Le manifeste de la Montagne Sombre (The Dark Mountain Manifesto)

Note du Tra­duc­teur (Nico­las Casaux) : Le Mani­feste de la Mon­tagne Sombre, en anglais The Dark Moun­tain Mani­fes­to, a été rédi­gé en 2009 par Dou­gald Hine (entre­pre­neur et ancien jour­na­liste bri­tan­nique) et Paul King­snorth (ancien rédac­teur en chef adjoint de la revue envi­ron­ne­men­tale bri­tan­nique The Eco­lo­gist). Il est à l’o­ri­gine du col­lec­tif épo­nyme (Dark Moun­tain), d’ar­tistes, d’é­cri­vains et de pen­seurs qui s’in­té­ressent à l’ef­fon­dre­ment de la civi­li­sa­tion, ses causes et ses consé­quences. Je n’ap­prouve ni tout ce qu’ils font et écrivent, ni la pos­ture rési­gnée de King­snorth (qui, entre­temps, a quit­té le col­lec­tif). Néan­moins, il m’a sem­blé inté­res­sant de tra­duire ce mani­feste parce qu’il s’ins­crit dans le cou­rant d’é­co­lo­gie radi­cale cri­tique de la civi­li­sa­tion. Mal­gré son renon­ce­ment expli­cite au mili­tan­tisme et au com­bat, Paul King­snorth com­prend bien les erre­ments de l’é­co­lo­gisme grand public, l’ab­sur­di­té du mythe du pro­grès et des autres mythes sur les­quels repose celui de la civilisation.


Incivilisation

Le manifeste de la Montagne Sombre

Réar­me­ment

Ces grands et fatals mou­ve­ments vers la mort : la gran­deur des masses
Font de la pitié une folle, cette pitié déchirante
Puisque les atomes de la masse, les per­sonnes, les vic­times, rendent cela monstrueux
D’admirer la tra­gique beau­té qu’ils construisent.
Aus­si belle qu’une rivière qui s’écoule ou que le lent rassemblement
D’un gla­cier sur la paroi rocheuse d’une haute montagne,
Voué à ense­ve­lir une forêt, ou que le gel de novembre,
Avec sa danse mor­telle des feuilles cou­leur d’or et de flamme […].
Je brû­le­rais ma main droite dans un feu lent
Pour chan­ger l’a­ve­nir … Je serais dérai­son­nable. La beau­té de l’homme moderne
Ne réside pas dans l’in­di­vi­du mais dans le
Rythme funeste, les masses lourdes et mou­vantes, la danse des masses
Gui­dées par les rêves le long de la mon­tagne sombre.

Robin­son Jef­fers, 1935

I

Marcher sur de la lave

La civi­li­sa­tion fini­ra par pré­ci­pi­ter la fin du genre humain.

— Ralph Wal­do Emerson

Ceux qui font l’expérience directe d’un effon­dre­ment social rap­portent rare­ment de grande révé­la­tion concer­nant les véri­tés pro­fondes de l’existence humaine. En revanche, ce qu’ils rap­portent, si on le leur demande, c’est leur éton­ne­ment vis-à-vis du fait qu’il est fina­le­ment si simple de mourir.

Les struc­tures répé­ti­tives de la vie ordi­naire, dans laquelle tant de choses res­tent les mêmes d’un jour à l’autre, dis­si­mulent la fra­gi­li­té de sa fabrique. Com­bien de nos acti­vi­tés sont-elles ren­dues pos­sibles par l’impression de sta­bi­li­té que pro­curent ces struc­tures ? Du moment qu’elles se répètent, qu’elles res­tent régu­lières, nous sommes en mesure de pla­ni­fier, de pré­voir pour demain comme si toutes les choses dont nous dépen­dons et que nous ne consi­dé­rons pas avec une grande atten­tion seront tou­jours là. Lorsque ces struc­tures se brisent, sous l’effet d’une guerre civile, d’une catas­trophe natu­relle ou d’une tra­gé­die de moindre impor­tance, abi­mant leur fabrique, nombre de ces acti­vi­tés deviennent impos­sibles ou insi­gni­fiantes, tan­dis que la simple tâche de répondre à nos besoins élé­men­taires, que nous tenions pour acquis, peut par­fois occu­per une grande par­tie de nos journées.

Les cor­res­pon­dants de guerre et les tra­vailleurs huma­ni­taires nous rap­portent non seule­ment la fra­gi­li­té de cette fabrique, mais aus­si la vitesse à laquelle elle peut se défaire. Tan­dis que nous écri­vons, per­sonne ne sait pré­ci­sé­ment où la déli­ques­cence de la fabrique finan­cière et com­mer­ciale de nos éco­no­mies nous mène­ra. Pen­dant quoi, au-delà des villes, l’exploitation indus­trielle incon­trô­lée dévore les bases maté­rielles de la vie dans de nom­breuses régions du monde, consu­mant les com­mu­nau­tés bio­tiques qui la rendent possible.

Cepen­dant, aus­si pré­caire que soit cette époque, la conscience de la fra­gi­li­té de ce que nous appe­lons civi­li­sa­tion n’est pas nouvelle.

« Peu com­prennent, écri­vait Joseph Conrad en 1896, que leur vie, l’essence même de leur per­sonne, leurs capa­ci­tés et leurs audaces, ne sont que l’expression de leur croyance en la sûre­té de leur milieu. » Les écrits de Conrad dénon­çaient la civi­li­sa­tion expor­tée par les impé­ria­listes euro­péens. Ils la dépei­gnaient comme une illu­sion confor­table, et rien de plus, non seule­ment au cœur téné­breux et indomp­table de l’Afrique, mais aus­si dans la blan­cheur des sépulcres de leurs grandes métro­poles. Les habi­tants de cette civi­li­sa­tion croyaient « aveu­glé­ment en la force irré­sis­tible de ses ins­ti­tu­tions et de sa morale, au pou­voir de sa police et de son opi­nion », mais leur confiance ne pou­vait se main­te­nir qu’en rai­son de la foule des croyants dans laquelle ils étaient plon­gés, et qui par­ta­geaient cette même vision. Hors les murs demeu­rait le sau­vage, aus­si proche que le sang sous la peau, bien que le cita­din n’était plus en mesure d’y faire face directement.

Ber­trand Rus­sell remar­qua cette ten­dance dans la pers­pec­tive de Conrad, sug­gé­rant que le roman­cier « consi­dé­rait la vie humaine civi­li­sée et mora­le­ment tolé­rable comme une marche dan­ge­reuse sur une fine couche de lave à peine refroi­die qui pour­rait céder à tout moment et plon­ger l’imprudent dans une four­naise ardente ». Rus­sell et Conrad sou­li­gnaient une évi­dence que n’importe quel his­to­rien pour­rait confir­mer : la civi­li­sa­tion est une construc­tion très fra­gile, édi­fiée sur des croyances : la croyance en la jus­tesse de ses valeurs ; la croyance en la force de son sys­tème de main­tien de l’ordre ; la croyance en sa mon­naie ; et avant tout, pro­ba­ble­ment, la croyance en son futur.

