trans­for­mer la résis­tance en un tra­vail cour­tois, rai­son­nable, payé, et en 35h. Avec quelques bonus en plus. La vraie résis­tance a de vrais coûts. Et aucun salaire. »

Finan­cé par les mêmes capi­taux qui dirigent l’économie mon­diale, le sec­teur des ONG ne s’oppose pas à l’ordre ins­ti­tu­tion­nel actuel mais lui sert à désa­mor­cer la contes­ta­tion, en trans­for­mant des hordes de mani­fes­tants en lob­byistes pour divers sec­teur indus­triels de la crois­sance soi-disant « verte », par exemple.

Le jour­na­liste fran­çais Fabrice Nico­li­no, dans son livre « Qui a tué l’é­co­lo­gie », ajoute d’ailleurs, à pro­pos des grandes ONG éco­lo­gistes fran­çaises, que :

« Leur bara­tin, car c’en est un, consiste à pleur­ni­cher chaque matin sur la des­truc­tion de la pla­nète, avant d’aller s’attabler le midi avec l’industrie, dont le rôle mor­ti­fère est cen­tral, puis d’aller conver­ser avec ces chefs poli­tiques impuis­sants, per­vers et mani­pu­la­teurs qui ne pensent qu’à leur car­rière avant de signer les auto­ri­sa­tions du désastre en cours.

On hésite devant le qua­li­fi­ca­tif. Misé­rable, minable, hon­teux, déri­soire, tra­gi­co­mique ? Qu’importe. Les éco­lo­gistes de salon ont failli pour de mul­tiples rai­sons, que j’ai essayé d’entrevoir dans ce livre. Cer­tains d’entre eux demeurent valeu­reux, et je ne doute pas de les croi­ser sur ma route, ni même de che­mi­ner de concert. […] 

Je ne crois pas être — tou­jours — naïf. On ne pro­clame pas une nou­velle époque. Nul décret ne peut venir à bout des vieilles lunes exté­nuées. Le mou­ve­ment éco­lo­giste fran­çais, sous sa forme actuelle, doit dis­pa­raitre. Peut-être bien, au pas­sage, chan­ger de nom. Mais un tel mou­ve­ment des idées et des âmes ne se conçoit pas sans un sur­saut his­to­rique de la socié­té. Il fau­dra donc, s’ils se pro­duisent tou­te­fois, des trem­ble­ments de terre d’une vaste ampleur, capables d’enfouir ce qui est mort, et de lais­ser s’épanouir ce qui défend réel­le­ment la vie.

La jeu­nesse, non parce qu’elle serait plus maligne, mais pour la seule rai­son qu’elle est l’avenir, est la condi­tion sine qua non du renou­veau. Je n’ai aucun conseil à don­ner, je me contente de rêver d’une insur­rec­tion de l’esprit, qui met­trait sens des­sus des­sous les prio­ri­tés de notre monde malade. On ver­ra. Je ver­rai peut-être. Il va de soi que le livre que vous lisez sera vili­pen­dé, et je dois avouer que j’en suis satis­fait par avance. Ceux que je cri­tique si fon­da­men­ta­le­ment n’ont d’autre choix que de me trai­ter d’extrémiste, et de pré­pa­rer dis­crè­te­ment la cami­sole de force. Grand bien leur fasse dans leurs bureaux bien chauffés !

Moi, depuis tou­jours, je place mon enga­ge­ment du côté des gueux de ce monde en déroute. Chez les pay­sans pauvres d’Afrique ou de l’Inde, chez les min­gong — 200 mil­lions de vaga­bonds — chi­nois, chez les Inuits assom­més par le « pro­grès » en marche, chez les Indiens de l’Amazonie ou les autoch­tones des îles Anda­man. Autant vous avouer que je me fous roya­le­ment des états d’âme des petits mar­quis pari­siens de la galaxie éco­lo-mon­daine. La véri­té, cer­taine à mes yeux, est que ces gens ne sont pas à la hau­teur des évè­ne­ments. Ils ne sont pas les seuls. Ils ne sont pas les pre­miers. Ils risquent de ne pas être les derniers.

La tâche était trop lourde pour eux, très sim­ple­ment. Sau­ver la pla­nète, cela va bien si l’on mène le com­bat depuis les confor­tables arènes pari­siennes. Mais affron­ter le sys­tème indus­triel, mené par une oli­gar­chie plus inso­lente de ses pri­vi­lèges qu’aucune autre du pas­sé, c’est une autre affaire. Il fau­drait nom­mer l’adversaire, qui est sou­vent un enne­mi. Rap­pe­ler cette évi­dence que la socié­té mon­diale est stra­ti­fiée en classes sociales aux inté­rêts évi­dem­ment contra­dic­toires. Assu­mer la pers­pec­tive de l’affrontement. Admettre qu’aucun chan­ge­ment radi­cal n’a jamais réus­si par la dis­cus­sion et la per­sua­sion. Recon­naître la néces­si­té de com­bats immé­diats et sans rete­nue. Par exemple, et pour ne prendre que notre petit pays, empê­cher à toute force la construc­tion de l’aéroport nan­tais de Notre-Dame-des-Landes, pour­chas­ser sans relâche les pro­mo­teurs cri­mi­nels des dits bio­car­bu­rants, dénon­cer dès main­te­nant la pers­pec­tive d’une exploi­ta­tion mas­sive des gaz de schistes, qui sera pro­ba­ble­ment la grande bataille des pro­chaines années.

[…] Il fau­drait enfin savoir ce que nous sommes prêts à ris­quer per­son­nel­le­ment pour enrayer la machine infer­nale. Et poser sans fré­mir la ques­tion du dan­ger, de la pri­son, du sacri­fice. Car nous en sommes là, n’en déplaise aux Bisou­nours qui vou­draient tel­le­ment que tout le monde s’embrasse à la manière de Folleville.

Au lieu de quoi la gran­diose pers­pec­tive de remettre le monde sur ses pieds se limite à trier ses ordures et éteindre la lumière der­rière soi. Les plus cou­ra­geux iront jusqu’à envoyer un mes­sage élec­tro­nique de pro­tes­ta­tion et faire du vélo trois fois par semaine, se nour­ris­sant bien enten­du de pro­duits bio. J’ai l’air de me moquer, mais pas de ceux qui croient agir pour le bien public. J’attaque en fait cette immense coa­li­tion du « déve­lop­pe­ment durable » qui a inté­rêt à faire croire à des fadaises. Car ce ne sont que de ter­ribles illu­sions. Il est grave, il est même cri­mi­nel d’entraîner des mil­lions de citoyens inquiets dans des voies sans issue.

Non, il n’est pas vrai qu’acheter des lampes à basse consom­ma­tion chan­ge­ra quoi que ce soit à l’état éco­lo­gique du monde. La machine broie et digère tous ces gestes hélas déri­soires, et conti­nue sa route. Pis, cela donne bonne conscience. Les plus rou­blards, comme au temps des indul­gences catho­liques, voyagent en avion d’un bout à l’autre de la terre autant qu’ils le sou­haitent, mais com­pensent leur émis­sion de car­bone en payant trois francs six sous cen­sés ser­vir à plan­ter quelques arbres ailleurs, loin des yeux. On ne fait pas de bar­rage contre l’océan Paci­fique, non plus qu’on ne vide­ra jamais la mer avec une cuiller à café. Les dimen­sions du drame exigent de tout autres mesures. Et il y a pire que de ne rien faire, qui est de faire sem­blant. Qui est de s’estimer quitte, d’atteindre à la bonne conscience, et de croire qu’on est sur la bonne voie, alors qu’on avance en aveugle vers le mur du fond de l’impasse. »

Dans un récent article où nous résu­mons le tra­vail de la jour­na­liste cana­dienne Cory Mor­ning­star, cette cri­tique des grandes ONG éco­lo­gistes est lar­ge­ment détaillée. En ana­ly­sant le dis­cours de la prin­ci­pale d’entre elles, finan­cée par les Rocke­fel­ler et par War­ren Buf­fett, entre autres, à savoir l’ONG 350.org, elle expose clai­re­ment en quoi « le but n’est plus de pro­té­ger la nature et toutes les créa­tures vivantes. Au contraire, l’objectif est désor­mais de pri­vi­lé­gier la tech­no­lo­gie au détri­ment du monde natu­rel et du vivant. De sou­te­nir une « révo­lu­tion pour les éner­gies propres », aux frais du peu qu’il reste de nature et de vie non-humaine, et au béné­fice de la satis­fac­tion des dési­rs des civi­li­sés ».

