Notre futur de chasseurs-cueilleurs : changement climatique, agriculture et décivilisation (par John Gowdy)

Note du tra­duc­teur : Je suis récem­ment tom­bé sur ce texte de John Gow­dy, ini­tia­le­ment publié en anglais à cette adresse, début 2020, et bien que ne par­ta­geant pas l’en­tiè­re­té de son pro­pos (qui s’a­dresse aux diri­geants, éta­tiques et entre­pre­neu­riaux, qui semble bien naïf sur de nom­breux points et pro­blé­ma­tique sur d’autres), il m’a sem­blé inté­res­sant de le tra­duire pour cer­tains élé­ments qu’il met en lumière, cer­taines ques­tions qu’il per­met de se poser. (Gow­dy est pro­fes­seur d’é­co­no­mie et d’é­tudes scien­ti­fiques et tech­no­lo­giques à l’ins­ti­tut poly­tech­nique Rens­se­laer, une ins­ti­tu­tion de recherche et une uni­ver­si­té amé­ri­caine, spé­cia­li­sée dans les domaines de la science et de la tech­no­lo­gie et située à Troy, dans l’É­tat de New York.)


Notre futur de chasseurs-cueilleurs : changement climatique, agriculture et décivilisation

Points clés

  • La sta­bi­li­té du cli­mat de l’holocène a ren­du pos­sible l’agriculture et la civi­li­sa­tion. Aupa­ra­vant, l’instabilité du cli­mat du pléis­to­cène ne le per­met­tait pas.
  • Les socié­tés agri­coles se sont carac­té­ri­sées par des sur­ex­ploi­ta­tions et des effon­dre­ments. Le chan­ge­ment cli­ma­tique a sou­vent par­ti­ci­pé à pré­ci­pi­ter leur chute.
  • Les esti­ma­tions de type « busi­ness-as-usual » sti­pulent que le cli­mat se réchauf­fe­ra de 3 à 4 °C d’ici 2100 et de 8 à 10°C par la suite.
  • Les futurs chan­ge­ments cli­ma­tiques ramè­ne­ront la Terre dans ces condi­tions cli­ma­tiques instables, du genre de celles du Pléis­to­cène, et l’agriculture rede­vien­dra impossible.
  • De nou­veau, les socié­tés humaines se tour­ne­ront vers la chasse et la cueillette.

Résumé

Pen­dant la majeure par­tie de l’his­toire de l’hu­ma­ni­té, soit envi­ron 300 000 ans, nous avons vécu en chas­seurs-cueilleurs au sein de com­mu­nau­tés durables et éga­li­taires [cli­ché dis­cu­table, NdT] de quelques dizaines de per­sonnes. La vie humaine sur Terre, et notre place dans les sys­tèmes bio­phy­siques de la pla­nète, ont chan­gé de façon spec­ta­cu­laire avec l’Ho­lo­cène, l’époque géo­lo­gique ayant débu­té il y a envi­ron 12 000 ans : Une com­bi­nai­son sans pré­cé­dent de sta­bi­li­té cli­ma­tique et de tem­pé­ra­tures chaudes a ren­du pos­sible une plus grande dépen­dance aux céréales sau­vages dans plu­sieurs régions du monde.

Au cours des mil­liers d’an­nées sui­vantes, cette dépen­dance a pré­ci­pi­té le pas­sage à l’a­gri­cul­ture et l’avènement de vastes socié­tés éta­tiques. Ces socié­tés pré­sentent un sché­ma déve­lop­pe­men­tal com­mun d’ex­pan­sion et d’ef­fon­dre­ment. La civi­li­sa­tion indus­trielle a com­men­cé à se consti­tuer il y a quelques cen­taines d’an­nées, avec le recours aux com­bus­tibles fos­siles, qui ont per­mis à l’é­co­no­mie humaine de croître aus­si bien géo­gra­phi­que­ment qu’en termes de com­plexi­té sociale. Ce chan­ge­ment a été syno­nyme de nom­breux béné­fices —[évi­dem­ment, cela dépend pour qui : pour les autres espèces vivantes ? Non. Pour l’ethnosphère, les nom­breuses cultures et socié­tés autoch­tones du monde ? Non, plus. Celles-ci ont été anéan­ties encore plus rapi­de­ment par la civi­li­sa­tion indus­trielle. Pour les humains exploi­tés, asser­vis au Lévia­than ? Non plus. Pour une mino­ri­té d’êtres humains, seule­ment, NdT]—, mais il a aus­si géné­ré la pré­sente crise exis­ten­tielle du chan­ge­ment cli­ma­tique mon­dial. Les modèles cli­ma­tiques indiquent que la Terre pour­rait se réchauf­fer de 3 à 4 °C d’i­ci à 2100 et même de 8 °C ou plus à terme. Cela ramè­ne­rait la pla­nète aux condi­tions cli­ma­tiques instables du Pléis­to­cène, lorsque l’a­gri­cul­ture était impos­sible. Des poli­tiques pour­raient être adop­tées visant à rendre l’écroulement de la civi­li­sa­tion indus­trielle moins dévas­ta­teur et à amé­lio­rer les pers­pec­tives des chas­seurs-cueilleurs du futur. Il s’a­git notam­ment de poli­tiques agres­sives visant à atté­nuer le chan­ge­ment cli­ma­tique, à réduire la popu­la­tion, à ré-ensau­va­ger la pla­nète, et à pro­té­ger les der­nières cultures indi­gènes du monde.

1. Introduction

Les humains ana­to­mi­que­ment modernes, Homo sapiens, habitent la terre depuis plus de 300 000 ans (Strin­ger & Gal­way-Witham, 2017). Pen­dant au moins 97 % de cette période, nos ancêtres chas­seurs-cueilleurs ont vécu comme de nom­breux autres grands pré­da­teurs, en petits groupes inté­grés dans divers éco­sys­tèmes spé­ci­fiques (Dia­mond, 1987 ; Gow­dy, 1998 ; Pon­ting, 2007). Les popu­la­tions humaines aug­men­taient et dimi­nuaient en fonc­tion des chan­ge­ments cli­ma­tiques et des res­sources ali­men­taires pro­ve­nant direc­te­ment du monde natu­rel — des cen­taines de plantes et d’a­ni­maux dont elles dépen­daient. La vie humaine sur Terre, et notre place dans cette toile de la vie, ont radi­ca­le­ment chan­gé au cours de l’Ho­lo­cène, l’époque géo­lo­gique qui a com­men­cé il y a envi­ron 12 000 ans : Une com­bi­nai­son sans pré­cé­dent de sta­bi­li­té cli­ma­tique et de tem­pé­ra­tures chaudes a ren­du pos­sible une plus grande dépen­dance aux céréales sau­vages dans plu­sieurs régions du monde.

Au cours des mil­liers d’an­nées sui­vantes, cette dépen­dance a pré­ci­pi­té le pas­sage à l’a­gri­cul­ture et l’avènement de socié­tés éta­tiques à grande échelle (Gow­dy & Krall, 2014). Quelques mil­liers d’an­nées après les débuts de l’a­gri­cul­ture séden­taire, celle-ci s’était lar­ge­ment répan­due et domi­nait le Moyen-Orient, l’Asie du Sud, la Chine et la Méso-Amé­rique. Au cours de cette période rela­ti­ve­ment courte, l’a­gri­cul­ture a fait explo­ser la démo­gra­phie de la popu­la­tion humaine mon­diale, laquelle est pas­sée de 4 à 6 mil­lions à plus de 200 mil­lions au début de l’ère com­mune (CE), il y a 2000 ans (Bira­ben, 2003). L’a­dop­tion de l’a­gri­cul­ture a fait empi­rer la situa­tion de l’humain moyen pour des mil­lé­naires. Sa san­té phy­sique a décli­né de façon spec­ta­cu­laire. En outre, la plu­part des humains nais­saient désor­mais dans des sys­tèmes de castes rigides, où ils vivaient, d’une manière ou d’une autre, comme des esclaves.

Selon Lar­sen (2006 p. 12) : « Bien que l’a­gri­cul­ture ait four­ni la base éco­no­mique per­met­tant l’avènement des États et le déve­lop­pe­ment des civi­li­sa­tions, les chan­ge­ments en termes de régime ali­men­taire et d’obtention de la nour­ri­ture ont pro­vo­qué une chute de la qua­li­té de vie de la plu­part des popu­la­tions humaines au cours des 10 000 der­nières années. » Avec l’adoption de l’a­gri­cul­ture, les humains sont deve­nus plus petits et moins robustes, et ont souf­fert de mala­dies plus débi­li­tantes (de la lèpre à l’ar­thrite en pas­sant par la carie den­taire), que leurs homo­logues chas­seurs-cueilleurs (Cohen & Crane-Kra­mer, 2007).

Ce n’est qu’au cours des 150 der­nières années envi­ron, que la lon­gé­vi­té, la san­té et le bien-être —[ça par contre, c’est tout à fait gra­tuit, comme si on connais­sait, comme si on pou­vait connaitre le bien-être des humains du Pléis­to­cène, NdT]—, de la per­sonne moyenne ont de nou­veau atteint ceux du Pléis­to­cène supé­rieur. En 1900, la durée de vie humaine moyenne était d’en­vi­ron 30 ans, celle des chas­seurs-cueilleurs du Pléis­to­cène supé­rieur, elle, était d’en­vi­ron 33 ans[1]. Étant don­né les désas­treuses consé­quences éco­no­miques qui décou­le­ront du chan­ge­ment cli­ma­tique et de l’a­néan­tis­se­ment bio­lo­gique, il est peu pro­bable que ces amé­lio­ra­tions puissent être main­te­nues. Il faut faire atten­tion à ne pas consi­dé­rer les réa­li­sa­tions du pas­sé très récent comme repré­sen­ta­tives des consé­quences de la révo­lu­tion agri­cole sur la san­té et le bien-être.

