« Développement durable » ? Le concept est aujourd’hui très répandu dans les politiques publiques nationales comme internationales, ainsi que dans les stratégies des entreprises. Son but officiel ? Assurer au présent un « développement » qui ne compromette pas « la possibilité pour les générations à venir de satisfaire le leur ».
Cette définition provient du célèbre rapport Brundtland, officiellement intitulé « Notre avenir à tous » et rédigé en 1987 par la Commission mondiale sur l’environnement et le développement de l’Organisation des Nations unies. Il a été longuement repris et utilisé en 1992 afin d’entériner le concept de « développement durable », lors du troisième Sommet de la Terre (également appelé Sommet de Rio).
Le rapport Brundtland a posé les bases de ce qui est encore aujourd’hui la boussole globale des politiques à échelle mondiale : les ODD, « Objectifs de développement durable », lancés en 2015 par l’ONU et censés être atteints en 2030. Sauf que, dès son origine, le « développement durable » repose sur des contradictions intrinsèques qui empêchent toute réussite du projet. C’est ce que montre Gilbert Rist dans l’extrait que nous reproduisons dans cet article.
Lire aussi : Du développement au « développement durable » : histoire d’une tromperie (par Fabrice Nicolino)
« Le développement »
Gilbert Rist est un professeur émérite suisse, spécialiste de la notion de « développement » et de sa critique. Son œuvre majeure, sobrement intitulée « Le développement » (sous-titre : « Histoire d’une croyance occidentale »), a été publiée pour la première fois en 1996. La quatrième édition, sortie en 2013, est enrichie par les trois précédentes, qui permettent de continuer l’analyse sur la fin des années 90 et les années 2000.
Le livre revient sur la genèse du concept de « développement ». Celui-ci crée, dans la droite lignée de l’idéologie téléologique du Progrès, une « évolution » des pays (que toute une sémantique quasi-religieuse, analysée par l’auteur, rend « logique » voire « naturelle »). Ils sont alors catégorisés entre pays « développés », « en voie de développement » et « sous-développés ». Les politiques « de développement », mises en place peu après la fin de la Seconde guerre mondiale, ont la lourde tâche d’aider les deux dernières catégories à rejoindre la première.
Au fil des chapitres, le livre suit la chronologie de l’évolution du concept, des politiques mises en place, de leur (non)efficacité, de la « distance » entre les groupes de pays (qui augmente entre les plus et les moins « développés »), et leurs différentes réactions.
Illustration de l’évolution des revenus par groupes de pays et de la différence Nord-Sud de l’article « Global inequality : do we really live in a one-hump world ? » de Jason Hickel
Malgré les échecs (la « décennie perdue du développement » des années 80 par exemple), le concept est conservé et l’évolution est essentiellement sémantique (on parlera notamment de « mondialisation », ou encore de « développement humain » à partir des années 90). Le « développement durable » émerge ainsi en réponse à la prise de conscience des impacts environnementaux par les instances des différents pays.
La suite de l’Histoire du « développement » développée par Gilbert Rist montre que celui-ci s’efface pour laisser place à la « croissance » comme seul horizon souhaitable pour le XXIème siècle, tandis que les politiques économiques et sociales sont centrées sur la réduction de la pauvreté (c’est notamment l’objet des « Objectifs du Millénaire » de la période 2000–2015).
Le livre termine sur une critique profonde de la notion de croissance. Le dernier chapitre (ajouté dans la quatrième édition) est consacré à cet « après le développement », abordant la notion de décroissance et les différentes formes qu’elle pourrait prendre.
Le texte suivant est un extrait du chapitre 10 du livre de Gilbert Rist, chapitre intitulé « L’environnement ou la nouvelle nature du développement », traitant du concept de développement durable, de sa genèse, de ses contradictions et de son échec (sous-partie « « Développement durable » ou croissance éternelle ? » page 313–329) :
« Développement durable » ou croissance éternelle ?
Le « développement » était trop lié à l’aventure occidentale pour disparaître, dans l’indifférence générale, phagocyté par l’idéologie dominante. D’autant plus que, même si la « décennie perdue » [la « décennie perdue du développement », les années 80, NDLR] ne l’avait pas été pour tout le monde — notamment pour les spéculateurs —, les problèmes du Sud s’étaient encore aggravés. Il convenait donc, d’une certaine manière, de revenir à la source et de « rebondir » sur la nouvelle mode (occidentale) de l’écologie.
La réanimation du « développement » commença au début des années 1980, selon un scénario très semblable à celui qui avait été adopté pour le rapport Brandt.
En effet, c’est en 1983 déjà que l’Assemblée générale des Nations unies pria le secrétaire général de nommer une commission mondiale sur l’environnement et le développement. Celui-ci en confia la présidence à Gro Harlem Brundtland, docteure en médecine, qui avait été quelque temps ministre de l’Environnement et qui occupait alors le poste de Premier ministre de la Norvège. La commission était composée, selon l’usage, de membres du personnel politique de différents pays, parmi lesquels plusieurs avaient occupé de hautes fonctions dans le système des Nations unies[1], mais elle comprenait également une quinzaine de personnes directement engagées dans le domaine de l’environnement, parmi lesquelles Maurice Strong, qui avait été secrétaire général de la première Conférence sur l’environnement humain à Stockholm en 1972 (et qui mettra sur pied la conférence de Rio) ainsi qu’un autre Canadien, Jim MacNeill, directeur de l’environnement à l’OCDE, et qui fut nommé secrétaire général de la commission. Contrairement à la commission Brandt, essentiellement composée de « politiques », la Commission Brundtland était donc formée de spécialistes de l’environnement que l’on pouvait croire familiers des nombreux travaux qui avaient été publiés dans ce domaine depuis une vingtaine d’années[2] et d’anciens hauts fonctionnaires de l’ONU qui étaient censés avoir une vision d’ensemble des questions de « développement », y compris des problèmes qu’il avait jusqu’ici créés. Enfin, à la différence de la commission Brandt qui s’était principalement entourée des avis de personnalités politiques, la commission Brundtland prit le temps, au cours d’audiences publiques dans diverses régions du monde, de rencontrer de nombreux représentants d’associations militant en faveur de l’écologie[3].
Les meilleures conditions étaient donc réunies pour produire un rapport bien informé, original et stimulant. Celui-ci fut achevé en mars 1987 et publié dans sa version commerciale en 1988 sous le titre Notre avenir à tous[4]. Il faut reconnaître à ce document le mérite d’avoir produit un inventaire quasi exhaustif des problèmes qui menacent l‘équilibre écologique de la planète[5]. Déforestation, dégradation des sols, effet de serre, élargissement du trou d’ozone, démographie, chaîne alimentaire, approvisionnement en eau, énergie, urbanisation, extinction des espèces animales et de la biodiversité, surarmement, protection des océans et de l‘espace ; rien n’a échappé à l’état des lieux dressé par la commission, sur la base d’une information considérable, clairement présentée sous la forme de chiffres et de tableaux. À partir de ce rapport, les gouvernements ne peuvent plus rien ignorer des risques écologiques multiples qui pourraient être sinon éliminés, du moins limités par des mesures législatives contraignantes.