En plus de l’ONG-isa­tion de la résis­tance que dénoncent Arund­ha­ti Roy et Fabrice Nico­li­no, la culture de la célé­bri­té, de plus en plus pré­gnante, par­ti­cipe elle aus­si de cette « coa­li­tion du déve­lop­pe­ment durable qui a inté­rêt à faire croire en des fadaises ». En ce sens le sec­teur des ONG et la culture de la célé­bri­té (qui font par­tie du com­plexe indus­triel non-lucra­tif, dont parle Cory Mor­ning­star) rejoignent et encou­ragent l’écocitoyennisme que nous abor­de­rons plus loin.

L’industrie des pan­neaux solaires requiert de mul­tiples maté­riaux lis­tés en avril 2016 par le site Resource Inves­tor, dont, entre autres : l’arsenic (semi-conduc­teur), l’aluminium, le bore (semi-conduc­teur), le cad­mium (uti­li­sé dans cer­tains types de cel­lules pho­to­vol­taïques), le cuivre (câblage et cer­tains types de cel­lules pho­to­vol­taïques), le gal­lium, l’indium (uti­li­sé dans les cel­lules pho­to­vol­taïques), le mine­rai de fer (acier), le molyb­dène (cel­lules PV), le phos­phore, le sélé­nium, le sili­cium, l’argent, le tel­lure et le titane. La mine ci-des­sus pro­duit (entre autres) du cad­mium et de l’argent. Peu importe le type de pan­neau solaire que vous par­ve­nez à ima­gi­ner, vous aurez besoin de métaux et d’autres res­sources en quan­ti­tés indus­trielles. Et c’est cela même qui garan­tit le carac­tère anti-éco­lo­gique de l’industrie des renou­ve­lables comme de toutes les industries.

Perspectives

Mais avant, ter­mi­nons notre bilan. Toutes les ten­dances actuelles l’indiquent sans l’ombre d’un doute : la civi­li­sa­tion ne cesse de croître, démo­gra­phi­que­ment comme géo­gra­phi­que­ment, de s’étendre et d’engloutir tou­jours plus de biomes, pré­ci­pi­tant tou­jours plus d’espèces vers l’extinction, année après année (des espèces aus­si sym­bo­liques que les girafes, les élé­phants et les gué­pards sont désor­mais gra­ve­ment mena­cées) ; la fonte de l’Arctique à cause du réchauf­fe­ment cli­ma­tique incite des indus­triels de tous bords à orga­ni­ser des confé­rences pour dis­cu­ter de l’utilisation de l’espace ain­si déga­gé (forages pétro­liers ? exploi­ta­tions minières ? tou­risme de masse ? trans­ports com­mer­ciaux ? tout est mis sur le tapis) ; les États-Unis et la Chine connaissent des ten­sions crois­santes, et ren­forcent leurs arse­naux mili­taires (et nucléaires) ; les États-Unis et la Rus­sie connaissent des ten­sions crois­santes, et ren­forcent leurs arse­naux mili­taires (et nucléaires) ; la Rus­sie déve­loppe actuel­le­ment un mis­sile appe­lé « Satan II », por­teur de plus de 10 têtes nucléaires, et capable d’anéantir ins­tan­ta­né­ment du globe une zone aus­si grande que la France ; le com­merce d’armement de la France est d’ailleurs flo­ris­sant, elle qui vient de vendre 12 sous-marins nucléaires à l’Australie, pour­rait être, d’ici 2020, le deuxième ven­deur d’arme du monde, devant la Rus­sie ; le pôle Nord connait actuel­le­ment des tem­pé­ra­tures de 30°C plus chaudes que les nor­males ; l’in­dus­tria­li­sa­tion (le déve­lop­pe­ment) de l’A­frique (et des pays « en déve­lop­pe­ment ») accé­lère ; des pro­jets des­truc­teurs d’extractions minières bour­geonnent actuel­le­ment un peu par­tout dans le monde, en France, en Aus­tra­lie, en Afrique, en Guyane, au fond des mers ou au Groen­land ; la consom­ma­tion en gad­gets élec­tro­niques toxiques et alié­nants (télé­vi­sions, por­tables, smart­phones, tablettes, etc.) est en aug­men­ta­tion constante, et explose dans les pays en déve­lop­pe­ment, avec leur indus­tria­li­sa­tion, (la civi­li­sa­tion du diver­tis­se­ment indus­triel de masse peut se tar­guer de ce qu’1,4 mil­liards de foyers sur les 1,8 que compte l’hu­ma­ni­té pos­sèdent au moins une télé­vi­sion ! un nombre qui ne cesse de croître, nous indi­quant l’ex­pan­sion de la socié­té du spec­tacle et la pro­gres­sion de la stan­dar­di­sa­tion du monde) ; fina­le­ment, tous les indi­ca­teurs de bonne san­té éco­lo­gique cli­gnotent d’un rouge de plus en plus vif.

Et pour­tant, le gros du mou­ve­ment éco­lo­giste se leurre com­plè­te­ment dans l’éco­ci­toyen­nisme en défen­dant « le déve­lop­pe­ment des éner­gies renou­ve­lables » (et les autres gestes de l’é­co­ci­toyen modèle, sug­gé­rés par les bro­chures offi­cielles publiées par l’O­NU, et par les dif­fé­rents gou­ver­ne­ments), cf. le der­nier film de Marie-Monique Robin (et le mou­ve­ment des « coli­bris », avec Cyril Dion, Pierre Rabhi & Co.), où l’on s’extasie éga­le­ment de ce qu’une char­rette tirée par un che­val rem­place l’autobus dans un petit vil­lage en Alsace. Ce qui serait drôle si ce n’était tragique.

Le com­bat psy­cho­lo­gique, phy­sique et poli­tique dif­fi­cile qui doit être mené ne doit cer­tai­ne­ment pas avoir de tels objec­tifs, qui s’inscrivent dans un réfor­misme tout à fait illu­soire, qui, même s’il était géné­ra­li­sé, ne stop­pe­rait pas la des­truc­tion de la planète.

Tant qu’à la tête des états, et de la civi­li­sa­tion indus­trielle qu’ils com­posent, on retrou­ve­ra des ins­ti­tu­tions inhu­maines, expan­sion­nistes et des­truc­trices comme la cor­po­ra­to­cra­tie mon­diale actuelle, ce conglo­mé­rat de banques, de mul­ti­na­tio­nales, de super­puis­sances éta­tiques, et de com­plexes mili­ta­ro-indus­triels, la situa­tion ne ces­se­ra d’empirer. Et ce ne sont pas des char­rettes tirées par des che­vaux qui les met­tront hors d’état de nuire (parce que dans quelques vil­lages des char­rettes rem­pla­ce­ront des bus, la France va ces­ser de vendre des sous-marins nucléaires à l’Australie ? Concep­tion étrange de la poli­tique ou igno­rance volon­taire des vrais pro­blèmes ?). Encore moins des cen­trales solaires, puisqu’ils en sont les béné­fi­ciaires (les grands pro­jets de parcs éoliens, de cen­trales solaires, etc., sont le fait de mul­ti­na­tio­nales et de grands groupes indus­triels qui inves­tissent par ailleurs dans tous les autres aspects anti-éco­lo­giques de la civi­li­sa­tion, plus de détails à la fin de cet article). D’ailleurs, un cer­tain nombre d’en­tre­prises extrac­ti­vistes ali­mentent leurs ins­tal­la­tions minières à l’aide d’éner­gies renou­ve­lables (solaire et éolien, principalement).

