Pour ceux qui ne le connaissent pas, George Monbiot est un journaliste écologiste relativement connu au Royaume-Uni, qui travaille pour le quotidien britannique The Guardian, un équivalent du journal Le Monde, disons, pour faire court, en termes de renommée (mais pas exactement en termes de contenu, comme vous allez pouvoir le constater). Nous ne partageons pas les analyses de Monbiot, ni son diagnostic ni les objectifs qu’il conçoit. Il est pro-nucléaire, ne voit pas de problème inhérent à l’industrialisme ou à l’économie globalisée, pas non plus à l’expansion planétaire d’une monoculture, etc. Autant dire que sa critique est très limitée. Raison pour laquelle il a voix au chapitre dans les médias de masse. Cela dit, il a le mérite de remettre en question deux, trois choses qui devraient l’être, et de comprendre certains problèmes. Sa dernière chronique, publiée le 6 septembre 2018 sur le site du Guardian et traduite ci-après, en témoigne. Je me suis permis de changer son titre, dont une traduction exacte aurait donné : Nous ne sauverons pas la planète avec de meilleures tasses de café jetables. Bonne lecture. Ah, j’oubliais, l’image de couverture est un détournement de la campagne surréaliste de Max Havelaar (voir ci-après) qui affirme que pour se battre pour « un monde plus juste » il faut manger plein de chocolat, ou de bananes, ou boire plein de café. Voilà les doctrines révolutionnaires de notre temps. Misère.


Nous devons défier les corporations qui nous imposent de vivre dans une société jetable plutôt que de chercher des manières « plus vertes » de maintenir le statu quo.
Croyez-vous aux miracles ? Beaucoup de gens pensent que la société dont nous participons peut continuer telle qu’elle existe, puisqu’il nous suffit de substituer un matériau à un autre. Le mois dernier, une requête exigeant de Starbucks et Costa qu’ils remplacent le plastique de leurs tasses de café par de la fécule de maïs a été retweetée 60 000 fois, avant d’être supprimée.
Ceux qui la partageaient ne se demandaient aucunement d’où viendrait cette fécule de maïs, quelle surface culturale devrait être allouée, ou quelle surface de terres agricoles vivrières devraient être déplacées, pour sa production. Ils occultaient complètement les dommages que sa production impliquerait : la culture du maïs est connue pour l’érosion du sol qu’elle entraîne, et les quantités souvent importantes de pesticides et d’engrais qu’elle requiert.
Le problème n’est pas seulement le plastique : c’est le caractère jetable de tant de choses. Ou, pour le dire autrement, c’est la poursuite, sur la seule planète connue pour abriter la vie, d’un mode de vie qui en requiert quatre. Peu importe ce que l’on consomme, le volume de ce que nous consommons dévore tous les biomes de la planète.
Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit. Notre appétit pour le plastique est un fléau écologique majeure, et les campagnes pour limiter son usage sont respectables et parfois efficaces. Mais nous ne pouvons pas nous attaquer au désastre écologique en substituant une ressource à une autre. Lorsque j’ai exprimé cette remarque, certaines personnes m’ont demandé : « Mais alors, que devrions-nous utiliser à la place ? »
La question qu’il faudrait poser est plutôt : « Comment devrions-nous vivre ? » Mais la pensée systémique est aussi une espèce menacée.
Une partie du problème découle de ce qui motive ces campagnes contre le plastique : la série documentaire Planète Bleue II de David Attenborough. Les six premiers épisodes proposent un narratif conséquent et cohérent, mais le septième, qui vise à expliquer les dangers auxquels font face les merveilleuses créatures que la série avait précédemment présentées, était très confus. Il affirme que nous pouvons « faire quelque chose » contre la destruction de la vie marine. Mais ne nous dit pas quoi. Aucune explication de l’origine des problèmes auxquels elle fait face, des forces qui les génèrent, et de comment nous pouvons nous y opposer.
Dans le fouillis de cette incohérence générale, un intervenant affirme : « Je pense que nous devons tous prendre nos responsabilités vis-à-vis des choix personnels qu’on effectue chaque jour. C’est tout ce que nous pouvons faire. » Un parfait résumé de la croyance erronée selon laquelle un meilleur consumérisme pourrait sauver la planète. Les problèmes que nous connaissons sont structuraux : un système politique dominé par des intérêts financiers, et un système économique qui court après une croissance infinie. Bien sûr, nous devrions minimiser notre propre impact, mais nous ne pouvons pas affronter ces forces simplement en « devenant responsables » de ce que nous consommons. Malheureusement, il y a des sujets que la BBC en général et David Attenborough en particulier choisissent d’éviter. J’admire Attenborough de bien des manières, mais je n’apprécie pas son écologisme. Pendant des années, il n’a rien dit. Et lorsqu’il s’est enfin exprimé, il a évité de confronter le pouvoir — se contentant de parler en termes vagues ou se concentrant sur les seuls problèmes dont les intérêts dominants ne sont pas entièrement responsables. Cette tendance explique pourquoi Planète Bleue II occulte les principaux problèmes de notre temps.