Alors que la conférence de Stockholm [1972] avait été consacrée à l’« environnement humain », la commission Brundtland avait pour tâche de considérer simultanément l‘environnement et le « développement ». Différence capitale puisqu’elle obligeait à mettre en évidence les diverses manières dont les sociétés riches comme les sociétés pauvres portent également atteinte (pour des raisons différentes) à l’environnement, mais aussi à concilier deux notions antithétiques, puisque, d’une part, ce sont précisément les activités humaines — et notamment celles qui découlent du mode de production industrielle synonyme de « développement » — qui sont au principe de la détérioration de l’environnement et que, de l’autre, il est inconcevable de ne pas hâter le « développement » de ceux qui n’ont pas (encore) accès à des conditions de vie décentes. Comment concilier le respect de la nature et le souci de la justice ?
Pour sortir de ce dilemme, la commission proposa la notion de « développement durable[6] » qu’elle définit de la manière suivante :
« Le genre humain a parfaitement les moyens d’assurer un développement durable, de répondre aux besoins du présent sans compromettre la possibilité pour les générations à venir de satisfaire les leurs. La notion de développement durable implique certes des limites. Il ne s’agit pourtant pas de limites absolues mais de celles qu’impose l’état actuel de nos techniques et l’organisation sociale ainsi que de la capacité de la biosphère de supporter les effets de l’activité humaine. Mais nous sommes capables d’améliorer nos techniques et notre organisation sociale de manière à ouvrir la voie à une nouvelle ère de croissance économique. La commission estime que la pauvreté généralisée n’est pas une fatalité. Or, la misère est un mal en soi, et le développement durable signifie la satisfaction des besoins élémentaires de tous et, pour chacun, la possibilité d’aspirer à une vie meilleure. Un monde qui permet la pauvreté endémique sera toujours sujet aux catastrophes écologiques et autres[7]. »
On aurait pu penser que la commission accorderait une attention particulière à la définition du terme clé de son rapport. C’était en effet l’occasion de créer un nouveau concept opératoire qui oriente clairement les politiques à suivre. Or, ce passage fondamental est d’une rare indigence et combine les affirmations gratuites avec des contrevérités. Sans prétendre en épuiser l’analyse, on relèvera les points les plus importants.
a) L‘affirmation initiale présuppose l’existence d’un sujet collectif (« le genre humain ») doué de réflexion et de volonté, mais qu’il est impossible d’identifier clairement. Le « développement durable » dépend de tout le monde, c’est-à-dire de personne. L’usage du « nous » inclusif dans la suite du texte (« nos techniques », « notre organisation sociale », « nous sommes capables ») ne fait que renforcer cette impression. De plus, le fait d’impliquer ainsi le lecteur rend la contestation du propos plus difficile.
b) L’affirmation initiale repose sur une pétition de principe : elle tient pour vrai ce qu’il s’agit de démontrer. De plus la manière même de poser le problème le rend indémontrable. On prétend que « le présent » a des « besoins » auxquels il faut répondre sans empêcher les générations suivantes de satisfaire les leurs. Mais comment identifier ces fameux « besoins » ? Qui décidera que tel bien ou tel service, plutôt que d’autres, entre dans la classe des « besoins » fondamentaux[8] ? Et puisqu’il est impossible de définir les « besoins » actuels du genre humain, comment espérer pouvoir connaitre ceux des générations à venir[9] ?
c) On affirme l’existence de limites au « développement », puis on en souligne l’élasticité dans la phrase suivante, construite autour d’un triple sujet composite (« nos techniques », « notre organisation sociale » et « la capacité de la biosphère »… à tolérer les deux premières). Il est d’autant plus difficile de s’y retrouver que, si les effets de l’« activité humaine » (qui, sans autre précision, peut se rapporter simplement à la présence de l’homme sur la Terre depuis des millénaires) sur la biosphère existent sans doute, ils ne sont rien par rapport à l’activité industrielle, qui n’est pas mentionnée. Pourtant, une partie importante du rapport montre que tout le problème est là[10].
d) Il convient donc « d’ouvrir la voie à une nouvelle ère de croissance économique ». Comme la plupart des stratégies de « développement », le rapport Brundtland ne répugne pas au messianisme, mais la « nouvelle ère » annoncée risque d’être semblable à la précédente puisqu’elle sera encore celle de la croissance économique. Il faut faire croire que tout change pour que tout puisse rester la même chose, disait à peu près Lampeduza.
e) Selon la commission, « la pauvreté n’est pas une fatalité ». Bien entendu, la commission est libre de penser ce qu’elle veut, mais au lieu de procéder par dénégation, elle aurait dû s’interroger sur les mécanismes de la construction sociale de la pauvreté généralisée au cours des dernières décennies. Ce qui l’aurait sans doute amenée à dénoncer les mécanismes d’exclusion provoqués par la croissance économique qu’elle cherche à promouvoir.
f) « La misère est un mal en soi. » Ce qui sous-entend — par explicitation de la dichotomie moralisante — que le « développement » constitue un bien en soi. Or, une autre lecture — celle que fait par exemple Nicholas Georgescu-Roegen — aurait pu conduire à l’affirmation inverse : du point de vue de la sauvegarde de l’environnement, la croissance durable constitue un mal en soi.
Mais, pour la pensée ordinaire, le scandale se trouve toujours du côté des pauvres, que l’on console en leur accordant (mais qui pourrait la leur refuser ?) « la possibilité d’aspirer [ce qui ne signifie pas obtenir] a une vie meilleure ». Autant dire qu’il est toujours permis de rêver. Alors que l’on pourrait, de nouveau, retourner l’argument, et prétendre qu’« un monde qui tolère une richesse excessive de la part d’une minorité sera toujours sujet aux catastrophes écologiques et autres ».
Ces remarques font apparaître l’une des caractéristiques principales du rapport Brundtland : assurément plein de bonnes intentions mais si vague dans les positions qu’il s’efforce d’affirmer — en dépit d’une indéniable précision dans les statistiques sur lesquelles il s’appuie — qu’il ne propose guère de renouvellement de la problématique. À quoi bon dénoncer avec force le fait que « l’interaction entre économie et écologie peut être destructrice, voire catastrophique[11] », si c’est pour parvenir — une fois de plus — à la conclusion que, « aujourd’hui, ce dont nous avons besoin, c’est une nouvelle ère de croissance économique, une croissance vigoureuse et, en même temps, socialement et environnementalement durable[12] » ? Bien entendu, on affirme que cette croissance sera différente de celle qui prévaut aujourd’hui, qu’elle sera moins gourmande en énergie, mais le rapport reste silencieux sur la manière d’y parvenir et se borne le plus souvent à souhaiter que le nécessaire devienne possible. Ainsi, sur le problème particulièrement préoccupant de l’énergie, on affirme par exemple : « Pour le moment, la plupart de ces sources [d’énergie] posent encore problème, mais un effort novateur pourrait leur permettre de fournir à la planète la même quantité d‘énergie que celle qu’elle consomme actuellement[13] ». Peut-être, mais comment ? Ou encore : « Des mesures urgentes sont nécessaires pour limiter les taux de croissance extrêmes de la population. Les choix que l’on doit faire aujourd’hui permettront de stabiliser à plus ou moins six milliards le nombre d’habitants du globe au cours du prochain siècle[14]. » Oui, mais comment ? Ou enfin : « Étant donné les taux de croissance démographique, la production manufacturière devra augmenter de cinq à dix fois uniquement pour que la consommation d’articles manufacturés dans les pays en développement puisse rattraper celle des pays développés au moment où le niveau de la population mondiale se stabilisera, soit au cours du prochain siècle[15]. » Est-ce bien raisonnable de poursuivre dans cette logique du rattrapage[16] ?
