Il y a plusieurs décennies, lorsqu’il est devenu trop évident que la société industrielle constitue une catastrophe écologique, ses dirigeants ont décidé de lancer une vaste opération de marketing afin de calmer les inquiétudes qui commençaient à poindre. En bons professionnels de la communication, ils ont suivi un principe de base des relations publiques — expression synonyme de propagande, inventée par Edward Bernays, le double neveu de Freud et l’instigateur de la manipulation de masse en soi-disant démocratie, il y a près d’un siècle ; à ce sujet, il faut voir l’excellent documentaire en quatre parties d’Adam Curtis, The Century of the Self (Le siècle du moi). Principe qui consiste tout simplement à donner un nouveau nom à ce qui pose problème, et à le soumettre à une sorte de reconditionnement esthétique. Le développement posant problème, ils ont alors inventé le « développement durable ».
Cela consistait, grosso modo, à ne rien changer tout en prétendant que tout change[1]. À faire passer des changements de type cosmétique, insignifiants ou dérisoires (comme les labels MSC, FSC, Bio, etc.), voire de nouvelles nuisances industrielles (ampoules basse consommation, panneaux solaires et éoliennes, voitures électriques, etc.) pour de véritables avancées écologiques, permettant de préserver la planète. Il ne pouvait en être autrement, puisque ceux qui tiraient profit de l’ordre établi, de la civilisation industrielle, ne souhaitaient évidemment pas que les choses changent, ne voulant évidemment pas perdre leur pouvoir, leurs richesses, ni renoncer à leurs délires mégalomaniaques de domination et d’expansion. Il était donc hors de question pour eux d’encourager le démantèlement de l’économie high-tech mondialisée, l’abolition de l’État et du capitalisme, et de promouvoir l’avènement d’une myriade de cultures humaines à petite échelle, low-tech et véritablement démocratiques.
Près de 40 ans après l’invention de ce concept de « développement durable », la situation écologique planétaire, qui n’a jamais cessé d’empirer, est pire que jamais. L’inanité de ce concept est manifeste. Pourtant, d’un point de vue commercial, le « développement durable » est une incroyable réussite. Toutes les entreprises et tous les gouvernements s’en réclament. L’illusion fonctionne, notamment grâce au complexe médiatico-culturel doté de moyens colossaux et toujours plus envahissant qui n’a de cesse de relayer les mensonges du capitalisme vert.
L’imbécillité de toute cette entreprise de propagande culmine dans le festival de musique soi-disant « écolo » et « engagé » We Love Green. Cet évènement à but lucratif (co-produit par We Love Art Agency, Because Music – Corida, et Sony Music Entertainment), subventionné par des fonds publics (Mairie de Paris, Ademe, Ministère de la Culture, Région Île-de-France, RATP, etc.) et privés (Crédit Mutuel, GRDF, Nike, Tinder, Uber, Kering, la fondation ENGIE, etc.), organisé en coopération avec d’importants médias capitalistes (Le Monde, Konbini, Les Inrocks, etc.), des organisations (soi-disant) écologistes (WWF, Greenpeace, Alternatiba, FNE) et avec le Ministère de la transition écologique, illustre toute l’absurdité du « développement durable » : il est (peut-être) moins nuisible que ne l’aurait été un festival sans aucune prétention écologiste, mais il constitue néanmoins une nuisance écologique flagrante et, qui plus est, payante. Il sert de vitrine pour toutes les illusions vertes[2], ces nouvelles cautions supposément vertueuses de l’industrialisme. Il incarne précisément l’oxymore de l’écologie capitaliste high-tech, avec ses actions « éco-responsables », ses pépinières de Start-Up, sa compensation carbone, ses « écopasses » et ses « éco-consignes », ses camions frigorifiques mutualisés, ses ampoules basse consommation et ses panneaux solaires.
Évidemment, rien de tout ça ne sert à lutter contre l’État, contre le capitalisme, ou contre la civilisation industrielle et son expansion mortifère. Cela ne fait qu’alimenter l’industrie du divertissement et de la propagande écocapitaliste. Qu’on y aille pour faire la fête ou pour la musique, pourquoi pas, si on a de l’argent à perdre, mais la moindre prétention écologiste serait considérablement déplacée.
