« Un monde s’était organisé sans nous. Nous y sommes entrés alors qu’il commençait à se déséquilibrer. […] On ne pouvait pas lutter d’homme à homme comme dans les sociétés précédentes – ni d’idée à idée. »
— Bernard Charbonneau et Jacques Ellul, Nous sommes des révolutionnaires malgré nous (Seuil, 2014).
« La vie, dans sa plénitude et son intégrité, ne se délègue pas. »
— Lewis Mumford, Techniques autoritaires et techniques démocratiques (1964).
Cela fait un certain temps que la plupart des êtres humains vivent dans des sociétés où règne l’irresponsabilité. Que nous ne participons plus des petites économies locales et autosuffisantes, à la mesure du nombre de Dunbar — du nom de l’anthropologue britannique qui a découvert, en étudiant les cerveaux de plusieurs primates, que l’être humain ne peut entretenir de véritables relations qu’avec 150 personnes, environ —, qui ont caractérisé la grande majorité de l’existence humaine, soit plusieurs centaines de milliers d’années.
L’avènement des premières cités-états, il y a quelques milliers d’années, puis des premières civilisations, et enfin la mondialisation (leur consolidation en une seule civilisation mondialisée), sont autant d’étapes qui n’ont fait qu’éloigner toujours plus l’être humain des réalités de son existence, de l’impact de son mode de vie, tant sur le milieu naturel et les espèces non-humaines que sur les autres êtres humains de la société dont il participe — société désormais organisée à l’échelle planétaire. L’individu, pris dans une organisation sociale et technique qui ne cessait de croître, de s’étendre, de se densifier, de se complexifier, toujours plus éloigné des organes du pouvoir (qui se concentrait entre les mains d’une élite toujours plus puissante), a été graduellement dépossédé de la capacité qu’il avait de maîtriser son existence, de sa souveraineté, au fur et à mesure qu’il était rendu de plus en plus dépendant d’un système socio-technique — la « mégamachine » dont parle Lewis Mumford[1] — dans lequel il n’est plus qu’un rouage impuissant parmi tant d’autres.
Aujourd’hui, au sein de notre civilisation mondialisée, plus personne n’est en mesure de connaître, ne serait-ce qu’approximativement, les coûts écologiques et sociaux de sa propre vie. Nous ne voyons ni ne percevons plus, de nos propres yeux, les conséquences de notre propre vie. Nous ne sommes plus en mesure de constater les effets de notre existence, de notre mode de vie, ni sur le monde non-humain, ni sur les sociétés humaines. Ou plutôt, nous n’en voyons plus qu’une infime partie, le reste ayant été délocalisé et délégué, quelque part, loin de nous, à l’abri de notre regard.
Nous ne savons plus ni comment ni de quoi sont constitués les objets que nous utilisons au quotidien (du téléphone portable au stylo bic, en passant par l’ordinateur, la télévision, le réfrigérateur, la voiture, le tournevis, et même quelque chose d’aussi quelconque qu’une brosse à dent), les vêtements que nous portons, les infrastructures que nous utilisons, et ainsi de suite. Quels matériaux ont été nécessaires à leur fabrication ? Où ont-ils été extraits ? Par qui ? Dans quelles conditions ? Avec quel(s) impact(s) sur les écosystèmes ? Où ces matériaux ont-ils ensuite été transportés ? Par qui ? Dans quelles conditions ? Avec quel(s) impact(s) ? Où ont-ils été traités ? Par qui ? Comment ? Où ont-ils été assemblés ? Comment ? Etc. La liste est longue des choses que nous cautionnons, bon gré mal gré, mais dont nous ne savons rien — et c’est ainsi que l’être humain devenu consommateur appuie, souvent sans le savoir, ou sans le comprendre, les politiques impérialistes de son gouvernement, l’instauration de régimes dictatoriaux à travers le globe, des guerres, des massacres, des désastres humanitaires et écologiques (depuis le cataclysme socio-écologique qui a déjà fait des millions de morts au Congo ces dernières années et qui s’y déroule encore[2], jusqu’à la déforestation de Bornéo, en passant par les décharges de produits électroniques toxiques au Ghana[3], en Chine, au Nigéria, etc.).
