Le désespoir est le seul remède contre l’illusion, sans désespoir il nous est impossible de redescendre sur Terre — il s’agit, en quelque sorte, d’une période de deuil de nos fantasmes. Certains ne survivent pas à ce désespoir, mais sans lui, aucun changement majeur ne peut se produire.
— Philip E. Slater
L’espoir est le véritable tueur. L’espoir est nuisible. L’espoir nous permet de rester immobiles dans un radeau en perdition au lieu d’agir et d’affronter le problème. Oubliez l’espoir. Analyser sincèrement et honnêtement la situation comme elle se présente est notre unique chance. Au lieu d’attendre, en « espérant » que l’on s’en sorte, peut-être devrions-nous admettre que prendre la pleine mesure de la situation, aussi déplaisante soit-elle, est positif puisque c’est la première marche vers le changement véritable.
— Gringo Stars
En cette période de début d’une nouvelle année, bilans et perspectives futures sont publiés à tort et à travers par les médias de masse. Dans le monde entier, c’est la saison des rassurances. Avant d’en analyser quelques exemples (une vidéo éditée par Slate France et un article du quotidien Libération), il est bon de replacer la discussion dans son contexte. En effet, toute discussion sur l’écologie et sur l’état du monde en général devrait commencer par quelques rappels :
Du côté de la vie non-humaine : les forêts du monde sont dans un état désastreux — en ce qui concerne les vraies forêts, les « old growth forest » comme disent les anglophones, les forêts anciennes, pas les plantations ou monocultures modernes, il n’en resterait que deux — et qui ne cesse d’empirer. La plupart des écosystèmes originels ont été modifiés (détruits, ou détraqués), d’une façon ou d’une autre (25% des fleuves n’atteignent plus l’océan ; depuis moins de 60 ans, 90% des grands poissons, 70% des oiseaux marins et, plus généralement, 52% des animaux sauvages, ont disparu ; depuis moins de 40 ans, le nombre d’animaux marins, dans l’ensemble, a été divisé par deux). Le dernier rapport « Planète Vivante » du WWF, publié en octobre 2016, estime que « les populations mondiales de poissons, d’oiseaux, de mammifères, d’amphibiens et de reptiles ont régressé de 58 % entre 1970 et 2012 ». Les scientifiques estiment que nous vivons aujourd’hui la sixième extinction de masse. Sachant que les déclins en populations animales et végétales ne datent pas d’hier, et qu’une diminution par rapport à il y a 60 ou 70 ans masque en réalité des pertes bien pires encore (cf. l’amnésie écologique). On estime que d’ici 2048 les océans n’abriteront plus aucun poisson. D’autres projections estiment que d’ici 2050, il y aura plus de plastiques que de poissons dans les océans. On estime également que d’ici à 2050, la quasi-totalité des oiseaux marins auront ingéré du plastique. La plupart des biomes de la planète ont été contaminés par différents produits chimiques toxiques de synthèse (cf. l’empoisonnement universel de Fabrice Nicolino). L’industrie chimique, à travers le globe, a fabriqué plus de 90 millions de substances de synthèse, dont 35 millions sont commercialisées. 99 % de la quantité totale des substances présentes sur le marché ne sont pas testées. Parmi celles-ci, environ 30.000 sont commercialisées en quantités supérieures à une tonne par an. La production mondiale de produits chimiques a explosé, passant d’un million de tonnes en 1930 à 400 millions aujourd’hui. Or, on connaît l’impact toxicologique d’à peine 3.000 substances sur les 100.000 commercialisées en Europe. L’air que nous respirons est désormais classé cancérigène par l’OMS. Les espèces animales et végétales disparaissent (sont tuées) au rythme de 200 par jour (estimation de l’ONU). Les dérèglements climatiques auxquels la planète est d’ores et déjà condamnée promettent d’effroyables conséquences.
Et ce n’est pas fini, loin de là, puisque l’expansion urbaine est encore en cours, et que les prochaines décennies promettent un « boom en construction d’infrastructures ». Selon Bill Laurance, professeur à l’université James Cook en Australie, « un tsunami de nouvelles routes, de nouveaux barrages, de nouvelles lignes électriques, de nouveaux pipelines et d’autres infrastructures » se prépare, et « les projections actuelles suggèrent que d’ici 2050, il y aura environ 25 millions de kilomètres de routes pavées supplémentaires — assez pour faire plus de 600 fois le tour de la Terre ».
L’expansion de l’humanité, urbaine qui plus est, aussi appelée « étalement urbain », est une des principales menaces pour la biodiversité restante. Dans une étude sur les impacts de l’étalement urbain sur la biodiversité, publiée par
« La destruction des habitats est la première cause précipitant l’extinction des espèces terrestres, mais l’impact du développement humain ou des routes pourrait avoir une portée s’étendant bien au-delà des zones immédiates où l’habitat a été détruit. La raison pour laquelle l’étalement [urbain, de la civilisation industrielle] est une telle menace pour la biodiversité ne relève pas que de la conversion d’habitat en routes et en bâtiments, mais également des conséquences de ces perturbations humaines sur une échelle bien plus vaste ».
Dans leur livre « Les impacts écologiques des technologies de l’information et de la communication » (2012), le groupe EcoInfo nous rapporte que :
« La cause n° 1 de perte de biodiversité est la perte d’habitats par destruction directe, que ce soit par exemple par la déforestation ou l’urbanisation, l’artificialisation, par dégradation de leur qualité ou par fragmentation des paysages (création de routes par exemple). Concernant les activités minières, elles ont donc des impacts directs en termes de destruction d’habitats que ce soit par les sites miniers mais aussi par les accès routiers associés et l’ensemble des infrastructures nécessaires, notamment lors du développement d’activités d’extraction en zones tropicales – e.g. le Congo pour les terres rares, région qui se situe précisément dans les régions du monde à forte biodiversité.
