Trois jours chez les transhumanistes (Par n°0670947011009)

Texte récu­pé­ré sur le site de Pièces et Main d’Oeuvre, à l’a­dresse sui­vante.


On sait que le «  zéro défaut  » n’existe pas et que les plus hautes tech­no­lo­gies de pointe ont par­fois des « dys­fonc­tion­ne­ments » aux « effets per­vers ». Voi­ci n° 0 67 09 47 011 009, un cyborg — un orga­nisme cyber­né­tique — qui n’aurait jamais dû fran­chir le contrôle Qua­li­té avant sa mise en ser­vice. Un cyborg atteint d’aberration. N° 0 67 09 47 011 009 a la curio­si­té mal­saine du pas­sé humain — de son pas­sé. Ce cyborg assez déré­glé pour éprou­ver des sen­ti­ments, peut-être une nos­tal­gie rance, moi­sie, nau­séa­bonde et pour tout dire réac­tion­naire de ses ori­gines, convainc son col­lègue hacker de le télé­char­ger pour un bref voyage dans le pas­sé. Les aléas de l’espace temps en réa­li­té vir­tuelle l’amènent à assis­ter au pre­mier col­loque trans­hu­ma­niste en France, du 20 au 22 novembre 2014, à Paris, c’est-à-dire chez les pion­niers et pro­mo­teurs du monde-machine. On a beau dire, le hasard est grand. Et les mémoires numé­riques presque aus­si vastes.

C’est ain­si que grâce au compte-ren­du de n° 0 67 09 47 011 009, nous décou­vrons à la fois les pro­pa­gan­distes du trans­hu­ma­nisme, leurs dis­cours, leurs tac­tiques et sur­tout leur idéo­lo­gie, qui n’est autre que l’idéologie domi­nante à l’ère des tech­no­lo­gies conver­gentes : soit ce pro­duit des uni­ver­si­tés amé­ri­caines répan­du sous le label de French Theo­ry.

Suite aux récents mas­sacres, contre les Juifs et contre la liber­té d’expression, des amis deman­de­ront « Vous n’avez rien de plus urgent à dire ?… Vu le contexte ?… L’actualité ? » Ellul remar­quait que les mass-media tech­no­lo­giques favo­risent les réflexes au détri­ment de la réflexion. Nous trai­tons ici la véri­table actua­li­té, le vrai contexte. Ce que l’historien Fer­nand Brau­del nom­mait « la longue durée » et sans laquelle les évé­ne­ments immé­diats res­tent mys­té­rieux, si gigan­tesques et mons­trueux soient-ils. Quoi de plus inac­tuels en appa­rence que Char­bon­neau (1910–1996) et Ellul (1912–1994), dans les années trente et qua­rante ; au vrai temps des fas­cismes, du sta­li­nisme, de la Grande Dépres­sion, de la guerre, de l’Occupation, etc. Quoi de plus risible que leur « groupe per­son­na­liste du Sud-Ouest », cette équipe de chré­tiens « non-confor­mistes » en ran­don­née pédestre et intel­lec­tuelle, et dont nul ne publiait les livres. Les mili­tants du « concret » et de « l’urgence » s’en tapent encore les cuisses. A tort. Depuis Hiro­shi­ma, la cyber­né­tique, l’automation et l’organisation scien­ti­fique de la socié­té, leurs ana­lyses ont pas­sé l’épreuve des faits, quand celle-ci pul­vé­ri­sait celles des « progressistes ».

« Nous sommes des révo­lu­tion­naires mal­gré nous », disent Ellul et Char­bon­neau. « Aujourd’hui, toute doc­trine qui se refuse à envi­sa­ger les consé­quences du Pro­grès, soit qu’elle pro­clame ce genre de pro­blèmes secon­daires (idéo­lo­gie de droite), soit qu’elle le divi­nise (idéal de gauche), est contre-révolutionnaire. »

C’est qu’ils avaient anti­ci­pé quelque chose de pire que les tota­li­ta­rismes poli­tiques : l’homme-machine incar­cé­ré dans le monde-machine ren­du pos­sible par l’emballement technologique.