Bon gré mal gré, parce qu’il serait trop simple de blâmer tous les individus de la même manière, étant donné que nous ne vivons pas en démocratie — étant donné que « la modernité est antidémocratique » ainsi que le formule[4] Francis Dupuis-Déri. En effet, dans la mégamachine, la plupart d’entre nous n’ont pas voix au chapitre. Le salariat n’est qu’une « forme nouvelle plus solide, plus générale et plus oppressive » d’esclavage (Tolstoï). Le pouvoir est concentré entre les mains d’une élite[5] toujours plus restreinte[6], déterminée à perpétuer toutes les tendances qui génèrent les catastrophes écologiques et sociales que l’on sait (réchauffement climatique, sixième extinction de masse, inégalités croissantes, etc.) :
Pour exemple, citons Jeff Bezos, le PDG d’Amazon :
« Nous ne voulons pas vivre dans un monde rétrograde. Nous ne voulons pas vivre sur une Terre où nous devrions geler la croissance de la population et réduire l’utilisation d’énergie. Nous profitons d’une civilisation extraordinaire, alimentée par de l’énergie, et par la population. […] Nous voulons que la population continue à croître sur cette planète. Nous voulons continuer à utiliser plus d’énergie par personne. »
Cette élite au pouvoir est depuis longtemps — plusieurs siècles, voire millénaires — passée maîtresse dans l’art de contrôler la population. Un art qui n’a cessé de s’affiner depuis l’avènement des premières cités-états (le pain et les jeux de la Rome antique n’en sont qu’une des nombreuses expressions). L’État tout entier — toutes les institutions qui le composent — est — et a toujours été — une arme entre les mains de la classe dirigeante. Ces temps derniers, de son contrôle du « corps enseignant » (de l’éducation nationale[7]), qui lui sert de « moyen de diriger les opinions politiques et morales » (Napoléon Bonaparte), de moyen « de répandre et de distribuer convenablement l’instruction, de propager les bonnes doctrines religieuses, morales et politiques » (François Guizot), de « maintenir une certaine morale d’État, certaines doctrines d’État qui sont nécessaires à sa conservation » (Jules Ferry), à son contrôle des médias[8], son emprise n’a peut-être jamais été aussi écrasante.
C’est ici que les énergies dites « renouvelables » entrent en scène. L’élite au pouvoir, sentant croître les inquiétudes populaires face aux pollutions croissantes, au réchauffement climatique, et ainsi de suite, s’est mise à propager, il y a quelques décennies, la notion de « développement durable », qui correspond aujourd’hui à la fameuse « transition écologique », dont la « transition énergétique » constitue le noyau.
Aux yeux de ceux qui ne voient guère de problèmes avec la civilisation industrielle planétaire, avec l’État et ses institutions, et qui espèrent que tout continue comme avant, comme aux yeux d’une grande majorité de ceux qui y voient quelques problèmes mais qui, grosso modo, souhaitent conserver les agréments (du moins, les choses qu’ils prennent pour tels) des hautes technologies et de l’industrialisme, les énergies dites « renouvelables » apparaissent comme la clé du futur.
En réalité, les énergies dites « renouvelables » ne changent quasiment rien à l’état des choses. La société industrielle alimentée par les « renouvelables » qui se profile est la même que celle qui est alimentée par des combustibles fossiles. Les multinationales et les dirigeants étatiques continuent de dominer le monde (les compagnies pétrolières et/ou de nouveaux grands groupes industriels prennent en charge le développement des « renouvelables »), le caractère antidémocratique de la modernité perdure, et l’esclavage salarial, et tout le reste (sauf que l’esclave salarié va pouvoir se rendre au travail dans une voiture à hydrogène fabriquée par d’autres esclaves salariés et dont l’hydrogène aura été produit par des éoliennes, elles-mêmes fabriquées par d’autres esclaves salariés, et ainsi de suite). Tout ce qui participait de l’épuisement des ressources non-renouvelables, de la surexploitation des ressources renouvelables, de la pollution généralisée des milieux naturels, à savoir les différentes industries et leur extractivisme, leur production de masse d’objets (plastiques et autres), d’appareils, de machines, etc., qui sont autant de futurs déchets ou e‑déchets, avec leur production de substances chimiques toxiques, tout cela continue.