L’utilisation de territoires pour le dépôt de déchets, l’implantation de moyens de télécommunication, de câbles, comme une grande partie des activités humaines, sont autant de causes possibles de fragmentation et de mise en péril de la qualité des habitats… »
Du côté de la vie humaine, les inégalités économiques ne cessent de croître, l’incidence des maladies psychologiques (stress, angoisses, dépressions, suicides) grimpent en flèche, comme celles des autres maladies d’ailleurs dites « de civilisation » — le diabète, l’athérosclérose, l’asthme, les allergies, l’obésité et le cancer.
Bien que certains statisticiens (comme Steven Pinker) se plaisent à pérorer que nous vivons dans un monde qui n’a jamais été aussi dépourvu de violence, la réalité est inverse. Tout dépend de la définition de « violence » que l’on utilise. De ce qu’on considère comme étant violent, et inversement. Gandhi lui-même affirmait que la pauvreté était la pire forme de violence. La violence psychologique est-elle moins importante que la violence physique ? L’exploitation des « ressources humaines » que la civilisation industrielle est parvenue à mondialiser, a étendue une forme de violence particulièrement insidieuse au monde entier. On estime que plus de 150 millions d’humains dépendent des activités extractives pour leur subsistance. Du travail dans les mines. Bien évidemment, les promoteurs de l’illusion d’un monde parfaitement pacifié ne considèrent pas le travail dans les mines comme de la violence, même s’ils n’ont aucune idée de ce que c’est, et qu’ils ne s’amuseraient jamais pour leur bon plaisir à aller extraire du cobalt au Congo. Le travail, dans les pays « en développement », imposé à 250 millions d’enfants (estimation de l’OIT) âgées de 5 à 14 ans, et à des dizaines de millions d’adultes, majoritairement des femmes, n’est pas une forme de violence. Bien évidemment, les promoteurs de l’illusion d’un monde parfaitement pacifié ne font pas et ne laisseraient pas travailler leurs propres enfants. Le salariat, lui-même imposé, est une forme de violence, pour beaucoup, et de bien des manières.
Arrêtons-nous ici pour les rappels. Bien d’autres choses mériteraient d’être soulignées, mais ce n’est pas l’objet principal de cet article. Pour ceux qui veulent en savoir plus, nous vous conseillons cet article, et cet autre.
Pour ceux qui sont assez honnêtes envers eux-mêmes, le constat est accablant. Et bien pire que ça. L’ampleur des destructions, la folie dont la civilisation industrielle fait preuve, sont d’une magnitude si colossale que les mots manquent pour les décrire.
Et pourtant, les médias de masse, les grandes ONG, les gouvernements et les institutions culturelles officielles rappellent en continu que le monde ne va « pas si mal », qu’il y a de l’espoir, Europe 1 nous apprend qu’une « majorité de Français, à hauteur de 58%, se disent « optimistes » pour l’année 2017 », l’Associated Press (l’équivalent de l’AFP des USA), que « 2017 représente l’espoir pour les Américains », Vladimir Poutine que « 2016 a été une année « difficile » mais pleine d’espoir », Libération publie un article intitulé « 11 bonnes raisons pour dire que la planète ne va pas si mal », Slate.fr publie une vidéo soulignant 13 points qui, selon eux, prouvent qu’il « y a de quoi rester optimiste », à l’instar d’Avaaz.
En guise d’exemple, analysons l’article de Libération et les points soulignés par la vidéo de Slate France (qui a déjà été visionnée plus de 5,5 millions de fois sur Facebook).
Les 11 bonnes raisons que Libération met en avant pour nous inciter à « espérer de jours meilleurs » sont les suivantes :
- Une poignée d’espèces, dont les pandas, les tigres et les Lynx boréals, ne sont plus considérées comme gravement menacées, et voient leurs effectifs légèrement augmenter.
- La couche d’ozone se rebouche.
- L’accord de Kigali : 150 états se sont entendus pour interdire progressivement l’utilisation des gaz hydrofluorocarbures (HFC).
- L’accord de Paris (COP 21) a été ratifié en moins de 10 mois.
- Notre-Dame-des-Landes : les travaux n’ont pas commencé.
- Obama a pris des très bonnes mesures écologiques (forages en Arctique interdit, Keystone XL stoppé, territoires fédéraux protégés).
- Justin Trudeau (premier ministre du Canada) a lui aussi œuvré en faveur de l’environnement
- Les énergies « renouvelables » se développent.
- La loi sur la biodiversité a été votée en France.
- La Cour pénale internationale s’intéresse aux crimes environnementaux.
- 21 enfants américains poursuivent en justice leur gouvernement « pour son implication dans le changement climatique et son inaction à lutter contre ».
L’espoir est un fléau, comme le rappelle brillamment Derrick Jensen. L’optimisme, une pathologie, à notre époque où il se confond avec le déni et permet à la machine de continuer son travail mortifère. Tout plutôt que dire que ça va mal. Tout, plutôt que reconnaître et décrire les choses telles qu’elles sont.
Alors, voilà, rapidement, ce qu’on pense des 11 points de Libé :
- Pointer du doigt les exceptions n’a aucune influence sur la règle, à savoir les 100 à 200 espèces qui, chaque jour, sont précipitées vers l’extinction par la civilisation industrielle, même si, oui, c’est toujours ça de pris.
- Ok. Effectivement, que le trou dans la couche d’ozone se rebouche est une très bonne chose, et c’est toujours ça de pris aussi.
- Ce point est directement lié au 2. Il s’agit des gaz en lien avec le trou dans la couche d’ozone, ce qui revient à rajouter un point pour rajouter un point.