Lorsque ces croyances com­mencent à se dis­lo­quer, l’effondrement de la civi­li­sa­tion peut deve­nir inar­rê­table. Que les civi­li­sa­tions s’effondrent, tôt ou tard, est une loi de l’histoire aus­si iné­luc­table que la gra­vi­té. Ce qui demeure, après l’effondrement, est un mélange de ves­tiges cultu­rels et d’individus confus et éner­vés, tra­his par leurs cer­ti­tudes. Mais l’on retrouve aus­si ces forces qui étaient res­tées là, tou­jours, dont les racines sont plus pro­fondes que les murs des villes : le désir de sur­vivre et le désir de sens.

*

Il semble que ce soit au tour de notre civi­li­sa­tion de connaître l’irruption du sau­vage et de l’invisible ; notre tour d’être secoués au contact de la réa­li­té brute. Un effon­dre­ment se pro­file. Nous vivons un temps où les contraintes qui nous sont fami­lières se rompent, où les fon­da­tions se dérobent des­sous nous. Après un quart de siècle de com­plai­sance, au cours duquel nous étions invi­tés à croire à des bulles qui n’éclateraient jamais, à des prix qui ne tom­be­raient jamais, à la fin de l’histoire, au recon­di­tion­ne­ment du triom­pha­lisme du cré­pus­cule vic­to­rien de Conrad — Hubris ren­contre Némé­sis. Et l’on assiste désor­mais au recom­men­ce­ment d’une vieille his­toire humaine dont nous sommes cou­tu­miers. L’histoire de l’Empire qui s’érode de l’intérieur. L’histoire d’un peuple qui a cru, pen­dant long­temps, que ses actions n’auraient pas de consé­quences. L’histoire de la manière dont ce peuple souf­fri­ra l’écroulement de ses mythes. Notre histoire.

Cette fois-ci, l’Empire qui chan­celle, c’est l’inexpugnable éco­no­mie mon­dia­li­sée, et le Meilleur des Mondes de la démo­cra­tie consu­mé­riste qu’elle consti­tuait à l’échelle pla­né­taire. Sur l’indestructibilité de cet édi­fice, nous avons misé les espoirs de cette ultime phase de notre civi­li­sa­tion. Désor­mais, son échec et sa failli­bi­li­té sont expo­sés, les élites du monde s’affairent fré­né­ti­que­ment à répa­rer la machine éco­no­mique dont, pen­dant des décen­nies, ils nous ont assu­ré qu’elle ne devait pas être contrainte, car la contrainte aurait cau­sé sa perte. D’innombrables sommes d’argents sont ache­mi­nées afin d’empêcher son explo­sion incon­trô­lée. La machine cahote et les ingé­nieurs paniquent. Ils se demandent s’ils la com­prennent fina­le­ment aus­si bien qu’ils le croyaient. Ils se demandent s’ils la contrôlent ou, au contraire, si c’est elle qui les contrôle.

De plus en plus, les gens s’inquiètent. Les ingé­nieurs se regroupent en équipes concur­rentes, mais aucune ne semble savoir quoi faire, et toutes se res­semblent. Autour du monde, le mécon­ten­te­ment gronde. Les extré­mistes affutent leurs armes et se regroupent durant que les cahots et les sur­sauts de la machine dévoilent les erre­ments des oli­gar­chies poli­tiques qui pré­ten­daient tout maî­tri­ser. Les anciens Dieux relèvent la tête, de même que les vieilles ritour­nelles : révo­lu­tion, guerre, conflit eth­nique. La poli­tique telle que nous l’avons connue titube, comme la machine qu’elle était cen­sée sou­te­nir. À sa place pour­rait bien se dres­ser quelque chose de plus élé­men­taire, au cœur sombre.

À mesure que les magi­ciens de la finance perdent leur pou­voir de lévi­ta­tion, que les poli­ti­ciens et les éco­no­mistes échouent à arti­cu­ler de nou­velles expli­ca­tions, nous com­men­çons à com­prendre que der­rière le rideau, au cœur de la Cité d’Émeraude, ne se trouve pas l’omnipotente et bénigne main invi­sible qu’on nous avait ven­due, mais tout autre chose. Quelque chose res­pon­sable, selon Marx, écri­vant peu avant Conrad, de « l’incertitude éter­nelle et de l’angoisse » de « l’époque bour­geoise », dans laquelle « tout ce qui est solide, bien éta­bli, se vola­ti­lise, tout ce qui est sacré se trouve pro­fa­né ». Levez le rideau, sui­vez les mou­ve­ments des rouages de la machine et remon­tez à sa source, et vous trou­vez le moteur de notre civi­li­sa­tion : le mythe du progrès.

Le mythe du pro­grès est pour nous ce que le mythe de la prouesse guer­rière d’inspiration divine était pour les Romains, ou ce que le mythe du salut éter­nel était pour les conquis­ta­dors : sans lui, nous ne pour­rions pas avan­cer. Sur les racines de l’Occident chré­tien, les Lumières, à leur apo­gée, gref­fèrent une vision d’un para­dis ter­restre vers lequel l’effort humain, gui­dé par la rai­son mathé­ma­tique, pour­rait nous mener. Selon ce cre­do, chaque géné­ra­tion devait connaitre une vie meilleure que celle qui l’avait pré­cé­dée. L’histoire deve­nait un ascen­seur qui ne pou­vait que mon­ter. Au der­nier étage, on trou­ve­rait la per­fec­tion humaine. Mais il était impor­tant qu’il reste hors de por­tée, afin de garan­tir une impres­sion de mouvement.

Cepen­dant, l’histoire récente a quelque peu per­tur­bé ce méca­nisme. Le siècle der­nier a trop sou­vent eu l’air d’une des­cente aux enfers plu­tôt que d’un para­dis ter­restre. Et même au sein des socié­tés pros­pères et libé­rales de l’Occident, le pro­grès, de bien des manières, a échoué à tenir ses pro­messes. Les géné­ra­tions pré­sentes sont visi­ble­ment moins satis­faites et ain­si moins opti­mistes que celles qui les ont pré­cé­dées. Elles tra­vaillent de longues heures, d’une manière plus pré­caire, et avec moins de chance d’échapper au contexte social qui les a vues naître. Elles craignent le crime, l’éclatement social, le sur­dé­ve­lop­pe­ment, l’effondrement éco­lo­gique. Elles ne croient pas que le futur sera meilleur que le pas­sé. Indi­vi­duel­le­ment, ils sont moins limi­tés par les conven­tions de classe que leurs parents ou leurs grands-parents, mais plus limi­tés par la loi, la sur­veillance, la pros­crip­tion éta­tique et l’endettement. Leur san­té phy­sique est meilleure[1], mais leur san­té men­tale plus fra­gile. Per­sonne ne sait ce qui arrive. Per­sonne ne veut savoir.

Mais sur­tout, il se trouve une obs­cu­ri­té sous-jacente à tout ce que nous avons construit. Hors des villes, au-delà des fron­tières dif­fuses de notre civi­li­sa­tion, à la mer­ci des machines mais non sous leur contrôle, repose quelque chose que ni Marx ni Conrad, ni César ni Hume, ni That­cher ni Lénine, n’ont jamais com­pris. Quelque chose que la civi­li­sa­tion occi­den­tale — qui a posé les jalons de la civi­li­sa­tion mon­dia­li­sée — n’a jamais été en mesure de com­prendre, car le com­prendre aurait fata­le­ment sapé son mythe fon­da­teur. Cette chose sur laquelle repose notre fine couche de lave fon­due, qui nour­rit la machine et tous ceux qui la sou­tiennent, et qu’ils se sont tous per­sua­dés de ne pas voir.