Ces contradictions internes sont vraisemblablement liées à un défaut de clarté conceptuelle. Le vieux débat qui, depuis Malthus, tournait autour de la « durabilité » (sustainability) du cadre environnemental (c’est-à-dire de sa capacité à se maintenir en dépit des atteintes dues à l’activité humaine), concernait essentiellement le rythme de renouvellement des espèces vivantes. Telle était encore la préoccupation de l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN), qui, en 1980, s’intéressait aux stratégies de « conservation des ressources vivantes en vue d’un développement durable[17] ». Cependant, dans l’opinion publique occidentale, la question de l’épuisement des ressources s’est posée d’abord avec le rapport Meadows (Halte à la croissance ?, 1972) puis, surtout, avec les « chocs pétroliers » successifs. Or ces deux derniers cas concernent les ressources minérales non renouvelables, c’est-à-dire les stocks, qui relèvent d’une problématique entièrement différente. Malheureusement, ces deux perspectives ont été confondues dans le rapport Brundtland. Pour schématiser, ce qui caractérise le « développement » (ou, en l’occurrence, la Révolution industrielle) c‘est la possibilité d’accroître la production grâce à l’utilisation de stocks dont le rythme de prélèvement ne dépend pas du temps nécessaire à leur reconstitution mais à l’état de la technologie : le charbon et le pétrole (par exemple) peuvent être extraits rapidement ou lentement, mais cette décision n‘appartient qu’aux producteurs. D’où la possibilité d’alimenter autant de moteurs qu’on le souhaite. D‘où aussi l’augmentation considérable des rendements agricoles grâce aux engrais « chimiques » (c’est-à-dire non biologiques). Tout autre est la situation d’une économie liée à l’exploitation du vivant (forêt, plantes ou animaux) qui ne peut accroitre les quantités produites sans tenir compte du rythme de leur renouvellement et qui, de plus, ne peut pas véritablement les accumuler puisque les stocks de produits agricoles sont difficiles à conserver. En négligeant cette différence fondamentale du potentiel de croissance et en amalgamant les deux situations, le rapport Brundtland ne parvient pas à poser clairement le problème de la « durabilité » : d’une part, les pays du Nord peuvent prétendre à une croissance économique quasiment illimitée en exploitant les stocks, quitte à mettre en danger la biosphère par les rejets qu’ils provoquent ; de l’autre, les pays du Sud ne peuvent assurer leur autonomie alimentaire lorsque la croissance démographique dépasse la capacité de reproduction des ressources vivantes et, lorsqu’ils cherchent à se « développer » en imitant les pays industrialisés, ils doivent alors emprunter sur le marché des capitaux pour financer ces technologies. Or, comme les intérêts croissent de manière géométrique, ils ne peuvent être remboursés sur la base d’une production nécessairement limitée et qui se renouvelle selon un rythme différent. D’où la nécessité dans laquelle ils se trouvent — dans les deux cas envisagés — de surexploiter leur environnement afin de faire face à leurs problèmes alimentaires et à leurs obligations financières. Enfin, la théorie des avantages comparatifs, qui sert de fondement au commerce international, contribue à stabiliser cette inégalité des potentiels de croissance sous prétexte d’une division internationale du travail[18]. Ainsi, en faisant comme si toutes les ressources (renouvelables et non renouvelables) pouvaient être considérées de manière indifférenciée, on évacue non seulement un problème fondamental mais encore on légitime le système dominant. Ceci explique peut-être cela.
Enfin, l’indépendance de la commission, pourtant clairement affirmée par Mme Brundtland[19], n’a pas empêché les compromis diplomatiques ; entre les lignes, on peut retrouver les désaccords, à partir desquels le débat peut être relancé ; on peut comprendre que la condamnation de la croissance en soi ait été impossible puisqu’on ne saurait figer des inégalités inadmissibles sous prétexte de sauvegarder l’environnement. Mais on peut aussi s’interroger sur la pusillanimité du rapport, des lors qu’il s’agissait de remettre en question le mode de vie des plus riches tant au Nord qu’au Sud. Tout en reconnaissant que « des choix douloureux s’imposent[20] », la commission ne propose guère de mesures qui inciteraient les pays industrialisés à revoir fondamentalement leur style de consommation[21] puisqu’elle préconise, pour eux aussi, une croissance annuelle de 3 à 4 % afin d’assurer l’expansion de l’économie mondiale et garantir la reprise dans les pays en « développement[22] ». Vieille théorie du commerce international comme « moteur de la croissance » et de la croissance comme condition d’une répartition plus équitable des richesses[23].
On n’en finirait donc pas de montrer les contradictions de ce rapport, la principale d’entre elles étant que la politique de croissance économique proposée pour réduire la pauvreté et maintenir la stabilité de l’écosystème ne change guère de celle qui — historiquement — n’a fait que creuser l’écart entre les riches et les pauvres et mettre en danger l’environnement à cause des rythmes différents de croissance déterminés par l’usage de ressources constituées tantôt par des flux et tantôt par des stocks. Quant aux mesures préconisées, elles consistent en souhaits souvent raisonnables (par exemple accroître l’aide internationale aux projets qui respectent l’environnement, renforcer les organisations qui se préoccupent des questions écologiques) ou en appels solennels à gérer de façon plus efficace les ressources disponibles[24]. En dépit de l‘affirmation selon laquelle il convient d’« aller aux sources des problèmes[25] », la commission ne s’engage guère et se borne à des recommandations généreuses adressées indistinctement à tous : les organismes internationaux, les gouvernements, les ONG et les individus. Certes, tous sont concernés, et l’on répète qu’il faut agir, mais en suggérant plus de mesures palliatives (recycler et rationaliser) que de changements radicaux.