La pêche industrielle est de ceux-là. Elle transforme les incroyables formes de vie que la série présente par ailleurs en boîtes de conserves. À travers les océans, cette industrie, stimulée par nos appétits et protégée par les gouvernements, génère un effondrement écologique en cascade. Pourtant la seule pêcherie présentée par la série fait partie du 1 % des pêcheries qui sont en convalescence. Il était très agréable de voir les chalutiers norvégiens éviter de tuer des orques, mais on évitait soigneusement de nous dire à quel point cela est rare.
Le problème du plastique maritime est en grande partie lié au problème de la pêche. Il se trouve que 46 % du continent de plastique du Pacifique — qui en est venu à symboliser notre société du tout jetable — est composé de filets de pêche mis au rebut, et une partie importante du reste est composé de matériel de pêche en tous genres. Le matériel de pêche abandonné s’avère bien plus dangereux pour la vie marine que n’importe quel autre type de déchet. En ce qui concerne les sacs et les bouteilles qui contribuent au désastre, la majorité provient des pays les plus pauvres ne disposant pas d’un bon système de collecte. Mais ce point n’ayant pas été souligné, nous cherchons des solutions aux mauvais endroits.
De cet égarement résultent des milliers de perversités. Une célèbre écologiste a posté une image des gambas qu’elle avait achetées, célébrant le fait qu’elle avait réussi à persuader le supermarché de les mettre dans son propre sac plutôt que dans un sac en plastique, et liant cela à la protection des océans. Mais acheter des gambas génère bien plus de destructions pour la vie marine qu’aucun sac plastique dans lequel on pourrait les emballer. La pêche crevettière implique le plus haut taux de prises accessoires de tous les types de pêches — en remontant dans ses filets de nombreuses tortues et d’autres espèces menacées. L’élevage de crevettes est aussi mauvais puisqu’il génère l’élimination de pans entiers de mangroves, qui sont autant de pouponnières pour des milliers d’espèces.
Ces problèmes nous sont soigneusement dissimulés. En tant que consommateurs, nous sommes confus, dupés et presque impuissants — et les pouvoirs corporatistes se sont donnés du mal pour nous pousser à nous percevoir de la sorte. En ce qui concerne ces sujets, l’approche écologique de la BBC est hautement partisane, de mèche avec un système qui vise à transférer la responsabilité de problèmes structurels aux consommateurs individuels. Il n’y a que par l’action politique que nous pourrons faire advenir un changement digne de ce nom.
La réponse à la question : « Comment devrions-nous vivre ? » est « Simplement ». Mais vivre simplement est très compliqué. Dans Le meilleur des mondes d’Aldous Huxley, le gouvernement massacre les « pratiquants de la Vie Simple ». Ce n’est plus vraiment nécessaire : aujourd’hui, ils peuvent facilement être marginalisés, insultés et ignorés [sic – Monbiot se plante, partout sur la planète, de l’Inde à la Colombie, les gouvernements d’État massacrent encore aujourd’hui les derniers peuples traditionnels qui refusent d’être intégrés au grand marché planétaire, NdT]. L’idéologie de la consommation est si dominante qu’elle en devient invisible : elle est la soupe de plastique dans laquelle nous évoluons.
Vivre en respectant la capacité de charge de notre planète implique non seulement de réduire notre propre consommation, mais aussi et surtout de se mobiliser contre le système qui génère cette marée de déchets, de combattre les pouvoirs corporatistes, de changer les structures politiques, de défier le système planétaire fondé sur l’idée de croissance que l’on appelle capitalisme.
Ainsi que l’étude publiée le mois dernier nous avertissant que la Terre pourrait basculer dans un nouvel état climatique irréversible, devenant une sorte d’étuve, concluait : « Des changements graduels et linéaires […] ne sont pas suffisants pour stabiliser le système Terre. Des transformations fondamentales, étendues et rapides sont probablement requises pour éviter que l’on parvienne à cet état. »
Les tasses de café jetables produites à partir de nouveaux matériaux sont non seulement une fausse solution : elles sont aussi une perpétuation du problème. Pour défendre la planète, nous devons changer le monde.
George Monbiot
Traduction : Nicolas Casaux
Et toujours :