- Génial, le résultat de la 21ème COP, sachant que la planète a été détruite de manière exponentielle sous les 20 premières. Nous doutons bien évidemment et à juste titre de l’utilité de la COP21, comme de toutes les autres. Rappelons d’ailleurs qu’Élisabeth Schneiter publiait en novembre 2016, sur Reporterre, un article intitulé « Malgré l’accord de Paris, les projets émetteurs de CO2 se multiplient en France et dans le monde ».
- Ok. Un endroit spécifique qui reste préservé, pour l’instant, même principe que pour le 1.
- Obama écolo ? Est-ce une mauvaise blague ? Le pays le plus consommateur et polluant du monde (en concurrence avec la Chine dans cette discipline) ? Encore une fois trois petits exemples sont pointés du doigt, comme l’arrêt du pipeline Keystone XL, que l’on connait parce qu’il a été médiatisé. Mais les dizaines de pipelines et de projets pétroliers qu’Obama a validés pendant son mandat, et qui n’ont pas été médiatisés, qui les connait ? Qui a entendu parler du pipeline du lac Sakakawea ? Du pipeline Trans-Pecos ? Du pipeline Comanche Trail ? Entre 2009 et 2015 plus de 19 000 km de pipelines ont été construits aux USA. L’administration Obama a également dépensé plus de 34 milliards de dollars dans le soutien de plus de 70 projets liés aux combustibles fossiles, à travers le globe, principalement dans des centrales tournant aux combustibles fossiles, en Australie, en Afrique du Sud et ailleurs. Obama a approuvé les budgets militaires les plus importants de toute l’histoire des États-Unis.
- Même chose avec Trudeau. Euphémisation complètement indécente. Lui qui a approuvé le Trans Mountain pipeline (Kinder Morgan), le pipeline de la Line 3, qui a augmenté « la capacité de transport du pétrole par pipelines au Canada de 30 %, de plus d’un million de barils par jour », serait un champion de l’environnement ?! On croit rêver.
- Les énergies renouvelables sont une fausse solution, une nouvelle industrie, polluante, comme toutes les industries, donc un nouveau problème.
- La loi sur la biodiversité n’est pas un progrès, au contraire (« Si la loi reconnait le principe du ‘préjudice écologique’, elle ouvre la porte à la compensation, qui est ‘en pratique un droit à détruire’ », nous rapportait Reporterre à son sujet, entre autres choses).
- Si elle s’y intéresse alors, nous sommes sauvés.
- Bis. Une distraction sans aucun impact.
On serait tenté de dire qu’une telle minimisation, qu’un tel positivisme, en plus de n’être d’aucune aide, et de largement relever du déni, voire du mensonge, est un scandale, une honte, qu’il s’agit d’un baratin minable et dérisoire. Mais on passerait à côté de l’important. Qui est que pour continuer, pour aller de l’avant, pour faire tourner la machine techno-industrielle et son corollaire le système économique mondial, les médias, les politiciens, les experts et les hommes d’affaire, en un mot l’aristocratie dirigeante, se doivent de mettre en avant ce qu’ils peuvent pour maintenir une lueur d’espoir chez les populations de travailleurs. S’ils ne diffusent presque jamais le constat que nous présentons au début de ce texte, ce n’est pas un hasard, ni un oubli. Vous imaginez bien qu’ils ne peuvent se permettre de dire, à l’instar de Bernard Charbonneau, qu’ « en réalité il n’y a probablement pas de solution au sein de la société industrielle telle qu’elle nous est donnée ». Sans la croyance, sans l’espérance selon laquelle demain sera meilleur qu’hier, le malaise social pourrait atteindre un niveau dangereux qui risquerait de menacer la paix sociale, et de perturber le bon fonctionnement de l’économie industrielle mondialisée. On dit bien trop souvent que l’espoir fait vivre, ce qui, d’une certaine manière, est vrai, mais pas pour les raisons que l’on croit. L’espoir fait avancer, comme dans le cas de l’âne qui espère manger la carotte qui pend au bout d’un fil, devant son nez.
Ainsi, ce qu’on oublie de dire, c’est surtout que dans le système économique mondialisé qui est le nôtre, basé sur la consommation de masse stimulée par la peur, elle-même engendrée par un état de crise permanent, l’espoir fait vendre. L’espoir est un des combustibles qui permet à la société industrielle de fonctionner. La société industrielle est responsable du déclin colossal en biodiversité que nous exposons au début. En réalité, on pourrait facilement soutenir que l’espoir tue, que l’espoir de jours meilleurs (de lendemains qui chantent) que maintiennent les populations industrieuses, acceptant ainsi docilement l’ordre établi sur lequel elles n’ont de toute façon aucun pouvoir, est mortel pour les populations non-humaines et pour la biodiversité.
Derrick Jensen le formule comme suit :
Honnêtement, je n’ai pas grand espoir. Mais je pense que c’est une bonne chose. L’espoir nous maintien enchaînés au système, au conglomérat d’individus, d’idées et d’idéaux qui détruit la planète.
Pour commencer, il y a ce faux espoir selon lequel soudainement, de quelque façon, le système va inexplicablement changer. Ou celui selon lequel la technologie va nous sauver. Ou la déesse mère. Ou des créatures d’Alpha du Centaure. Ou Jésus Christ. Ou le père noël. Tous ces faux espoirs mènent à l’inaction, ou au moins à l’inefficacité. Une des raisons pour lesquelles ma mère restait avec mon père, qui la violentait, était le fait qu’il n’y avait pas de foyers pour femmes battues dans les années 50 et 60, une autre qu’elle avait l’espoir qu’il changerait. Les faux espoirs nous enchaînent à des situations invivables, et nous empêchent de voir les possibilités réelles.