En outre, et c’était attendu, le déploiement des technologies dites « renouvelables » génère son lot de catastrophes écologiques[9], qui commencent à être exposées même dans les médias grand public, par le biais, notamment, du livre de Guillaume Pitron, La guerre des métaux rares, et de L’âge des low-tech de Philippe Bihouix ; des livres qui ont en commun de ne proposer aucune critique de l’idéologie du travail, de l’esclavage salarial, du capitalisme, d’omettre ce qui est certainement la partie la plus importante — voire la totalité — de la critique sociale (ce qui constitue évidemment une condition sine qua non pour être promu dans les médias grand public).
C’était attendu parce que les énergies dites « renouvelables » s’inscrivent dans la même société de l’irresponsabilité totale que tout le reste. Personne, ou presque, ne sait de quoi, comment, où et par qui les panneaux solaires et les éoliennes sont fabriqués (quelques vagues idées circulent qui n’apprennent strictement rien). Mais encore une fois, ce qui devrait être évident, c’est que les panneaux solaires et les éoliennes sont des produits de la modernité antidémocratique et de son esclavage salarial, au même titre que les télévisions, les voitures, les smartphones, etc., bref, au même titre que tout ce qui constitue la civilisation industrielle. Et il ne peut en être autrement. En tant que hautes technologies, leur fabrication requiert une organisation sociale de masse, une mégamachine inhumaine (dans le sens de qui n’est pas à la mesure de ce qu’un être humain peut supporter), antidémocratique, ou « autoritaire », pour reprendre l’expression que Lewis Mumford emploie dans son discours intitulé « techniques autoritaires et techniques démocratiques[10] ».
Tant que l’irresponsabilité caractérisera notre rapport au monde, nous pouvons être certains que des catastrophes en résulteront. Or cette irresponsabilité est elle-même un produit direct du gigantisme[11] qui, par définition, caractérise la mégamachine, et que dénonçait Leopold Kohr[12] :
« Ce qui est vrai d’hommes vivant dans des camps de prisonniers surpeuplés est aussi vrai des êtres humains vivant dans les enceintes énormes que sont ces états-nations modernes dont la taille ingérable est devenue la principale cause de nos difficultés actuelles. […] La solution des problèmes auxquels est confronté le monde en son entier ne semble pas résider dans la création d’unités sociales encore plus grosses et de gouvernements encore plus vastes que nos hommes d’état tentent actuellement de former avec tant de fanatisme sans imagination. Elle semble résider dans l’élimination de ces organismes énormes qu’on nomme les grandes puissances, et dans la restauration d’un système sain d’états petits et facilement gérables tels que ceux qui caractérisaient les temps anciens. »
Plutôt que d’un « système sain d’états petits et facilement gérables » je parlerais de communautés saines, autosuffisantes et à taille humaine, possiblement fédérées et associées. Bien sûr, des communautés à taille humaine ne sont pas en mesure de fabriquer des hautes technologies (iPhones, avions, voitures, smartphones, etc.), n’en ayant ni les ressources ni la capacité. Elles sont cependant en mesure de fabriquer bien mieux : « l’auto-gouvernement collectif, la libre communication entre égaux, la facilité d’accès aux savoirs communs » (Lewis Mumford), des relations humaines véritables, des cultures organisées autour de valeurs saines, peu ou pas hiérarchiques, un authentique sentiment d’appartenance au monde…
La question est : que voulons-nous ? Perpétuer encore quelque temps un mode de vie extractiviste, consumériste, caractérisé par une irresponsabilité totale, qui offre une abondance (éphémère) et une frénésie de divertissements (mais surtout aux privilégiés du monde, c’est-à-dire aux habitants les plus riches des pays riches), organisé par et pour les entités antidémocratiques que sont les multinationales et les États, impliquant donc la servitude du plus grand nombre en faveur d’une élite, le tout au détriment de ce qu’il reste de biosphère ? Ou voulons-nous faire cesser le biocide en cours depuis bien trop longtemps, arrêter le réchauffement climatique, destituer celles et ceux qui se sont arrogé le pouvoir sur tous les autres, et redevenir responsables de nos propres vies et de la manière dont elles impactent la planète, en réorganisant et en relocalisant notre subsistance ?
Pour moi, le choix est clair. Seulement, ceux au pouvoir ne l’entendent pas ainsi. C’est pourquoi ceux d’entre nous qui optent pour le second choix doivent s’organiser afin de former un véritable mouvement de résistance.