Le fait majeur du der­nier siècle, ce n’est pas tel ou tel évé­ne­ment, si atroce et spec­ta­cu­laire soit-il, c’est — à l’abri des évè­ne­ments, comme der­rière un décor — l’avènement du tech­no-tota­li­ta­risme. L’islamo-fascisme sera vain­cu comme d’autres patho­lo­gies poli­tiques avant lui. Les drones, les RFID, les implants élec­tro­niques, les camé­ras, la bio­mé­trie, les réseaux, les sys­tèmes de pilo­tage des indi­vi­dus et des socié­tés, eux, se déve­lop­pe­ront de plus belle.

Désor­mais, et en dépit des san­glants remous de sur­face, la contra­dic­tion prin­ci­pale oppose l’humain (d’origine ani­male) aux inhu­mains (d’avenir machinal).

Lisez Ellul. Lisez Char­bon­neau. Comme disait Char­lie Heb­do dans les années 1970.




Si vous savez ce qu’est un singe en cage, vous com­pre­nez ma condi­tion. J’étouffe dans ma socié­té et mon temps. Je hais mes sem­blables. Leur effi­ca­ci­té, leur fonc­tion­na­li­té. Jamais le contrôle Qua­li­té n’aurait dû me vali­der. Mes impul­sions sont non-conformes. Depuis ma fabri­ca­tion, je cherche mes ori­gines humaines dans les didac­ti­ciels d’Histoire et mes implants de mémoire aug­men­tée. J’ai scan­né les e‑archives du cloud et vécu des évé­ne­ments his­to­riques en réa­li­té vir­tuelle, mais ceci est faux. Nul ne me com­prend hors mon ami, le meilleur bio-hacker de la cyber­sphère. Wlad est un as, il vend très cher des implants sur-mesure. Mes erreurs sys­tème le fas­cinent. Je le laisse exa­mi­ner mes cir­cuits, à condi­tion qu’il ne me repro­gramme pas. Il y a une semaine, il m’a convié dans son labo. « — Je peux t’envoyer dans le pas­sé. — Avec tes implants 3D ? non mer­ci. — Non, réel­le­ment. À la date que tu veux. Dans la peau d’un humain. »

Nous des­cen­dons des humains, eux-mêmes issus de lignées ani­males. Mais nous devons notre condi­tion à leur volon­té, non au pro­ces­sus évo­lu­tion­naire qui les avait faits et aux­quels ils étaient étran­gers. Pour­quoi ces aïeux dont je me sens si proche ont-ils fait ce choix ?

« Une peau d’humain, Wlad ? Télé­charge-moi au XXIe siècle. »

C’est ain­si que j’ai débar­qué à Trans­Vi­sion 2014, « pre­mier col­loque trans­hu­ma­niste inter­na­tio­nal orga­ni­sé en France ». Chez nos pré­cur­seurs, les pion­niers de la tran­si­tion post-humaine.

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Muni de billets reçus par Inter­net, me voi­ci le 20 novembre 2014 devant l’Espace des sciences Pierre-Gilles-de-Gennes de l’École supé­rieure de phy­sique et de chi­mie indus­trielles de Paris, près de la rue Mouf­fe­tard. À l’entrée, des humains me tendent un papier — un « Appel des Chim­pan­zés du futur » signé « Pièces et main d’œuvre », hos­tile à « l’homme-machine » et aux trans­hu­ma­nistes accu­sés de vou­loir « liqui­der l’espèce humaine[1] ». Pre­mière nou­velle : je ne suis pas le pro­duit d’une volon­té col­lec­tive de l’humanité, d’un désir par­ta­gé, mais d’un rap­port de forces — d’un viol, comme on disait du temps de la repro­duc­tion sexuée. Le post-humain a eu des oppo­sants, effa­cés de nos implants mémo­riels. Triste récon­fort. Mais alors les inaug­men­tés, les infé­rieurs qui crou­pissent hors de la cyber­sphère seraient les des­cen­dants de ces réfrac­taires ? Les ancêtres de ces mal­heu­reux auraient refu­sé de deve­nir cyborgs ? Brouillard dans mes cap­teurs. Per­sonne n’en parle jamais, com­ment l’aurais-je su.