Qui croit vraiment que Weyerhaeuser va arrêter de déforester parce qu’on lui demande gentiment ? Qui croit vraiment que Monsanto va arrêter de Monsanter parce qu’on lui demande gentiment ? Si seulement nous avions un démocrate à la maison blanche, tout irait bien. Si seulement nous faisions passer telle ou telle loi, tout irait bien. Si seulement nous parvenions à faire retirer telle ou telle loi, tout irait bien. Non-sens. Les choses n’iraient pas bien. Elles ne vont déjà pas, et elles empirent. Rapidement.
Ce n’est pas simplement le faux espoir qui enchaîne ceux qui vont en son sens. C’est l’espoir lui-même.
L’espoir, nous dit-on, est notre phare dans la nuit. Notre lumière à la fin d’un long et sombre tunnel. Le rayon de lumière, qui, contre toute attente, parvient à pénétrer jusque dans nos cellules. Notre raison de persévérer, notre protection contre le désespoir (qui doit à tout prix, et donc à celui de notre santé et de celle du monde, être évité). Comment continuer si nous n’avons pas d’espoir ?
On nous a tous enseigné que l’espoir d’une condition future meilleure — comme l’espoir d’un paradis futur — est et doit être notre refuge dans la peine présente. Je suis sûr que vous vous souvenez de l’histoire de Pandore. On lui remit une boîte fermement scellée et on lui dit de ne jamais l’ouvrir. Mais, curieuse, elle l’ouvrit, et en sortirent les fléaux, les peines et les calamités, probablement pas dans cet ordre. Elle referma la boîte, trop tard. Une seule chose y était restée : l’espoir. L’espoir, selon la légende, était « le seul bien que contenait le coffret parmi tous les maux, et reste à ce jour le seul réconfort de l’humanité en cas de malheur ». Aucune mention ici de l’action comme réconfort en cas de malheur, ou de réellement faire quelque chose pour apaiser ou éliminer l’infortune. (Fortune : du latin fortuna, apparenté au latin fort‑, fors, hasard, chance : ce qui implique bien sûr que l’infortune que l’espoir est censé réconforter n’est que malchance, et non pas dépendante de circonstances que l’on puisse changer : dans le cas présent, je ne vois pas le rapport entre la malchance et les misérables choix que l’on fait chaque jour et qui permettent à la civilisation de continuer à détruire la Terre.)
Plus je comprends l’espoir, plus je réalise que loin d’être un réconfort, celui-ci méritait largement sa place dans la boîte aux côtés de tous les fléaux, peines et calamités ; qu’il sert les besoins de ceux au pouvoir aussi sûrement qu’une croyance en un distant paradis ; que l’espoir n’est vraiment rien de plus qu’une variante séculière de la mystification mentale paradis/nirvana.
L’espoir est, en réalité, une malédiction, un fléau.
Non seulement en raison de l’admirable dicton bouddhiste, « l’espoir et la peur se poursuivent l’un l’autre » — sans l’espoir il n’y a pas la peur — et non seulement parce que l’espoir nous éloigne du présent, de qui et de là où nous sommes en ce moment et nous fait miroiter un état imaginaire futur, mais surtout en raison de ce qu’est l’espoir.
Nous braillons plus ou moins tous et plus ou moins continuellement à propos de l’espoir. Vous ne croiriez pas — ou peut-être le croiriez-vous — combien d’éditeurs pour combien de magazines m’ont dit qu’ils voulaient que j’écrive sur l’apocalypse, en me demandant ensuite de « faire en sorte de laisser aux lecteurs un soupçon d’espoir ». Mais, qu’est-ce que l’espoir, précisément ? Lors d’une conférence, au printemps dernier, quelqu’un m’a demandé de le définir. Je n’ai pas pu, et ai donc retourné la question à l’audience. Voici la définition qui a alors émergé : l’espoir est une aspiration en une condition future sur laquelle vous n’avez aucune influence. Cela signifie que vous êtes essentiellement impuissant.
Pensez‑y. Je ne vais pas, par exemple, dire que j’espère manger quelque chose demain. Je vais le faire. Je n’espère pas prendre une nouvelle respiration maintenant, ni finir d’écrire cette phrase. Je le fais. D’un autre côté, j’espère que la prochaine fois que je prendrais l’avion, il ne se crashera pas. Placer de l’espoir en une finalité signifie que vous n’avez aucune influence la concernant.
Tant de gens disent qu’ils espèrent que la culture dominante cesse de détruire le monde. En disant cela, ils garantissent sa continuation, au moins à court-terme, et lui prêtent un pouvoir qu’elle n’a pas. Ils s’écartent aussi de leur propre pouvoir.
Je n’espère pas que le saumon coho survive. Je ferai ce qu’il faut pour éviter que la culture dominante ne les extermine. Si les coho souhaitent partir en raison de la façon dont ils sont traités — et qui pourrait leur en vouloir ? — je leur dirai au revoir, et ils me manqueront, mais s’ils ne souhaitent pas partir, je ne permettrai pas à la civilisation de les exterminer. J’agirai quoi qu’il en coûte.
Je n’espère pas que la civilisation s’effondre le plus tôt possible. Je ferai ce qu’il faut pour que cela arrive.
[…] Beaucoup de gens ont peur de ressentir du désespoir. Ils craignent qu’en s’autorisant à percevoir le désespoir de notre situation, ils devront alors être constamment malheureux. Ils oublient qu’il est possible de ressentir plusieurs choses en même temps. Je suis plein de rage, de peine, de joie, d’amour, de haine, de désespoir, de bonheur, de satisfaction, d’insatisfaction, et d’un millier d’autres sentiments. Ils oublient aussi que le désespoir est une réponse tout à fait appropriée pour une situation désespérée. Beaucoup de gens ont aussi probablement peur qu’en s’autorisant à percevoir à quel point les choses sont désespérées, ils seront peut-être alors forcés de faire quelque chose pour changer leurs circonstances.