II

La main coupée

Alors, quelle est la réponse ? Ne pas être éblouis par les rêves.
Savoir que les grandes civi­li­sa­tions se sont écrou­lées dans la violence,
et que leurs tyrans sont appa­rus, déjà de nom­breuses fois.
Lorsque la vio­lence ouverte appa­raît, l’éviter avec hon­neur et choisir
la moins mau­vaise fac­tion ; ces maux sont essentiels.
Gar­der son inté­gri­té, être misé­ri­cor­dieux et incorruptible,
ne pas sou­hai­ter le mal ; ne pas être dupé,
par les rêves de la jus­tice ou du bon­heur uni­ver­sels. Ces rêves
ne se réa­li­se­ront pas.
Le savoir, et savoir que peu importe à quel point les choses semblent horribles,
l’ensemble demeure splen­dide. Une main coupée
est une chose hor­rible et l’homme cou­pé de la terre et des étoiles
et de son his­toire… spi­ri­tuel­le­ment ou concrètement…
paraît sou­vent insup­por­ta­ble­ment hor­rible. L’intégrité est la complétude,
la plus grande beau­té est
la com­plé­tude bio­lo­gique, l’unicité de la vie et des choses, la beau­té divine
de l’univers. Aime cela, et non pas l’homme
cou­pé de cela, ou bien tu par­ta­ge­ras sa confu­sion pitoyable,
ou te noie­ras dans le déses­poir lorsque ses jours s’assombriront.

— Robin­son Jef­fers, La Réponse

Le mythe du pro­grès se fonde sur le mythe de la nature. Le pre­mier nous sug­gère que la gloire nous attend ; le second que la gloire ne coûte rien. Le pre­mier est indis­so­ciable du second. Tous deux nous racontent que nous sommes sépa­rés du monde ; que nous avons com­men­cé à grom­me­ler dans les marais pri­mi­tifs, en tant qu’humbles par­ti­ci­pants de ce que l’on appelle « nature », et que nous avons aujourd’hui triom­pha­le­ment domp­té. Le seul fait que nous ayons un mot pour dési­gner la « nature » témoigne du fait que nous ne nous consi­dé­rons pas en faire par­tie. Cette idée de sépa­ra­tion consti­tue un mythe néces­saire au triomphe de notre civi­li­sa­tion. Nous sommes, croyons-nous, la seule espèce ayant jamais atta­qué et vain­cu la nature. Telle est notre seule gloire.

Hors les cita­delles de notre auto­con­gra­tu­la­tion, des voix soli­taires s’élèvent depuis des siècles pour dénon­cer cette vision imma­ture de l’histoire humaine. Mais c’est seule­ment au cours des der­nières décen­nies que cette erreur est risi­ble­ment deve­nue mani­feste. Nous sommes la pre­mière géné­ra­tion à gran­dir cer­née par l’évidence, à savoir que notre ten­ta­tive de nous sépa­rer de la « nature » est un échec, qui prouve, non pas notre génie, mais notre hubris. Cette ten­ta­tive de cou­per la main et de la dis­so­cier du corps met en dan­ger le « pro­grès » que nous ché­ris­sons tant, et aus­si la « nature ». La tour­mente qui en résulte sous-tend les crises aux­quelles nous fai­sons face, désormais.

Nous nous per­ce­vons comme sépa­rés de la source de notre exis­tence. Les réper­cus­sions de cette erreur per­cep­tuelle sont tout autour de nous : un quart des mam­mi­fères du monde sont mena­cés d’extinction immi­nente ; un hec­tare de forêt tro­pi­cale est cou­pé chaque seconde ; 75 % des pêche­ries du monde sont au bord de l’effondrement ; on estime que d’ici 2048 les océans n’abriteront plus aucun pois­son ; 25 % des fleuves n’atteignent plus l’océan ; depuis moins de 60 ans, 90 % des grands pois­sons, 70 % des oiseaux marins et, plus géné­ra­le­ment, 52 % des ani­maux sau­vages, ont été anéan­tis ; chaque jour, deux cents espèces sont pré­ci­pi­tées dans les ténèbres éter­nelles de l’extinction. Même au tra­vers de la froi­deur des sta­tis­tiques, nous per­ce­vons les vio­lences aux­quelles nos mythes nous ont conduits.

Et, plus haut encore, au-des­sus de ce sombre tableau, plane l’ombre de l’emballement cli­ma­tique. De ce chan­ge­ment cli­ma­tique qui menace de rendre caduque tout pro­jet humain ; qui nous ren­voie en pleine figure la preuve for­melle de notre très mau­vaise com­pré­hen­sion du monde que nous habi­tons, tout en nous rap­pe­lant que nous dépen­dons tou­jours autant de lui. De ce chan­ge­ment cli­ma­tique qui illustre de manière dra­ma­tique le conflit qui existe entre la civi­li­sa­tion et la « nature » ; qui prouve, plus effi­ca­ce­ment qu’aucun argu­ment soi­gneu­se­ment construit ou qu’aucune mani­fes­ta­tion de défi opti­miste, à quel point les besoins de crois­sance de la machine requièrent que nous nous détrui­sions en son nom. De ce chan­ge­ment cli­ma­tique qui, fina­le­ment, nous rap­pelle notre impuissance.

Voi­là les faits, ou au moins quelques-uns. Cepen­dant, les faits ne racontent jamais toute l’histoire. (« Les faits, écri­vait Conrad, comme si les faits pou­vaient prou­ver quoi que ce soit. ») Les faits que nous enten­dons si sou­vent concer­nant les crises envi­ron­ne­men­tales dis­si­mulent autant qu’ils exposent. Et chaque jour on nous rap­porte les impacts de nos acti­vi­tés sur « l’environnement » (de même que la « nature », il s’agit d’une expres­sion qui nous dis­tance de la réa­li­té de notre situa­tion). Chaque jour, on nous rap­porte éga­le­ment les nom­breuses « solu­tions » à ces pro­blèmes : solu­tions qui impliquent habi­tuel­le­ment la néces­si­té d’accords poli­tiques urgents et d’une uti­li­sa­tion judi­cieuse du génie tech­no­lo­gique humain. Les choses changent peut-être, nous dit-on, mais il n’y a rien, ici, chers conci­toyens, que nous ne puis­sions gérer. Il nous faut aller de l’avant, plus rapi­de­ment encore. Il nous faut accé­lé­rer la cadence de la recherche et déve­lop­pe­ment. Il nous faut deve­nir plus « durables ». Mais tout ira bien. Il y aura tou­jours la crois­sance, il y aura tou­jours le pro­grès : ces choses conti­nue­ront, parce qu’il doit en être ain­si, elles ne peuvent faire que conti­nuer. Cir­cu­lez, il n’y a rien à voir. Tout ira bien.