J’imagine com­bien les oppo­sants furent mino­ri­taires. Ce col­loque est accueilli par une école pres­ti­gieuse, haut lieu de l’excellence scien­ti­fique[2], que pré­side une élue de Paris, Marie-Chris­tine Lemar­de­ley. Alliance des pou­voirs scien­ti­fiques, poli­tiques et indus­triels dif­fi­cile à bloquer.

Le col­loque s’intitule « Le trans­hu­ma­nisme face à la ques­tion sociale ». Il est orga­ni­sé par l’Association fran­çaise des trans­hu­ma­nistes, Tech­no­prog, qui se dit de gauche et « tech­no­pro­gres­siste ». De gauche ? Au pays des ser­vices publics et de la Sécu, il s’agit de séduire les pro­gres­sistes, de vali­der la com­pa­ti­bi­li­té entre éga­li­té et post-huma­ni­té. Marc Roux, le pré­sident de Tech­no­prog, répète qu’« un autre trans­hu­ma­nisme est pos­sible », pour se dis­tin­guer des trans­hu­ma­nistes « conser­va­teurs », de droite, par­ti­sans de la concur­rence et du marché.

Ain­si les pro­mo­teurs du post-humain avaient entre eux des diver­gences. Ça me fait une belle prothèse.

Ce sont les trans­hu­ma­nistes amé­ri­cains qui financent l’événement, via trois struc­tures : Huma­ni­ty + (ex-World Trans­hu­ma­nist Asso­cia­tion, créée en 1998 par les phi­lo­sophes Nick Bos­trom et David Pearce, implan­tée à Los Angeles, pré­si­dée par la desi­gner Nata­sha Vita-More, et ini­tia­trice des confé­rences Trans­Vi­sion), l’Institute for Ethics and Emer­ging Tech­no­lo­gies (IEET), think tank fon­dé par James Hugues et Nick Bos­trom, et la fon­da­tion Tera­sem de la mil­lion­naire Mar­tine Roth­blatt — on y reviendra.

L’accès du hall est contrô­lé : gar­dienne, por­tillons à carte sans contact. Il faut pré­sen­ter ses papiers d’identité, émar­ger, accro­cher son badge. De jeunes hôtes des asso­cia­tions fiXience et Traces, coor­ga­ni­sa­trices du col­loque, se chargent du pro­ces­sing. Des tren­te­naires à l’allure bran­chée — slim ou robe fleu­rie, bot­tines et ver­nis à ongle côté filles ; barbe de trois jours, jean et écharpe côté gar­çons — débor­dés mais contents que ça twitte sur l’événement. Il faut por­ter son badge pour cir­cu­ler dans l’espace où, « comme on l’a vu, cer­tains sont venus pour autre chose que le col­loque ». Marc Roux fait allu­sion aux dis­tri­bu­teurs de tracts. Le pré­sident de Tech­no­prog res­semble à un direc­teur de MJC. Queue-de-che­val, barbe, jean et pull camion­neur, dent man­quante (et les pro­thèses alors ?). Il arti­cule avec un ton de prof et un léger accent du sud. Vous lui confie­riez vos enfants in real life.

Nous sommes 80 dans un amphi à moi­tié vide. On nous dis­tri­bue des casques pour la tra­duc­tion, assu­rée par deux inter­prètes. Comme dans tout col­loque, nombre d’auditeurs sont aus­si ora­teurs. Soit une ving­taine de per­sonnes, plus les membres des asso­cia­tions orga­ni­sa­trices. Beau­coup de jour­na­listes, de l’AFP, des Inrocks, du Soir, de Libé­ra­tion, du Canard Enchaî­né, d’Arte, de France 2 notam­ment (Marc Roux n’en revient pas d’avoir décro­ché la « Une » du gra­tuit Métro­news). Les pro­fanes sont 30 à 40, dont peut-être la moi­tié sui­vront les trois jours. Retrai­tés, cher­cheurs, doc­to­rants. Des curieux. Cer­tai­ne­ment pas l’« assem­blée de trans­hu­ma­nistes » décrite par le repor­ter des Inrocks, qui ne dis­pose il est vrai ni de ma cog­ni­tion aug­men­tée, ni de mon oreille bio­nique bran­chée sur les conver­sa­tions privées.

