Nous sommes le 11 novembre 2018, et ce sont quelque 72 chefs d’État et de gouvernement qui sont réunis à Paris pour célébrer le centenaire de la fin de la Première Guerre mondiale. L’hypocrisie est insupportable, quand on sait que ce massacre à entre autres choses été organisé, délibérément, par les classes dominantes, pour conjurer la menace de la révolution sociale (et nationale dans certaines situations) et mettre fin au processus de démocratisation en cours dans les puissances occidentales.
En 1915, depuis la prison où elle était enfermée pour incitation à la désobéissance, Rosa Luxembourg écrivait dans son journal :
« La guerre entre les nations est venue imposer la lutte des classes, le combat fratricide du prolétariat, massacre d’une ampleur sans précédent. Ces millions de morts, neuf sur dix sont des ouvriers et des paysans, c’est une guerre inédite, industrielle, déclenchée au nom du nationalisme mais menée pour la domination des marchés. Cette guerre ouvre en vérité la voie à la mondialisation du capital, à la conversion de toute richesse , de tout moyen de production en marchandise et en action boursière. Elle transforme les êtres en matériel humain. C’est l’avenir d’un socialisme humaniste que cette guerre est en train de détruire ».
Mon ami Fausto Giudice écrit :
« Ainsi donc, en ce dimanche 11 novembre 2018, 80 chefs d’État et de gouvernement, invités par Emmanuel Macron, vont célébrer la fin de la Grande Guerre de 14–18 aux pieds de l’Arc de Triomphe à Paris. Parmi les absents à la cérémonie, les descendants de tirailleurs sénégalais qui n’ont pas obtenu de visa, pour cause de “risque migratoire”. Il y aura d’autres absents à cette cérémonie : les peuples martyrs de la Grande Boucherie qui lança le XXème siècle et son cortège d’horreurs – guerres, massacres, génocides, épidémies. On dit généralement que la Première Guerre mondiale fit environ 19 millions de morts. On oublie la pandémie de grippe qui suivit immédiatement la guerre et fit entre 50 et 100 millions de morts, avant tout des jeunes adultes, de la Chine et de l’Inde aux USA en passant par l’Europe. Et on a bien sûr oublié les milliers de soldats fusillés par leurs propres frères d’armes, sur ordre de leurs commandants, à commencer par le “grand soldat”, Philippe Pétain, dont le nom seul résume toute l’infamie française. Les mille soldats de l’Empire français “fusillés pour l’exemple”, les milliers de soldats de l’Empire britannique, de l’Empire allemand, de l’Empire austro-hongrois, de l’Empire russe, de l’Empire ottoman, du Royaume d’Italie qui subirent le même sort pour avoir refusé de se battre, sont les seuls vrais héros de cette sale histoire. Consacrons-leur une minute de silence. »
À ce sujet, il faut voir l’excellent documentaire 14–18 : refuser la guerre :
Cette perspective est aussi celle de Daniel Mermet, qu’il formule dans un billet publié sur le site de Là-bas :
« Nous, nos héros, nos résistants, sont les 15 000 qui désertèrent chaque année, ce sont d’abord les mutins, les milliers de mutins qui mirent la crosse en l’air, les 3 700 qui furent condamnés, les 953 fusillés pour l’exemple, nos héros sont aussi les mutilés volontaires et tout ceux qui fredonnaient la chanson de Craonne, quitte à se faire casser les dents à coups de crosse. Oui, ceux là “se battirent pour que la France reste la France”. La nôtre. Celle de Georges Mermet, mon père. Pas un héros non plus celui là, mais “de la viande”, une de ses expressions quand il nous racontait le Chemin des Dames, la Somme, l’Italie, “On était de la viande”. Né en mai 1897, mon père, apprenti orfèvre de Belleville, mobilisé au début de 1916 fut de tous les fronts et de toutes les blessures jusqu’au bout. Éventré, brûlé, traumatisé, il n’a pas fait ça pour votre France monsieur Macron. Je ne veux pas parler à sa place, on n’ouvre pas une boutique dans un cimetière mais, en hommage à sa mémoire je veux juste évoquer ce 13 mai 1993, lors de son enterrement dans l’église de notre banlieue rouge. Discours, fleurs et recueillement, lorsque deux messieurs s’approchèrent et déployèrent un drapeau tricolore sur le cercueil. De la part de la mairie ? De la part d’une organisation d’anciens combattants ? Toujours est-il qu’aussitôt, à la demande de notre mère, l’un d’entre nous se glissa jusqu’à eux et leur demanda d’enlever immédiatement ce bout de tissu. Ce qu’ils firent aussitôt, lentement, laissant apparaître le beau bois blond du cercueil, blond comme la chevelure de Georges lorsqu’il avait vingt ans au Chemin des Dames. »
Et ainsi qu’Eric Baratay nous le rappelle, parmi les oubliés de ce terrible massacre, on compte également « 11 millions d’équidés, 100 000 chiens, 200 000 pigeons : les animaux ont été enrôlés en masse dans la Grande Guerre, pour porter, tirer, guetter, secourir, informer… Les tranchées ont également abrité des milliers d’animaux domestiques ou de ferme, abandonnés par des civils en fuite, d’animaux sauvages coincés au milieu du front, mais aussi des rats, des mouches, des poux, attirés par l’aubaine. »

Enfin, dans un très bon article, que je vous conseille, intitulé « Grande Guerre : Les batailles oubliées de l’Afrique » RFI rappelle d’autres histoires trop souvent occultées :
« Souvent méconnues, les batailles de la Première Guerre mondiale dans les colonies africaines allemandes ont pourtant fait de nombreuses victimes. Du Togo au Sud-Ouest africain allemand, en passant par le Cameroun, le Congo belge et l’Afrique orientale allemande, des Africains sont enrôlés pour se battre sur leur propre continent et servir une guerre qui n’est pas la leur, une guerre d’Européens. Si le nombre de soldats présents sur les fronts africains et le nombre de tranchées creusées paraissent dérisoire comparés à ceux des fronts européens, les affrontements sont d’une extrême violence et déciment aussi des civils, colons et colonisés. Enjeux stratégiques, riches de matières premières et de ressources minières, les colonies allemandes sont convoitées, dès le début du conflit, par les Alliés. »

Nicolas Casaux
Une mine d’informations. Merci