L’a­gri­cul­ture et la civi­li­sa­tion ont été ren­dues pos­sibles par le cli­mat excep­tion­nel­le­ment chaud et stable de l’Ho­lo­cène. Avant cela, les varia­tions de tem­pé­ra­ture et de pré­ci­pi­ta­tions d’une année sur l’autre ren­daient l’a­gri­cul­ture trop incer­taine pour les com­mu­nau­tés séden­taires rela­ti­ve­ment popu­leuses. Le cli­mat de la Terre a été excep­tion­nel­le­ment stable pen­dant envi­ron 10 000 ans. Mais, en même temps, en aug­men­tant la concen­tra­tion atmo­sphé­rique du CO2, nous avons pré­ci­pi­té une nou­velle période d’ins­ta­bi­li­té cli­ma­tique qui, selon les scien­ti­fiques, sera com­pa­rable aux condi­tions du Pléistocène.

Durant cette époque, les chan­ge­ments cli­ma­tiques, le pas­sage de périodes chaudes à des périodes gla­ciaires, ont été déclen­chés par des varia­tions des niveaux de CO2 atmo­sphé­rique d’en­vi­ron 50 ppm autour d’une moyenne de 250 ppm. Les tem­pé­ra­tures variaient dans un inter­valle d’environ 4 °C par rap­port à la moyenne. Au cours des 70 der­nières années seule­ment, l’ac­ti­vi­té humaine a aug­men­té la concen­tra­tion en CO2 de plus de 100 ppm, la fai­sant atteindre plus de 400 ppm, et la tem­pé­ra­ture moyenne de la Terre s’est réchauf­fée de 1 °C. À moins que des mesures dra­co­niennes ne soient prises pour stop­per les émis­sions de CO2, la tem­pé­ra­ture mon­diale aug­men­te­ra pro­ba­ble­ment d’au moins 3 °C par rap­port à aujourd’­hui d’i­ci l’an 2100 et pour­rait même aug­men­ter de 8 °C ou plus (engen­drant ce qu’on appelle un méga effet de serre).

Compte tenu de l’im­por­tance de la popu­la­tion humaine, des effets pro­bables du chan­ge­ment cli­ma­tique sur la sta­bi­li­té éco­no­mique et sociale et de la fra­gi­li­té du sys­tème agri­cole indus­triel mon­dial, il est peu pro­bable que la civi­li­sa­tion humaine puisse sur­vivre à ce méga effet de serre à venir. La pers­pec­tive d’un effon­dre­ment de la civi­li­sa­tion fait désor­mais par­tie du dis­cours scien­ti­fique et popu­laire (BBC, 2019 ; Dia­mond, 2019 ; Spratt & Dun­lop, 2019). Dans la dis­cus­sion sui­vante, les deux ou trois pro­chains siècles sont uti­li­sés comme point de réfé­rence géné­ral des ultimes chan­ge­ments cli­ma­tiques cau­sés par l’homme. Cette vision à long terme per­met d’é­vi­ter le marasme de l’opposition entre un « effon­dre­ment immé­diat »et un effon­dre­ment de type « pic et déclin » (2012, Ran­ders, 2008), et nous rap­proche éga­le­ment du pic ultime pro­bable des niveaux de tem­pé­ra­ture et de CO2 dans le cadre de la conti­nua­tion du sta­tu quo.

2. La stabilité du climat et l’origine de l’agriculture

Des preuves sug­gèrent que la sta­bi­li­té cli­ma­tique unique de l’Ho­lo­cène a ren­du l’a­gri­cul­ture pos­sible, tan­dis que l’ins­ta­bi­li­té cli­ma­tique des époques pré­cé­dentes ne la per­met­tait pas (Richer­son, Boyd, &Bettinger, 2001 : Feyn­man &Ruzmaikin, 2018).

La figure 1 montre la tem­pé­ra­ture et la sta­bi­li­té uniques de l’Ho­lo­cène par rap­port aux 45 000 années pré­cé­dentes du Pléis­to­cène. L’é­chelle ver­ti­cale montre la tem­pé­ra­ture de sur­face de la glace du Groen­land, et l’é­chelle hori­zon­tale cor­res­pond aux années.

Fig. 1

Fig. 1. Évo­lu­tion de la tem­pé­ra­ture au cours des 45 000 der­nières années, d’après des carottes de glace du Groenland.

Source : His­to­ry of Earth’s Cli­mate 7.-Cenozoic IV-Holo­cene http://www.dandebat.dk/eng-klima7.htm. The ver­ti­cal scale shows the tem­pe­ra­ture of Green­land ice sur­face (Co) in the Holo­cene com­pa­red to the pre­vious Weich­sel ice age (115,000–11,700 years ago).

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Au cours du Pléis­to­cène, on retrouve plu­sieurs périodes lors des­quelles le cli­mat de la terre était aus­si chaud qu’au­jourd’­hui, mais dont la durée est assez brève en com­pa­rai­son de l’Ho­lo­cène. Durant les 2,5 mil­lions d’an­nées du Pléis­to­cène, une insta­bi­li­té cli­ma­tique domi­nait. La tem­pé­ra­ture moyenne du globe y variait par­fois de 8 °C sur une période aus­si courte que deux siècles (Bowles & Choi, 2012).

Les fluc­tua­tions cli­ma­tiques impré­vi­sibles d’une année sur l’autre avant l’Ho­lo­cène, ren­daient impos­sible toute ten­ta­tive de déve­lop­pe­ment agri­cole à grande échelle. La culture natou­fienne, par exemple, a com­men­cé à se tour­ner vers l’a­gri­cul­ture lorsque la tem­pé­ra­ture de la Terre a aug­men­té et s’est sta­bi­li­sée, juste avant l’Ho­lo­cène, mais a fina­le­ment renon­cé à cause du refroi­dis­se­ment bru­tal du Dryas récent, qui a débu­té il y a envi­ron 13 000 ans (Mun­ro, 2004).

Un autre fac­teur inhi­bant l’a­gri­cul­ture : la pro­duc­ti­vi­té des plantes à la fin du Pléis­to­cène était faible en rai­son de la dimi­nu­tion des niveaux de CO2, qui attei­gnaient envi­ron 200 ppm, contre 250 ppm au début de l’Ho­lo­cène. Des preuves sug­gèrent que la quan­ti­té totale de car­bone orga­nique sto­ckée dans les terres à la fin du Pléis­to­cène était de 33 à 60 % infé­rieure à celle de l’Ho­lo­cène (Beer­ling, 1999 ; Bet­tin­ger, Richer­son & Boyd, 2009).

L’a­gri­cul­ture est née de la conver­gence d’un cer­tain nombre de phé­no­mènes appa­rem­ment sans rap­port entre eux, entraî­nant l’é­vo­lu­tion d’un sys­tème éco­no­mique com­plexe et expan­sion­niste. Par­mi ces phé­no­mènes, on peut citer la sta­bi­li­té cli­ma­tique sans pré­cé­dent de l’Ho­lo­cène, l’é­vo­lu­tion de la socia­li­té humaine et notre capa­ci­té à coopé­rer avec d’autres qui n’ont aucun lien entre eux. Une fois que l’a­gri­cul­ture a com­men­cé à s’im­plan­ter, la sélec­tion natu­relle opé­rant sur des popu­la­tions diverses et pous­sée par les exi­gences éco­no­miques de la pro­duc­tion ali­men­taire excé­den­taire, a favo­ri­sé les groupes qui pou­vaient le mieux pro­fi­ter des éco­no­mies d’é­chelle dans la pro­duc­tion, de la taille plus impor­tante des groupes et d’une divi­sion com­plexe du tra­vail. La socié­té humaine s’est trans­for­mée en une machine éco­no­mique uni­fiée, inter­dé­pen­dante et très com­plexe (Gow­dy & Krall, 2013, 2014, 2016).

3. Vulnérabilité face au changement climatique après la révolution agricole

Les don­nées archéo­lo­giques et his­to­riques concer­nant les pre­mières socié­tés éta­tiques agri­coles témoignent d’un modèle com­mun d’ex­pan­sion rapide, sui­vie d’un effon­dre­ment et d’une chute de la com­plexi­té (BBC, 2019 ; Dia­mond, 2005 ; Pon­ting, 2007 ; Tain­ter, 1988).

En guise d’exemples, on peut citer l’empire akka­dien, l’É­gypte de l’An­cien Empire, les Mayas clas­siques et les Harap­pans de la val­lée de l’In­dus. Ces civi­li­sa­tions se sont dés­in­té­grées en rai­son de divers fac­teurs et notamment :

  • le déclin de la fer­ti­li­té des sols,
  • l’érosion des sols due à la dépen­dance à l’é­gard de plantes annuelles,
  • la sali­ni­sa­tion des sols,
  • une mau­vaise ges­tion de l’eau et une inca­pa­ci­té à résis­ter à des séche­resses prolongées.