*

Le « déni » est un mot lour­de­ment conno­té. Lorsqu’on l’utilise pour qua­li­fier ceux qui ne croient tou­jours pas au chan­ge­ment cli­ma­tique, ils objectent bruyam­ment en refu­sant d’être asso­ciés à ceux qui réécrivent l’histoire de l’Holocauste. Pour­tant, la ten­dance à se foca­li­ser sur ce groupe, qui fond comme neige au soleil, sert peut-être à nous dis­si­mu­ler une autre forme, bien plus répan­due, de déni, au sens psy­cha­na­ly­tique. Freud s’est inté­res­sé à cette capa­ci­té que nous avons de ne pas écou­ter et de ne pas entendre les choses qui ne confortent pas la manière dont nous nous per­ce­vons et dont nous per­ce­vons le monde. Nous pré­fé­rons nous livrer à toutes sortes de contor­sions internes plu­tôt que regar­der ces choses en face, qui remettent en ques­tion notre com­pré­hen­sion fon­da­men­tale du monde.

Aujourd’hui, l’humanité civi­li­sée tout entière est comme plon­gée dans les eaux troubles du déni concer­nant ce qu’elle a construit, et ce qui va lui arri­ver. Les effon­dre­ments éco­lo­gique et éco­no­mique se déroulent sous nos yeux et, lorsque nous les remar­quons, nous agis­sons comme s’il s’agissait d’un pro­blème tem­po­raire, d’un inci­dent tech­nique. Des siècles d’hubris cal­fatent nos oreilles comme des bou­chons de céru­men ; nous ne par­ve­nons pas à entendre le mes­sage que la réa­li­té nous hurle. Mal­gré nos doutes et nos malaises, nous sommes tou­jours sous l’emprise d’une idée de l’histoire selon laquelle le futur sera une ver­sion amé­lio­rée du pré­sent, selon laquelle les choses doivent conti­nuer à évo­luer dans la même direc­tion : le sen­ti­ment de crise ne fait qu’atténuer l’assurance de ce « doivent ». Et ce qui n’était qu’inéluctabilité natu­relle devient néces­si­té urgente : nous devons trou­ver une manière de conti­nuer à avoir des super­mar­chés et des auto­routes. Nous ne par­ve­nons pas à contem­pler l’alternative.

Nous nous trou­vons ain­si, tous ensemble, à trem­bler au bord du pré­ci­pice d’un chan­ge­ment si mas­sif que nous n’avons aucun moyen de le jau­ger. Aucun d’entre nous ne sait où regar­der, mais tous nous évi­tons de regar­der en bas. Secrè­te­ment, nous pen­sons tous être condam­nés : même les poli­ti­ciens le pensent, et même les éco­lo­gistes. Cer­tains d’entre nous se soignent en fai­sant du shop­ping. D’autres en espé­rant que cela advienne. D’autres s’abandonnent au déses­poir. Et d’autres tra­vaillent fié­vreu­se­ment à essayer de se pré­pa­rer à la tem­pête qui vient.

Notre ques­tion est la sui­vante : que se pas­se­rait-il si nous regar­dions en bas ? Serait-ce aus­si dra­ma­tique que nous sem­blons le croire ? Que ver­rions-nous ? Cela pour­rait-il être bon pour nous ?

Il est temps de regarder.

III

Incivilisation

Sans mys­tère, sans curio­si­té et sans la forme qu’impose une réponse par­tielle, il ne peut y avoir d’histoire — seule­ment des confes­sions, des com­mu­ni­qués, des sou­ve­nirs et des frag­ments de fan­tai­sie auto­bio­gra­phique qui, pour l’instant, passent pour des romans.

— John Ber­ger, ‘A Sto­ry for Aesop’, from Kee­ping a Rendezvous
[« Une his­toire pour Ésope », tiré de « Gar­der un rendez-vous »] 

Si nous vacillons effec­ti­ve­ment au bord du pré­ci­pice d’un chan­ge­ment colos­sal dans la manière dont nous vivons, dont la socié­té humaine elle-même se construit, et dans nos rap­ports au monde, ce sont les his­toires que nous nous racon­tons qui nous ont menés là — et notam­ment l’histoire de la civilisation.

Cette his­toire se raconte de dif­fé­rentes façons, reli­gieuse et sécu­lière, scien­ti­fique, éco­no­mique et mys­tique. Mais toutes parlent de la manière dont l’humanité a trans­cen­dé ses ori­gines ani­males, de notre mai­trise crois­sante de la « nature » à laquelle nous n’appartenons plus, et du futur glo­rieux d’abondance et de pros­pé­ri­té que nous pro­met sa mai­trise com­plète. Il s’agit de l’histoire de la cen­tra­li­té humaine, d’une espèce des­ti­née à domi­ner tout ce qu’elle ren­contre, affran­chie des limites qui s’appliquent aux autres créa­tures, jugées inférieures.

Ce qui la rend dan­ge­reuse, c’est d’abord, pour la plu­part, que nous avons oublié qu’il s’agissait d’une his­toire. Elle nous a été contée tant de fois par ceux qui se consi­dèrent comme ration­nels, et même scien­ti­fiques, dépo­si­taires de l’héritage des Lumières — héri­tage qui inclut le déni du rôle des his­toires dans la fabrique de notre monde.

Les humains ont tou­jours vécu au tra­vers d’histoires. Ceux qui étaient doués pour en racon­ter étaient trai­tés avec res­pect, et sou­vent, même, avec une cer­taine méfiance. Au-delà des limites de la rai­son, la réa­li­té demeure mys­té­rieuse, aus­si dif­fi­cile à appro­cher de manière directe que la proie d’un chas­seur. À l’aide des his­toires, de l’art, des sym­boles et des signi­fi­ca­tions, nous tra­quons ces aspects sub­tils de la réa­li­té qui demeurent insoup­çon­nés dans notre phi­lo­so­phie. Les conteurs tissent le numi­neux dans la fabrique de la vie, en l’associant avec le comique, le tra­gique, l’obscène, fai­sant ain­si appa­raître des che­mins plus sûrs pour tra­ver­ser un ter­ri­toire dangereux.

Pour­tant, à mesure que le mythe de la civi­li­sa­tion conso­li­dait son emprise sur notre pen­sée, en emprun­tant les appa­rences de la science et de la rai­son, nous com­men­çâmes à nier le rôle des his­toires, à déni­grer leur pou­voir comme rele­vant de quelque gros­siè­re­té pri­mi­tive, infan­tile, dépas­sée. Les vieux contes grâce aux­quels de si nom­breuses géné­ra­tions avaient sai­si le sens des sub­ti­li­tés et des étran­ge­tés de la vie furent expur­gés et confi­nés à la crèche. La reli­gion, ce sac de mythes et de mys­tères, ber­ceau du théâtre, fut dépous­sié­rée et nor­ma­li­sée de manière à s’inscrire dans un cadre de lois uni­ver­selles et de comp­ta­bi­li­té morale. Les visions oni­riques du Moyen Âge réduites aux his­toires absurdes de l’enfance vic­to­rienne. À l’âge du roman, les his­toires n’étaient plus la manière appro­priée d’approcher les véri­tés pro­fondes de l’existence, mais plu­tôt un moyen de pas­ser le temps durant qu’on pre­nait le train. Dif­fi­cile, aujourd’hui, d’imaginer qu’autrefois les mots des poètes pou­vaient faire trem­bler les rois.