Voi­ci la jeune kiné en mas­ter d’histoire des reli­gions à l’université catho­lique de Lou­vain, l’ancien cadre de l’industrie cos­mé­tique, l’étudiant en maths d’Orsay qui masque sa juvé­ni­li­té sous une barbe soi­gnée, et qui jus­ti­fie l’écart entre dis­cours scien­ti­fique et média­tique (un cher­cheur peut dire qu’il existe un risque nucléaire non négli­geable, mais pas publi­que­ment, sinon vous ima­gi­nez la panique) ; les jumeaux cir­cas­siens espa­gnols de Bruxelles qui pré­parent un spec­tacle sur le trans­hu­ma­nisme, la retrai­tée fan de science-fic­tion qui approuve les confé­ren­ciers à voix haute, la docu­men­ta­liste de lycée en for­ma­tion, l’étudiant en desi­gn, l’écolo inquiet du réchauf­fe­ment cli­ma­tique, la doc­to­rante en « Arts & sciences » qui fait sa thèse sur la place des artistes dans la révo­lu­tion de la socié­té par les tech­no­lo­gies, l’apprenti-naturopathe sor­ti des Dam­nés de Vis­con­ti (che­veux blonds pla­qués en arrière, visage de cire, main­tien figé, cra­vate, veste bleue marine à empiè­ce­ments de cuir, montre en or, man­teau plié sur l’avant-bras, il n’a qu’une pomme dans l’estomac depuis le matin car la diète et les bio­tech­no­lo­gies sont sources de lon­gé­vi­té), le couple quin­qua­gé­naire dont le mon­sieur s’y connaît en ges­tion des res­sources humaines, le Sué­dois ven­tru qui res­semble à un patron de start up, la bande de jour­na­listes décon­trac­tés chic, qui com­parent les mérites des docu­men­taires Un homme (presque) par­fait et Un monde sans humains. L’un d’eux déchiffre un livre de Pièces et main d’œuvre pen­dant les talks. Un pro­vo­ca­teur ? Non, il a de la dis­tance et une moue iro­nique, il est juste milieu, tout est ques­tion de dosage.

Les doc­to­rants se repèrent à leur façon d’attraper le confé­ren­cier à la pause pour lui deman­der son mail, de pla­cer leur sujet de thèse dans chaque dis­cus­sion, en gar­dant pour eux leur cor­pus, afin de pré­ser­ver leur car­rière en toute neu­tra­li­té axio­lo­gique. C’est à eux que je dois en par­tie mon sort. Mon séjour chez les humains n’améliore pas mon humeur. Je connais l’issue de la crise — ce moment où tout peut bas­cu­ler d’un côté ou de l’autre — qu’ils feignent d’ignorer ou de dési­rer. Se haïssent-ils à ce point ? Sont-ils si las d’eux-mêmes ? Je découvre une huma­ni­té acca­blée par son propre poids. Comme si l’histoire avait trop duré, émous­sé l’émerveillement d’être vivant. Cyborg, j’ignore tout de cette sen­sa­tion. Le mot « vie » n’est pour nous qu’un éty­mon ou une méta­phore. Mais je suis défec­tueux ; j’ai lu les poètes humains, écou­té la musique et vu la pein­ture des âges anciens, j’ai appro­ché ce qui n’appartient qu’aux mor­tels. Ils ne peuvent pas tous être ces pan­tins capri­cieux, insen­sibles et anthro­po­phobes, ces bla­sés qui croient avoir fait le tour de la condi­tion humaine ?