Le chan­ge­ment cli­ma­tique est de plus en plus consi­dé­ré comme un fac­teur majeur des effon­dre­ments pas­sées des civi­li­sa­tions (Dia­mond, 2005 ; Weiss & Brad­ley, 2001). Les États agraires ont éga­le­ment souf­fert de dés­équi­libres dus aux effets désta­bi­li­sa­teurs des inéga­li­tés fon­dées sur les castes (contrôle héré­di­taire des excé­dents éco­no­miques) et de la sur­ex­ploi­ta­tion du monde natu­rel (Schei­del, 2017 ; Scott, 2017).

Après l’avènement ini­tial de l’a­gri­cul­ture, on observe une période de plu­sieurs mil­liers d’an­nées où l’humanité se com­pose de petites com­mu­nau­tés séden­taires — des socié­tés « sans État » qui pra­ti­quaient une com­bi­nai­son d’a­gri­cul­ture et de cueillette. Scott (2017) sou­tient qu’au Proche-Orient, le long du fleuve Indus, de la côte chi­noise et de la val­lée du Mexique, ces pre­mières socié­tés agri­coles étaient situées dans des zones humides rive­raines de plaines allu­viales inon­dables, ce qui ren­dait l’a­gri­cul­ture rela­ti­ve­ment facile et aisé­ment com­plé­tée d’une varié­té de pois­sons, de plantes aqua­tiques et d’a­ni­maux. Ces socié­tés de zones humides étaient « éco­lo­gi­que­ment résis­tantes à la cen­tra­li­sa­tion et au contrôle par le haut ». Plu­sieurs fac­teurs ont été res­pon­sables de leur dis­pa­ri­tion ain­si que de la phase ulté­rieure de crois­sance démo­gra­phique rapide et d’émergence d’États cen­tra­li­sés, notam­ment l’a­gri­cul­ture céréa­lière et la guerre en tant que poli­tique éco­no­mique de l’É­tat, mais le chan­ge­ment cli­ma­tique a été un fac­teur clé.

Le lien entre agri­cul­ture, désta­bi­li­sa­tion du cli­mat et effon­dre­ment civi­li­sa­tion­nel est bien éta­bli (Weiss, 2017).

  • L’ef­fon­dre­ment de l’empire akka­dien fut déclen­ché par une grave séche­resse qui a duré des siècles (Kerr, 1998 ; Weiss et al., 1993).
  • Plu­sieurs civi­li­sa­tions, en Chine, se sont dés­in­té­grées en rai­son d’i­non­da­tions extra­or­di­naires s’inscrivant dans un bou­le­ver­se­ment cli­ma­tique, il y a envi­ron 4200 ans (Huang, Pang, Zha, Su, & Jia, 2011).
  • L’ef­fon­dre­ment de la civi­li­sa­tion maya a été attri­bué à une grave séche­resse (Haug et al., 2001).
  • L’ef­fon­dre­ment de la civi­li­sa­tion de la val­lée de l’Indus a été pro­vo­qué par une séche­resse prolongée.

Au Moyen-Orient, la période d’il y a 5 500 à 4 500 ans était mar­quée par une ari­di­té crois­sante et une forte baisse du niveau de la mer et du débit de l’eau dans l’Eu­phrate (Nis­sen, 1988). Les marais envi­ron­nants se sont rétré­cis, four­nis­sant moins de moyens de sub­sis­tance à la popu­la­tion. L’aug­men­ta­tion de la sali­ni­té du sol a réduit la quan­ti­té de terres arables. La rare­té crois­sante des alter­na­tives à l’a­gri­cul­ture a aug­men­té la dépen­dance aux céréales.

Les consé­quences néga­tives du rétré­cis­se­ment de cette base de sub­sis­tance ont favo­ri­sé la concen­tra­tion des popu­la­tions et du pou­voir poli­tique et éco­no­mique. Scott (2017 p. 121) écrit :

« Le cli­mat sec s’est révé­lé auxi­liaire incon­tour­nable de l’État en met­tant en quelque sorte à sa dis­po­si­tion un cer­tain niveau de den­si­té démo­gra­phique et de concen­tra­tion des cultures céréa­lières dans un espace éta­tique embryon­naire dont la consti­tu­tion aurait été, à l’époque, impos­sible autrement. »

Le chan­ge­ment cli­ma­tique pour­rait éga­le­ment avoir joué un rôle impor­tant dans la tran­si­tion vers des socié­tés éta­tiques dans la val­lée du Nil : Le débit du Nil a consi­dé­ra­ble­ment dimi­nué il y a envi­ron 5300 ans, entraî­nant une concen­tra­tion accrue des popu­la­tions et un contrôle plus cen­tra­li­sé en vue de gérer des res­sources de plus en plus rares. L’aridité crois­sante a concen­tré la popu­la­tion dans de plus grandes agglo­mé­ra­tions et a néces­si­té l’in­ten­si­fi­ca­tion de la pro­duc­tion agri­cole pour com­pen­ser la dimi­nu­tion des res­sources que four­nis­saient les zones (de moins en moins) humides. Avec la concen­tra­tion des popu­la­tions, une plus grande dépen­dance au sto­ckage des céréales et sans la pro­tec­tion des marais, les villes sont deve­nues la cible de pillages : Le pillage et la guerre sont deve­nus un autre mode de sub­sis­tance tout autour du globe (Tur­chin, Cur­rie, Tur­ner, & Gavri­lets, 2013).

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Après l’a­gri­cul­ture, un deuxième chan­ge­ment radi­cal s’est pro­duit dans l’or­ga­ni­sa­tion éco­no­mique et poli­tique des socié­tés humaines, lorsque l’utilisation mas­sive d’énergies fos­siles a sti­mu­lé la révo­lu­tion industrielle.

La vie éco­no­mique est pas­sée d’une vie essen­tiel­le­ment agri­cole à une vie domi­née par la pro­duc­tion, le com­merce et la finance (Hall & Klit­gaard, 2011). L’éner­gie que four­nissent les com­bus­tibles fos­siles est flexible, sto­ckable et trans­por­table, et a trans­for­mé tous les aspects de la socié­té humaine, de la capa­ci­té d’un indi­vi­du à tra­vailler, à la taille de la popu­la­tion mon­diale. Les com­bus­tibles fos­siles ont éga­le­ment trans­for­mé le cli­mat et nous ont asser­vis à des sys­tèmes agri­coles, indus­triels et finan­ciers tou­jours plus com­plexes et fragiles.

L’a­gri­cul­ture indus­trielle moderne dépend de com­bus­tibles fos­siles tou­jours plus coû­teux à obte­nir en termes de taux de retour éner­gé­tique (Hall & Klit­gaard, 2011). Elle dépend éga­le­ment de la sta­bi­li­té des mar­chés mon­diaux et des ins­ti­tu­tions éco­no­miques, ain­si que de la capa­ci­té des tech­no­lo­gies com­plexes à répondre rapi­de­ment à diverses menaces cli­ma­tiques et biologiques.

Notre sys­tème d’a­gri­cul­ture indus­trielle dépend de la sta­bi­li­té cli­ma­tique rela­tive de l’Ho­lo­cène et des com­bus­tibles fos­siles abon­dants et faci­le­ment acces­sibles, les­quels consti­tuent la prin­ci­pale source d’émission de CO2 désta­bi­li­sant le climat.

4. Le méga effet de serre à venir

La plu­part des décla­ra­tions concer­nant le chan­ge­ment cli­ma­tique recourent à des phrases du genre « depuis la révo­lu­tion indus­trielle, la tem­pé­ra­ture de la terre a aug­men­té de 1 °C ». C’est exact, seule­ment, l’altération de l’atmosphère ter­restre par les acti­vi­tés indus­trielles est un phé­no­mène encore plus récent et rapide que ce que l’on croit : La majeure par­tie de cette aug­men­ta­tion de 1 °C de la tem­pé­ra­ture moyenne de la terre depuis l’é­poque pré­in­dus­trielle s’est pro­duite depuis 1980. L’es­sen­tiel de l’augmentation du CO2 atmo­sphé­rique (d’en­vi­ron 310 ppm à 410 ppm) s’est pro­duit après 1950. 75 % de la com­bus­tion de com­bus­tibles fos­siles et des émis­sions de CO2 d’origine anthro­pique dans l’at­mo­sphère datent d’après 1970. Les effets de ces émis­sions de CO2 com­mencent à peine à se faire sentir.

Plus on par­vient à les modé­li­ser avec pré­ci­sion — en déter­mi­nant, par exemple, les effets de la réflexion de la lumière solaire par les nuages à mesure que la terre se réchauffe, ou en modi­fiant les modé­li­sa­tions à l’aide des évé­ne­ments de réchauf­fe­ment pas­sés, les­quels per­mettent de mieux cali­brer les inter­ac­tions entre le CO2, la tem­pé­ra­ture, l’é­lé­va­tion du niveau de la mer et les effets de rétro­ac­tion[2] — plus les consé­quences poten­tielles du chan­ge­ment cli­ma­tique paraissent alar­mantes. Brown et Cal­dei­ra (2017) sug­gèrent qu’il y a 93 % de chances pour que l’aug­men­ta­tion de la tem­pé­ra­ture dépasse 4 °C d’i­ci la fin de ce siècle.