Tout le monde parle aujourd’hui de « globalisation » et l’on pourrait penser que cette nouvelle manière d’envisager les rapports mondiaux favorise la considération accordée aux problèmes de l’environnement. Or, au contraire, la « globalisation » entraînée par l’économie marchande rend impossible la conscience écologique. Alors que, dans une économie fondée sur l’utilisation des ressources locales, les hommes sont immédiatement sensibles aux détériorations de leur environnement et, dans la règle, cherchent à le préserver[26], le marché permet, par exemple, de prélever les ressources (le pétrole, le bois, l’eau, etc.) d’une région, de le consommer ailleurs, et d’évacuer les déchets ailleurs encore (en les exportant dans un lieu prêt à les accueillir contre rémunération ou en les rejetant dans la biosphère). Tout ce qui est entrepris, au nom de l’extension du commerce international permet de dissocier la production de la consommation et la consommation de la consumation (c’est-à-dire la transformation en déchets visibles ou invisibles). Ce qui évite au consommateur-pollueur de se rendre compte qu’il participe à l’épuisement des ressources et à l’accumulation des déchets, puisque le circuit des échanges l’empêche de voir ce qui se passe au cours du processus. Parce qu’elles agissent en de multiples lieux à la fois et dissocient constamment la création et la destruction des ressources, les sociétés transnationales favorisent cette dilution de la responsabilité. Le principe du pollueur-payeur ne fait pas disparaitre la pollution, mais il en réserve le droit à ceux qui en ont les moyens financiers. Deuxièmement, tandis que l’un des objectifs des environnementalistes consiste à promouvoir une vision diachronique de l’utilisation des ressources (en préservant les droits des générations à venir), le prix du marché ne réagit qu’à la demande solvable exprimée ici et maintenant, en toute méconnaissance de principe des effets à long terme. Ainsi, seules des mesures légales contraignantes, imposées par l’État (à supposer que l’opinion publique l’y oblige !), peuvent assurer le respect de l’environnement. Or, de plus en plus, l’État se désengage du contrôle qu’il exerçait sur certains marchés, ce qui accroît les risques environnementaux. Troisièmement, l’économie de marché ignore la distinction fondamentale qu’il convient d’opérer entre les biens renouvelables (qui relèvent de l’économie « vivante ») et ceux qui ne le sont pas (et constituent des stocks finis). Enfin, la généralisation du marché avive la concurrence entre les économies nationales et rend impossible toute approche concertée (par des pays producteurs de mêmes matières premières, par exemple) au nom de principes censés faire prévaloir l’intérêt collectif. À quoi s’ajoute encore l’inévitable compétition (économico-militaire) pour l‘accès aux ressources, puisque celles-ci ne sont pas uniformément distribuées[27].
Redéfinir les rapports entre environnement et « développement » afin de proposer « un programme global de changement », tel était le mandat confié à la commission Brundtland. Pour le remplir correctement, trois préalables au moins étaient indispensables : il fallait tout d’abord chercher à comprendre les relations des hommes et des sociétés avec leur environnement en s’interrogeant sur la réciprocité des échanges qu’ils entretiennent[28] ; il fallait ensuite remettre en question les modèles simplistes que l’idéologie dominante propose comme grille unique d’interprétation des phénomènes économiques ; il fallait enfin resituer la notion de croissance aussi bien dans une perspective culturelle (afin de reconnaitre sa spécificité occidentale) que dans une perspective historique (pour comprendre la simultanéité des mécanismes d’enrichissement et d’exclusion). Faute d’avoir considéré ces trois points fondamentaux, le rapport Brundtland ne pouvait que constater les déséquilibres qui menacent la survie de l’humanité, mais sans pouvoir imaginer de véritables remèdes.
[NDLR : la partie suivante du livre est dédiée au Sommet de la Terre de 1992, aussi appelé conférence de Rio ; nous ajoutons ci-après la première partie de la conclusion du chapitre]
Pour tenter une synthèse du rapport Brundtland et de la conférence de Rio, on retiendra deux points, qui ont l’avantage de caractériser également les années 1990.
Tout d’abord, ces deux événements majeurs ont donné une audience internationale considérable aux « problèmes de l’environnement », qui sont surtout ceux que la société industrielle pose à l’environnement, et non l’inverse comme on feint de le croire trop souvent. Désormais, la finitude de la nature ne peut plus être ignorée. Or, comme toute bataille, celle qui est menée « au nom du développement » fabrique ses slogans[29] et celui du « développement durable » est désormais entré dans la langue de tous les « développeurs » : aucun projet n’est désormais pris au sérieux (c’est-à-dire financé) s’il ne comporte un « volet environnement[30] ». On devrait s’en réjouir, tant les dommages causés au cadre de vie sont nombreux et préoccupants.
Or c’est à son ambiguïté que l’expression « développement durable » doit son succès. Dans l’esprit des écologistes, l’interprétation est claire : préconiser un sustainable development signifie prévoir un volume de production qui soit supportable pour l’écosystème et qui, de ce fait, puisse être envisagé dans la longue durée. C’est donc la capacité de reproduction qui détermine la production, et la « durabilité » implique que le processus ne peut être maintenu qu’à certaines conditions, données de l’extérieur. Pour utiliser — avec précautions ! — une analogie avec le domaine du vivant, si la croissance cellulaire est nécessaire au développement de l’enfant, la prolifération excessive des cellules rend impossible le prolongement de la vie. Ou encore, pour emprunter à la sagesse populaire, « qui veut voyager loin ménage sa monture » : ce qui importe, c’est le voyage plutôt que la vitesse, c’est le maintien de la vie sur la planète plutôt que le rythme du « développement ».
Tout autre est l’interprétation dominante, qui voit dans le « développement durable » une invitation à faire durer le « développement », c’est-à-dire la croissance. Après avoir rendu le « développement » universel (puisque personne n’y échappe désormais), il faut encore le rendre éternel. Autrement dit, puisque le « développement » est considéré comme « naturellement » positif, il s’agit d’éviter qu’il ne faiblisse et que la croissance ne souffre d’asthénie. Sustainable development signifie alors que le « développement » doit « avancer » à un rythme plus soutenu, jusqu’à devenir irréversible car, ce dont souffrent les pays du Sud, c’est d’un « développement non durable », d’un « développement à éclipses », constamment remis en question par des mesures politiques éphémères[31]. Ainsi, pour la pensée ordinaire, la « durabilité » s’entend au sens trivial de « pérennité » : ce n’est pas la survie de l’écosystème qui définit les limites du « développement », mais le « développement » qui conditionne la survie des sociétés. Puisqu’il constitue à la fois une nécessité et une chance, la conclusion s’impose : pourvu que ça dure !