Nicolas Casaux
Correction : Lola Bearzatto
- Ceux qui ne comprennent pas en quoi le « développement durable » est une arnaque trouveront ici de nombreux articles qui l’exposent en détail : https://partage-le.com/2017/02/lecologie-du-spectacle-et-ses-illusions-vertes/ — https://partage-le.com/2017/09/7654/ — https://partage-le.com/2017/09/du-mythe-de-la-croissance-verte-a-un-monde-post-croissance-par-philippe-bihouix/ — https://partage-le.com/2017/02/des-dangers-du-developpement-durable-ou-capitalisme-vert-par-derrick-jensen/ — https://partage-le.com/2016/06/le-desastre-ecologique-renouvelable-des-tokelau/ — https://partage-le.com/2016/02/cet-insoutenable-mot-de-developpement-par-fabrice-nicolino/ — https://partage-le.com/2015/12/le-developpement-durable-est-un-mensonge-par-derrick-jensen/ ↑
- Ceux qui ne voient pas à quoi je fais référence trouveront ici de nombreux articles qui exposent les réalités des énergies dites « renouvelables », que le chercheur américain Ozzie Zehner qualifie d’illusions vertes : https://partage-le.com/2017/02/lecologie-du-spectacle-et-ses-illusions-vertes/ — https://partage-le.com/2016/11/les-illusions-vertes-bruler-des-forets-replanter-des-monocultures-darbres-pour-produire-notre-electricite/ — https://partage-le.com/2015/03/les-illusions-vertes-ou-lart-de-se-poser-les-mauvaises-questions/ — https://partage-le.com/2017/01/les-illusions-vertes-le-cas-des-barrages-non-le-costa-rica-nest-pas-un-paradis-ecologique/ — https://partage-le.com/2017/07/letrange-logique-derriere-la-quete-denergies-renouvelables-par-nicolas-casaux/ — https://partage-le.com/2016/12/le-mythe-des-energies-renouvelables-par-derrick-jensen/ — https://partage-le.com/2016/06/le-desastre-ecologique-renouvelable-des-tokelau/ ↑
bonjour,
c’est dommage que toutes vos sources proviennent du meme site internet, ça manque de crédibilité pour vos détracteurs.
A part ça je trouve vos articles très intéfessants
Pas très intéressant de débattre avec ceux qui vont juger d’un argumentaire en fonction de sa source. Les articles en question renvoient souvent vers d’autres sources. Mais c’est aussi parce qu’il y a peu de sites qui proposent des critiques comme celles que nous proposons.
Je viens d’échouer au défi que je m’étais lancé. Lire le dernier Gunter Pauli, Soyons aussi intelligents que la nature (éditions de l’observatoire-Humensis).
J’ai tenu jusqu’à la page 121 — pas mal même si ce n’est pas un exploit — pour craquer finalement devant tant d’amour et de propadande capitalo-industriels soigneusement camouflés de peinture verte, ma pile de livres en attente recelant d’autres sujets plus divertissants.
Je regrette que certains cherchent des sources au lieu de faire fonctionner leurs méninges (Quand ils partagent ce paradigme de décroissance et de désindustrialisation). D’une part, il y a peu de sources fiables pour un individu, hormis parmi son entourage proche, dans un cercle restreint de confiance. En vérité la plupart des sources ne sont que des tentatives d’illustration, plus ou moins justes et soyons francs, peu vérifiables. Leur utilité ne peut être que de booster la réflexion et l’esprit critique de ceux qui en profitent.
Je regrette surtout que les gens continuent de s’empiler en ville, tout en se démultipliant. Leur désarroi croissant me touche de moins en moins, mon empathie s’envole doucement vers les oiseaux que je découvre depuis quelques années.
Enfin, quel dommage que de nombreuses personnes ne veuillent faire le pas décisif, d’abandonner cette manie morbide consumériste qui nous propulse quasiment tous, animaux et végétaux, vers un enfer certain.
Combien de Gunter Pauli viennent lire tes articles, cher Nicolas ?
Ils sont nombreux sans doute 🙂
Article très intéressant, je découvre votre blog et l’argumentation est étayée, intelligente… Je souscris aux commentaires de votre analyse concernant l’obsession des tenants d’un développement durable, une véritable gabegie assénée à coups de slogans mais n’identifiant pas les causes des problématiques de l’affaissement généralisé du système technicien …