Un rap­port de la Banque mon­diale (2012 p. xiii) nous met en garde :

« Sans de nou­veaux enga­ge­ments et de nou­velles mesures de réduc­tion des émis­sions de gaz à effet de serre, le monde risque de se réchauf­fer de plus de 3 °C par rap­port au cli­mat pré­in­dus­triel. Même si les enga­ge­ments et les pro­messes d’at­té­nua­tion actuels étaient plei­ne­ment mis en œuvre, la pro­ba­bi­li­té de dépas­ser 4 °C d’i­ci 2100 res­te­rait d’en­vi­ron 20 %. Si ces enga­ge­ments ne sont pas res­pec­tés, le cli­mat glo­bal pour­rait se réchauf­fer de 4 °C d’ici 2060. Outre ce réchauf­fe­ment, dou­blé d’une élé­va­tion du niveau de la mer de 0,5 à 1 mètre, voire plus, d’i­ci 2100, on estime qu’un réchauf­fe­ment de plus de 6 °C, avec une élé­va­tion du niveau de la mer de plu­sieurs mètres, se pro­dui­rait pro­ba­ble­ment au cours des siècles suivants. »

La pro­jec­tion médiane du GIEC (2014) tablant sur des poli­tiques non agres­sives et des émis­sions hautes pour 2100 est un réchauf­fe­ment de 4 °C (RCP8.5). L’ab­sence de poli­tiques effi­caces vis-à-vis du chan­ge­ment cli­ma­tique, face à des dan­gers de plus en plus alar­mants, sug­gère que les pro­jec­tions les plus pes­si­mistes four­nissent les scé­na­rios de chan­ge­ment cli­ma­tique les plus pré­cis (Gab­ba­tiss, 2017).

Les scé­na­rios opti­mistes du GIEC (RCP2.6, RCP4.5) sup­posent des sché­mas de géo-ingé­nie­rie non encore réa­li­sables pour éli­mi­ner le CO2 atmo­sphé­rique. Les émis­sions annuelles ont aug­men­té de manière signi­fi­ca­tive depuis le pro­to­cole de Kyo­to, il y a vingt ans. Aucun grand pays indus­triel n’est en voie de res­pec­ter les enga­ge­ments de l’ac­cord (très modeste) de Paris (Wal­lace-Wells, 2017). Il semble peu pro­bable que les poli­tiques néces­saires pour main­te­nir le réchauf­fe­ment à des niveaux gérables soient mises en œuvre à temps pour évi­ter un chan­ge­ment cli­ma­tique catastrophique.

Les consé­quences à très long terme du chan­ge­ment cli­ma­tique sont assez peu étu­diées (Bala, Cal­dei­ra, Mirin, Wickett, &Delire, 2005 ; Gow­dy & Juliá, 2010 ; Kas­ting, 1998). La plu­part des pro­jec­tions du réchauf­fe­ment cli­ma­tique se concentrent soit sur l’an­née 2100, soit sur les effets d’un dou­ble­ment du CO2 (par rap­port au niveau pré­in­dus­triel de 275 ppm, soit 550 ppm). Le manque d’at­ten­tion por­tée au très long terme est une grave lacune, car les modèles inté­grés de cli­mat-car­bone pré­voient que si le CO2 conte­nu dans les res­sources actuelles de com­bus­tibles fos­siles in situ conti­nue à être reje­té dans l’at­mo­sphère, la concen­tra­tion maxi­male de CO2 atmo­sphé­rique pour­rait dépas­ser 1400 ppm d’i­ci l’an 2300, et la tem­pé­ra­ture moyenne de la pla­nète pour­rait aug­men­ter de 8 °C ou plus (Bala et al., 2005 ; Kas­ting, 1998).

Un niveau de CO2 de 1400 ppm ferait croître le risque de voir la tem­pé­ra­ture aug­men­ter de 20 °C, ce qui aurait cer­tai­ne­ment des consé­quences catas­tro­phiques pour toute vie sur Terre. Il est inquié­tant de consta­ter que les niveaux actuels de CO2 sont plus éle­vés que jamais au cours des 15 der­niers mil­lions d’an­nées (Banque mon­diale, 2012 p. xiv).

La variable la plus per­ti­nente en ce qui concerne la poli­tique cli­ma­tique à entre­prendre, est la quan­ti­té de CO2 dans l’at­mo­sphère. La contri­bu­tion humaine à l’aug­men­ta­tion du CO2 est en grande par­tie le résul­tat de la com­bus­tion de com­bus­tibles fos­siles. À moins d’être asso­ciées à des poli­tiques visant à lais­ser les com­bus­tibles fos­siles dans le sol, les autres sources d’éner­gie ne feront que s’ajouter aux com­bus­tibles fos­siles, au lieu de les remplacer.

L’aug­men­ta­tion future de la quan­ti­té totale de CO2 dans l’at­mo­sphère dépend prin­ci­pa­le­ment de la quan­ti­té totale de com­bus­tibles fos­siles brû­lés. La quan­ti­té de car­bone conte­nue dans les com­bus­tibles fos­siles acces­sibles — prin­ci­pa­le­ment le char­bon — est si vaste que si la com­bus­tion venait à se pour­suivre, les options d’at­té­nua­tion actuel­le­ment envi­sa­geables telles que la réduc­tion modé­rée des taux d’é­mis­sion de CO2, la séques­tra­tion (limi­tée) et le reboi­se­ment auraient un effet négli­geable sur la concen­tra­tion atmo­sphé­rique finale de CO2 (Cal­dei­ra & Kas­ting, 1993 ; Mat­thews & Cal­dei­ra, 2008). Même si les poli­tiques d’at­té­nua­tion du chan­ge­ment cli­ma­tique rédui­saient les taux d’é­mis­sion de CO2, les concen­tra­tions atmo­sphé­riques de CO2 conti­nue­raient à aug­men­ter jus­qu’à ce que les émis­sions dimi­nuent en se calant sur le taux d’ab­sorp­tion naturelle.

Une grande par­tie du CO2 émis reste dans l’at­mo­sphère des siècles, voire des mil­lé­naires, après sa libé­ra­tion. Archer (2005) sug­gère que 300 ans est une bonne durée de vie moyenne pour le CO2 et que 17 à 33 % du CO2 res­te­ra dans l’at­mo­sphère 1000 ans après son émis­sion. Mon­te­ne­gro, Brov­kin, Eby, Archer et Wea­ver (2007) sug­gèrent que le car­bone libé­ré peut res­ter dans l’at­mo­sphère en moyenne 1800 ans ou plus. Selon Archer & Brov­kin (2008 p. 283) : « La séques­tra­tion com­plète prend place sur des cen­taines de mil­liers d’an­nées. » À l’échelle de temps de la vie humaine, ou de géné­ra­tions humaines, les effets de la com­bus­tion des car­bu­rants fos­siles sont irréversibles.

5. L’agriculture sera impossible dans le climat post-holocène

Une cer­taine insta­bi­li­té cli­ma­tique est donc déjà garan­tie par l’activité humaine récente. Nous revien­drons très pro­ba­ble­ment à la vola­ti­li­té cli­ma­tique du Pléistocène.

Concer­nant l’agriculture, le chan­ge­ment cli­ma­tique aura divers effets néfastes, notam­ment au tra­vers de l’élévation du niveau de la mer, de la hausse des tem­pé­ra­tures moyennes, des cha­leurs extrêmes, de la modi­fi­ca­tion du régime des pré­ci­pi­ta­tions et du déclin des pollinisateurs.

Par­mi d’autres chan­ge­ments moins bien éva­lués, men­tion­nons les effets sur les para­sites agri­coles, la com­po­si­tion des sols et la réac­tion des cultures à l’aug­men­ta­tion des niveaux de CO2. La figure 2 montre la vola­ti­li­té pos­sible du cli­mat si la Terre retrouve le régime cli­ma­tique des quelques der­niers mil­liers d’an­nées du Pléis­to­cène. Bien enten­du, la vola­ti­li­té future ne sui­vra pas exac­te­ment le même sché­ma, mais cette figure repré­sente une esti­ma­tion approxi­ma­tive de ce qui pour­rait se pro­duire. L’a­gri­cul­ture était impos­sible dans le pas­sé en rai­son de l’ins­ta­bi­li­té cli­ma­tique et météo­ro­lo­gique, et elle le sera pro­ba­ble­ment à nou­veau si nous retour­nons la Terre dans des condi­tions cli­ma­tiques similaires.

Fig. 2

Fig. 2.  Écarts de tem­pé­ra­ture par rap­port à la moyenne, et aux pro­jec­tions futures

Source of Earth’s Cli­mate 7.- Ceno­zoic IV-Holo­cene http://www.dandebat.dk/eng-klima7.htm.

D’après Bat­tis­ti (cité dans Wal­lace-Wells, 2017), le cli­mat pour­rait rapi­de­ment deve­nir instable :

D’i­ci 2050, et si l’on se place dans un scé­na­rio d’émissions moyen­ne­ment éle­vées, on pré­voit un dou­ble­ment de la vola­ti­li­té des céréales aux lati­tudes moyennes. Dans des endroits comme la Chine, les États-Unis, l’Eu­rope, l’U­kraine — pays qui consti­tuent le gre­nier à blé du monde — l’instabilité, d’une année sur l’autre, due à la seule varia­bi­li­té natu­relle du cli­mat en rai­son d’une tem­pé­ra­ture plus éle­vée, sera beau­coup plus impor­tante. L’im­pact sur les cultures ira croissant.