Tou­te­fois, les his­toires conti­nuent de façon­ner notre monde. À tra­vers la télé­vi­sion, les films, les romans et les jeux-vidéo, nous sommes bien plus gavés de nar­ra­tifs que tous ceux qui nous ont pré­cé­dés. L’étrange, cepen­dant, est la négli­gence avec laquelle ces his­toires nous sont com­mu­ni­quées — en tant que diver­tis­se­ment, que dis­trac­tion de la vie quo­ti­dienne, visant à rete­nir notre atten­tion jusqu’à la pro­chaine page de publi­ci­té. Rien ne sug­gère que ces choses consti­tuent l’équipement nous per­met­tant de navi­guer à tra­vers la réa­li­té. Mais de l’autre côté, on retrouve les his­toires sérieuses que nous racontent les éco­no­mistes, les poli­ti­ciens, les géné­ti­ciens et les diri­geants d’entreprise. Celles-ci ne nous sont abso­lu­ment pas pré­sen­tées comme des his­toires, mais comme des témoi­gnages directs de la réa­li­té du monde. Choi­sis­sez une des ver­sions concur­rentes qui nous sont pro­po­sées, puis com­bat­tez ceux qui en choi­sissent une autre. Le conflit que cela génère se joue chaque matin à la radio, et lors des joutes d’experts des débats télé­vi­sés du soir et de l’après-midi. Mais mal­gré leurs sima­grées et la bruyance de leurs oppo­si­tions, il est frap­pant de consta­ter à quel point les dif­fé­rents camps s’accordent : leurs dif­fé­rents points de vue ne sont que des varia­tions sur le thème com­mun de la cen­tra­li­té humaine, de notre mai­trise crois­sante de la « nature », de notre droit à une crois­sance éco­no­mique infi­nie, de notre capa­ci­té à trans­cen­der toutes les limites.

Ain­si, à cause de cette his­toire erro­née, nous trou­vons-nous pié­gés par un nar­ra­tif hors de contrôle, en route vers les pires retrou­vailles pos­sibles avec la réa­li­té. Dans un tel moment, les écri­vains, les artistes, les poètes et les conteurs de toutes sortes ont un rôle cri­tique à jouer. La créa­ti­vi­té demeure la plus incon­trô­lable des forces humaines : sans elle, le pro­jet de la civi­li­sa­tion serait incon­ce­vable, et pour­tant aucun autre aspect de notre vie ne demeure aus­si indomp­té et indo­mes­ti­qué. Les mots et les images peuvent cham­bou­ler les esprits, les cœurs et même le cours de l’histoire. Leurs créa­teurs façonnent des his­toires que les gens portent dans leurs vies, en déterrent des anciennes afin de les ravi­ver, de leur ajou­ter des rebon­dis­se­ments — parce qu’elles doivent tou­jours être renou­ve­lées, en par­tant de notre contexte.

L’art grand public, en Occi­dent, consiste depuis long­temps à cho­quer, à bri­ser des tabous, à se faire remar­quer. Cela dure depuis si long­temps qu’il est deve­nu cou­rant d’affirmer qu’en ces temps iro­niques, épui­sés, post-presque-tout, il n’y a plus aucun tabou à abattre. Seule­ment, il en reste un.

Ce der­nier tabou, c’est le mythe de la civi­li­sa­tion. Il repose sur les his­toires que nous avons conçues concer­nant notre génie, notre indes­truc­ti­bi­li­té, notre Des­ti­née Mani­feste en tant qu’espèce élue. Il est là où notre vision, notre hubris et notre refus irres­pon­sable de faire face à la réa­li­té de notre place sur Terre se rejoignent. Il a per­mis à l’espèce humaine d’accomplir ce que l’on peut consta­ter, et a conduit la pla­nète à l’âge de l’écocide. Les deux sont inti­me­ment liés. Nous pen­sons qu’ils doivent être déliés si nous devons avoir une chance que quelque chose survive.

Nous pen­sons que les « artistes » — qui consti­tue pour nous le plus sym­pa­thique de tous les mots, qui regroupe les écri­vains de toutes sortes, les peintres, les musi­ciens, les sculp­teurs, les poètes, les modé­listes, les créa­teurs, les fabri­cants de choses, les rêveurs de rêves — ont une res­pon­sa­bi­li­té dans l’amorçage de ce pro­ces­sus de dénoue­ment. Nous pen­sons qu’à l’âge de l’écocide, le der­nier tabou doit être bri­sé — et que seuls les artistes peuvent le faire.

L’écocide exige une réponse. Cette réponse est trop cru­ciale pour être lais­sée aux poli­ti­ciens, aux éco­no­mistes, aux pen­seurs concep­tuels, aux dévo­reurs de chiffres ; trop enva­his­sante pour être lais­sée aux acti­vistes ou aux mili­tants. Nous avons besoin des artistes. Cepen­dant, jusqu’ici, la réponse artis­tique est inexis­tante. Entre la tra­di­tion­nelle poé­sie de la nature et l’agitprop, que trouve-t-on ? Où sont les poèmes ayant ajus­té leur por­tée à la mesure de ce défi ? Où sont les romans qui explorent par-delà la mai­son de cam­pagne ou le centre-ville ? Une nou­velle manière d’écrire a‑t-elle vu le jour afin de défier la civi­li­sa­tion elle-même ? Une gale­rie d’art pro­pose-t-elle une expo­si­tion à la hau­teur de cette épreuve ? Un musi­cien a‑t-il décou­vert l’accord secret ?

Si les réponses à ces ques­tions sont, jusque-là, insuf­fi­santes, c’est peut-être à cause de la pro­fon­deur de notre déni col­lec­tif, et du carac­tère effrayant de ce défi. Qui nous effraie nous aus­si. Seule­ment, il doit être affron­té. L’art doit regar­der par-delà le pré­ci­pice, faire face au monde qui vient d’un œil déter­mi­né, et rele­ver le défi de l’écocide en recou­rant à un autre défi : une réponse artis­tique à l’effondrement des empires de l’esprit.

*

Cette réponse, nous l’appelons l’art Inci­vi­li­sé, et une de ses branches nous inté­resse tout par­ti­cu­liè­re­ment : l’écriture Inci­vi­li­sée. L’écriture Inci­vi­li­sée est une écri­ture qui tente de sor­tir du dôme humain et de nous consi­dé­rer comme nous sommes : des singes dotés d’un éven­tail de talents et de capa­ci­tés que nous déployons de manière irres­pon­sable, sans assez de réflexion, de contrôle, de com­pas­sion ou d’intelligence. Des singes qui ont construit un mythe sophis­ti­qué concer­nant leur propre impor­tance, afin de sou­te­nir leur pro­jet civi­li­sa­teur. Des singes dont le pro­jet est de domp­ter, de contrô­ler, de sou­mettre ou de détruire — de civi­li­ser les forêts, les déserts, les ter­ri­toires sau­vages et les mers, d’imposer des obli­ga­tions aux esprits de leurs congé­nères afin qu’ils puissent demeu­rer insen­sibles tout en exploi­tant ou en détrui­sant leurs coha­bi­tants terriens.

Contre le pro­jet civi­li­sa­teur et l’écocide qu’il engendre, l’écriture Inci­vi­li­sée ne pro­pose pas une pers­pec­tive non humaine — nous demeu­rons humains et, même avec ce qui se passe, nous n’en avons pas honte — mais une pers­pec­tive qui nous per­çoit comme un des innu­mé­rables fils de la tapis­se­rie du vivant plu­tôt que comme le pre­mier palan­quin d’une glo­rieuse pro­ces­sion. Elle pro­pose de regar­der sans bron­cher les forces par­mi les­quelles nous évoluons.