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Aucun spec­ta­teur du col­loque ne se déclare trans­hu­ma­niste, ni oppo­sant ; la plu­part consi­dèrent le phé­no­mène « inté­res­sant » à dis­cu­ter, comme l’euthanasie ou la tran­si­tion éner­gé­tique. Cer­tains s’emballent, tel ce retrai­té à che­veux blancs qui hous­pille les ora­teurs, trop fri­leux à son goût. Tout a échoué, les reli­gions, les phi­lo­so­phies, les sys­tèmes poli­tiques ; l’homme va repro­duire ses échecs à l’infini. Donc pour chan­ger le monde, il faut chan­ger l’homme. Pour­quoi les trans­hu­ma­nistes ne disent-ils pas clai­re­ment : « voi­là ce qu’on va chan­ger dans le cer­veau, pour tra­vailler sur la jalou­sie, la ran­cœur, la colère ? » En fait, ce per­fec­tion­niste devrait s’adresser à Cli­na­tec, la cli­nique expé­ri­men­tale du cer­veau du Com­mis­sa­riat à l’énergie ato­mique de Gre­noble. On y tra­vaille déjà, grâce aux nano-bio-neu­ro­tech­no­lo­gies, à « chan­ger dans le cer­veau » les com­por­te­ments com­pul­sifs, addic­tifs, dépressifs.

Des objec­tions filtrent. Cette jeune femme qui moquait le tract de Pièces et main d’œuvre le pre­mier matin, part le soir en remar­quant : « Tout-de-même, on balaie un peu vite les inéga­li­tés, comme si elles allaient dis­pa­raître d’un coup ». Deux autres relèvent l’agressivité des trans­hu­ma­nistes à la moindre réserve. Mais dans une ambiance feu­trée — ther­mos et bis­cuits —, il ne faut pas une demi-jour­née pour que tout le monde se tutoie. Entre nous durant trois jours, on finit par se prendre pour des ini­tiés. De quoi créer une proxi­mi­té avec nos hôtes transhumanistes.

Dans le hall, les œuvres de quatre étu­diants ayant répon­du à l’appel à pro­jets de fiXience, asso­cia­tion qui veut « mettre en lumière les ques­tions que la science pose à la socié­té et celles, en retour, que la socié­té pose à la science ». L’autre asso­cia­tion co-orga­ni­sa­trice, Traces (Théo­ries et réflexions sur l’ap­prendre, la com­mu­ni­ca­tion et l’é­du­ca­tion scien­ti­fiques) cherche, elle, « à créer des espaces pri­vi­lé­giés de prise de recul, d’expérimentation et d’innovation dans le domaine de la com­mu­ni­ca­tion publique de la science. » La jeune fon­da­trice de fiXience, Marie Chau­vier, se pas­sionne pour l’utérus arti­fi­ciel. Elle a tra­vaillé pour Viva­go­ra, offi­cine qui vend des simu­lacres (cycles de pseu­do-débats, « forums par­ti­ci­pa­tifs ») aux déci­deurs en butte à l’opposition anti-tech­no­lo­gie[3]. L’association Traces vend for­ma­tion, média­tion et « consul­tance » (sic), notam­ment à Bayer, Schlum­ber­ger, la SNCF, la Région Ile-deFrance ou la Com­mis­sion euro­péenne. Elle gère l’Espace des sciences Pierre-Gilles-de-Gennes. Chiffre d’affaires 2013 : 491 303 €.

Ces entre­prises de per­sua­sion m’intéressent. Leur exis­tence prouve que « l’homme aug­men­té », comme on disait, n’allait pas de soi. Il a fal­lu ces « média­teurs » pétris­seurs d’opinion pour obte­nir l’acceptabilité des tech­nos­ciences, for­ma­ter les esprits, notam­ment des plus jeunes, afin d’étouffer toute ten­ta­tive d’« arrê­ter le pro­grès ». Ils furent les auxi­liaires des trans­hu­ma­nistes, des pou­voirs publics et des labo­ra­toires. De quel bud­get les « Chim­pan­zés du futur » dis­po­saient-ils contre eux ?

Donc, les œuvres des étu­diants. Un court-métrage sur le dopage high-tech des spor­tifs en 2072. Le site Inter­net d’une entre­prise ima­gi­naire qui pro­pose le télé­char­ge­ment du cer­veau. Des maquettes de villes avec dif­fé­rents scé­na­rios de ségré­ga­tion sui­vant les niveaux d’augmentation des humains. Une ins­tal­la­tion avec un fau­teuil entou­ré d’un tube en PVC d’où filtre une lumière bleue, et deux écrans noirs car la vidéo est en cours de mon­tage, qui repré­sente une cel­lule sphé­rique d’immersion sen­so­rielle où le sujet, grâce à ses cap­teurs, baigne dans un état de bien-être. Enfin, quand ce sera fini. Nous sommes requis de voter pour notre pro­jet pré­fé­ré à l’aide de boules de cotillons colo­rées. Il doit me man­quer des fonc­tions humaines. Je vote pour le graf­fi­ti dans les toi­lettes : « À ma mort, je lègue­rai mon cer­veau à la science-fiction ».