(Un autre exemple qui nous montre en quoi le réfor­misme de ces éco­ci­toyens tente à peine d’adoucir les formes sans se rendre compte que même le fond est pro­blé­ma­tique : même si le choix des basses tech­no­lo­gies (low-tech) comme la trac­tion ani­male est une bonne chose, il ne suf­fit pas de trou­ver le moyen le plus éco­lo­gique pos­sible pour emme­ner les enfants à l’école, il fau­drait avant cela se deman­der si l’école est une bonne chose.)

Pen­dant que de joyeux « éco­lo­gistes » essaient de com­bi­ner un maxi­mum de gestes éco­ci­toyens pour sau­ver la pla­nète, en éco­no­mi­sant de l’eau, ou en rem­pla­çant un bus sco­laire par un che­val et une char­rette, ailleurs, des capi­ta­listes construisent des ter­rains de golf extrê­me­ment consom­ma­teur en eau, des villes en plein déserts se déve­loppent et des che­vaux sont rem­pla­cés par des bus dans des pays en déve­lop­pe­ment. Le déve­lop­pe­ment « durable » par­ti­cipe d’ailleurs lui aus­si de la stan­dar­di­sa­tion du monde dénon­cée par le poli­to­logue James C. Scott, et qui ne cesse de progresser :

Le prin­ci­pal fac­teur d’extinction n’est nul autre que l’ennemi juré de l’anarchiste, l’État, et en par­ti­cu­lier l’État-nation moderne. L’essor du module poli­tique moderne et aujourd’hui hégé­mo­nique de l’État-nation a dépla­cé et ensuite écra­sé toute une série de formes poli­tiques ver­na­cu­laires : des bandes sans État, des tri­bus, des cités libres, des confé­dé­ra­tions de villes aux contours souples, des com­mu­nau­tés d’esclaves mar­rons et des empires. À leur place, désor­mais, se trouve par­tout un modèle ver­na­cu­laire unique : l’État-nation de l’Atlantique Nord, tel que codi­fié au XVIIème siècle et sub­sé­quem­ment dégui­sé en sys­tème uni­ver­sel. En pre­nant plu­sieurs cen­taines de mètres de recul et en ouvrant grand les yeux, il est éton­nant de consta­ter à quel point on trouve, par­tout dans le monde, pra­ti­que­ment le même ordre ins­ti­tu­tion­nel : un dra­peau natio­nal, un hymne natio­nal, des théâtres natio­naux, des orchestres natio­naux, des chefs d’État, un par­le­ment (réel ou fic­tif), une banque cen­trale, une liste de minis­tères, tous plus ou moins les mêmes et tous orga­ni­sés de la même façon, un appa­reil de sécu­ri­té, etc. […] 

Une fois en place, l’État (nation) moderne a entre­pris d’homogénéiser sa popu­la­tion et les pra­tiques ver­na­cu­laires du peuple, jugées déviantes. Presque par­tout, l’État a pro­cé­dé à la fabri­ca­tion d’une nation : la France s’est mise à créer des Fran­çais, l’Italie des Ita­liens, etc.

Cette tâche sup­po­sait un impor­tant pro­jet d’homogénéisation. Une grande diver­si­té de langues et de dia­lectes, sou­vent mutuel­le­ment inin­tel­li­gibles, a été, prin­ci­pa­le­ment par la sco­la­ri­sa­tion, subor­don­née à une langue natio­nale, qui était la plu­part du temps le dia­lecte de la région domi­nante. Ceci a mené à la dis­pa­ri­tion de langues, de lit­té­ra­tures locales, orales et écrites, de musiques, de récits épiques et de légendes, d’un grand nombre d’univers por­teurs de sens. Une énorme diver­si­té de lois locales et de pra­tiques a été rem­pla­cée par un sys­tème natio­nal de droit qui était, du moins au début, le même partout.

Une grande diver­si­té de pra­tiques d’utilisation de la terre a été rem­pla­cée par un sys­tème natio­nal de titres, d’enregistrement et de trans­fert de pro­prié­té, afin d’en faci­li­ter l’imposition. Un très grand nombre de péda­go­gies locales (appren­tis­sage, tuto­rat auprès de « maîtres » nomades, gué­ri­son, édu­ca­tion reli­gieuse, cours infor­mels, etc.) a géné­ra­le­ment été rem­pla­cé par un seul et unique sys­tème sco­laire national.

[…] Aujourd’hui, au-delà de l’État-nation comme tel, les forces de la stan­dar­di­sa­tion sont repré­sen­tées par des orga­ni­sa­tions inter­na­tio­nales. L’objectif prin­ci­pal d’institutions comme la Banque mon­diale, le FMI, I’OMC, l’Unesco et même l’Unicef et la Cour inter­na­tio­nale est de pro­pa­ger par­tout dans le monde des stan­dards nor­ma­tifs (des « pra­tiques exem­plaires ») ori­gi­naires, encore une fois, des nations de l’Atlantique Nord. Le poids finan­cier de ces agences est tel que le fait de ne pas se confor­mer à leurs recom­man­da­tions entraîne des péna­li­tés consi­dé­rables qui prennent la forme d’annulations de prêts et de l’aide inter­na­tio­nale. Le char­mant euphé­misme « har­mo­ni­sa­tion » désigne main­te­nant ce pro­ces­sus d’alignement ins­ti­tu­tion­nel. Les socié­tés mul­ti­na­tio­nales jouent éga­le­ment un rôle déter­mi­nant dans ce pro­jet de stan­dar­di­sa­tion. Elles aus­si pros­pèrent dans des contextes cos­mo­po­lites fami­liers et homo­gé­néi­sés où l’ordre légal, la régle­men­ta­tion com­mer­ciale, le sys­tème moné­taire, etc. sont uni­formes. De plus, elles tra­vaillent constam­ment, par la vente de leurs pro­duits et ser­vices et par la publi­ci­té, à fabri­quer des consom­ma­teurs, dont les goûts et les besoins sont leur matière première.

[…] Le résul­tat est une sévère réduc­tion de la diver­si­té cultu­relle, poli­tique et éco­no­mique, c’est-à-dire une homo­gé­néi­sa­tion mas­sive des langues, des cultures, des sys­tèmes de pro­prié­té, des formes poli­tiques et, sur­tout, des sen­si­bi­li­tés et des mondes vécus qui leur per­mettent de per­du­rer. Il est main­te­nant pos­sible de se pro­je­ter avec angoisse au jour, dans un ave­nir rap­pro­ché, où l’homme d’affaires de l’Atlantique Nord, en sor­tant de l’avion, trou­ve­ra par­tout dans le monde un ordre ins­ti­tu­tion­nel (des lois, des codes de com­merce, des minis­tères, des sys­tèmes de cir­cu­la­tion, des formes de pro­prié­tés, des régimes fon­ciers, etc.) tout à fait fami­lier. Et pour­quoi pas ? Ces formes sont essen­tiel­le­ment les siennes. Seuls la cui­sine, la musique, les danses et les cos­tumes tra­di­tion­nels demeu­re­ront exo­tiques et folk­lo­riques… bien que com­plè­te­ment commercialisés.