Le cliché qui circule dans certains milieux militants, et qui veut qu’on « n’arrête pas le système en voulant le détruire, on l’arrête en cessant de l’alimenter et en construisant sans lui » — comme beaucoup de clichés qui circulent dans ces milieux et qui relèvent d’un pacifisme dogmatique, qui sont autant de simplismes — ne tient pas un instant lorsqu’on l’examine[13]. Contrairement à ce qu’il suggère naïvement, nous ne ferons pas disparaître « le système » en nous retirant, en vivant du mieux que nous le pouvons individuellement ou en petites communautés d’individus « n’ayant d’autre souci que la pureté de leurs petits intestins ou la contemplation extatique du coucher du soleil sur le millepertuis de la dernière colline non polluée », ainsi que le suggérait Isabelle Soulié dans le numéro 17 du journal La Gueule Ouverte, en mars 1974, déjà.
Le fait d’essayer de mener la vie la plus saine possible au sein de la pieuvre planétaire qu’est la civilisation industrielle ne l’empêchera aucunement de continuer à détruire. Les peuples autochtones d’Amazonie ou des forêts de Centrafrique (ceux qui subsistent encore), qui vivent bien plus écologiquement que nous ne pourrons jamais y parvenir, sont actuellement persécutés par l’expansion de la civilisation industrielle, leur territoire sont graduellement détruits, exploités. Nous pourrions croire qu’il en serait autrement d’individus vivant en France. Nous aurions tort. La civilisation industrielle ne renonce manifestement devant rien pour obtenir les ressources qu’elle convoite. Si ses pires exactions se concentrent actuellement dans les pays pauvres, c’est simplement parce qu’il lui est actuellement plus profitable de procéder ainsi (et parce que les territoires des pays riches ont déjà connu une forte activité extractiviste au cours des siècles passés). Mais en cas de besoin, l’insatiable appétit de la mégamachine n’hésitera pas le moins du monde à se réattaquer de la même manière aux territoires des pays riches (on peut d’ores et déjà en observer les prémisses[14]).
Se contenter de « cesser d’alimenter » le « système » (ce qui est presque impossible étant donné son emprise total sur le territoire, les modalités d’existence qu’il impose, cartes d’identités, impôts, etc.), et de « construire sans lui », revient à repousser l’échéance, à remettre à plus tard l’inévitable confrontation qui résultera du conflit opposant ceux au pouvoir, qui veulent continuer à faire croître la mégamachine, la civilisation industrielle, « quel qu’en soit le coût ultime pour la vie » (Mumford), à ceux qui veulent mettre un terme à cette infernale entreprise.
Ne nous leurrons pas, la culture dominante — la civilisation industrielle — est une guerre contre le monde vivant. Ses chefs de guerre ne renonceront jamais à leur ambition mégalomaniaque, à leur délire de grandeur. Nous devrons les y obliger. À la manière, par exemple, dont la ZAD de Notre-Dame-des-Landes, en engageant un rapport de force contre l’État, a permis de protéger cet espace.
Ainsi qu’un juriste écossais le soulignait déjà au XIXème siècle : « Le problème que l’on a hérité des siècles passés et que nous devrons tôt ou tard affronter est le conflit qui oppose les peuples aux banques. » Ce conflit, dont on pourrait dire, pour adapter sa formule à notre contexte, qu’il oppose les élites au pouvoir (les grands banquiers, mais aussi les PDG des multinationales, les dirigeants étatiques, l’hyperclasse mondiale, les super-riches) au reste d’entre nous (y compris à ceux d’entre nous qui croient être libres et heureux dans la mégamachine, mais qui ne connaissent en réalité qu’une liberté et un bonheur artificiels), nous pouvons choisir de l’ignorer, ce que nous faisons collectivement depuis un certain temps, au prix du désastre socio-écologique que l’on sait, ou nous pouvons choisir de l’affronter, enfin.