Ces deux interprétations sont à la fois légitimes et contradictoires, puisqu’au même signifiant correspondent deux signifiés antinomiques. Entre les deux, la commission Brundtland comme la conférence de Rio ont évité de choisir, oscillant entre le rappel des limites que l’environnement impose au « développement » et l’exhortation à entrer résolument dans une « nouvelle ère de croissance économique ». D’où le recours à l’oxymore, à cette forme rhétorique qui concilie les contraires, selon la recette déjà utilisée pour l’« ajustement structurel à visage humain » et l’« ingérence humanitaire ». Dans un texte poétique ou mystique, des expressions telles que l’« obscure clarté », la « présence du Dieu absent » ou « la docte ignorance » donnent à penser en produisant un surcroît de sens sans hiérarchiser les signifiés. Mais le rapport Brundtland n‘est ni un poème ni la transcription d’un éblouissement intérieur, il ne cherche ni à dire l’indicible, ni à faire sentir le poids de cet énorme rien qu’est le « développement durable ». Il s’agit d’un texte qui relève de ce que Gunnar Myrdal qualifiait de diplomacy by terminology[32]. Par conséquent, le statut politique du discours appauvrit la surabondance de sens qu’évoquerait un vrai oxymore et réduit l’expression à ce que l’on pourrait nommer un « oxymore de second ordre » ou un « pseudo oxymore » qui n’échappe à l’absurdité de la contradiction que par la subordination d’un terme à l’autre. Du point de vue grammatical et pratique, à chaque fois, c’est le substantif qui l’emporte sur le qualificatif. Celui-ci n’a pour seule fonction que de légitimer celui-là et de lui accorder une garantie venue d’ailleurs[33]. Car la contradiction ne se situe plus au niveau des termes (comme l’obscurité s’oppose à la clarté) mais au niveau des pratiques, tantôt détestables (l’ajustement structurel, l’ingérence), tantôt admirables (le visage humain, l’humanitaire), Le « développement durable » est coulé dans le même moule : puisque le « développement » est le principal responsable des atteintes à l’environnement et qu’il menace la « durabilité » de l’écosystème que chacun souhaite, on fait comme s’il suffisait de dissimuler le « développement » sous la qualité essentielle que l’on attend de l’environnement pour justifier la poursuite de la croissance. La contradiction surgit dans l’ordre des pratiques et non pas dans celui des mots. L’enjeu du rapport Brundtland et de la conférence de Rio n’est donc pas de réconcilier deux phénomènes antagonistes dans une synthèse hégélienne qui les dépasserait l’un et l’autre, mais de faire croire à la nécessité du « développement » en lui attribuant la valeur suprême que l’on reconnait à l’environnement[34]. De ce point de vue, le « développement durable » apparaît comme une opération de camouflage ; il apaise les craintes provoquées par les effets de la croissance économique pour empêcher sa radicale remise en question. Même si le leurre est séduisant, il ne faut pas s’y tromper : ce que l’on veut faire durer, c’est bien le « développement », non pas la capacité de l’écosystème ou des sociétés à le tolérer[35].
Gilbert Rist
Et la suite…
L’Histoire ne s’arrête pas là puisque le « développement durable », malgré sa contradiction originelle et intrinsèque, donne toujours aujourd’hui la direction globale à suivre pour les politiques publiques, nationales et internationales, ainsi que pour les entreprises.
Un article paru en 2011 dans une revue de management, fait le bilan de « 25 ans de Développement Durable ». Les auteurs voient deux causes principales à l’échec du concept, présentées dès l’introduction :
« Contrairement à ce que la majorité des discours sur le développement durable laisse entendre, loin d’être un problème de délai dans la mise en œuvre, nous montrerons que c’est, en fait, la définition même du concept et les principaux développements théoriques et instruments de politique qui l’ont accompagné, qui tendent à limiter la prise de responsabilité directe sur les questions d’environnement. Cette dynamique relève d’un double mouvement, la récupération d’une critique écologique jugée trop radicale, et la volonté de contrôle par des opérateurs privés du processus de production des normes, ainsi que de leur institutionnalisation au travers d’une gouvernance qui ne remet pas profondément en cause leur logique de développement et de profit. »
Un paragraphe montre bien que l’analyse de Gilbert Rist avait vu juste, ce qui doit être durable, c’est avant tout le « développement », voire directement la croissance économique :
« Pour les Nations Unies qui vont promouvoir le DD, comme pour les grandes institutions internationales, il n’est en effet pas question de modifier les grands principes qui fondent le développement qui s’appuie sur la souveraineté des États et la participation du public aux processus de décision, le soutien de la croissance, l’innovation technologique, et le libre échange. Les économistes néoclassiques, défenseurs de ce qu’on appelle la « soutenabilité faible » vont alors constituer le courant dominant et produiront plusieurs instruments sur lesquels le DD va s’appuyer dans sa mise en œuvre. Leur principe fondateur est que, ce qui doit être transmis aux générations futures est une capacité à produire un bien être économique au moins égal à celui des générations présentes ; la durabilité est celle de la croissance. Le capital naturel, fonction d’utilité et de production, est donc substituable au capital manufacturé et au capital humain, c’est ce stock général de capital (de richesse) à la disposition de la société qui doit être maintenu. Le progrès technique est donc un enjeu majeur, c’est lui qui facilite cette substituabilité, et qui permet également des transferts Nord-Sud. »
On pourrait résumer ainsi le double but, voire double succès, du « développement durable » : d’abord un « désamorçage » de la critique écologique du système dominant capitaliste, croissanciste, productiviste (critique qui « montait » au cours des années 70), puis la création d’un concept qui permette aux acteurs économiques publics comme privés de se « verdir » facilement, sans remettre en question les fondements de leurs activités. L’article sus-cité démontre même que le « développement durable » participe à la montée de l’emprise du secteur privé sur la société :
« Dans un contexte libéral favorable à l’effacement de l’action publique dans la gestion des affaires, les institutions publiques perdent des moyens et se défaussent de leurs responsabilités, ainsi l’entreprise devient, par un processus que Godard qualifie de mystification (2005) au centre des enjeux, elle devient l’entité où doit se réfléchir et se déployer les stratégies de DD. Elle le fait, mais dans une logique stratégique qui est d’abord la sienne, à savoir assurer un profit et son propre avenir à long terme. »
L’échec de Rio+20
Vingt ans après le Sommet de Rio, en 2012, a été organisée la Conférence des Nations unies sur le développement durable, dite Rio+20. Les deux thèmes qu’elle devait aborder étaient « l’économie verte dans le contexte du développement durable et de l’éradication de la pauvreté » et le « cadre institutionnel du développement durable ». Un article très complet de la revue Ecologie & Politique (N°45, « Rio+20 : la victoire du scénario de l’effondrement ? », par Denis Chartier et Jean Foyer) relate les raisons de l’échec de cette conférence, qui a accouché d’un texte « sans ambitions » et non contraignant :
« À différents égards, la conférence de Rio+20 semble avoir été celle d’un retour de la realpolitik, d’un « réalisme » diplomatique et politique basé essentiellement sur les rapports de forces entre nations, sur les intérêts à court terme et sur des considérations économiques bien plus que morales. La logique géoéconomique des groupes d’États s’est imposée sur la logique du multilatéralisme et l’environnement se trouve subordonné aux impératifs du développement industriel des pays du Sud et au pragmatisme économique des entreprises » (extrait de l’introduction)
Il est à noter que le « développement durable » continue d’être promu, sans qu’il ne lui soit pour autant demandé des comptes (alors que les rapports et études alarmant sur l’état de la planète s’accumulent au fil des années) :
« Par ailleurs, aucun diagnostic préalable ou bilan de l’impact des décisions prises ses vingt dernières années n’a été réalisé. En ce qui concerne la gouvernance du développement durable, en particulier sur le bilan de la Commission du développement durable, on ne trouve pas d’évaluation des politiques menées. »
Aucun des bords ne semble accepter de compromis (qui pourraient les mettre en difficulté vis-à-vis des autres, sans parler de ceux qui sont déjà en difficulté) :
« Le terme de « transition » vers une économie verte a également été jugé trop contraignant par les pays émergents. On notera aussi la réticence de bon nombre de délégations à toutes références « au changement de modes de vie jugés non durables ». Dans le même ordre d’idée, le retrait du texte de la notion de « limites planétaires », initialement présente dans la première version de janvier 2012, marque cette réaffirmation de la croyance en une croissance illimitée.