L’é­vo­lu­tion de Kua­la Lum­pur, en Malai­sie. La crois­sance de villes (l’ur­ba­ni­sa­tion du monde) est une catas­trophe éco­lo­gique, en cours.

C’est d’un mou­ve­ment de résis­tance poli­tique orga­ni­sé dont nous avons besoin, capable de mettre hors d’état de nuire les sys­tèmes de pou­voir domi­nants, pas d’individus qui, sépa­ré­ment, tentent de faire au mieux au sein de struc­tures inéga­li­taires et d’infrastructures intrin­sè­que­ment antiécologiques.

Sou­te­nir l’installation de pan­neaux solaires, d’éoliennes, de soi-disant éner­gies « renou­ve­lables », l’agriculture bio­lo­gique en tant que label inven­té par et pour la socié­té indus­trielle (qu’elle dévoie d’ailleurs de plus en plus), le tri des déchets, le fait de favo­ri­ser le vélo à la voi­ture, etc., toutes ces actions, ces éco­gestes, ce com­por­te­ment de l’écocitoyen modèle, ne s’inscrivent pas dans une lutte contre les sys­tèmes de pou­voirs, qui les encou­ragent d’ailleurs pater­nel­le­ment, ils tentent sim­ple­ment de faire au mieux avec (seule­ment, ce mieux s’avère limi­té par défi­ni­tion). Non seule­ment leurs meilleurs efforts ne seront-ils jamais suf­fi­sants pour par­ve­nir à un mode de vie vrai­ment sou­te­nable, mais en plus, leurs ini­tia­tives ne dérangent pas le moins du monde l’ordre ins­ti­tu­tion­nel res­pon­sable du désastre.

Ber­cés de douces illu­sions sur l’avenir et cap­tifs du mythe du pro­grès, les éco­ci­toyens ne sup­portent pas tout ce qui est conflic­tuel, et par là même, sont tota­le­ment inca­pables de résis­ter contre, puis­qu’ils ne peuvent qu’être pour (posi­ti­visme et opti­misme mala­difs obligent). Ils en oublient que toute lutte implique un adver­saire, et que s’il y a des vic­times c’est qu’il y a des agres­seurs. Ils espèrent illu­soi­re­ment que ceux qui tirent pro­fits de l’é­tat des choses, et qui l’im­posent à l’aide de la vio­lence, chan­ge­ront et ces­se­ront de le faire parce que quelques citoyens le demandent gentiment.

Cette inca­pa­ci­té à connaître son enne­mi, comme l’é­cri­vait Sun Tzu, et même à recon­naître qu’il existe un enne­mi, chez beau­coup de mili­tants des luttes socio-éco­lo­giques, notam­ment chez les éco­ci­toyen­nistes et chez la plu­part des habi­tants de la civi­li­sa­tion indus­trielle en géné­ral (qui, pour beau­coup, ne remarquent même pas ou refusent d’ad­mettre la ser­vi­tude moderne qui carac­té­rise leur condi­tion), s’ex­plique en par­tie par le revi­re­ment séman­tique opé­ré dans le lan­gage offi­ciel. Très bien décrits par Franck Lepage et ses cama­rades de la SCOP Le Pavé, les chan­ge­ments effec­tués dans la ter­mi­no­lo­gie employée par les ins­ti­tu­tions de pou­voir visent à faire dis­pa­raître toute notion de conflit, d’ex­ploi­ta­tion, de subor­di­na­tion, de sou­mis­sion, et fina­le­ment tout ce qui relève de l’in­jus­tice ou de l’i­né­ga­li­té. Ain­si, en fai­sant en sorte que le débat social soit dépour­vu de toute notion conflic­tuelle, ceux au pou­voir garan­tissent la paix sociale. Pri­vées des mots qui dési­gnent leur condi­tions réelles d’ex­ploi­tées, qui décrivent les rela­tions de pou­voir et hié­rar­chiques pour ce qu’elles sont, les popu­la­tions se retrouvent inca­pables de pen­ser leur état. Le pauvre n’est plus pauvre, il est défa­vo­ri­sé, le balayeur devient un tech­ni­cien de sur­face, l’han­di­ca­pé n’est plus qu’une per­sonne à mobi­li­té réduite, le licen­cie­ment devient un plan de sau­ve­garde de l’emploi, les employés deviennent des asso­ciés, les clo­chards des SDF, et ain­si de suite.

Dans le domaine des idées sur l’état de la pla­nète, la règle de base est que tout ce qui pour­rait sem­bler néga­tif (des­truc­tion, pillage…) doit être évo­qué par un terme posi­tif (pro­grès, flexi­bi­li­té, moder­ni­sa­tion…). Rien n’est détruit, tout est « valo­ri­sé ». Les défo­res­ta­tions et les extrac­tions minières sont qua­li­fiées de « déve­lop­pe­ment des res­sources natu­relles ». Toutes ces mani­pu­la­tions séman­tiques désa­morcent jus­qu’à la conscience des pro­blèmes aux­quels nous fai­sons face, au niveau social comme au niveau écologique.

Nous étions pré­sents lors de la dif­fu­sion du film docu­men­taire « Demain » à la COP21 en novembre 2015 à Paris. Après le film, une inter­ve­nante qui répon­dait à une ques­tion s’échinait à défendre l’idée selon laquelle les mul­ti­na­tio­nales, les cor­po­ra­tions, ne devaient pas être per­çues comme des enne­mis, mais au contraire, que la « socié­té civile » devait tra­vailler main dans la main avec elles, qu’il fal­lait déve­lop­per un « par­te­na­riat », et d’autres idio­ties du genre. Voi­là où en sont ren­dus les pro­mo­teurs de l’é­co­ci­toyen­nisme. Leur inca­pa­ci­té à effec­tuer un juste diag­nos­tic de la situa­tion les amène à pro­po­ser des solu­tions qui n’en sont pas. A mau­vais diag­nos­tic, mau­vais remède.

On peut éga­le­ment obser­ver l’om­ni­pré­sence de cette inca­pa­ci­té à recon­naître les causes pro­fondes et his­to­riques de notre situa­tion à tra­vers les publi­ca­tions des médias soi-disant indé­pen­dants ou alter­na­tifs, comme Bas­ta Mag et Repor­terre, dont les ana­lyses se limitent bien sou­vent à de l’é­co­lo­gie capi­ta­liste, anthro­po­cen­trée (tein­tée de supré­ma­cisme humain), bien loin de l’é­co­lo­gie bio­cen­triste et de la bio­phi­lie. Un exemple. Her­vé Kempf, le fon­da­teur de Repor­terre, s’ap­prête à publier un nou­veau livre en jan­vier 2017, inti­tu­lé « Tout est prêt pour que tout empire — 12 leçons pour évi­ter la catas­trophe », dont on peut lire ce qui suit dans la présentation :

« Désastre écologique, néo-libé­ra­lisme, ter­ro­risme : voi­ci les trois menaces qui obs­cur­cissent le pré­sent. On pour­rait les croire dis­tinctes. Elles sont les mani­fes­ta­tions enche­vê­trées d’une évo­lu­tion com­mune amor­cée au début des années 1980. »