Nicolas Casaux
- Voir par exemple son texte « L’héritage de l’homme », de 1972 : https://sniadecki.wordpress.com/2012/04/11/mumford-heritage-fr/ ↑
- « Congo : comment 6 millions de morts peuvent-ils être placés sous silence médiatique ? » : https://www.les-crises.fr/congo-comment-6-millions-de-morts-peuvent-ils-etre-places-sous-silence-mediatique/ ↑
- https://www.youtube.com/watch?v=V8hmZmpyC7I ↑
- https://youtu.be/KVW5ogGDlts ↑
- Pour plus de détails, voir cet article de la revue de critique sociale indépendante Frustration, intitulé « Qui est l’élite au pouvoir ? Montrer le vrai visage des puissants » : http://www.frustrationlarevue.fr/lelite-pouvoir-montrer-vrai-visage-puissants/ ↑
- Voir cet autre article de Reporterre intitulé « 62 personnes possèdent autant que la moitié des habitants de la planète » : https://reporterre.net/62-personnes-possedent-autant-que-la-moitie-des-habitants-de-la-planete ↑
- Pour plus de détails sur le rôle de l’éducation nationale dans l’endoctrinement des populations, voir cet article de Carol Black, intitulé « Sur la nature sauvage des enfants » : https://partage-le.com/2017/01/sur-la-nature-sauvage-des-enfants-scolariser-le-monde-par-carol-black/ ↑
- Voir cet article de Basta !, intitulé « Le pouvoir d’influence délirant des dix milliardaires qui possèdent la presse française » : https://www.bastamag.net/Le-pouvoir-d-influence-delirant-des-dix-milliardaires-qui-possedent-la-presse ↑
- Pour en savoir plus sur les nombreux problèmes écologiques liés aux « renouvelables », vous pouvez fouiller par ici : https://partage-le.com/category/environnement-ecologie/energie/ ↑
- À lire ici : https://partage-le.com/2015/05/techniques-autoritaires-et-democratiques-lewis-mumford/ ↑
- Voir aussi le livre d’Olivier Rey, Une question de taille (Stock, 2014), et les œuvres d’Ivan Illich, qui détaillent cette analyse. ↑
- Leopold Kohr, The Breakdown of Nations (La décomposition des nations), 1946. ↑
- Pour le comprendre, vous pouvez lire cet article, une traduction de l’introduction du livre de Peter Gelderloos intitulé L’échec de la non-violence : https://partage-le.com/2016/10/lechec-de-la-non-violence-introduction-par-peter-gelderloos/ ou vous pouvez lire le livre de Peter Gelderloos intitulé Comment la non-violence protège l’État, dont nous avons fini de corriger la traduction, et que nous publierons très bientôt (à commander sur : http://editionslibre.org/) ↑
- http://multinationales.org/Du-Limousin-a-la-Guyane-la-France-en-relance-miniere ↑
Je suis sur la même ligne que vous quant à l’analyse du monde tel qu’il est et tel qu’il devrait être. Pourtant je ne suis pas sûr que le bellicisme dogmatique vaille mieux que le « pacifisme dogmatique ». En ce qui me concerne, je me range derrière les positions de PMO détaillées dans leur texte « Machines arrières » :
« La fin est dans les moyens. La direction d’un soulèvement — ses chefs — dépendent de ses moyens subjectifs et objectifs. Employez la violence révolutionnaire, ce sont les violents et les experts en violence qui s’emparent du soulèvement. Employez le discours religieux, ou nationaliste, ou social et – pour peu qu’il prenne ou que le peuple en soit déjà imprégné -, les religieux, les nationalistes ou les socialistes (anarchistes, communistes, etc.), s’emparent du soulèvement. Mais, à quoi bon, pour nous, un printemps radical, s’il doit tourner à l’hiver sans fin et sanguinaire. »
« C’est dans la conscience de chacun et l’accord du plus grand nombre que réside notre force, et non pas dans la mobilisation sous la direction ouverte ou occulte d’un quartier général, type Parti-pas-si-
imaginaire-que-cela. Nous n’avons cessé de dire, des luddites partout, plutôt qu’un parti luddite. Mieux vaut l’Etat que nous connaissons, que celui que nous ne connaissons pas. »
« Nous ne savons rien de la civilisation qui tente de naître des décombres de notre temps. De ces paroxysmes de puissance et de décadence entremêlés. Nous n’en connaissons que les écritures, rouges, vertes, noires, qui annoncent sa venue et la programment. Mais comparez les textes du Nouveau Testament et des pères de
l’église avec la chrétienté historique. Voyez comme le projet d’une société douce, pacifique, frugale, égalitaire, en attendant le retour du Christ et le Jugement dernier, fut, malgré de merveilleux élans, retourné en son contraire par l’organisation ecclésiastique et aristocratique, « les puissances de ce monde ». Voyez comment le
rêve chrétien aboutit à une réalisation antichrétienne. Aussi est-ce au nom de ce rêve chrétien, trahi par les puissants, que se levèrent tant de mouvements millénaristes, de pauvres et de paysans. Tous éphémères et atrocement taillés en pièces par les seigneurs. Mais nous n’avons pas d’autre rêve, ni de meilleure idée à proposer, que
ceux du passé et du monde ancien. Quant à l’oeuvre, elle reste à accomplir. »
Il me semble que l’idée de PMO, celle de la grève générale de la consommation, même menée par une frange assez réduite, disons 10%, qui suffirait peut-être à entraîner l’effondrement de la délicate mécanique économique, est la seule qui évite l’écueil d’une direction des opérations par une minorité « éclairée » agissant pour le bien supposé de l’humanité, et préparant déjà la structure oppressive suivante.