Elle s’emploie à peindre un por­trait d’Homo sapiens qu’un être d’un autre monde ou, mieux, de notre monde — une baleine bleue, un alba­tros, un renard roux — pour­rait consi­dé­rer comme vrai­ment res­sem­blant. À détour­ner notre atten­tion de nous-mêmes afin que l’on se tourne vers l’extérieur, à décen­trer nos esprits. Il s’agit, pour faire court, d’une écri­ture qui met la civi­li­sa­tion — et nous-mêmes — en pers­pec­tive. D’une écri­ture qui émane non pas, ain­si que la plu­part des écrits, des centres métro­po­li­tains auto­cen­trés et auto­sa­tis­faits de la civi­li­sa­tion, mais d’ailleurs, du dehors, de ses péri­phé­ries sau­vages. De ces endroits arbo­rés, rem­plis de mau­vaises herbes, et lar­ge­ment évi­tés, d’où l’on per­çoit ces véri­tés incon­for­tables nous concer­nant, ces véri­tés qu’il nous déplait d’entendre. D’une écri­ture qui s’emploie vigou­reu­se­ment à nous remettre à notre place, peu importe à quel point cela nous embarrasse.

Il pour­rait être tout aus­si utile d’étayer un peu ce que l’écriture Inci­vi­li­sée n’est pas. Elle n’est pas l’écriture éco­lo­giste, qui abonde d’ores et déjà, qui échoue la plu­part du temps à pas­ser outre les bar­rières qui déli­mitent notre ego civi­li­sé col­lec­tif, et qui finit le plus sou­vent par l’exalter davan­tage, ali­men­tant ain­si nos illu­sions civi­li­sées col­lec­tives. Elle n’est pas l’écriture natu­ra­liste, puisque la nature n’est pas dis­tincte des humains. Et elle n’est pas l’écriture poli­tique, qui inonde déjà notre monde, parce que la poli­tique est une créa­tion humaine, com­plice de l’écocide et qui pour­rit de l’intérieur.

L’écriture Inci­vi­li­sée est plus radi­cale que toutes celles-là. Par-des­sus-tout, elle est déter­mi­née à dérou­ter notre vision du monde, et non pas à l’alimenter. Il s’agit de l’écriture des mar­gi­naux. Si votre but est d’être aimé, mieux vaut ne pas vous y aven­tu­rer, car la majo­ri­té, au moins pour un temps, refu­se­ra fer­me­ment d’écouter. En témoigne le sort d’un des plus impor­tants et des plus négli­gés des poètes du ving­tième siècle. Robin­son Jef­fers écri­vait, sans les qua­li­fier ain­si, des vers Inci­vi­li­sés soixante-dix ans avant que ce mani­feste soit ima­gi­né. Au début de sa car­rière de poète, Jef­fers était une star : il appa­rais­sait sur la cou­ver­ture du Time maga­zine, lisait ses poèmes dans la biblio­thèque du Congrès, et était res­pec­té pour l’alternative qu’il offrait face au mas­to­donte moder­niste. Aujourd’hui, son tra­vail est igno­ré des antho­lo­gies, son nom, à peine connu, et ses pers­pec­tives, consi­dé­rées avec sus­pi­cion. Lisez ses der­nières œuvres et vous com­pren­drez pour­quoi. Son crime fut de ten­ter, déli­bé­ré­ment, de per­fo­rer la bau­druche enflée de l’égo civi­li­sé. Sa puni­tion, d’être condam­né aux oubliettes lit­té­raires d’où, qua­rante ans après sa mort, il n’a tou­jours pas été auto­ri­sé à sortir.

Mais Jef­fers savait dans quoi il s’embarquait. Il savait que per­sonne, à l’ère du « choix du consom­ma­teur », ne vou­lait entendre un pro­phète des falaises cali­for­niennes affir­mer qu’il « est bon pour l’homme […] de savoir que ses besoins et sa nature n’ont pas plus chan­gés en dix mille ans que les becs des aigles ». Il savait qu’aucun libé­ral exal­té ne vou­drait entendre ces aver­tis­se­ments cin­glants, publiés à l’apogée de la Seconde Guerre mon­diale : « Méfiez-vous des dupes qui parlent de démo­cra­tie / Et des chiens qui parlent de révo­lu­tion / Des ora­teurs ivres, des men­teurs et des croyants […] / Longue vie à la liber­té, et mau­dites soient les idéo­lo­gies ». Sa vision d’un monde dans lequel l’humanité était condam­née à détruire son milieu et ulti­me­ment, à se détruire elle-même (« Je brû­le­rais ma main droite dans un feu lent / Pour chan­ger l’avenir […] Je serais dérai­son­nable ») fut ver­te­ment reje­tée, en ces débuts de l’ère de la démo­cra­tie consu­mé­riste, qu’il pré­di­sait éga­le­ment (« Soyez heu­reux, ajus­tez votre por­te­feuille à la nou­velle abondance […] »).

À mesure que sa poé­sie se déve­lop­pait, Jef­fers déve­lop­pait éga­le­ment une phi­lo­so­phie. Il l’appela « inhu­ma­nisme ». Elle consis­tait, écrivait-il :

« En un dépla­ce­ment de l’emphase et de l’importance de l’humain vers le non-humain : le rejet du solip­sisme humain et la recon­nais­sance de la magni­fi­cence supra­hu­maine […]. Cette manière de pen­ser et de res­sen­tir n’est ni misan­thrope ni pes­si­miste […]. Elle pro­pose un déta­che­ment rai­son­nable comme règle de conduite, au lieu de l’amour, de la haine et de la convoi­tise […], elle pro­cure la magni­fi­cence de l’instinct reli­gieux, et satis­fait nos besoins de contem­pler la gran­deur et de se réjouir de la beauté. »

Le dépla­ce­ment de l’emphase depuis l’humain vers le non-humain : tel est l’objectif de l’écriture Inci­vi­li­sée. Pour « inhu­ma­ni­ser un peu nos pers­pec­tives, et deve­nir confiants / Comme le rocher et l’océan qui nous ont engen­drés ». Il ne s’agit pas d’un rejet de notre huma­ni­té — mais d’une affir­ma­tion du miracle que consti­tue le fait d’être plei­ne­ment humain. Cela consiste à accep­ter le monde pour ce qu’il est et d’enfin en faire notre mai­son, plu­tôt que de rêver d’une délo­ca­li­sa­tion stel­laire, ou d’exister sous un dôme de fabri­ca­tion humaine et de pré­tendre qu’il n’y a rien — ni per­sonne — en-dehors, avec quoi — ou qui — nous serions liés.