Passons maintenant à la vidéo de Slate, au style hollywoodien (qui n’est pas sans rappeler les vidéos de propagande des médias de masse qui firent récemment le buzz sur le web durant la guerre en Syrie), énumérant 13 points sélectionnés ; de quoi rassurer les foules de naïfs que la combinaison de jolies images, de faits tronqués et d’une musique entraînante suffit à captiver. Voici les points qu’elle met en avant :
- Les baleines ainsi que 9 autres espèces ne sont plus menacées.
- En Inde, 50 millions d’arbres ont été plantés et une reforestation de 12 % est prévue.
- Juarez, la ville la plus dangereuse du monde, est désormais moins dangereuse, la criminalité diminue.
- La Chine prévoit de fermer 1 millier de mines de charbon et de ne plus en ouvrir pendant 3 ans.
- Taïwan prévoit d’autoriser le mariage homosexuel.
- 93% des enfants dans le monde ont appris à lire et écrire.
- L’espérance de vie en Afrique a augmenté de 9,4 années depuis 2000.
- La mortalité infantile en Russie a diminué 12 %.
- La criminalité chute aux pays bas, où 1/3 des cellules de prison sont inoccupées.
- La Gambie et la Tanzanie ont mis fin au mariage forcé des enfants.
- La peine de mort est désormais illégale dans plus de la moitié des pays.
- La faim dans le monde recule, atteint son niveau le plus bas depuis 25 ans.
- Les naissances de pandas battent de nouveaux records.
Le point 1 et le point 13, qui n’en forment qu’un, nous les commentons déjà à travers nos remarques sur l’article de Libération (cf. point 1). Ce qu’on peut se demander, c’est si le choix de finir sur la naissance de bébés pandas (mascottes velues adorées des foules), quitte à rajouter un point qui fait doublon, est fortuit ou délibéré.
Le deuxième point nous offre l’occasion de nous pencher sur la situation écologique de l’Inde. Parmi les choses que l’on peut apprendre sur cet évènement, il y a le fait que ces arbres ont été plantés « en des endroits spécifiques, le long de routes, d’autoroutes, de voies ferrées et de terres boisées », et que « seuls 60% de ces arbres survivront » (puisque les autres mourront de soif). On comprend dès lors qu’il ne s’agit pas vraiment de forêts que l’on replante, tout comme les parcelles boisées régulièrement coupées pour l’industrie du bois n’ont jamais l’occasion de devenir de vraies forêts. L’état des forêts indiennes est l’objet de manipulation statistiques liées à des définitions douteuses. Le gouvernement indien prétend que la couverture forestière a augmenté en Inde, ces derniers temps. Ce que plusieurs études, se basant sur une définition plus rigoureuse de ce qu’est une forêt, viennent contredire. La surface recouverte de forêts « denses » diminue constamment. En 1930, en Inde, les forêts recouvraient 869 012 km², contre 625 565 en 2013, une perte de 243 447 km² (28%) en 80 ans (source). En 2015, selon les chiffres du gouvernement indien, la forêt recouvrait cependant 701 673 km². La couverture forestière, en Inde, aurait ainsi augmenté au cours des 13 dernières années, selon le gouvernement indien (qui reconnait également que sur les 30 dernières années, 15 000 km² de forêt ont été perdus à cause de l’étalement urbain et 14 000 à cause de plus de 23 716 projets industriels). Cette augmentation s’explique par la plantation d’arbres, particulièrement de monocultures, qui ne peuvent pas se substituer aux forêts naturelles et diversifiées, perdues pour toujours. Cette croissance annoncée est qualifiée par la revue Economic Times (pourtant loin d’être une revue d’écologie radicale) de « résultat de jongleries statistiques et de l’utilisation de définitions erronées de la part du ministère des forêts ». Sachant que l’Inde compte construire plus de 50 000 km de routes sur les 6 prochaines années, entre autres infrastructures industrielles. Mais j’imagine que les gens n’ont pas à savoir tout ça, qu’ils peuvent bien se contenter de jolies images, d’une musique excitante, et de slogans simplistes.
Le troisième point, comment dire, ne nous intéresse pas plus que ça. Que la ville de Juarez soit plus calme est fort bien pour ses habitants. Pour la planète, c’est autre chose. L’étalement urbain étant une des premières nuisances qui soit pour la biodiversité et la santé des écosystèmes, qu’une ville se porte bien, eh bien, ça n’est pas nécessairement une bonne chose.
Le quatrième point, attendons voir. Il s’agit de prévisions. De quelque chose qui doit se produire. Le placer dans les réussites de 2016 est légèrement prématuré. Surtout lorsque la Chine, ainsi que nous le rapporte notre cher quotidien Le Monde, à travers son « 13e plan quinquennal pour l’énergie, dévoilé lundi 7 novembre par l’Administration nationale pour l’énergie, prévoit une augmentation de la capacité des centrales à charbon du pays de 19 % d’ici à 2020 », qui continue : « La Chine, premier émetteur mondial de CO2, va continuer à construire des centrales à charbon, source d’énergie la plus polluante. Le pays, qui peut aujourd’hui produire 920 gigawatts d’électricité grâce au charbon, prévoit d’augmenter cette capacité jusqu’à 1 100 GW d’ici à 2020 ». Novethic souligne également que « la Chine veut investir 460 milliards d’euros dans de nouvelles centrales à charbon ». Ce qu’on peut encore ajouter, c’est que la Chine importe de plus en plus de charbon depuis l’étranger, ces dernières années, où elle finance d’autres mines (comme en Birmanie, au Canada, en Mongolie, en Russie, en Afrique du Sud, et ailleurs), et qu’elle entreprend actuellement la construction de centrales nucléaires (flottantes (!)), tout en aidant, entre autres, le Pakistan a en construire (des centrales nucléaires normales, non-flottantes, qui couleraient surement si on les plaçait en mer).