Le désastre éco­lo­gique (et poli­tique, et social) a com­men­cé il y a bien plus long­temps que cela, comme nous le sou­li­gnons plus haut. Ne pas le com­prendre ou ne pas en par­ler, c’est occul­ter les pra­tiques humaines qui posent pro­blème depuis des mil­lé­naires, et aux­quelles on doit la trans­for­ma­tion du crois­sant fer­tile en un désert, ain­si que celle du pour­tour médi­ter­ra­néen, comme le Nord de l’A­frique et la Grèce, qui étaient den­sé­ment boi­sés avant l’ar­ri­vée de la civi­li­sa­tion. A ce sujet, le célèbre anthro­po­logue Jared Dia­mond a écrit un article inti­tu­lé « La pire erreur de l’his­toire de l’hu­ma­ni­té », que nous avons tra­duit et publié, où il revient sur les consé­quences désas­treuses de la pro­pa­ga­tion de l’a­gri­cul­ture durant le néo­li­thique, éga­le­ment résu­mées par Robert Sapols­ky (cher­cheur en neu­ro­bio­lo­gie à l’université de Stand­ford), dans son livre « Pour­quoi les zèbres n’ont pas d’ulcère ? » :

« L’agriculture est une inven­tion humaine assez récente, et à bien des égards, ce fut l’une des idées les plus stu­pides de tous les temps. Les chas­seurs-cueilleurs pou­vaient sub­sis­ter grâce à des mil­liers d’aliments sau­vages. L’agriculture a chan­gé tout cela, créant une dépen­dance acca­blante à quelques dizaines d’aliments domes­ti­qués, nous ren­dant vul­né­rable aux famines, aux inva­sions de sau­te­relles et aux épi­dé­mies de mil­diou. L’agriculture a per­mis l’accumulation de res­sources pro­duites en sur­abon­dance et, inévi­ta­ble­ment, à l’accumulation inéqui­table ; ain­si la socié­té fut stra­ti­fiée et divi­sée en classes, et la pau­vre­té fina­le­ment inventée. »

Hip­po­crate a très per­ti­nem­ment sou­li­gné que : « Si quelqu’un désire la san­té, il faut d’abord lui deman­der s’il est prêt à sup­pri­mer les causes de sa mala­die. Alors seule­ment il est pos­sible de l’éliminer ». Bien évi­dem­ment, si vous deman­dez aux éco­ci­toyens, à la plu­part de ceux qui se défi­nissent comme « éco­lo­gistes » ou à la plu­part des civi­li­sés, s’ils sont prêts à renon­cer à la pro­duc­tion indus­trielle d’élec­tri­ci­té (et aux autres infra­struc­tures indus­trielles), et, plus géné­ra­le­ment, au confort tech­no­lo­gique moderne, ain­si qu’à l’é­co­no­mie mon­dia­li­sée, et à aban­don­ner les villes comme mode d’ha­bi­tat, ils vous répon­dront pro­ba­ble­ment par la néga­tive. D’où l’im­pos­si­bi­li­té d’é­li­mi­ner la mala­die, puis­qu’ils s’y accrochent, convain­cus qu’elle est en mesure de pro­duire son propre remède, d’une façon ou d’une autre. Nous en reve­nons à ce que nous avions écrit plus haut, « ils cherchent à défendre un mode de vie des­truc­teur mais confor­table, dont ils ne sup­portent pas l’idée qu’il puisse ne pas être viable, pure­ment et sim­ple­ment ».

Vers la fin de son livre « L’État », écrit en 1949, Ber­nard Char­bon­neau aborde en quelque sorte cette idée :

Et main­te­nant que pro­po­sez-vous ? — Car la réac­tion de l’individu moderne n’est pas de recher­cher la véri­té, il lui faut d’abord une issue ; en fonc­tion de laquelle doit s’établir le sys­tème. Et je m’aperçois que ma réflexion m’a conduit la ou je suis : au fond d’un abime d’impossibilités. Alors m’imputant la situa­tion déses­pé­rante qui tient a un monde tota­li­taire, il me repro­che­ra de détruire sys­té­ma­ti­que­ment l’espoir. « Votre cri­tique est peut-être juste, dira-t-il, mais quelle solu­tion appor­tez-vous ? — Sous- enten­du, s’il n’y a pas d’issue a la situa­tion qu’elle dénonce, votre cri­tique doit être fausse. C’est vous qui me déses­pé­rez » … Et effec­ti­ve­ment je suis cou­pable de faire son mal­heur, puisque sans moi cette impos­si­bi­li­té n’existerait pas pour sa conscience.

Vers la fin de son livre « Le jar­din de Baby­lone », écrit en 1969, il écrit :

En réa­li­té il n’y a pro­ba­ble­ment pas de solu­tion au sein de la socié­té indus­trielle telle qu’elle nous est don­née.[…] Pour nous et sur­tout pour nos des­cen­dants, il n’y a pas d’autres voies qu’une véri­table défense de la nature.

Ce à quoi nous ajou­tons qu’il n’y a effec­ti­ve­ment pas d’is­sue et pas de solu­tion pour faire en sorte que la civi­li­sa­tion indus­trielle, ses infra­struc­tures et ses hautes tech­no­lo­gies, per­durent sans détruire la pla­nète jus­qu’à se détruire elles-mêmes. Les pra­tiques qui leurs sont néces­saires sont intrin­sè­que­ment anti­éco­lo­giques, comme nous avons ten­té de l’exposer.

Éga­rés par le lan­gage insi­dieux du pou­voir, ras­su­rés par l’op­ti­misme men­son­ger de l’i­déo­lo­gie du « pro­grès », et per­sua­dés que tout va bien finir dans le meilleur des mondes (duquel ils sont déjà pri­son­niers), ils ne per­çoivent pas l’emprise de ce que décrit le jour­na­liste amé­ri­cain Chris Hedges dans son article « Notre manie d’espérer est une malé­dic­tion » :

« La croyance naïve selon laquelle l’histoire est linéaire, et le pro­grès tech­nique tou­jours accom­pa­gné d’un pro­grès moral, est une forme d’aveuglement col­lec­tif. Cette croyance com­pro­met notre capa­ci­té d’action radi­cale et nous berce d’une illu­sion de sécu­ri­té. Ceux qui s’accrochent au mythe du pro­grès humain, qui pensent que le monde se dirige inévi­ta­ble­ment vers un état mora­le­ment et maté­riel­le­ment supé­rieur, sont les cap­tifs du pou­voir. Seuls ceux qui acceptent la pos­si­bi­li­té tout à fait réelle d’une dys­to­pie, de la mon­tée impi­toyable d’un tota­li­ta­risme ins­ti­tu­tion­nel, ren­for­cé par le plus ter­ri­fiant des dis­po­si­tifs de sécu­ri­té et de sur­veillance de l’histoire de l’humanité, sont sus­cep­tibles d’effectuer les sacri­fices néces­saires à la révolte.

L’aspiration au posi­ti­visme, omni­pré­sente dans notre culture capi­ta­liste, ignore la nature humaine et son his­toire. Cepen­dant, ten­ter de s’y oppo­ser, énon­cer l’évidence, à savoir que les choses empirent, et empi­re­ront peut-être bien plus encore pro­chai­ne­ment, c’est se voir exclure du cercle de la pen­sée magique qui carac­té­rise la culture états-unienne et la grande majo­ri­té de la culture occi­den­tale. La gauche est tout aus­si infec­tée par cette manie d’espérer que la droite. Cette manie obs­cur­cit la réa­li­té, au moment même où le capi­ta­lisme mon­dial se dés­in­tègre, et avec lui l’ensemble des éco­sys­tèmes, nous condam­nant poten­tiel­le­ment tous. »

Nous avons besoin, le monde entier a besoin, que la civi­li­sa­tion et ses ins­ti­tu­tions (états, cor­po­ra­tions) dis­pa­raissent. Nous avons besoin, le monde entier a besoin, que son infra­struc­ture des­truc­trice soit déman­te­lée (les villes, les réseaux de trans­ports, de com­mu­ni­ca­tions, éner­gé­tiques, les bar­rages, etc.). Que cela passe par un effon­dre­ment subit ou pro­vo­qué de la socié­té indus­trielle — qui, de toute manière, ne connai­tra pas d’autre dénoue­ment du fait de son insou­te­na­bi­li­té écologique.