La capa­ci­té de l’a­gri­cul­ture à s’a­dap­ter au chan­ge­ment cli­ma­tique, dépen­dra de la rapi­di­té des chan­ge­ments, ain­si que de leur gra­vi­té. L’agriculture inten­sive, hau­te­ment tech­no­lo­gique et à grande échelle, néces­saire pour faire vivre des mil­liards de per­sonnes, sera d’un coût pro­hi­bi­tif rien qu’en termes d’éner­gie néces­saire. La pos­si­bi­li­té de dépla­cer mas­si­ve­ment les cultures vers le nord afin d’éviter le réchauf­fe­ment des tem­pé­ra­tures est limi­tée en rai­son de la mau­vaise qua­li­té des sols dans des endroits comme le nord du Cana­da et de la Rus­sie. De plus, les fluc­tua­tions de tem­pé­ra­ture seront plus impor­tantes vers les pôles.

Les prin­ci­pales preuves sont anec­do­tiques, mais cer­tains indi­ca­teurs nous montrent déjà que les pro­blèmes posés par l’instabilité du cli­mat seront plus impor­tants que les avan­tages que l’on pour­ra tirer de sai­sons de crois­sance plus longues dans les régions du nord. Si l’allongement des étés au Groen­land, par exemple, a aug­men­té la sai­son de crois­sance de deux semaines, ils deviennent plus secs et les pré­ci­pi­ta­tions sont deve­nues plus impré­vi­sibles, ce qui a des effets néfastes sur les cultures et le bétail (Kin­tisch, 2016).

L’é­lé­va­tion du niveau de la mer consti­tue un fac­teur de stress majeur pour la pro­duc­tion agri­cole en rai­son des pertes de terres arables, et de l’augmentation de la sali­ni­té due aux ondes de tem­pêtes. Selon Han­sen et al. (2016) : lors du der­nier inter­gla­ciaire, il y a envi­ron 140 000 ans, la terre était envi­ron 1 °C plus chaude qu’au­jourd’­hui, le niveau de la mer était de 6 à 9 mètres plus éle­vé, et il y avait des tem­pêtes extrêmes. Leur modé­li­sa­tion sug­gère qu’un réchauf­fe­ment de 2 °C pour­rait pro­vo­quer un arrêt du cou­rant de l’At­lan­tique Nord, une fonte des glaces dans l’At­lan­tique Nord et les océans du Sud, pro­vo­quant des gra­dients de tem­pé­ra­ture accrus, des tem­pêtes plus vio­lentes, et une élé­va­tion du niveau de la mer de plu­sieurs mètres dans un laps de temps très court de 50 à 150 ans. Fischer et al. (2018 p. 474) écrivent :

« Dans le pas­sé, un réchauf­fe­ment glo­bal moyen de 1 à 2 °C, avec une forte ampli­fi­ca­tion polaire a été syno­nyme de chan­ge­ments impor­tants dans le zonage cli­ma­tique et la répar­ti­tion spa­tiale des éco­sys­tèmes ter­restres et océa­niques. Un réchauf­fe­ment de cette impor­tance a éga­le­ment entraî­né une réduc­tion sub­stan­tielle des calottes gla­ciaires du Groen­land et de l’An­tarc­tique, avec une aug­men­ta­tion du niveau de la mer d’au moins plu­sieurs mètres sur des échelles de temps millénaires. »

Wal­lace Broe­cker a qua­li­fié la cir­cu­la­tion ther­mo­ha­line (ther­mo — pour tem­pé­ra­ture — et halin — pour sali­ni­té) de « talon d’A­chille du sys­tème cli­ma­tique ». Il estime que sans son par­cours actuel, les tem­pé­ra­tures hiver­nales moyennes en Europe chu­te­raient de 20 degrés ou plus. Selon lui :

« Il est cer­tai­ne­ment pos­sible que l’ac­cu­mu­la­tion gaz à effet de serre déclenche une autre de ces réor­ga­ni­sa­tions des océans, pré­ci­pi­tant ain­si les chan­ge­ments atmo­sphé­riques qui y sont asso­ciés. Si cela devait se pro­duire dans un siècle, tan­dis que nous serons en train de lut­ter afin de pro­duire suf­fi­sam­ment de nour­ri­ture pour nour­rir la popu­la­tion pré­vue de 12 à 18 mil­liards d’ha­bi­tants, les consé­quences pour­raient être dévas­ta­trices. (cité dans Smith, 2019). »

Le déclin des pol­li­ni­sa­teurs, que l’on constate d’ores et déjà, consti­tue une autre menace pour l’a­gri­cul­ture, par­tiel­le­ment due au chan­ge­ment cli­ma­tique (Nations unies, FAO, 2019).

L’aug­men­ta­tion des tem­pé­ra­tures aura un effet dévas­ta­teur sur la pro­duc­ti­vi­té agri­cole, notam­ment en rai­son de la sen­si­bi­li­té des céréales aux tem­pé­ra­tures extrêmes. On estime que 60 % des calo­ries consom­mées par l’homme pro­viennent seule­ment de trois céréales : le maïs, le riz et le blé. La modé­li­sa­tion de Bat­tis­ti & Nay­lor (2009 pp. 240–241) indique une pro­ba­bi­li­té de plus de 90 % pour que les tem­pé­ra­tures moyennes de la sai­son de crois­sance, dépassent les tem­pé­ra­tures sai­son­nières les plus extrêmes enre­gis­trées entre 1900 et 2006 dans la plu­part des régions tro­pi­cales et sub­tro­pi­cales. Lors de la cha­leur record de l’é­té 2003 en Europe, la pro­duc­tion de maïs a chu­té de 30 % en France et de 36 % en Ita­lie. Une étude de 2008 a révé­lé que l’A­frique aus­trale pour­rait perdre 30 % de sa récolte de maïs d’i­ci 2030 en rai­son des effets néga­tifs du chan­ge­ment cli­ma­tique. Les pertes de récoltes de maïs et de riz en Asie du Sud pour­raient éga­le­ment être impor­tantes (Lobell et al., 2008).

Le chan­ge­ment cli­ma­tique exa­cer­be­ra l’ins­ta­bi­li­té sociale et poli­tique. Il est dif­fi­cile d’é­ta­blir une rela­tion directe de cause à effet entre le chan­ge­ment cli­ma­tique et les conflits sociaux, mais les cor­ré­la­tions sont sug­ges­tives (Burke, Hsiang, & Miguel, 2015).

Les guerres au Dar­four et en Syrie et les migra­tions mas­sives hors d’A­frique du Nord ont été liées à des séche­resses. D’après le cli­ma­to­logue Michael Mann : « Le sou­lè­ve­ment syrien a été pro­vo­qué par une autre séche­resse, qui a été la pire des séche­resses enre­gis­trées — la pire depuis 900 ans, selon les paléo-registres. Cette grande séche­resse est à l’o­ri­gine d’une grande par­tie des conflits que nous obser­vons » (cité dans Wal­lace-Wells, 2017). Avec l’accélération du chan­ge­ment cli­ma­tique, des migra­tions seront moti­vées non seule­ment par la séche­resse, mais aus­si par l’é­lé­va­tion du niveau de la mer et l’in­ha­bi­ta­bi­li­té d’une grande par­tie de l’A­sie du Sud et du Moyen-Orient, en rai­son de tem­pé­ra­tures extrêmes.

Clark et al. (2016 p. 363) écrivent : « Étant don­né que le réchauf­fe­ment de dégla­cia­tion a entraî­né une pro­fonde trans­for­ma­tion de la Terre et des sys­tèmes éco­lo­giques, le réchauf­fe­ment pré­vu de +2,0 à 7,5 °C par rap­port aux condi­tions déjà chaudes de l’Ho­lo­cène (à un rythme beau­coup plus rapide que lors de la dégla­cia­tion) va éga­le­ment remo­de­ler la géo­gra­phie et l’é­co­lo­gie du monde. » Les migra­tions mas­sives et les conflits qui en résul­te­ront à cause de l’eau et de la nour­ri­ture désta­bi­li­se­ront très pro­ba­ble­ment les socié­tés futures.