Pas de transitions, pas de limites, pas de changements de modes de vie, on l’aura compris, la conception de l’économie verte que porte le texte tend à un retour d’une logique développementaliste marquée par la revendication du droit au développement dans un marché mondial dérégulé. »
Lire aussi : - « Le développement (même durable) c’est le problème, pas la solution ! (par Thierry Sallantin) » - « Le « développement durable » est un mensonge (par Derrick Jensen) »
Objectifs de développement durable 2015–2030
Nous en sommes aujourd’hui aux « objectifs de développement durable », au nombre de 17 et qui remplacent les 8 « objectifs du millénaire pour le développement ». Comme leur nom l’indique, la thématique du développement durable y est plus que jamais présente, tout comme ses contradictions. Parmi des objectifs difficilement critiquables (lutte contre la faim, accès à la santé, égalité entre les sexes, réduction des inégalités, etc.), on retrouve des objectifs qui sont en opposition :
- D’un côté des objectifs de préservation de l’environnement (lutte contre le changement climatique, protection de la vie aquatique, de la vie terrestre),
- De l’autre des objectifs économiques, de développement (recours aux énergies renouvelables, croissance économique, industrialisation).
Un article d’Actu-environnement publié lors du lancement des ODD, en septembre 2015, détaille :
« Certains [pays] veulent continuer à s’industrialiser : l’objectif 8 « Promouvoir une croissance économique soutenue, partagée et durable » et l’objectif 9 « Bâtir une infrastructure résiliente, promouvoir une industrialisation durable » le leur permet. D’autres veulent mettre l’accent sur la réduction des pollutions : l’objectif 15 « Préserver et restaurer les écosystèmes terrestres » et l’objectif 13 « Prendre d’urgence des mesures pour lutter contre les changements climatiques et leurs répercussions » le leur permet également. Le risque est ainsi que chaque pays pioche ce qu’il l’arrange. « Nous avons 17 ODD car nous ne sommes pas d’accord sur ce qu’on veut faire de notre monde », reconnaît Tancrède Voituriez de l’Iddri [Institut du développement durable et des relations internationales]. « Mais ces ODD posent un cadre défini communément. S’industrialiser oui, mais pas n’importe comment », rassure-t-il. »
Accord de Paris, 2015
Il ne devrait pas étonner le lecteur parvenu jusqu’ici que l’Accord de Paris, signé en 2015 et visant à conserver le réchauffement climatique « nettement en dessous de 2 °C » tout en « poursuivant l’action menée pour limiter l’élévation de la température à 1,5 °C » laisse une grande part à des contradictions du même type que celles qui traversent la notion de développement durable. Celui-ci y est d’ailleurs mentionné 12 fois au total sur la trentaine de pages que compte l’Accord. Certaines mentions sont claires quant aux buts recherchés :
« Il est essentiel d’accélérer, d’encourager et de permettre l’innovation pour une riposte mondiale efficace à long terme face aux changements climatiques et au service de la croissance économique et du développement durable. » (Article 10, paragraphe n°5)
Ces contradictions intrinsèques de l’Accord étaient soulignées par Clive Splash en 2016, avant l’élection de Donald Trump et le retrait des Etats-Unis annoncé en juin 2017 :
« Il [L’Accord de Paris] s’agit d’un fantasme dénué d’un plan concret permettant de parvenir à des réductions d’émissions. Il n’y est pas fait mention des sources de GES, il ne comporte aucun commentaire sur l’utilisation des combustibles fossiles, il ne discute pas non plus de la manière dont il serait possible d’enrayer l’expansion de la fracturation hydraulique, de l’extraction de pétrole de schiste ou des explorations dans l’Arctique et l’Antarctique visant à trouver du pétrole ou du gaz. De la même manière, aucun moyen d’application n’est prévu. L’article 15, traitant de l’implémentation et de la conformité, établit que le comité d’experts sera « non accusatoire et non pénalisant », en d’autres termes, que rien ne peut être fait en cas de non-conformité. L’article 28 offre même une option de retrait, qui n’entraîne d’ailleurs aucune sanction. Tout le monde semble avoir aisément oublié comment le Canada s’est retiré du protocole de Kyoto afin de pratiquer la fracturation à une échelle industrielle massive et catastrophique pour l’environnement. »
Comme chacun le sait, l’histoire lui donnera malheureusement raison. Il concluait :
« L’histoire racontée par l’accord de Paris est aussi bizarre qu’irréelle. Apparemment, la cause du changement climatique n’est pas la consommation de combustibles fossiles, ni aucune production énergétique, mais une technologie inadaptée. La solution de ce problème réside alors dans le développement durable (c’est-à-dire dans la croissance économique et l’industrialisation) ainsi que dans la réduction de la pauvreté. En ce qui concerne les systèmes actuels de production et de consommation, bien peu de choses doivent changer. Aucune mention d’élites consommant la vaste majorité des ressources de la planète, ni de multinationales ou d’industries de combustibles fossiles devant être contrôlées. Ni de systèmes compétitifs d’accumulation de capitaux qui promeuvent le commerce et la lutte pour l’obtention de ressources, et qui émettent de vastes quantités de GES à travers des dépenses militaires et des guerres. Pas non plus de gouvernements qui accroissent l’utilisation et la dépendance aux combustibles fossiles. »
Conclusion : l’impossible découplage
Il est important de noter que la notion chère au « développement durable » de « découplage », induisant une baisse des émissions de gaz à effet de serre ou de la consommation de ressources tandis que la croissance économique est continue, est remise en question par de plus en plus de travaux empiriques. Ces connaissances sont rassemblées dans le rapport « Decoupling Debunked » de l’European Environmental Bureau. Nous vous reproduisons ici la traduction du résumé d’une des études, « Is green growth possible ? » de Jason Hickel et Giorgos Kallis, qui remet en question la viabilité des objectifs de développement durable :
« La notion de croissance verte s’est constituée comme la réponse politique principale face au changement climatique et à la dégradation de l’environnement. La théorie de la croissance verte affirme qu’une croissance économique continue est compatible avec l’écologie, étant donné que l’évolution technologique et la substitution [d’énergies fossiles par d’autres sources d’énergie] nous permettront de découpler de manière absolue la croissance du PIB de l’utilisation des ressources et des émissions de CO2.
Cette affirmation est désormais assumée dans les politiques nationales et internationales, notamment dans les Objectifs de développement durable. Mais les preuves empiriques sur l’utilisation des ressources et les émissions de C02 ne vont pas dans le sens de la théorie de la croissance verte. En examinant les études pertinentes sur les tendances historiques et les projections des modèles, nous découvrons que : (1) il n’existe aucune preuve empirique que le découplage absolu de l’utilisation des ressources puisse être obtenu à l’échelle mondiale dans un contexte de croissance économique continue, et (2) il est très peu probable que le découplage absolu des émissions de CO2 soit effectué à un rythme suffisamment rapide pour empêcher un réchauffement climatique de plus de 1,5 °C ou 2 °C, même dans des conditions politiques “optimistes”. Nous concluons que la croissance verte est probablement un objectif erroné et que les décideurs doivent rechercher des stratégies alternatives. »
Figure 2 de l’étude, « global material footprint 1970–2013 » à gauche, « change in global material footprint compared to change in global GDP (constant 2010 USD), 1990–2013 » à droite.