Pré­ci­sons aus­si que nous ne plai­dons pas  — que — pour un aban­don immé­diat et bru­tal des socié­tés indus­trielles avec la créa­tion d’une mul­ti­pli­ci­tés de cultures bio­cen­tristes de type chasse-cueillette (four­ra­geage), ancrées dans leur ter­ri­toire éco­lo­gique spé­ci­fique. Une tran­si­tion pour­rait pro­ba­ble­ment être envi­sa­gée ou envi­sa­geable. Seule­ment, elle n’est pas en vue, puisque nos ana­lyses ne sou­lignent pas sim­ple­ment que la plu­part des ini­tia­tives actuelles sont insuf­fi­santes, mais éga­le­ment qu’elles béné­fi­cient à la per­pé­tua­tion de la civi­li­sa­tion indus­trielle, de ses pra­tiques et acti­vi­tés nui­sibles pour le monde naturel.

Que voulons-nous ?

Quelle que soit la forme de la socié­té qui émer­ge­ra des ruines du sys­tème indus­triel, il est cer­tain que la plu­part des gens y vivront proches de la nature parce que, en l’absence de tech­no­lo­gie avan­cée, c’est la seule façon dont les hommes peuvent vivre. Pour se nour­rir, il fau­dra se faire pay­san, ber­ger, pêcheur, chas­seur, etc. Plus géné­ra­le­ment, l’autonomie locale aug­men­te­ra peu à peu parce que, faute de tech­no­lo­gie avan­cée et de moyens de com­mu­ni­ca­tion rapide, il sera plus dif­fi­cile aux gou­ver­ne­ments ou aux grandes orga­ni­sa­tions de contrô­ler les com­mu­nau­tés locales. Quant aux consé­quences néga­tives de l’élimination de la socié­té indus­trielle, eh bien ! on ne peut pas avoir le beurre et l’argent du beurre. Pour obte­nir une chose, il faut savoir en sacri­fier une autre. Puis­qu’au final, il nous faut nous poser la ques­tion sui­vante : Que vou­lons-nous ? Pré­ser­ver, pro­té­ger et encou­ra­ger la bio­di­ver­si­té d’une pla­nète vivante et de com­mu­nau­tés natu­relles non-pol­luées, ou pré­ser­ver le confort moderne d’une civi­li­sa­tion hau­te­ment tech­no­lo­gique ? Par­ve­nir à une co-habi­ta­tion saine et mutuel­le­ment béné­fique entre les êtres humains et les espèces non-humaines, ou faire per­du­rer un mode de vie supré­ma­ciste qui consi­dère le vivant comme une « res­source » à « déve­lop­per » au béné­fice d’un pro­grès tech­no­lo­gique dénué de sens et (auto-)destructeur ? Nous ne pou­vons pas avoir les deux. Ques­tion de choix, comme l’écrit Der­rick Jensen :

« Nous pou­vons avoir des calottes gla­ciaires et des ours polaires, ou nous pou­vons avoir des auto­mo­biles. Nous pou­vons avoir des bar­rages ou nous pou­vons avoir des sau­mons. Nous pou­vons avoir des vignes irri­guées dans les com­tés de Men­do­ci­no et Sono­ma, ou nous pou­vons avoir la rivière Eel et la rivière Rus­sian. Nous pou­vons avoir le pétrole du fond des océans, ou nous pou­vons avoir des baleines. Nous pou­vons avoir des boîtes en car­ton ou nous pou­vons avoir des forêts vivantes. Nous pou­vons avoir des ordi­na­teurs et la myriade de can­cers qui accom­pagne leur fabri­ca­tion, ou nous pou­vons n’avoir aucun des deux. Nous pou­vons avoir l’électricité et un monde dévas­té par l’exploitation minière, ou nous pou­vons n’avoir aucun des deux (et ne venez pas me racon­ter de sot­tises à pro­pos du solaire : vous aurez besoin de cuivre pour le câblage, de sili­cone pour le pho­to­vol­taïque, de métaux et de plas­tiques pour les dis­po­si­tifs, qui ont besoin d’être fabri­qués et puis trans­por­tés chez vous, et ain­si de suite. Même l’énergie élec­trique solaire n’est pas sou­te­nable parce que l’électricité et tous ses attri­buts requièrent une infra­struc­ture indus­trielle). Nous pou­vons avoir des fruits, des légumes, et du café impor­tés aux États-Unis depuis l’Amérique latine, ou nous pou­vons avoir au moins quelques com­mu­nau­tés humaines et non-humaines à peu près intactes à tra­vers la région.

(Je pense que ce n’est pas la peine que je rap­pelle au lec­teur que, pour prendre un exemple – par­mi bien trop – qui ne soit pas aty­pique, le gou­ver­ne­ment démo­cra­ti­que­ment élu de Jaco­bo Arbenz, au Gua­te­ma­la, a été ren­ver­sé par les États-Unis afin d’épauler la « Uni­ted fruit Com­pa­ny », aujourd’hui appe­lée Chi­qui­ta, ce qui a entraî­né par la suite 30 ans de dic­ta­tures sou­te­nues par les États-Unis, et d’escadrons de la mort. & aus­si, qu’il y a quelques années, j’ai deman­dé à un membre du mou­ve­ment révo­lu­tion­naire tupa­ca­ma­ris­ta ce qu’il vou­lait pour le peuple du Pérou, et qu’il a répon­du quelque chose qui va droit au cœur de la pré­sente dis­cus­sion [et au cœur de toute lutte qui ait jamais eu lieu contre la civi­li­sa­tion] : « nous devons pro­duire et dis­tri­buer notre propre nour­ri­ture. Nous savons déjà com­ment le faire. Il faut sim­ple­ment que l’on soit auto­ri­sé à le faire ».)

Nous pou­vons avoir du com­merce inter­na­tio­nal, inévi­ta­ble­ment et par défi­ni­tion ain­si que par fonc­tion domi­né par d’immenses et dis­tantes enti­tés économiques/gouvernementales qui n’agissent pas (et ne peuvent pas agir) dans l’intérêt des com­mu­nau­tés, ou nous pou­vons avoir un contrôle local d’économies locales, ce qui ne peut adve­nir tant que des villes requièrent l’importation (lire : le vol) de res­sources tou­jours plus dis­tantes. Nous pou­vons avoir la civi­li­sa­tion — trop sou­vent consi­dé­rée comme la plus haute forme d’organisation sociale — qui se pro­page (qui méta­stase, dirais-je) sur toute la pla­nète, ou nous pou­vons avoir une mul­ti­pli­ci­té de cultures auto­nomes uniques car spé­ci­fi­que­ment adap­tées au ter­ri­toire d’où elles émergent. Nous pou­vons avoir des villes et tout ce qu’elles impliquent, ou nous pou­vons avoir une pla­nète habi­table. Nous pou­vons avoir le « pro­grès » et l’histoire, ou nous pou­vons avoir la sou­te­na­bi­li­té. Nous pou­vons avoir la civi­li­sa­tion, ou nous pou­vons au moins avoir la pos­si­bi­li­té d’un mode de vie qui ne soit pas basé sur le vol violent de ressources.

Tout cela n’est abso­lu­ment pas abs­trait. C’est phy­sique. Dans un monde fini, l’importation for­cée et quo­ti­dienne de res­sources est insoutenable.