6. Notre futur de chasseurs-cueilleurs

La tran­si­tion vers la chasse et la cueillette résul­te­ra-t-elle d’un effon­dre­ment catas­tro­phique de la civi­li­sa­tion ou d’une contrac­tion semi-ordon­née ? On peut avan­cer de solides argu­ments en faveur d’un effon­dre­ment catas­tro­phique sou­dain et d’une mort en masse d’Homo sapiens (Ehr­lich & Ehr­lich, 2013 ; Mor­gan, 2009 ; Spratt & Dun­lop, 2019). Un repor­tage de la BBC sur l’effondrement des civi­li­sa­tions (BBC, 2019) affirme :

« Les socié­tés pas­sées et pré­sentes ne sont que des sys­tèmes com­plexes com­po­sés de per­sonnes et de tech­no­lo­gies. La théo­rie des “acci­dents nor­maux” sug­gère que les sys­tèmes tech­no­lo­giques com­plexes s’écroulent régu­liè­re­ment en rai­son de quelque défaillance. L’ef­fon­dre­ment peut donc être un phé­no­mène nor­mal pour les civi­li­sa­tions, quelles que soient leur taille et leur com­plexi­té. Nous sommes peut-être plus avan­cés, tech­no­lo­gi­que­ment, aujourd’­hui. Mais cela ne devrait pas nous ame­ner à croire que nous sommes immu­ni­sés contre les menaces qui ont eu rai­son de nos ancêtres. Nos capa­ci­tés tech­no­lo­giques vont d’ailleurs de pair avec de nou­veaux pro­blèmes, sans pré­cé­dent his­to­rique. Et si l’échelle de notre civi­li­sa­tion est désor­mais mon­diale, l’ef­fon­dre­ment semble concer­ner aus­si bien les empires ten­ta­cu­laires que les royaumes nais­sants. Il n’y a aucune rai­son de croire qu’une plus grande taille pour­rait nous pré­ser­ver de la dis­so­lu­tion de notre civi­li­sa­tion. Notre sys­tème étroi­te­ment intri­qué et mon­dia­li­sé est, au contraire, davan­tage sus­cep­tible de pro­pa­ger des crises. »

Cela étant, l’ef­fon­dre­ment n’est pas un préa­lable néces­saire à un ave­nir de chas­seurs-cueilleurs pour notre espèce. Nous pou­vons évi­ter l’effondrement et connaitre une sorte de contrac­tion semi-ordon­née de la popu­la­tion humaine et de notre impact sur la bio­sphère. D’une manière ou d’une autre, en rai­son du stress envi­ron­ne­men­tal que le chan­ge­ment cli­ma­tique impo­se­ra à l’a­gri­cul­ture et du déclin inévi­table de la pro­duc­tion ali­men­taire, le nombre d’hu­mains sur la pla­nète dimi­nue­ra de manière dras­tique au cours des pro­chains siècles.

À mesure que les popu­la­tions humaines dimi­nue­ront et que la pro­duc­tion céréa­lière devien­dra pro­blé­ma­tique, les socié­tés éta­tiques telles que nous les connais­sons devien­dront de plus en plus dif­fi­ciles à main­te­nir. Ce qui sera bon pour la pla­nète et le bien-être des indi­vi­dus. Scott (2017) affirme que le citoyen moyen s’est trou­vé mieux loti après l’ef­fon­dre­ment des socié­tés éta­tiques du pas­sé. Il sou­tient que la période allant de l’apparition des États jus­qu’à leur com­plète hégé­mo­nie, quelque 5000 ans plus tard, a été un « âge d’or des bar­bares ». Ces bar­bares béné­fi­ciaient de l’autonomie néces­saire pour pra­ti­quer une petite agri­cul­ture, la chasse et la cueillette. En outre, ils avaient la pos­si­bi­li­té de s’ap­pro­prier une par­tie du butin de l’É­tat au moyen de raids et de pillages. Ces bar­bares, selon Beck­with (2009 p. 76, cité dans Scott pp. 232–233) :

« étaient sou­vent bien mieux nour­ris que les habi­tants des grands États agri­coles et leur vie était moins dure et plus longue. On obser­vait un flux constant de peuples qui fuyaient la Chine vers les royaumes de la steppe orien­tale où ils n’hésitaient pas à pro­cla­mer la supé­rio­ri­té du mode de vie nomade. De même, de nom­breux Grecs et Romains rejoi­gnaient les Huns ou d’autres peuples de l’intérieur de l’Eurasie, auprès des­quels ils vivaient mieux et étaient mieux trai­tés que chez eux. »

On peut envi­sa­ger un déclin rela­ti­ve­ment lent de la pro­duc­tion ali­men­taire et une dimi­nu­tion à l’avenant de la popu­la­tion et de la pro­duc­tion éco­no­mique, le tout sui­vant l’aggravation du chan­ge­ment cli­ma­tique. La dimi­nu­tion de l’ex­cé­dent éco­no­mique limi­te­ra de plus en plus la capa­ci­té des États à conser­ver leur mono­pole de la vio­lence et leur capa­ci­té à contrô­ler la popu­la­tion. C’est peut-être peu pro­bable, mais si les effets du chan­ge­ment cli­ma­tique s’avèrent suf­fi­sam­ment pro­gres­sifs, un atter­ris­sage en dou­ceur vers une éco­no­mie non agri­cole pour­rait être possible.

Serons-nous trop stupides pour redevenir des chasseurs-cueilleurs ?

La taille du cer­veau humain dimi­nue rapi­de­ment depuis le pas­sage à l’agriculture (de 1500cc à 1350cc). Ce fait est bien docu­men­té et est indé­pen­dant de la race, du sexe et de la situa­tion géo­gra­phique. Hen­ne­berg (1988, p. 395), par exemple, écrit sur le déclin de la capa­ci­té crâ­nienne en Europe et en Afrique du Nord pen­dant l’Holocène :

« Pour les hommes comme pour les femmes, la dimi­nu­tion au fil du temps est régu­lière, sta­tis­ti­que­ment signi­fi­ca­tive et inver­se­ment expo­nen­tielle. Une dimi­nu­tion de 157cc (9,9% de la valeur la plus éle­vée) chez les hommes et de 261cc (17,4%) chez les femmes est consi­dé­rable, d’un ordre de gran­deur com­pa­rable à la dif­fé­rence entre les moyennes pour H. erec­tus et H. sapiens sapiens. »

Si notre corps avait rétré­ci au même rythme que notre cer­veau, l’homme moyen mesu­re­rait 1,40 m et pèse­rait 30kg. Selon Hawks (2011), la dimi­nu­tion de la taille du cer­veau au cours des 10 000 der­nières années est près de 36 fois supé­rieure au taux d’aug­men­ta­tion des 800 000 années pré­cé­dentes. Rien ne prouve que notre cer­veau se serait opti­mi­sé afin d’être plus effi­cace, et que nous soyons ain­si tou­jours aus­si intel­li­gents, voire plus intel­li­gents qu’avant. Rien ne prouve que le cer­veau humain serait deve­nu plus com­plexe à mesure qu’il rétrécissait.

Pour ne rien arran­ger, il est prou­vé que des niveaux éle­vés de CO2 entraînent une dimi­nu­tion des capa­ci­tés cog­ni­tives. Une étude récente a révé­lé une baisse de 15 % des capa­ci­tés cog­ni­tives lorsque le taux de CO2 atteint 950 ppm, et une baisse de 50 % lors­qu’il atteint 1400 ppm. Le taux de CO2 ambiant attein­dra très pro­ba­ble­ment 1000 ppm au cours du siècle prochain.

6.1. La continuation de l’agriculture sera peu probable après la transition climatique et la fin des combustibles fossiles

Sans la manne des com­bus­tibles fos­siles du XXe siècle, et compte tenu de l’ins­ta­bi­li­té cli­ma­tique future, des pénu­ries d’eau et de la dégra­da­tion des sols, l’a­gri­cul­ture céréa­lière à grande échelle devien­dra impos­sible d’ici 100 à 200 ans. Les prin­ci­pales cultures dont nous dépen­dons montrent déjà des signes de stress dus au chan­ge­ment cli­ma­tique. Envi­ron la moi­tié de la popu­la­tion mon­diale dépend du riz comme prin­ci­pale source de calo­ries (Nguyen, 2005). La pro­duc­tion de riz sera affec­tée par l’é­lé­va­tion du niveau de la mer et l’aug­men­ta­tion de la tem­pé­ra­ture moyenne. Des tem­pé­ra­tures plus éle­vées entraînent une sté­ri­li­té accrue des plants de riz et une perte nette d’éner­gie plus impor­tante la nuit, car les plantes sont plus actives à des tem­pé­ra­tures plus élevées.

Kucha­rik et Ser­bin (2008) ont esti­mé que chaque aug­men­ta­tion sup­plé­men­taire de 1 °C de la tem­pé­ra­ture esti­vale entraî­ne­rait une baisse de la pro­duc­tion de maïs et de soja de 13 % et 16 %, res­pec­ti­ve­ment. Le blé subit éga­le­ment les effets néga­tifs du chan­ge­ment cli­ma­tique. Un modèle de simu­la­tion d’As­seng, Fos­ter et Tur­ner (2011) uti­li­sant des don­nées aus­tra­liennes a mon­tré que des varia­tions de 2 °C de la tem­pé­ra­ture moyenne de la sai­son de crois­sance peuvent entraî­ner une réduc­tion de 50 % de la pro­duc­tion de céréales.

En sup­po­sant qu’il y ait un déclin pré­ci­pi­té de la popu­la­tion humaine et que notre espèce soit à nou­veau carac­té­ri­sée par des bandes éparses de chas­seurs-cueilleurs, l’a­gri­cul­ture revien­drait-elle un jour ? Pro­ba­ble­ment pas. (1) les tem­pé­ra­tures seraient trop instables pour les prin­ci­pales cultures céréa­lières, (2) les varié­tés de riz, de blé et de maïs actuel­le­ment culti­vées ne pour­raient pas sur­vivre sans l’aide de l’homme et dis­pa­raî­traient, et (3) les chas­seurs-cueilleurs humains du Pléis­to­cène n’ont pas « choi­si » l’a­gri­cul­ture, et il est peu pro­bable que ceux du futur le fassent (Gow­dy & Krall, 2014).