Le cinquième point, même chose, prévisions. Et puis, le mariage homosexuel pour sauver la planète, on est sceptique. C’est sûrement très bien pour ceux que cela concerne.
Le sixième point, la progression de l’endoctrinement et de l’instruction à l’occidental, qui relève historiquement et encore actuellement de l’ethnocide ou d’une insidieuse acculturation, voyez-vous, ne laisse rien augurer de bon (pour plus de détails concernant ce sujet, nous avons récemment publié cet article, et vous pouvez également regarder cet excellent documentaire) :
Le septième point, bon, pourquoi pas, pris comme ça, seulement, si on analyse le comment, les choses se compliquent. En ce qui concerne l’espérance de vie, rappelons plusieurs choses, et d’abord que ces dernières années, elle a diminué aux États-Unis comme en France. L’augmentation de l’espérance de vie moyenne dans le monde développé présente le même problème paradoxal que l’augmentation de l’espérance de vie moyenne dans le monde « en développement ». Elle est en partie le résultat du confort et des agréments que l’industrialisme, qui a ravagé et qui ravage le monde, nous a offert. Cela valait-il et cela vaut-il le coup de ruiner la planète à coups de mines, de centrales polluantes, d’émissions de gaz à effet de serre, de pollutions plastiques et métalliques diverses, etc., dans le seul but de vivre plus longtemps ? L’augmentation de l’espérance de vie moyenne d’une partie des humains et pour un temps limité (puisqu’elle repose sur une civilisation qui se rapproche tous les jours plus de son effondrement) et à un tel prix, est-elle une bonne chose ?
Les même questions sont valables pour le 8ème point, qui, dans l’absolu (hors contexte, considéré isolément), est une bonne chose.
Le 9ème point, pareil, si pour la société industrielle des Pays-Bas c’est peut-être une amélioration, en quoi cela nous sort-il du pétrin dans lequel nous nous enfonçons chaque jour un peu plus ?
Le 10ème point, très bien. Mais le choix de mettre en avant l’interdiction du mariage forcé des enfants, en Gambie et en Tanzanie, relève d’une volonté perverse permettant d’occulter l’éléphant dans la pièce, comme les grands médias savent si bien le faire. En Gambie, le président-élu Adama Barrow n’est pas encore en poste puisque son prédecesseur Yahya Jammeh conteste sa défaite électorale, refuse la passation de pouvoir, et « prépare la guerre ». Bien des choses devraient être dites sur la Tanzanie, comme sur bien des pays « en développement », dont l’économie dépend d’un pillage des matières premières, d’une agriculture d’exportation et des dévastations écologiques que les deux entraînent. L’or est la première exportation de la Tanzanie (1,37 milliards de dollars), qu’elle exporte vers l’Afrique du Sud, l’Inde, la Suisse et l’Australie. L’or est suivi par le tabac, qu’elle exporte vers la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne, la Pologne, la Russie et la France, principalement. Après le tabac, on retrouve les exportations de minerai de métaux précieux (diamants et autres), vers le Japon, la Chine et l’Allemagne, notamment. Le café y est cultivé pour exportation vers le Japon, les États-Unis, l’Italie, l’Allemagne et la Belgique. Si au sein du système économique actuel, qui détruit le monde, cela a un sens, écologiquement et socialement, ça n’en a aucun. Cultiver pour exporter à l’international est antiécologique au possible. Détruire des écosystèmes qui sont l’habitat de nombreuses espèces pour creuser d’immenses trous dans le sol afin d’en extraire divers matériaux destinés au système industriel moderne non plus (rappelons que l’or est encore principalement utilisé dans le domaine de la bijouterie, crucial n’est-ce pas). Peut-être qu’il serait intéressant que les médias de masse, lorsqu’ils daignent parler de pays « en développement », abordent ces sujets-là, qui sont bien plus vitaux, à tous points de vue.
Le 11ème point, soit, même si la peine de mort est toujours de mise aux USA, en Chine, et ailleurs…
Le 12ème point, présenté ainsi, est grotesque. Pourquoi la faim dans le monde existe-t-elle ? Quelles en sont les causes et les mécanismes ? Au sein de la société de consommation mondialisée, une partie colossale des denrées alimentaires est purement et simplement jetée et gâchée. L’économie de marché décide de la répartition de la nourriture. Les pratiques agricoles de tous les pays du monde devraient être analysées, évaluées et discutées. Le système économique mondial permet aux pays « développés » de piller les pays où des gens meurent de faim. Un problème dont on attend toujours de Slate qu’ils s’en saisissent. Mais qu’ils n’exposeront jamais ainsi. Intérêts économiques et politiques obligent. Comme l’explique Jean Ziegler, ancien rapporteur spécial de l’ONU pour le droit à l’alimentation, « un enfant qui meurt de faim est assassiné », « la faim dans le monde tient du crime organisé », et « les spéculateurs devraient être jugés pour crime contre l’humanité ».
Dans l’ensemble, les seuls points véritablement positifs que contiennent les différentes rassurances publiées par les médias de masse concernent ces quelques espèces dont les effectifs remontent légèrement. (Et, dans le cas de l’article de Libération, le fait que la ZAD de Notre-Dame-des-Landes tienne bon est aussi un bon point). Le reste est un ramassis de bêtises qu’ils ont du glaner en tapant « bonnes nouvelles 2016 » sur le moteur de recherche de Google.