Je ne crois pas. Il me semble que PMO verse dans les clichés pacifistes. Je vous renvoie à :
https://partage-le.com/2015/12/le-pacifisme-comme-pathologie-par-derrick-jensen/
https://partage-le.com/2016/10/lechec-de-la-non-violence-introduction-par-peter-gelderloos/
et
« Le prochain argument pacifiste est que la fin ne justifie jamais les moyens. Bien qu’ajouter le mot presque juste avant le mot jamais rende cette idée vraie vis-à-vis de beaucoup de fins triviales — je ne serais pas prêt, par exemple, à détruire un territoire afin de faire gonfler mon compte en banque — elle n’a aucun sens quand il s’agit d’auto-défense. Ceux qui se rangent derrière cette idée disent-ils qu’une fin que constituerait le fait de ne pas être violé ne justifie pas les moyens qui consisteraient à tuer son agresseur ? Disent-ils que la fin que constitue le fait de sauver les saumons — qui ont survécu pendant des millions d’années — et les esturgeons — ne justifie pas les moyens que constitue le fait d’enlever les barrages sans attendre l’approbation de ceux qui affirment espérer que les saumons disparaissent afin qu’ils puissent continuer à vivre [sic] ? Disent-ils que la fin que constitue le fait de protéger les enfants des cancers et des déficiences mentales liés aux pesticides ne vaut pas les moyens qui seraient nécessaires pour l’atteindre ? Si c’est le cas, leur sentiment est obscène. Nous ne jouons pas ici à un jeu théorique, spirituel ou philosophique. Nous parlons de survie. D’enfants empoisonnés. D’une planète que l’on détruit. Je ferai tout ce qui est nécessaire pour défendre ceux que j’aime.
Ceux qui disent que la fin ne justifie jamais les moyens sont, par définition, de mauvais penseurs, des hypocrites, ou simplement des gens qui se trompent. Si la fin ne justifie jamais les moyens, comment peuvent-ils monter dans une voiture ? Par cela, ils montrent que la fin que constitue leur déplacement d’un point A à un point B justifie les moyens de la conduite, qui implique les coûts liés au pétrole, et toutes les horreurs associées. La même chose est vraie de l’utilisation de métal, de bois, d’un bout de tissu, et ainsi de suite. Vous pourriez dire la même chose du fait de manger. Après tout, la fin que constitue le fait de vous garder en vie à travers l’alimentation justifie manifestement les moyens de prendre les vies de ceux que vous mangez. Même si vous ne mangez que des baies, vous en privez d’autres — des oiseaux aux bactéries — de la possibilité de manger ces baies-là.
Vous pourriez penser que je pousse cet argument jusqu’à l’absurde, mais je ne suis pas celui qui affirme que la fin ne justifie jamais les moyens. S’ils acceptaient de laisser tomber le mot jamais, nous pourrions quitter le royaume du dogme et entamer une discussion raisonnable concernant les fins dont nous pensons qu’elles justifient certains moyens, et réciproquement. […]
On m’accuse parfois d’être un hypocrite, en raison du fait que j’utilise des hautes technologies comme un moyen dans l’objectif de démanteler la civilisation technologique. Bien que puisse être un hypocrite, de certaines manières, ce n’en est pas une, parce que je n’ai jamais prétendu que la fin ne justifiait jamais les moyens. J’ai expliqué à plusieurs reprises que je suis prêt à faire tout ce qui est nécessaire pour sauver les saumons. Il ne s’agit pas d’un langage codé pour désigner le fait de faire sauter des barrages. Tout ce qui est nécessaire, pour moi, comprend l’écriture, les conférences, l’utilisation d’ordinateurs, la réhabilitation de cours d’eau, le chant de chanson pour les saumons, et tout ce qui peut s’avérer approprié.