6.2. L’environnement recouvrira la santé lorsque la domination humaine de la Terre cessera

Plu­sieurs expé­riences « natu­relles » ont eu lieu dans le sillage d’abandons invo­lon­taires de vastes zones par l’être humain, à la suite d’évènements impré­vus. Les terres conta­mi­nées autour de Tcher­no­byl et de Fuku­shi­ma, au Japon, sont désor­mais riches en faune et en flore, tout comme le no man’s land démi­li­ta­ri­sé entre la Corée du Nord et la Corée du Sud. Lorsque la domi­na­tion de l’homme sur la nature prend fin, le monde bio­lo­gique fait montre d’une éton­nante capa­ci­té à se gué­rir lui-même. Que res­te­ra-t-il de la nature au 22ème siècle et au-delà ? Pro­ba­ble­ment assez pour faire vivre des chas­seurs-cueilleurs humains. Une évo­lu­tion rapide se pro­dui­ra dans de « nou­veaux » ter­ri­toires. Le réta­blis­se­ment des plantes et des ani­maux dépen­dra de la gra­vi­té des effets du chan­ge­ment cli­ma­tique sur le monde bio­lo­gique, par exemple de la quan­ti­té de terres habi­tables après l’é­lé­va­tion du niveau de la mer et l’aug­men­ta­tion des tem­pé­ra­tures régio­nales (abou­tis­sant à des moyennes invi­vables dans divers endroits).

Étant don­né la rési­lience de la nature, lorsque la pres­sion humaine est sup­pri­mée, il y a lieu d’être opti­miste. On assis­te­ra sans doute à quelques mas­sacres d’a­ni­maux sau­vages pen­dant la période de contrac­tion —d’innombrables armes (à feu) cir­culent sur la pla­nète — mais les muni­tions, fac­teur limi­tant, s’é­pui­se­ront rapi­de­ment. Et si l’on en croit l’Histoire, la plu­part d’entre elles seront uti­li­sées contre d’autres humains.

7. Pouvons-nous faire quelque chose ? Quelques initiatives politiques s’inscrivant dans une perspective à long terme sur le changement climatique :

La vision éco­no­mique habi­tuelle n’est d’aucune uti­li­té dans la concep­tion de poli­tiques à long terme concer­nant le chan­ge­ment cli­ma­tique. […] En outre, la théo­rie stan­dard et les recom­man­da­tions poli­tiques basées sur l’é­tude des « pré­fé­rences » humaines se fondent presque tou­jours sur les pré­fé­rences des Occi­den­taux du monde capi­ta­liste. Hen­rich et al. (2010) ont docu­men­té les biais des enquêtes de pré­fé­rences, et ont conclu que les visions du monde des habi­tants des pays DINGO (Démo­cra­tiques, Indus­tria­li­sés, Nan­tis, Gou­ver­nés, Occi­den­ta­li­sés) sont aber­rantes par rap­port à la plu­part des cultures humaines. Étant aus­si mau­vais à déter­mi­ner les pré­fé­rences des humains vivant aujourd’­hui, com­ment pour­rions-nous connaître les pré­fé­rences de ceux qui vivront des cen­taines d’an­nées dans le futur ?

L’é­co­no­mie, comme la science, ne peut être uti­li­sée pour répondre aux ques­tions d’é­thique et for­mu­ler des juge­ments de valeur. Comme le disent Clark et ses col­la­bo­ra­teurs (2016 p. 366) : « Une éva­lua­tion des risques liés au chan­ge­ment cli­ma­tique ne pre­nant en compte que les 85 pro­chaines années [jus­qu’en 2100] d’im­pacts du chan­ge­ment cli­ma­tique ne four­nit pas les infor­ma­tions essen­tielles aux par­ties pre­nantes, au public et aux diri­geants poli­tiques char­gés de prendre des déci­sions au nom de tous, avec des impacts qui se feront sen­tir pen­dant des millénaires. »

Plu­sieurs ini­tia­tives lar­ge­ment débat­tues pour­raient réduire l’im­pact humain sur le monde natu­rel, et amé­lio­rer nos chances de sur­vie à long terme après un effon­dre­ment ou un déclin pro­gres­sif de la civi­li­sa­tion. Si nous devons reve­nir à la chasse et à la cueillette dans le futur, ces poli­tiques faci­li­te­ront la tran­si­tion et amé­lio­re­ront les pers­pec­tives de sur­vie de nos descendants.

7.1. Ré-ensauvagement

Le « ré-ensau­va­ge­ment » consiste à pro­té­ger et res­tau­rer les grands éco­sys­tèmes pri­mor­diaux et les zones de nature sau­vage exis­tantes et à éta­blir des cor­ri­dors entre eux (Mac­Kin­non, 2013 ; Mon­biot, 2014).

Le « ré-ensau­va­ge­ment » com­prend des pro­jets comme l’i­ni­tia­tive de conser­va­tion de Yel­lows­tone au Yukon, la cein­ture verte euro­péenne le long de l’an­cienne fron­tière du rideau de fer, et l’i­ni­tia­tive Buf­fa­lo Com­mons pour les grandes plaines américaines.

La beau­té de ces pro­jets est que, pour la plu­part, ils néces­sitent peu d’in­ves­tis­se­ments, sauf pour éta­blir des régle­men­ta­tions et des ser­vi­tudes, ain­si que pour la col­lecte et le sui­vi des infor­ma­tions scien­ti­fiques. Une fois mis en place, la nature s’oc­cupe du reste.

La réin­tro­duc­tion des loups dans le parc de Yel­lows­tone en 1995, soixante-dix ans après leur exter­mi­na­tion, nous four­nit un bon exemple de la rési­lience natu­relle, au tra­vers des effets qu’elle a pro­duits. De nom­breuses « cas­cades éco­lo­giques » posi­tives impré­vues se sont pro­duites, notam­ment l’aug­men­ta­tion des popu­la­tions de cas­tors, les­quels ont créé des habi­tats pour les oiseaux, les loutres et les élans. La pré­sence des loups a réduit les popu­la­tions de coyotes, entraî­nant une aug­men­ta­tion du nombre de petits mam­mi­fères qui, à leur tour, ont aug­men­té le nombre de hiboux, de renards et de blaireaux.

Chaque fois que la conver­sa­tion porte sur la pré­ser­va­tion de la nature, cer­taines per­sonnes réagissent immé­dia­te­ment et agres­si­ve­ment en s’exclamant : « Et les gens ? Vous vous sou­ciez de la nature plus que des hommes ! » Mais la res­tau­ra­tion de la nature n’a pas pour but d’empêcher les humains de s’y inté­grer : elle a pour but d’empêcher les mar­chés et l’é­co­no­mie indus­trielle de la dés­in­té­grer. Le conflit se situe entre la nature et l’ex­ploi­ta­tion éco­no­mique, non entre la nature et les hommes. La recon­nexion avec le monde natu­rel nous rend plus humains, pas moins.

7.2. Réduire rapidement la population humaine

La popu­la­tion humaine approche main­te­nant les 8 mil­liards. Elle aug­mente à un taux annuel de 1,1 %, ce qui repré­sente envi­ron 83 mil­lions de per­sonnes sup­plé­men­taires par an. Les pro­jec­tions à long terme sont très spé­cu­la­tives, et entre­voient tout et son contraire, de la crois­sance galo­pante à l’ef­fon­dre­ment de la popu­la­tion, qui tom­be­rait à 2,3 mil­liards en 2300[3]. La vision la plus lar­ge­ment accep­tée de l’évolution démo­gra­phique est celle de la « tran­si­tion démo­gra­phique ». Si les reve­nus conti­nuent d’aug­men­ter dans la plu­part des pays et que les per­sonnes les plus riches ont moins d’en­fants, la popu­la­tion mon­diale devrait atteindre un pic situé entre 9 et 11 mil­liards vers l’an 2100.

Mais cer­taines sta­tis­tiques récentes sug­gèrent que cette vue pour­rait être erro­née. En Europe, au cours des dix der­nières années envi­ron, les taux de fécon­di­té ont aug­men­té. En Afrique, les taux de fécon­di­té ont bais­sé pen­dant quelques années, mais, au lieu de conti­nuer à bais­ser comme le pré­voit la tran­si­tion démo­gra­phique, ils sont main­te­nant sta­bi­li­sés autour de 4,6.

Bien enten­du, l’ef­fet de la crois­sance de la popu­la­tion humaine sur le monde natu­rel est com­plexe, il dépend aus­si de l’u­ti­li­sa­tion d’énergie, de la consom­ma­tion de maté­riaux et de la tech­no­lo­gie. Ain­si que Paul et Anne Ehr­lich, Her­man Daly et d’autres par­ti­sans du contrôle de la popu­la­tion le sou­tiennent depuis long­temps, la popu­la­tion, la sur­con­som­ma­tion et l’emploi de tech­no­lo­gies des­truc­trices sont tous res­pon­sables de la des­truc­tion du monde natu­rel tel que nous le connais­sons (Daly, 2012 ; Ehr­lich & Ehr­lich, 1990). La dimi­nu­tion de la popu­la­tion humaine devrait consis­ter en une stra­té­gie coor­don­née de pla­ni­fi­ca­tion fami­liale, d’au­to­no­mi­sa­tion des femmes et d’é­ga­li­té éco­no­mique. Cepen­dant, tous les pro­blèmes aux­quels nous sommes confron­tés sont exa­cer­bés par une popu­la­tion croissante.