Cet autre opium du peuple qu’est l’espoir, que les chiens de garde de l’ordre établi — les chantres du progrès social et/ou technologique, du développement, de la croissance, etc. — cultivent régulièrement, relève d’un formidable déni des réalités écologiques présentes et de ses tendances historiques, d’une gigantesque occultation de l’éléphant (désormais en voie de disparition) dans la pièce. A commencer par le fait que la planète va mal, de mal en pis, que l’expansion de la civilisation industrielle est une catastrophe en cours, avec ses croissances de zones urbaines, ses extractions minières qui se multiplient, ses productions de déchets en tous genres, des plastiques aux métalliques, avec sa surexploitation des ressources non-renouvelables, et sa surexploitation des ressources renouvelables, avec ses pollutions de l’air par des particules de toutes sortes de tailles et toxiques, avec l’ethnocide qu’elle poursuit, afin qu’il ne reste qu’une monoculture dominante, et ainsi de suite.
La popularité de ces rassurances témoigne de la passivité du public en général, qui absorbe des slogans simplistes dont il pourrait aisément se rendre compte de l’absurdité s’il faisait l’effort de se renseigner lui-même, un minimum, à leur sujet. Comme toujours, les informations sont disponibles. Les tendances, assez claires. Dont la tendance des médias de masse à fausser ou à déformer l’information, et la tendance du public à ne pas s’en soucier, à accepter des mensonges, pourvus qu’ils soient rassurants. Malheureusement, ces mensonges rassurants détruisent la planète, qui est notre seule maison.
Howard Zinn, historien et activiste états-unien, s’évertuait à rappeler aux gens que « le gouvernement n’est pas notre ami », un euphémisme pour dire que le gouvernement est notre ennemi. Les médias non plus, ne sont pas nos amis, à l’instar des célébrités. Le poids des démissions individuelles, des renoncements face à l’inertie de l’époque et au règne des institutions dominantes, que beaucoup prennent pour une fatalité, n’est qu’un mauvais choix collectif. Attendre de ces institutions (médias, politiciens, etc.), ou de cette culture plus généralement, qu’elles nous guident vers un monde meilleur, c’est faire preuve du « loyalisme suicidaire » dont parlait Aldous Huxley dans son livre « Les temps futurs » :
« Car, en fin de compte, la peur chasse même l’humanité de l’homme. Et la peur, mes bons amis, la peur est la base et le fondement de la vie moderne. […] La peur de la science, qui enlève d’une main plus encore qu’elle ne donne avec une telle profusion de l’autre. La peur des institutions dont le caractère mortel est démontrable et pour lesquelles, dans notre loyalisme suicidaire, nous sommes prêts à tuer et à mourir. La peur des Grands Hommes que, par acclamation populaire, nous avons élevés à un pouvoir qu’ils utilisent, inévitablement, pour nous assassiner et nous réduire en esclavage. »
Dans son article « Notre manie d’espérer est une malédiction », Chris Hedges dénonce à sa manière ce loyalisme suicidaire :
« La croyance naïve selon laquelle l’histoire est linéaire, et le progrès technique toujours accompagné d’un progrès moral, est une forme d’aveuglement collectif. Cette croyance compromet notre capacité d’action radicale et nous berce d’une illusion de sécurité. Ceux qui s’accrochent au mythe du progrès humain, qui pensent que le monde se dirige inévitablement vers un état moralement et matériellement supérieur, sont les captifs du pouvoir. Seuls ceux qui acceptent la possibilité tout à fait réelle d’une dystopie, de la montée impitoyable d’un totalitarisme institutionnel, renforcé par le plus terrifiant des dispositifs de sécurité et de surveillance de l’histoire de l’humanité, sont susceptibles d’effectuer les sacrifices nécessaires à la révolte.
L’aspiration au positivisme, omniprésente dans notre culture capitaliste, ignore la nature humaine et son histoire. Cependant, tenter de s’y opposer, énoncer l’évidence, à savoir que les choses empirent, et empireront peut-être bien plus encore prochainement, c’est se voir exclure du cercle de la pensée magique qui caractérise la culture états-unienne et la grande majorité de la culture occidentale. La gauche est tout aussi infectée par cette manie d’espérer que la droite. Cette manie obscurcit la réalité, au moment même où le capitalisme mondial se désintègre, et avec lui l’ensemble des écosystèmes, nous condamnant potentiellement tous. »
La « pensée magique » fait référence à une « forme de pensée qui s’attribue la puissance de provoquer l’accomplissement de désirs, l’empêchement d’événements ou la résolution de problèmes sans intervention matérielle ».
Mais le phénomène que l’on observe aujourd’hui, plus stupide encore, ne relève pas que de cette pensée magique. Il relève de la contradiction pure.
Dans une article récemment publié (le 27 décembre 2016) sur le site du Guardian, on peut lire les résultats d’une étude publiée le 20 décembre 2016 par l’Académie Nationale des Sciences des USA, portant sur la croissance des villes. L’étude en question nous rapporte que « d’ici 2030, on estime que la taille des zones urbaines du monde va tripler ». Ce qui se rapporte à ce que nous écrivons plus haut, à propos du boom de constructions d’infrastructures et d’étalement urbain que connaissent d’ores et déjà la plupart des pays « en développement », et dans une moindre mesure les pays « développés » (routes, barrages, voies ferrées, villes, etc.), et dont il est prévu qu’il s’intensifie encore au cours des prochaines décennies. Ne pas comprendre ce que cela implique pour la biodiversité planétaire restante et pour l’état du monde naturel en général implique de sacrément le vouloir. La ville est un mode d’habitat antiécologique (c’est expliqué plus en détails ici), la pression que fait peser la civilisation urbaine sur la planète (et ses « ressources ») est largement insoutenable, et ce depuis déjà longtemps, imaginez donc les effets que produira cette expansion planifiée.