Au-delà de la rhétorique, il n’existe aucune base factuelle qui soutienne l’affirmation selon laquelle la fin ne justifie pas les moyens. Il s’agit d’un jugement de valeurs déguisé en jugement moral. Celui qui dit que la fin ne justifie pas les moyens dit simplement : j’accorde plus d’importance au processus qu’à son issue. Celui qui dit que la fin justifie les moyens dit simplement : j’accorde plus d’importance à l’issue qu’au processus. Ainsi considéré, il devient absurde de proférer des jugements absolus à ce sujet. Certaines fins justifient certains moyens, et certaines fins ne les justifient pas. De la même manière, les mêmes moyens pourraient être justifiés, aux yeux de certaines personnes, pour certaines fins, et pas pour ou par d’autres (par exemple, je serais prêt à tuer celui qui essaierait de tuer mes proches, mais pas celui qui m’a fait une queue de poisson sur l’autoroute). Il en est de ma joie, de ma responsabilité et de mon honneur, en tant qu’être sensible, d’établir de telles distinctions, et j’ai pitié de ceux qui ne se considèrent pas capables de prendre de telles décisions, et qui comptent sur des slogans pour guider leurs actions. » (https://partage-le.com/2018/02/sur-l-hypocrisie-des-ecologistes/)
Et enfin, nous traduisons un livre sur cette question, qui sera bientôt publié : http://editionslibre.org/produit/prevente-comment-la-non-violence-protege-l-etat-peter-gelderloos/
Bonjour et bravo pour cet article !
Néanmoins je ne suis pas d’accord avec cet optimisme de l’affrontement. Que nous luttions ou que nous ne luttions pas, que nous nous lovions sur canapé télévisuel ou que nous bichonnions notre intestin millpertuis-collinéen, que nous affrontions les combats qui nous échoient ou que nous reculions, l’hydre d’en fout !
Elle bourgeonne dans des millions de têtes.
On peut au mieux remporter des combats ponctuels qui ne font que retarder l’inévitable… Car l’hydre peut attendre, 1 an, 10 ans, cela importe peu.
Par contre elle a la mémoire de ceux qui l’ont affronté. Elle les cernera, les surveillera, et finira par leur limer les crocs… Sous d’autres prétextes évidemment !
Jeter un regard froid sur le monde et comprendre comment il fonctionne, comme vous le faite si justement au travers de vos articles, est autosuffisant.
Je recommande à mes enfants d’être totalement allergiques aux chaines que l’on voudrait leur mettre, de faire des choses qu’ils aiment pour trouver le bonheur de vivre, d’être créatifs, et de se mettre dans un coin pour regarder la merde monter ! Pas de se gâcher dans de vains affrontements.
Ce que je retire de cet article est qu’il ne faut pas se battre pour détruire le système, mais plutôt en bâtir un nouveau parallèlement qui surplombera l’ancien lorsque la majorité de la population se rendra compte qu’il est mieux pour eux. Par exemple, je démarre une entreprise de kombucha biologique et je fais tout ce qui est en mon pouvoir pour utiliser des produits écologiques. Plutôt que de détruire le système, j’y participe pour devenir indépendant financièrement des grosses entreprises et je fais des choix qui réduisent mes profits, mais qui réduisent aussi mon impact sur l’environnement. Je sais que suivant la philosophie de l’article, ce n’est pas encore parfait, mais comme la fin justifie les moyens lorsqu’on veut améliorer la qualité de vie de sa communauté, c’est une activité économique qui me permettra de financer d’autres projets. Telle la construction d’un parc d’une dizaine de mini-maisons solaires passives 100% autosuffisantes énergétiquement, en nature et produisant la majorité de sa nourriture en permaculture. Je crois que ça permettra à petite échelle de vivre en simplicité volontaire sans trop s’isoler de la société. Il ne faut pas baisser les bras, nous pouvons bâtir des communautés vivant différemment et montrer l’exemple.
Très bon article. Ça va dans le même sens que d’autres critiques du système actuel que j’ai entendues dernièrement. Ça commence à s’éclaircir dans mon esprit. Merci pour avoir su l’expliquer simplement et en restant dans le pertinent !