Loïc Giaccone
Notes :
- Mansour Khalid, du Soudan, avait été président du Conseil de sécurité ; Bernard Chidzero, du Zimbabwe, avait présidé le Comité de développement de la Banque mondiale et du FMI et avait été secrétaire général-adjoint de la CNUCED ; Mohammed Sahnoun, d’Algérie, était un diplomate qui sera chargé plus tard du dossier somalien ; et Janez Stanovnik, de Yougoslavie, avait été secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Europe. Seul Shridath S. Ramphal, secrétaire général du Commonwealth et ancien ministre des Affaires Etrangères de la Guyane, fait le lien avec la commission Brandt. Cela dit, parmi les « conseillers spéciaux » de la commission, on retrouve les noms familiers de Gamani Corea et d’Enrique V. Iglesias. ↑
- Et notamment ceux qui relevaient de l’« éco—développement », selon le terme proposé notamment par Maurice Strong et Ignacy Sachs. Le terme indique que le « développement » doit être fondé sur une théorie économique renouvelée par des considérations écologiques. ↑
- Des extraits de ces audiences publiques, qui permirent à d’anonymes citoyens engagés de prendre la parole, sont publiés à l’intérieur du rapport, sous forme d’encadrés, et constituent l’un des aspects les plus intéressants du document, puisqu’ils permettent souvent de dire ce que la commission s’interdit d’exprimer. ↑
- Commission mondiale sur l’environnement et le développement, Notre avenir à tous (titre original anglais : Our Common Future), Introduction de Gro Harlem Brundtland, Montréal, Éditions du Fleuve, 1989 [1988], 434 p. Parmi l’immense littérature publiée à la suite de ce rapport, on se bornera à mentionner : Hans—Jürgen Harborth, Dauerhafte Entwicklung (Sustainable Development), Zur Entstehung eines neuen ôkologischen Konzepts, Berlin, Wissenschaftszentrum Berlin flir Sozialforschung (FS Il 89–403}, 1989, 108 p. ; Hilkka Pietilä, « Environnement and Sustainable Development. Reflections on the Brundtland Report », IFDA Dossier, 77, mai—juin 1990, p. 61—70 ; Ted Trainer, « A Rejection of the Brundtland Report », IFDA Dossier, 77, mai—juin 1990, p. 71—84 ; Olav Stokke, « Sustainable Development :A Multi—Faceted Challenge », The European Journal of Development Research, 3 (1), juin 1991, p. 8—31 ;ainsi que l’article « Environment » dans Wolfgang Sachs (ed.), The Development Dictionary. A Guide to Knowledge as Power, Londres, Zed Books, 1992, p. 26—37. ↑
- On notera cependant que la commission est restée discrète sur le problème des transports (et notamment celui des coûts cumulés du transport automobile ; cf. p. 236 et suiv.) et qu’elle n’a pas pu se mettre d’accord sur la question de l’énergie nucléaire (alors que la catastrophe de Tchernobyl avait déjà eu lieu). La « conclusion » à laquelle elle parvient sur ce sujet est particulièrement vide de sens : « La production d’énergie d’origine nucléaire n’est justifiée qu’à la seule condition que nous puissions résoudre de manière satisfaisante les problèmes qu’elle pose et qui, à ce jour, sont sans réponse » (p. 225). ↑
- Le rapport original anglais parle de sustainable development ; la traduction française (réalisée par l’ONU) a opté pour « développement soutenable » (par opposition à un « développement insoutenable » ?), mais l’usage s’est imposé de parler de « développement durable ». Ce flottement n’a fait que renforcer les interprétations divergentes de la notion. Celle-ci n’a pourtant rien de mystérieux. Elle correspond à la sagesse des « Indiens » nord-américains selon laquelle, avant d’entreprendre quelque chose, il convient de songer aux effets de son action sur les sept générations à venir. Le « développement durable » renvoie, d une part, a l’ancienne préoccupation de Thomas Robert Malthus dans son Essai sur le principe de la population (1798) et, de l’autre, aux thèmes développes dans le rapport Meadows (The Limits to Growth, 1972). Quant à l’expression elle-même, elle avait déjà été utilisée lors d’un séminaire organisé par les Nations unies en 1979 et dans une étude menée sous les auspices de l’UICN, du PNUD et du WWF, en 1980, et intitulée World Conservation Strategy ; Living Resources Conservation for Sustainable Development. ↑
- Notre avenir à tous, op. cit., p. 10 (j’ai substitué dans le texte « durable » à « soutenable »). ↑
- Admettons que l’eau potable constitue un « besoin ». Y a‑t—on répondu adéquatement en s’assurant que le marigot n’était pas pollué ? Faut—il aller jusqu’à généraliser les bornes—fontaines ? Mais combien faut—il en prévoir pour mille habitants ? Le souhait d’avoir un robinet dans la cuisine est—il un « vrai besoin » ? Si oui, peut—on admettre qu’un individu, sous prétexte qu’il paie sa facture d’eau, utilise 500 litres par jour, alors que d’autres doivent se contenter du centième ? Ces questions sont sans fin et il faut reconnaitre une fois pour toutes qu’il est impossible d’y répondre de manière satisfaisante pour l’ensemble du « genre humain ». ↑
- Et d’abord, de combien de générations s’agit-il ? En réfléchissant rétrospectivement, ceux qui vivaient au début du siècle (les grands—parents de Mme Brundtland, par exemple} pouvaient—ils anticiper les « besoins » en électricité, en pétrole (ou en loisirs) de nos contemporains des pays industrialisés ? Car les « besoins » varient en fonction des changements technologiques et écologiques et ceux-ci sont rarement observables dans le court terme. ↑
- « Pour que le taux d’utilisation d‘énergie des pays en développement puisse être amené en l’année 2025 au niveau des taux qui prévalent aujourd’hui dans les pays industrialisés, il faudrait multiplier par cinq la quantité d‘énergie utilisée actuellement dans le monde. Or c’est là une situation que l’écosystème de la planète ne serait pas en mesure de supporter. » (ibid„ p. 17). ↑
- Ibid, p. 7. ↑
- Ibid (introduction de Mme Brundtland}, p. XXII. ↑
- Notre avenir à tous, op. cit., p. 18. ↑
- Ibid., p. 13. Pourtant, dans le chapitre consacré à la démographie, on reconnait qu’en mettant les choses au mieux (c’est—à—dire en atteignant en 2010 des taux de fécondité qui assurent seulement le remplacement des générations), la population mondiale sera de 7,7 milliards en 2060 mais que, si l’on tarde (ce qui est le plus probable), il y aura entre 10 et 14 milliards d’habitants sur la Terre à la fin du XXème siècle. Pourquoi ces chiffres contradictoires ? ↑
- Ibid., p. 19. On retrouve la même phrase aux pages 254—255, mais le texte continue ainsi : « Une croissance de cette ampleur aura de sérieuses conséquences pour l’avenir des écosystèmes de la planète et de son patrimoine de ressources naturelles » (ibid., p. 255). Mais on ne tire aucune conclusion du constat de l’on passe à autre chose. ↑
- Ce qui n’empêche pas la commission d’affirmer : « Il n’est ni souhaitable, ni même possible, que les pays en développement adoptent le même mode de consommation que les pays industriels » (ibid., p. 69). ↑