Mon­trez-moi com­ment la culture de la voi­ture peut coexis­ter avec la nature sau­vage, et plus par­ti­cu­liè­re­ment, com­ment le réchauf­fe­ment pla­né­taire anthro­pique peut coexis­ter avec les calottes gla­ciaires et les ours polaires. N’importe laquelle des soi-disant solu­tions du genre des voi­tures élec­triques solaires pré­sen­te­rait des pro­blèmes au moins aus­si sévères. L’électricité, par exemple, a tou­jours besoin d’être géné­rée, les bat­te­ries sont extra­or­di­nai­re­ment toxiques, et, quoi qu’il en soit, la conduite n’est pas le prin­ci­pal fac­teur de pol­lu­tion de la voi­ture : bien plus de pol­lu­tion est émise au cours de sa fabri­ca­tion qu’à tra­vers son pot d’échappement. La même chose est vraie de tous les pro­duits de la civi­li­sa­tion industrielle.

Nous ne pou­vons pas tout avoir. Cette croyance selon laquelle nous le pou­vons est une des choses qui nous ont pré­ci­pi­tés dans cette situa­tion désas­treuse. Si la folie pou­vait être défi­nie comme la perte de connexion fonc­tion­nelle avec la réa­li­té phy­sique, croire que nous pour­rions tout avoir — croire que nous pou­vons simul­ta­né­ment déman­te­ler une pla­nète et y vivre ; croire que nous pou­vons per­pé­tuel­le­ment uti­li­ser plus d’énergie que ce que nous four­nit le soleil ; croire que nous pou­vons piller du monde plus que ce qu’il ne donne volon­tai­re­ment ; croire qu’un monde fini peut sou­te­nir une crois­sance infi­nie, qui plus est une crois­sance éco­no­mique infi­nie, qui consiste à conver­tir tou­jours plus d’êtres vivants en objets inertes (la pro­duc­tion indus­trielle, en son cœur, est la conver­sion du vivant — des arbres ou des mon­tagnes — en inerte — planches et canettes de bière) — est incroya­ble­ment cin­glé. Cette folie se mani­feste en par­tie par un puis­sant irres­pect pour les limites et la jus­tice. Elle se mani­feste au tra­vers de la pré­ten­tion selon laquelle il n’existe ni limites ni jus­tice. Pré­tendre que la civi­li­sa­tion peut exis­ter sans détruire son propre ter­ri­toire, ain­si que celui des autres, et leurs cultures, c’est être com­plè­te­ment igno­rant de l’histoire, de la bio­lo­gie, de la ther­mo­dy­na­mique, de la morale, et de l’instinct de conser­va­tion. & c’est n’avoir prê­té abso­lu­ment aucune atten­tion aux six der­niers millénaires. »

Note de fin : Nous ne nous fai­sons pas d’illusion sur le poten­tiel de chan­ge­ment radi­cal de notre temps, et sur la por­tée de ce texte et des ana­lyses qui y sont déve­lop­pées. Le carac­tère gré­gaire de l’être humain étant ce qu’il est, et au vu de la pro­gres­sion de l’empire et de l’emprise du spec­tacle sur la socié­té, nous pen­sons d’ailleurs qu’il est assez pro­bable qu’à l’image des lem­mings de la légende, la civi­li­sa­tion indus­trielle conti­nue sur sa lan­cée sui­ci­daire et qu’alors l’espèce humaine, ain­si qu’Emerson l’avait pré­dit, finisse par « mou­rir de civi­li­sa­tion ». Le contraire exi­ge­rait de l’être humain qu’il par­vienne, en quelque sorte, à « aller contre sa nature, qui est sociale », pour reprendre les mots de Ber­nard Charbonneau.

Quoi qu’il en soit, nous conti­nue­rons à dénon­cer et à expo­ser les évi­dences gênantes et indis­cu­tées de la folie qu’on appelle civi­li­sa­tion, et d’a­bord parce que, comme le rap­pelle Gün­ther Anders : « Ce n’est pas parce que la lutte est plus dif­fi­cile qu’elle est moins néces­saire ».

Col­lec­tif Le Partage

 

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  1. Se rêfe­rer à un rap­port d’une oné­gé fer de lance de l’o­li­gar­chie dans le domaine écologique…le wwf, et qui pro­meut la finan­cia­ri­sa­tion de la nature comme pen­dant nor­mal de notre monde capi­ta­liste… c’est pas banal pour un site anarchiste

    1. Ce n’est pas parce que le WWF, comme les autres grandes ONG capi­ta­listes, sont des ins­ti­tu­tions fon­da­men­ta­le­ment mau­vaises (ce qu’on expose sur notre site) qu’ab­so­lu­ment tout ce qu’ils disent est faux, le rap­port du WWF sert juste à illus­trer un phé­no­mène lar­ge­ment évident. Rap­port du WWF ou pas, la sixième extinc­tion de masse avec son rem­pla­ce­ment de la nature par de l’ur­bain est mani­feste, bien réelle.

      1. Tout ce que dit le WWF n’est pas faux juste orien­té dans leur vision capi­ta­lis­tique et oli­gar­chique du monde… La peur méne les foules…les gau­lois avaient peur que le ciel leur tombe sur la tête…aujourd’hui on nous annonce une fin du monde proche. Faut il se faire le relais d’une telle vision apo­ca­lyp­tique ou alors retrou­ver une forme d’hu­mi­li­té face aux plus de 3 mil­liards d’an­nées d’his­toire natu­relle de la pla­nète Terre ?

  2. Mer­ci pour cette très bonne syn­thèse, même si c’est pro­fon­dé­ment dépri­mant d’être conscient que ça ne parle pas à grand monde et qu’on se sent ter­ri­ble­ment impuis­sant face à cette course à l’abîme.

  3. Pour une illus­tra­tion partielle :

    De Claude Lévi-Strauss dans « Tristes tro­piques », en 1955 :
    « L’hu­ma­ni­té s’ins­talle dans la mono­cul­ture ; elle s’ap­prête à pro­duire la civi­li­sa­tion de masse, comme la bet­te­rave. Son ordi­naire ne com­pren­dra plus que ce plat ».

  4. Pour que ça change il fau­drait de l’es­poir. Les gens savent et ce long expo­sé, sans être inutile, ne chan­ge­ra rien. D’ailleurs il existe beau­coup de gens qui évitent de lire ce genre d’ex­po­sé… Parce qu’ils savent justement !
    Donc c’est fou­tu, en tout cas c’est ce qu’on pense géné­ra­le­ment. Pour contrer ça il existe quelques mou­ve­ments comme les coli­bris par exemple mais c’est mar­gi­nal. Les autres accom­pagnent le mou­ve­ment avec fata­lisme. Il en sera ain­si tant que l’exemple ne vien­dra pas d’en haut. Or c’est le contraire qui se passe puisque les riches conti­nuent à jouer a qui a la plus grosse… Ou plu­tôt à qui pos­sède le plus gros yacht.

    1. « Les gens » ne savent pas. Les gens ne savent pas que les éner­gies renou­ve­lables sont éga­le­ment pol­luantes et des­truc­trices. Les gens ne savent pas ce qui se cache der­rière la fabri­ca­tion de leurs gad­gets élec­tro­niques, et des objets indus­triels en géné­ral. Les gens ne savent pas les consé­quences asso­ciées aux bar­rages, aux extrac­tions minières, etc. Les gens ne savent pas l’am­pleur de la des­truc­tion en cours. Les coli­bris, s’ils le savent, le cachent plu­tôt bien. Les gens ne savent même pas qu’ils ne vivent pas en démo­cra­tie parce qu’ils ne savent même pas que les ins­ti­tu­tions sont pen­sées afin qu’eux n’aient pas à le faire. Donc, non, les gens ne savent pas. L’es­poir c’est ce qui fait tour­ner la machine, comme expli­qué dans l’ar­ticle. L’es­poir, c’est un fléau (https://partage-le.com/2015/03/lespoir-derrick-jensen/).