Voi­là donc le défi lit­té­raire de notre époque. Jusqu’à pré­sent, peu s’y sont essayés. Les signes des temps virent tous au rouge écla­tant, mais nos som­mi­tés de lettres ont plus impor­tant à lire. Leur art reste confi­né sous le dôme civi­li­sé. L’idée de civi­li­sa­tion s’inscrit, depuis ses racines éty­mo­lo­giques, dans le phé­no­mène urbain, ce qui sou­lève la ques­tion sui­vante : si nos écri­vains semblent inca­pables de trou­ver de nou­velles his­toires à même de nous gui­der dans les temps qui viennent, n’est-ce pas le résul­tat de leur men­ta­li­té métro­po­li­taine ? Les grands noms de la lit­té­ra­ture contem­po­raine sont aus­si bien chez eux dans les quar­tiers hup­pés de Londres que dans ceux de New-York, leurs écrits reflètent les pré­ju­gés des déra­ci­nés, de l’élite trans­na­tio­nale à laquelle ils appartiennent.

L’inverse est aus­si vrai. Ces voix qui racontent une autre his­toire ont ten­dance à éma­ner d’un sens de l’appartenance au lieu. Ain­si des romans et des essais de John Ber­ger et de la Haute-Savoie, ou des pro­fon­deurs explo­rées par Alan Gar­ner dans un rayon d’une jour­née de marche de son lieu natal dans le com­té de Che­shire. Ou de Wen­dell Ber­ry ou de WS Mer­win, de Mary Oli­ver ou de Cor­mac McCar­thy. Ceux dont les écrits approchent les rives de l’Incivilisation sont ceux qui connaissent leur place, au sens phy­sique, et qui se méfient des cris de sirène de la mode cita­dine et de l’effervescence civilisée.

Si nous citons quelques écri­vains par­ti­cu­liers dont les tra­vaux illus­trent ce que nous défen­dons, ce n’est pas dans l’optique de les situer d’une manière pres­ti­gieuse sur la carte exis­tante des répu­ta­tions lit­té­raires. Il s’agit plu­tôt, ain­si que Geoff Dyer le disait de John Ber­ger, de prendre leur tra­vail au sérieux afin de redes­si­ner entiè­re­ment la carte — non seule­ment la carte des répu­ta­tions lit­té­raires, mais éga­le­ment toutes celles qui nous servent à navi­guer à tra­vers l’existence.

Et même en la matière, nous res­tons pru­dents, la car­to­gra­phie n’est pas non plus une acti­vi­té neutre. L’idée de tra­cer des cartes fait écho à un lourd pas­sé colo­nial. L’œil civi­li­sé cherche à obser­ver le monde depuis l’espace, comme quelque chose que l’on dépasse et que l’on sur­veille. L’écrivain Inci­vi­li­sé com­prend que le monde est plu­tôt une chose à laquelle nous appar­te­nons — une mosaïque de lieux, d’expériences, de vues, d’odeurs, de sons. Les cartes peuvent gui­der, mais aus­si éga­rer. Nos cartes doivent être de celles que l’on des­sine par terre à l’aide d’un bâton, et que la pluie efface. Elles ne peuvent être lues que par ceux qui demandent à les voir, et elles ne s’achètent pas.

Voi­là, fina­le­ment, ce qui consti­tue l’écriture Inci­vi­li­sée. Humaine, inhu­maine, stoïque et entiè­re­ment natu­relle. Humble, inter­ro­geante, sus­pi­cieuse des grandes idées et des réponses faciles. Che­mi­nant sur les crêtes et revi­si­tant de vieilles conver­sa­tions. À part mais enga­gée, ses pra­ti­quants sont tou­jours prêts à mettre les mains dans la terre ; conscients, d’ailleurs, que la terre est essen­tielle ; que sur les touches des cla­viers ne devraient taper que ceux dont les ongles sont ter­reux et les esprits impré­gnés de sauvage.

Nous avons essayé de domi­ner le monde ; nous avons ten­té d’agir comme les inten­dants de Dieu et, enfin, nous avons ten­té de faire adve­nir la révo­lu­tion huma­niste, l’âge de la rai­son et de la sépa­ra­tion. Dans tout cela, nous avons échoué, et notre échec a détruit bien plus que le peu que nous per­ce­vions. La civi­li­sa­tion appar­tient au pas­sé. L’Incivilisation, qui com­prend ses défauts puisqu’elle y a par­ti­ci­pé ; qui regarde les choses en face et mord aus­si ver­te­ment qu’elle rap­porte ce qu’elle voit — voi­là le pro­jet dans lequel nous devons désor­mais nous inves­tir. Voi­là le défi que l’écriture — que l’art — doit rele­ver. Voi­là pour­quoi nous sommes là.

 

IV

Aux contreforts !

L’élan vital d’un bois vernal
Peut vous apprendre plus de l’homme,
Du bien et du mal,
Que tous les sages.

— William Word­sworth, ‘The Tables Tur­ned’ / Les temps basculent

Tout mou­ve­ment a besoin d’un début. Toute expé­di­tion, d’un camp de base. Tout pro­jet, d’un quar­tier géné­ral. Notre pro­jet, l’Incivilisation, qui com­prend la pro­mo­tion de l’écriture — et de l’art — Inci­vi­li­sée, requiert une base. Nous pro­po­sons ce mani­feste, non seule­ment parce que nous avons quelque chose à dire — comme beau­coup — mais éga­le­ment parce que nous avons quelque chose à faire. Nous espé­rons que ce pam­phlet a allu­mé une flamme. Si tel est le cas, nous nous devons de l’attiser. Et c’est ce que nous comp­tons faire. Mais nous n’y arri­ve­rons pas seuls.

Voi­ci venu le moment de poser les ques­tions pro­fondes et de les poser urgem­ment. Tout autour de nous, des chan­ge­ments sont en cours qui sug­gèrent que notre mode de vie com­mence à deve­nir obso­lète. Il est temps de par­tir à la recherche de nou­velles voies et de nou­velles his­toires, à même de nous gui­der à tra­vers ces temps de fin du monde tel que nous le connais­sons, et au-delà. Nous pen­sons qu’en ques­tion­nant les fon­da­tions de la civi­li­sa­tion, le mythe de la cen­tra­li­té humaine, de notre sépa­ra­tion ima­gi­naire, nous trou­ve­rons de telles voies.

Hors les enceintes que nous avons bâties — les murs des villes, ces signes ori­gi­nels, en pierre ou en bois, de la sépa­ra­tion de « l’homme » et de « la nature ». Au-delà des portes, vers le sau­vage, voi­là où nous allons. Et même là, il nous fau­dra viser les hau­teurs, étant don­né, ain­si que l’a écrit Jef­fers, que « lorsque les villes reposent aux pieds du monstre / Il reste les mon­tagnes ». Nous effec­tue­rons notre pèle­ri­nage en direc­tion de la mon­tagne sombre du poète, vers les hauts som­mets, immuables, de l’inhumanité, qui étaient là avant nous et seront là après et, depuis leurs flancs, nous obser­ve­rons les minus­cules lumières des villes au loin afin de com­prendre qui nous sommes et ce que nous sommes devenus.

Voi­là le pro­jet de la mon­tagne sombre. Voi­là où il débute.

Où il fini­ra ? Per­sonne ne sait. Où il mène­ra ? Nous ne sommes pas sûrs. Sa pre­mière incar­na­tion, en plus de ce mani­feste, est un site inter­net, qui indique la direc­tion des mon­tagnes. Il contien­dra des pen­sées, des notes, des idées ; il pré­pa­re­ra le pro­jet de l’Incivilisation en pro­po­sant aux nou­veaux venus de rejoindre la discussion.