- Cf- Supra, p. 317, note 24. ↑
- Ces remarques sont inspirées d’une article (non publié) de Rolf Steppacher, « Problem und Grenzen “nachhaltiger Entwicklung“ » (avril 1995, 7 p.) ; cf. aussi « L’ingérence écologique et la globalisation de l’économie de marché », dans Fabrizio Sabelli (dir.), Ecologie contre nature. Développement et politiques d’ingérence, Nouveaux cahiers de l’IUED, 3, Genève-Paris, IUED-PUF, 1995, p. 99–114. ↑
- « En tant—que commissaires, nous n’avons pas siégé en fonction de nos responsabilités nationales, mais en tant qu’individus. […] Nous avons formé une équipe absolument extraordinaire. Une chaude amitié, une franche communication, la rencontre de nos esprits et le partage de nos connaissances nous ont permis de travailler avec optimisme, ce qui s’est révélé d’un grand apport à chacun de nous et, je crois, à notre rapport et à notre message » (ibid., p. XXIV et XXV). ↑
- Fabrizio Sabelli (dir.}, op. cit., p. 11 (sans qu’on ne précise à qui ils s’imposenten priorité). ↑
- A supposer qu’on y souscrive, l’argumentation fondée sur les « besoins » fondamentaux devrait nécessairement s’accompagner d’un discours symétrique sur l’illégitimité des « besoins excédentaires ». A la limite minimale devrait correspondre une limite maximale, à partir de laquelle « l’excès » devrait être pénalisé. Or, dans le rapport Brundtland — qui proclame le principe « produire plus avec moins » -, les « coupables » sont toujours au Sud : « la femme qui fait la cuisine dans un pot de terre sur un feu en plein air consomme peut-être huit fois plus d’énergie que sa voisine mieux pourvue qui dispose d’une cuisinière à gaz et de casseroles en aluminium » (ibid., p. 233). Wolfgang Sachs souligne que « whereas in the 1970s the main threat to nature still appeared to be the industrial man, in the 1980s environnementalists turned their eyes to the Third World and pointed to the vanishing forests, soils and animals there. With the shirting focus […] the crisis of environnement is no longer perceived as the result of building affluence for the global middle class in the North and South, but as a result of human présence on the globe in general », dans « Global Ecology and the Shadow of “Development“ », dans Wolfgang Sachs (ed.), Global Ecology. A new Arena of Political Conflict, Londres, Zed Books, 1993, p. 11. ↑
- Notre avenir à tous, op., cit., p. 60. Cf. aussi p. 106, où l’argument est largement développé. ↑
- Dans un encadré (p. 60–61), le rapport calcule à la fois le taux de croissance et le temps nécessaire pour faire passer de 50% à 10% le nombre de pauvres. Or tout le raisonnement repose sur une redistribution non pas de la richesse existante mais uniquement du revenu supplémentaire car, dit-on, « une politique de répartition ne peut s’appuyer que sur un éventuel accroissement des richesses ». Vision classique de l’effet de percolation (trickle down effect), alors que l’on sait depuis longtemps que la croissance profite rarement aux plus pauvres. ↑
- Significativement, la couverture du livre reproduit une photo de la Terre prise lors du vol d’Apollo XI. Cette « nouvelle vision du monde » est évoquée plusieurs fois dans le rapport : « Au milieu du XXème siècle, les hommes ont pu, pour la première fois, contempler leur planète du haut de l’espace. […] Beaucoup de ces modifications s’accompagnent de dangers qui menacent la vie et vont de la dégradation de l’environnement a la destruction nucléaire. » Mais la conclusion est dérisoire : « Ces réalités nouvelles, auxquelles on ne peut échapper, doivent être reconnues, et il faut les gérer » (p. 369). ↑
- Ibid., p. 376 et suiv. ↑
- Même si l’on sait que la pauvreté conduit aussi à la détérioration de l’environnement (déboisement, surpâturage, etc.) puisque c’est souvent l’expropriation de leur environnement qui conduit les populations à la pauvreté (ce sont les meilleures terres qui sont confisquées), sans oublier les problèmes liés au rythme de renouvellement des ressources biotiques. ↑
- Cf. l’intervention militaire déclenchée par le président Bush en Irak, au nom de la démocratie. ↑
- Ce qui pouvait se fonder aussi bien sur le savoir traditionnel des sociétés non occidentales (et non anthropocentriques) que sur les travaux scientifiques les plus récents. ↑
- Comme le rappelle Elias Canetti (Masse et puissance, Paris, Gallimard, 1966 [1960], p. 43), le mot « slogan » vient de deux mots celtiques : sluagh, qui signifie l’armée des morts, et gairm, le cri. En l’occurrence, il est difficile de savoir si le « cri de bataille des morts » est poussé par ceux qui meurent faute de « développement » ou par ceux qui en sont les victimes. ↑
- La métaphore du « volet », qui fait aussi partie du langage à la mode, est bien pratique, puisqu’elle assimile le « développement » à une grande maison aux multiples fenêtres comportant autant de volets : pour l’environnement, les femmes, les « besoins » fondamentaux, l’appui institutionnel (capacité building), la formation, la réduction de la pauvreté, etc. ↑
- On trouve cette interprétation dans l’article de Jean Masini (« Introduction », Tiers Monde, 35 (137), janvier-mars 1994) et surtout dans celui de Gérard Destanne de Bernis, lequel donne comme exemples de « développement non durables » ceux de l’Algérie et du Mexique, puisque ces deux pays, frappés par la crise, n’ont pas su maintenir leurs taux de croissance (ibid., p. 98). Ou encore : « What is sustainable ? Sustainable development is development that lasts », World Development Report, New York (N. Y.), Oxford University Press and the World Bank, 1992, p. 34 (cité par Wolfgang Sachs, « Global Ecology », art. cité, p. 8). ↑
- Gunnar Myrdal, Asian Drama. An Inquiry into the Poverty of Nations, Harmondsworth, Penguin Books, 1968, III, Appendix 1, p. 1839–1842. Dans ce texte, Gunnar Myrdal ne s’en prenait pas aux oxymores mais à l’antiphrase « en voie de développement » pour signifier « sous développé ». ↑
- Les diverses modalités de légitimation de pratiques modernes grâce à des valeurs inscrites dans des mythes anciens ont été largement décrites dans Marie—Dominique Perrot, Gilbert Rist et Fabrizio Sabelli, La Mythologie programmée. L’économie des croyances dans la société moderne, op. cit., p. 47–62. ↑
- De la même manière, la « sale guerre » menée par une coalition dominée par les Etats—Unis, sous les auspices des Nations unies, contre l’Irak en 1991 fut qualifiée de « guerre propre ». ↑
- « In fact, the UN conference in Rio inaugurated environmentalism as the highest stage of developmentalism » (Wolfgang Sachs, « Global Ecology », art. cité, p. 5). ↑
En fait, c’est très simple.
Il faut diviser les ressource acceptables toutes confondues par la population mondiale.
Et on sait de quoi chacun dispose chaque année.
On a le doit par exemple à 1 000 000 de points que l’on paie à chaque utilisation.
Bon, je coupe mon téléphone, j’ai bouffé une semaine sur ce message.
Hihihi