Comme le dit Paul Ehrlich :

« Résoudre le pro­blème de la popu­la­tion ne résou­dra pas les pro­blèmes du racisme, du sexisme, de l’intolérance reli­gieuse, des guerres, des inéga­li­tés éco­no­miques fla­grantes. Mais si nous ne résol­vons pas le pro­blème de la popu­la­tion, nous ne résou­drons aucun de ces problèmes. »

7.3. Protéger les cultures traditionnelles encore existantes

La sur­vie à long terme d’une espèce dépend de sa capa­ci­té à s’a­dap­ter aux chan­ge­ments des condi­tions envi­ron­ne­men­tales. L’évolution opé­rant au niveau des popu­la­tions et non des indi­vi­dus, l’a­dap­ta­bi­li­té dépend de l’exis­tence d’une diver­si­té suf­fi­sante au sein des popu­la­tions. Il pour­rait sem­bler que la diver­si­té humaine s’ac­croît, au motif qu’on retrouve de plus en plus de cultures et de races dif­fé­rentes dans quelques endroits spé­ci­fiques. Cepen­dant, à l’é­chelle mon­diale, les cultures humaines s’homogénéisent de plus en plus à mesure que les États du monde adoptent les valeurs et le mode de vie des pays DINGO (Démo­cra­tiques, Indus­tria­li­sés, Nan­tis, Gou­ver­nés, Occi­den­ta­li­sés) (Hen­rich, Heine, & Noren­zayan, 2010).

Compte tenu des chan­ge­ments sociaux et envi­ron­ne­men­taux immi­nents aux­quels nous sommes confron­tés, il est d’au­tant plus impor­tant de sou­te­nir et de pro­té­ger les cultures indi­gènes qui sub­sistent dans le monde et qui ont encore la capa­ci­té de vivre en dehors de la civi­li­sa­tion moderne. Il existe encore des socié­tés humaines qui n’ont que peu de contacts avec le monde exté­rieur. Ces groupes sont peut-être les seuls à pos­sé­der les com­pé­tences néces­saires pour sur­vivre à une apo­ca­lypse cli­ma­tique, sociale ou technologique.

8. Résumé et conclusion

Le chan­ge­ment cli­ma­tique a été un moteur majeur de l’é­vo­lu­tion bio­lo­gique et sociale de l’es­pèce humaine. Pen­dant quelque 97 % de notre exis­tence, nous avons vécu en tant que chas­seurs-cueilleurs au Pléis­to­cène, une époque géo­lo­gique carac­té­ri­sée par des varia­tions cli­ma­tiques extrêmes, des périodes gla­ciaires et des périodes chaudes. L’a­gri­cul­ture, peut-être la prin­ci­pale tran­si­tion dans notre évo­lu­tion sociale, a été ren­due pos­sible par le cli­mat excep­tion­nel­le­ment chaud et stable de l’Holocène.

Cette sta­bi­li­té cli­ma­tique est déjà com­pro­mise par les émis­sions de CO2 issues de l’utilisation mas­sive de com­bus­tibles fos­siles par l’é­co­no­mie indus­trielle. Si nous conti­nuons à en brû­ler pen­dant encore quelques décen­nies encore, nous détra­que­rons lar­ge­ment le sys­tème cli­ma­tique. Sans la sta­bi­li­té cli­ma­tique et l’éner­gie abon­dante et bon mar­ché du XXe siècle, il est peu pro­bable que l’a­gri­cul­ture soit pos­sible au XXIe siècle et au-delà. La civi­li­sa­tion s’ef­fon­dre­ra ou dis­pa­raî­tra pro­gres­si­ve­ment au cours des siècles à venir.

Le poten­tiel écrou­le­ment à venir de la civi­li­sa­tion ne devrait pas nous faire renon­cer à l’at­té­nua­tion du chan­ge­ment cli­ma­tique au tra­vers d’un chan­ge­ment radi­cal du sys­tème agro-indus­triel glo­bal, d’un com­bat pour la jus­tice sociale ou de quelque pro­gramme poli­tique pro­gres­siste. Nos pers­pec­tives de sur­vie s’a­mé­lio­re­ront consi­dé­ra­ble­ment si nous limi­tons l’aug­men­ta­tion des tem­pé­ra­tures à 3 °C, au lieu de finir à 6–8 °C, en met­tant en place des poli­tiques sociales et envi­ron­ne­men­tales visant à réduire les pires effets du chan­ge­ment cli­ma­tique. À long terme, la vision d’un retour à un mode de vie de chasse et de cueillette est fol­le­ment opti­miste en com­pa­rai­son des dys­to­pies tech­no­lo­giques envi­sa­gées par de nom­breux auteurs de science-fic­tion et phi­lo­sophes sociaux. Toutes les carac­té­ris­tiques qui nous carac­té­risent en tant qu’espèce — la com­pas­sion pour les autres, l’in­tel­li­gence, la pré­voyance et la curio­si­té — nous viennent du Pléis­to­cène (She­pard, 1998). Nous sommes deve­nus humains en tant que chas­seurs et cueilleurs et nous pour­rons retrou­ver notre huma­ni­té en retour­nant à ce mode de vie.

John Gow­dy


Tra­duc­tion : Nico­las Casaux

Nous ne repro­dui­sons pas les réfé­rences, qui peuvent être consul­tées sous l’article ori­gi­nal, à l’adresse sui­vante : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0016328719303507

  1. Cette esti­ma­tion, pour le Pléis­to­cène supé­rieur, est basée sur les études de Kaplan, Lan­cas­ter et Hur­ta­do (2000) concer­nant des chas­seurs-cueilleurs contem­po­rains. Les esti­ma­tions de l’es­pé­rance de vie sont notoi­re­ment dif­fi­ciles à com­pa­rer en rai­son des dif­fé­rences de mor­ta­li­té infan­tile, des effets des guerres et des épi­dé­mies, et d’autres fac­teurs locaux.
  2. Les scé­na­rios « alar­mistes » ne devraient pas être reje­tés d’emblée. Le modèle cli­ma­tique du MIT pré­voit une pro­ba­bi­li­té de 10 % d’un réchauf­fe­ment de 7 °C sans poli­tique agres­sive de lutte contre le chan­ge­ment cli­ma­tique. Cette faible pro­ba­bi­li­té ne signi­fie pas « aucune chance » et cette pos­si­bi­li­té doit être prise en compte dans le cadre de poli­tiques pru­dentes en matière de chan­ge­ment cli­ma­tique. https://globalchange.mit.edu/research/research-tools/risk-analysis/greenhouse-gamble
  3. https://en.wikipedia.org/wiki/Projections_of_population_growth ; Uni­ted Nations. World popu­la­tion pros­pects. https://esa.un.org/unpd/wpp/Publications.

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  1. Hé oui, heu­reu­se­ment que ce texte est pré­sen­té avec la note du tra­duc­teur car tout est déjà dit sur la suite puis­qu’il s’a­dresse à des « domi­nants », il ne peut que les cares­ser dans le sens du poil. Jamais il ne men­tionne la cause de tout cela et ne peut donc la remettre en ques­tion puisque c’est l’i­déo­lo­gie occi­den­tale de toute puis­sance et de conquête infi­nie jus­qu’à la pla­nète Mars.
    En vrac il n’ose par­ler d’anticapitalisme(sacrilège) indus­triel, d’oc­ci­den­ta­li­sa­tion, de « peau de toutes les cou­leurs, masque blanc » . Il ne parle prin­ci­pa­le­ment que de réchauf­fe­ment et lors­qu’il aborde l’empoisonnement c’est pour dire que Tcher­no­byl et Fuku­shi­ma sont désor­mais « riches en faune et flore » bas voyons ;
    http://independentwho.org/fr/2012/03/05/la-faune-ignore-la-radiophobie/ et http://independentwho.org/media/Documents_Autres/Actes_forum_IW_november2014_French_01.pdf
    et cette com­pa­rai­son des tailles du cer­veau qui rap­pelle les années sombres bien avant Ehr­lich et sa bombe P. Je pense que tous les pro­pos du genre : « La dimi­nu­tion de la popu­la­tion humaine devrait consis­ter en une stra­té­gie coor­don­née de pla­ni­fi­ca­tion fami­liale » etc et les pro­pos de Ehr­lich qui valent Gates etc sont infectes (eugé­nisme) et révèlent encore cette pré­ten­tion occi­den­tale à vou­loir « ordon­ner, régir le monde » ; à vou­loir « résoudre le pro­blème de la popu­la­tion » comme de la faim, « nous ne résou­drons aucun de ces pro­blèmes » etc Alors que la sur­po­pu­la­tion est la consé­quence et jamais la cause. Tou­jours cette suprême lâche­té ou mal­hon­nê­te­té à ne pas remon­ter aux causes comme pour le covid par exemple (http://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=1384 et https://blogs.mediapart.fr/nicholas-bell/blog/260420/detruire-les-ecosystemes-et-recolter-les-virus-revue-de-presse-sous-confinement).
    Je crois que c’est Albert Jac­quard qui disait que la terre pou­vait bien sup­por­ter dix mil­liard de per­sonnes mais tout dépen­dait de la « sorte d’homme » ça peut le faire avec des chas­seurs-cueilleurs mais pas avec des bill musk waren trump Pinault etc. et les grosses têtes à qui s’a­dres­sait Gowdy.
    On peut deman­der à Gow­dy de revoir son texte mais en s’a­dres­sant à des autoch­tones en lutte ou des migrants dans leurs camps ou des sdf en occi­dent etc. Mais la « sur­po­pu­la­tion » n’est du res­sort de per­sonne et cela inva­lide le reste du pro­pos du texte un tan­ti­net. Car les « puis­sances de l’argent » ne veulent que voir cela et sur­tout rien d’autre qui puisse remettre en ques­tion leur « mode de vie non négociable » .

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