      1. Entiè­re­ment d’accord !
        Des nou­velles de l’an­tarc­tique d’ailleurs qui ne font pas espé­rer justement :

        https://docuclimat.com/2017/01/25/lantarctique-fond-menace-notre-avenir-et-nous-regardons-si-la-croissance-se-porte-bien/

        Mer­ci au site lePar­tage d’exis­ter ! Vos ana­lyses sont dépri­mantes 😉 mais lucides et néces­saires pour que l’on agisse à la hau­teur de ce qui nous attend, si ne nous fai­sons rien jus­te­ment par espoir que les choses vont s’a­mé­lio­rer par des chan­ge­ments à la marge ou qu’on s’adaptera !

        Yoann du blog docuclimat

  5. Salut tous,

    mais si les gens « ne savent pas », c’est donc qu’ils sont par­ti­cu­liè­re­ment cons ?
    Pour­tant, on nous serine dés nos pre­miers pas que l’hu­main est par­ve­nu à ce point d’é­vo­lu­tion grâce à son intel­li­gence, ce qui pro­voque en moi la per­plexi­té : qui dit vrai ? l’hu­main est-il un par­fait abru­ti ou alors fait-il sem­blant de « ne pas savoir » ?
    Je penche pour la seconde option. Tout le monde se doute que le confort indus­triel engendre la misère sous toutes ses formes, mais très peu acceptent cette gifle. L’hu­main se pour­rit dans la déca­dence et devient pire jour après jour, rien ne pour­ra plus me défaire de cette idée.

    Cepen­dant, les lec­tures du Par­tage sont pour moi de bons moments, et bien sou­vent les meilleurs par­mi mon vaga­bon­dage sur la toile : la véra­ci­té, la logique de tout ce qui y trans­pire aiguisent ma force et mon désir de pour­suivre mon che­min à sens inverse, mal­gré le ter­rible constat de l’im­puis­sance individuelle.
    Tant pis ! L’es­sen­tiel reste pour moi de par­ti­ci­per le moins pos­sible à ce grand désastre, même si les carottes sont cuites. Ain­si peu-à-peu ma vie res­semble à un long appren­tis­sage du sur­vi­va­lisme, moti­vé par le goût de l’au­to­no­mie et de la liber­té, et du respect.

    1. Mer­ci. Et selon les jours, je penche pour la pre­mière option, par­fois pour la seconde, et d’autres fois pour un mélange des deux.

  6. Le désastre éco­lo­gique aura lieu. Le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, les mon­tées d’eau, la qua­si-tota­li­té des espèces anéan­ties… mais l’hu­ma­ni­té va s’en sortir.
    Pour des rai­sons bio­lo­giques. L’adaptabilité.
    A moins d’une dégé­ne­res­cence géné­ra­li­sée dûe à un atmo­sphère invi­vable… et encore, même dans ce cas… il y aura des mil­liards de morts, et ceux dont les gênes résistent sur­vi­ve­ront, et continueront.
    Ce qui est le plus pro­bable, c’est que le corps humain va s’a­dap­ter aux chan­ge­ments qu’il pro­duit. Nos petits-petits-petits-enfants vivront au milieu du gaz, mais leur corps aura appris à le tolérer.
    Rien n’est essen­tiel en ce monde. Aus­si triste que soit l’ab­sence de (bio)diversité, l’hu­main va pous­ser le cur­seur jus­qu’au maximum. 

    L’hu­ma­ni­té n’a pas de but (au sens de but com­mun), donc elle n’a pas de rai­son de changer.

    1. L’hu­main est une espèce comme une autre et va subir son extinc­tion comme n’im­porte quelle espèce de cette pla­nète. Les mam­mouths ont bien dis­pa­ru de la sur­face. Alors oui, il y aura peut etre muta­tion des gènes etc comme ça a tou­jours été sur cette pla­nète depuis qu’elle existe, mais cette pla­nète fera avec ou sans l’hu­main, ce qui est sur c’est que ce n’est pas nous qui la détrui­rons, nous détrui­sons juste notre « capa­ci­té » (et celle de mil­lions d’es­pèces) à vivre dessus.

  7. Bon le pro­pos en soi n’est pas nou­veau, quoique par­ti­cu­liè­re­ment inci­sif. Et je l’en remer­cie pré­ci­sé­ment parce que je pense, même si je ne le sou­haite pas, appar­te­nir à cette tranche d’in­di­vi­dus pour­tant dotés d’une conscience, éco­lo­gique, bio­lo­gique et humaine, qui tentent d’oeu­vrer quo­ti­dien­ne­ment pour un monde meilleur.

    J’ai ten­té la poli­tique régio­nale, j’ai ten­té l’as­so­cia­tif à but no lucra­tif, je tente main­te­naant par défi, le mariage for­cé des mil­liards du mar­ché avec des idées dis­rup­tives qui pour­raient bon gré mal gré géné­rer quelque chan­ge­ment. On ne se nour­rit pas de mau­vaise conscience pas plus que la volon­té est suf­fi­sante. Ceux qui pensent, comme moi, que toute pré­pa­ra­tion à la guerre engendre la guerre, et que nul arme ou fusil ne sau­rait assu­rer la paix, sans pour autant pen­ser qu’il n’y a pas de conflit. D’ailleurs le taux d’hor­mones de stress sécré­té en Occi­dent prouve bien que la guerre est en place depuis bien long­temps déjà.

    L’a­nar­chie est une chose hau­te­ment phi­lo­so­phique, à laquelle j’aime me réfé­rer de temps à autres, en la pro­mou­vant comme un état de conscience qui sai­si les impli­cites, le caché et le non ver­bal dans son ensemble, Une espèce d’ap­proche sys­té­mique holis­tique, chère d’ailleurs aux éco­lo­gistes, dussent-ils être de bas étage. La colère, la tris­tesse et le déses­poir sont par­fai­te­ment légi­times face à ce qui se passe depuis long­temps déjà. 

    Le temps du com­pro­mis et de la col­lé­gia­li­té est peut-être révo­lu en effet, mais com­ment consi­dé­rer l’être humain, avec sa fameuse plas­ti­ci­té céré­brale et ses pouces oppo­sables comme sim­ple­ment autre chose qu’un nour­ris­son à peine à 4 pattes au vu de l’his­toire de l’é­vo­lu­tion. Or, on n’exige pas d’un nour­ris­son de la res­pon­sa­bi­li­té, on la lui apprend. 

    La vie dans son ensemble ne me semble avoir qu’un but, la vie. Et donc par défi­ni­tion bio­lo­gique, la mort. Que la pre­mière soit sui­vie par la seconde me semble une évi­dence peu dis­cu­table et jamais, aucune espèce orga­nique ne pour­ra se dépar­tir de ce cycle. 

    La vie me semble même autre­ment plus « com­plexe » que la conscience que nous en avons. Et le seul droit que reven­di­que­rais uni­ver­sel­le­ment est l’hu­mi­li­té. Prin­cipe d’ailleurs cher aux anar­chistes, qui ont atteint un tel degré de conscience col­lec­tif qu’ils savent que ce qui nuit à autrui les détruit aus­si sûrement.

  8. Aujourd’­hui, à 63 ans, je m’a­per­çois que mon monde a mas­sa­cré tous les autres sauf celui des morts, qu’il engraisse à force de des­truc­tion des habi­tats natu­rels. Et le pire, c’est que je suis prise à ce piège à mon corps défen­dant. Car c’est iné­luc­table. Notre ber­ceau est en déclin. La seule chose qui me ras­sure, c’est que notre espèce ne sur­vi­vra pas long­temps à la des­truc­tion du vivant. Car nous en sommes issus. Ce qui me navre, c’est de consta­ter que nous fai­sons tou­jours des enfants, mal­gré le drame en préparation.

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