Les promesses d’espoir que distillent l’aristocratie dirigeante, dont certains « écologistes » capitalistes ou écocapitalistes — des écologistes spécialisés dans le greenwashing, un procédé de marketing ou de relations publiques utilisé par une organisation (entreprise, administration publique nationale ou territoriale, etc.) dans le but de se donner une image écologique responsable — sont des impossibilités techniques. Comme croire que plus de technologie peut résoudre le problème que les hautes technologies sont en train de perpétuer. Croire que les institutions qui organisent la ruine de la planète peuvent la sauver. Croire que l’on peut préserver notre confort industriel ET cesser de détruire et de polluer le monde naturel ; croire que l’on peut continuer avec l’étalement urbain ET préserver la biodiversité et les populations d’espèces sauvages. Rappel, en bref : le confort industriel dépend de multiples pratiques destructrices, extractions minières (destruction d’habitat), exploitations de ressources non-renouvelables, émissions de polluants divers et variés, entre autres (et sans même aborder l’exploitation et les inégalités sociales qu’il requiert). L’étalement urbain (indissociable de la civilisation industrielle et de son confort) détruit également l’habitat d’un nombre incalculables d’espèces non-humaines, par essence. Sur une planète finie, il y a impossibilité logique. Mais les mythes ont la peau dure, et notamment celui du progrès, que dénonçait déjà Aldous Huxley dans son livre « Les temps futurs » :
« Dès le début de la révolution industrielle, il avait prévu que les hommes seraient gratifiés d’une présomption tellement outrecuidante pour les miracles de leur propre technologie qu’ils ne tarderaient pas à perdre le sens des réalités. Et c’est précisément ce qui est arrivé.
Ces misérables esclaves des rouages et des registres se mirent à se féliciter d’être les Vainqueurs de la Nature, vraiment ! En fait, bien entendu, ils avaient simplement renversé l’équilibre de la Nature et étaient sur le point d’en subir les conséquences.
Songez donc à quoi ils se sont occupés au cours du siècle et demi qui a précédé la Chose. A polluer les rivières, à tuer tous les animaux sauvages, au point de les faire disparaître, à détruire les forêts, à délaver la couche superficielle du sol et à la déverser dans la mer, à consumer un océan de pétrole, à gaspiller les minéraux qu’il avait fallu la totalité des époques géologiques pour déposer. Une orgie d’imbécillité criminelle.
Et ils ont appelé cela le Progrès. Le Progrès ! Je vous le dis, c’était une invention trop fantastique pour qu’elle ait été le produit d’un simple esprit humain – trop démoniaquement ironique ! Il a fallu pour cela une Aide extérieure. Il a fallu la Grâce de Bélial, qui, bien entendu, est toujours offerte – du moins, à quiconque est prêt à coopérer avec elle. »
Le mythe du progrès et les espoirs qu’il véhicule, selon lesquels les contradictions précédemment citées se résoudront d’elles-mêmes, constitue la plus dangereuse des illusions. Non pas qu’il n’y ait aucun espoir de voir un jour l’état du monde et de nos sociétés s’améliorer. Qui vivra verra. Mais ce qui est clair, c’est que la voie sur laquelle nous sommes collectivement engagés est une impasse. & qu’étant donné le caractère anti-écologique des fondements mêmes de la civilisation industrielle, aucune réforme n’y fera rien. Les espoirs qui prétendent autrement sont autant de mensonges.
Collectif Le Partage
Très bon article.
« En ce qui concerne l’espérance de vie, rappelons plusieurs choses, et d’abord que ces dernières années, elle a diminué aux États-Unis comme en France. »
Preuve que l’espérance de vie n’a rien à voir avec le progrès.
Donner une espérance de vie à quelqu’un qui vient de naitre ou qui à 20 ans relève de la fraude.
L’espérance de vie devrait en vérité se référer à une espérance de vie selon une certaine époque, un certain développement, PIB, mode vie…
On remarquera à ce sujet que ceux qui ont vécu le plus longtemps (puisque l’espérance de vie décroît actuellement) sont nées à une époque où médecine, confort, hygiène était rare et que la décroissance de l’espérance de vie actuelle concerne ceux qui ont bénéficié du progrès, des vaccins…il ne fait nul doute pour moi que dans l’avenir l’espérance de vie va encore décroître et que l’époque de naissance de ces morts précoces correspondra sûrement à ce qu’on considére aujourd’hui comme le summum du progrès.
» Quand tu auras désappris à espérer, je t’apprendrai à vouloir… »
Sénèque
Enfin!..
Un écho, plus cette impression de bourdonnement vide. Des mots qui font résonner le mal-être qui sommeille en moi depuis longtemps. Merci.
Espérance de vie… pour une vie sans espérance. Prôner la quantité plutôt que la qualité. L’enjeu est double, nous faire consommer plus pour compenser ce mal-être et plus longtemps en augmentant la durée ! Bingo !
Et tout ça pour se retrouver dans une situation où, à force de se faciliter la vie par bon nombre de gadgets (chers financièrement et écologiquement), nous sommes obligés de nous dépenser artificiellement pour entretenir notre condition physique, re-Bingo !
L’humain, ‘sommet’ de la création est devenu pitoyable dans sa vanité.
apres avoir vu constats de destructions, et tant de decisions a court terme
pendant tant d annees, j ai essaye de trouver la logique de ces gestes.
ma conclusion ;
l elite, les dirigeants, sonts convaincus de la destruction imminente
de la civilisation, peut etre meme de toute vie sur terre…
c est la seule explication logique.
meteorite, super volcans, guerre nucleaire, faites votre choix !
donc, ils ne perdent rien a tout exploiter et tuer sur leur passage,
puisque pour eux, tout est deja detruit.…
L’article rejoint tout à fait le livre de Paul Jorion » Le dernier qui s’en va éteint la lumière », dont la lecture est tout à fait salutaire
Sauf que Paul Jorion est un technophile qui pensent que des robots et des machines pourraient nous aider, sans comprendre que des machines et des robots ne peuvent être que le fait d’une société industrielle mondialisée, elle-même insoutenable (destructrice). Qu’il compte sur « les plus riches » pour régler nos problèmes. Et d’autres âneries.