Et puis il devien­dra un objet phy­sique, la réa­li­té vir­tuelle n’ayant, au bout du compte, rien de réel. Il devien­dra un jour­nal papier, des cartes, des tableaux et des gra­vures ; d’idées, de pen­sées, d’observations, de mur­mures ; de nou­velles his­toires qui aide­ront à défi­nir le pro­jet — l’école, le mou­ve­ment — de l’écriture Inci­vi­li­sée. Il col­lec­te­ra les mots et les images de ceux qui se consi­dèrent Inci­vi­li­sés et qui veulent en par­ler ; qui veulent nous aider à atta­quer les cita­delles. Il sera beau pour l’œil, pour le cœur et pour l’esprit, puisque nous sommes assez archaïques pour croire que la beau­té — comme la véri­té — existe, mais aus­si qu’elle importe.

Au-delà… le reste est à décou­vrir. Le che­min est long à tra­vers les plaines, et les choses deviennent indis­tinctes avec la dis­tance. Il reste de grands espaces vierges sur cette carte. Les civi­li­sés vou­draient les rem­plir ; nous ne le sou­hai­tons pas. Mais nous ne résis­tons pas à les explo­rer, en navi­gant, au gré des rumeurs et des étoiles. Nous ne savons pas exac­te­ment ce que nous trou­ve­rons. Cela nous rend quelque peu ner­veux. Mais nous ne ferons pas demi-tour. Nous pen­sons que quelque chose d’immense attend là, dehors, d’être trouvé.

L’Incivilisation, comme la civi­li­sa­tion, n’est pas quelque chose que l’on peut créer seul. L’ascension de la mon­tagne sombre ne peut être un exer­cice soli­taire. Nous avons besoin de por­teurs, de sher­pas, de guides, de com­pa­gnons d’aventure. Nous devons nous encor­der ensemble, pour plus de sécu­ri­té. Pour le moment, notre struc­ture est amorphe et nébu­leuse. Elle se raf­fer­mi­ra au cours de la marche. Comme les meilleurs écrits, nous devons être façon­nés par le sol sous nos pieds, et ce que nous devien­drons sera for­mé, au moins en par­tie, de ce que nous décou­vri­rons en chemin.

Si cela vous inté­resse de mar­cher avec nous, au moins un bout de che­min, nous aime­rions avoir de vos nou­velles. Nous sommes per­sua­dés qu’il y en a d’autres, dehors, qui appré­cie­raient de par­ti­ci­per à cette expédition.

Venez. Joi­gnez-vous à nous. Nous par­tons à l’aube.

Les huit principes de l’Incivilisation

« Nous devons inhu­ma­ni­ser un peu nos pers­pec­tives, et deve­nir confiants
Comme le rocher et l’océan qui nous ont engendrés. »

  1. Nous vivons une époque de désa­gré­ga­tion sociale, éco­no­mique et éco­lo­gique. Tout autour de nous sont des signes de ce que notre mode de vie, dans son inté­gra­li­té, com­mence déjà à deve­nir obso­lète. Nous affron­te­rons cette réa­li­té hon­nê­te­ment et appren­drons à vivre avec.
  2. Nous reje­tons la foi qui vou­drait que les crises conver­gentes de notre temps puissent être réduites à une série de « pro­blèmes » appe­lant des « solu­tions » tech­no­lo­giques ou politiques.
  3. Nous pen­sons que les racines de ces crises plongent dans les his­toires que nous nous racon­tons. Nous comp­tons défier ces his­toires qui sou­tiennent notre civi­li­sa­tion : le mythe du pro­grès, le mythe de la cen­tra­li­té humaine, et le mythe de notre sépa­ra­tion de la « nature ». Ces mythes sont d’autant plus dan­ge­reux que nous avons oublié qu’ils en étaient.
  4. Nous réaf­fir­me­rons le rôle du récit en tant que force dépas­sant lar­ge­ment le seul diver­tis­se­ment. C’est au tra­vers des his­toires que nous tis­sons la réalité.
  5. Les humains ne sont ni le centre ni la rai­son d’être de la pla­nète. Notre art com­men­ce­ra par ten­ter de sor­tir du dôme de la civi­li­sa­tion. Avec une grande atten­tion, nous nous réin­ves­ti­rons avec le monde non humain.
  6. Nous célè­bre­rons l’écriture et l’art ancrés dans un sens du lieu et du temps. Notre lit­té­ra­ture est depuis trop long­temps domi­née par ceux qui habitent les cita­delles cosmopolites.
  7. Nous ne nous per­drons pas dans l’élaboration de théo­ries ou d’idéologies. Nos mots seront élé­men­taires. Nous écri­rons d’ailleurs avec la terre qu’il y aura sous nos ongles.
  8. La fin du monde tel que nous le connais­sons n’est pas la fin du monde. Ensemble, nous trou­ve­rons l’espoir au-delà de l’espoir, les che­mins qui mènent au monde incon­nu que l’on a devant nous.

Notes :

  1. Une affir­ma­tion cer­tai­ne­ment dis­cu­table, qui me semble même sim­ple­ment fausse. Selon toute pro­ba­bi­li­té, la san­té phy­sique des civi­li­sés, séden­taires, nour­ris à l’alimentation indus­trielle, sur­mé­di­ca­li­sés, phy­si­que­ment inac­tifs, etc., est vrai­sem­bla­ble­ment moins bonne que celle des géné­ra­tions pré­cé­dentes. Seule l’espérance de vie a aug­men­té, mais il s’agit d’un indi­ca­teur quan­ti­ta­tif et non qua­li­ta­tif. Ain­si que Sénèque le remar­quait déjà en son temps : « Pas un ne se demande s’il vit bien, mais s’il aura long­temps à vivre. Cepen­dant tout le monde est maître de bien vivre ; nul, de vivre long­temps. » C’est pour­quoi : « L’essentiel est une bonne et non une longue vie. » Voir : https://partage-le.com/2017/09/une-breve-contre-histoire-du-progres-et-de-ses-effets-sur-la-sante-de-letre-humain/, NdT.

 

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  1. Bon­jour et mer­ci Nico­las C pour ce tra­vail de tra­duc­tion qui non seule­ment m’ins­pire à réflexion et m’a per­mis de décou­vrir Robi­son Jef­fers a tra­vers sont unique œuvre publier en fran­çais « Le dieu sau­vage du monde ». J’ai décou­vert votre site depuis peu et j’a­voue avoir un cer­tain plai­sir a vous lire. Cette cri­tique radi­cal de l’é­co­lo­gie bien trop absente dans les médias y com­pris ceux qui se pré­tendent alter­na­tif, me semble aujourd’hui plus que jamais d’ac­tua­li­té et néces­saire. Je par­tage a tra­vers vos publi­ca­tions un bon nombre de réflexions qui me servent de bous­sole pour avan­cer dans le chaos de cette socié­tés en voie d’effondrement.

  2. Ce mani­feste est très intéressant.
    Cepen­dant je viens d’al­ler sur le site du pro­jet Dark Moun­tain, et quelle décep­tion de voir que pour un mou­ve­ment qui se veut aus­si en marge, il faille payer pour lire les œuvres… Non pas que 3£ soient exces­sifs, dans le prin­cipe même je trouve cela moyen­ne­ment intègre à toute la pen­sée du mouvement.

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