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Au fil des confé­rences, les trans­hu­ma­nistes déroulent un dis­cours tech­nique ou tac­tique, sans se don­ner la peine d’élaborer une pen­sée. À quoi bon, quand on nage dans le sens des révo­lu­tions tech­no­lo­giques ? En 2014, les NBIC[4] pro­dui­saient déjà : pro­thèses de membres connec­tées au sys­tème ner­veux, implants cochléaires et rétines arti­fi­cielles, implants neu­ro-élec­tro­niques pour modi­fi­ca­tion des com­por­te­ments et humeurs, modi­fi­ca­tion des sou­ve­nirs par opto­gé­né­tique, exos­que­lettes, puçage RFID sous-cuta­né, trans­crip­tion des ondes céré­brales en don­nées lisibles par une machine (inter­faces homme-machine), dis­po­si­tifs de réa­li­té aug­men­tée, objets connec­tés « intel­li­gents », smart­phones, big data, cloud com­pu­ting, robots huma­noïdes, séquen­çage ADN, sélec­tion géné­tique des embryons, ingé­nie­rie tis­su­laire et orga­nique, créa­tion d’organismes arti­fi­ciels par bio­lo­gie de syn­thèse, pré­mices d’intelligence arti­fi­cielle et de modé­li­sa­tion du cerveau.

À quoi tra­vaillaient la recherche et l’industrie, sinon à la construc­tion de l’homme-machine ? Pas besoin de lob­by ni de com­plot. Il suf­fi­sait aux trans­hu­ma­nistes d’accompagner le mou­ve­ment de quelques idées simples et brutales.

Le trans­hu­ma­nisme est l’autre nom des tech­no­lo­gies conver­gentes. Leurs oppo­sants devaient, eux, pen­ser à contre-cou­rant, c’est-à-dire avec force et jus­tesse. Il aurait fal­lu tra­vailler dur pour res­ter humain. Pour com­prendre en quoi le « pro­grès » tech­no­lo­gique deve­nait un tech­no-tota­li­ta­risme, un regrès social et humain ; pour­quoi il valait la peine de défendre le genre humain comme espèce ani­male (ins­crite dans l’histoire natu­relle) et consciente (capable d’agir sur le monde). Pour­quoi les NBIC étaient incom­pa­tibles avec les idéaux de liber­té, d’égalité, de jus­tice et de fraternité.

Humains, dois-je vous dire ce que vous avez per­du en vous tra­his­sant ? Vous ne crai­gnez ni mala­die ni mort. Vous êtes fonc­tion­nels durant des siècles. Vous ne connais­sez ni le temps, ni le rythme, ni l’art. Votre langue, comme votre exis­tence, est effi­cace et sans cou­leur. Vous êtes ras­su­rés, éter­nel­le­ment. Vous igno­rez les sen­sa­tions, ain­si qu’Hans Mora­vec vous l’avait annon­cé (« The senses have no future[5] ») — vos cap­teurs sont sen­sibles pour vous. Vous construi­sez votre iden­ti­té par le choix sur cata­logue de vos implants et pro­thèses, vous maî­tri­sez votre tra­jec­toire, l’inconnu vous est incon­nu. Jamais la sur­prise, l’impromptu, le hasard, le doute, ne troublent l’organisation ration­nelle de votre exis­tence. Rien ne vous arrive. Vous fonc­tion­nez, pour tou­jours, à votre place au sein de la cyber­four­mi­lière, où vous exé­cu­tez vos simu­lacres d’existence selon le scé­na­rio opti­mal conçu par les algorithmes.

***

Je com­mence à com­prendre. Mou­rir effraie les hommes. C’est ce qui les fait vivre. Sauf les trans­hu­ma­nistes, dont la concep­tion machi­nique du monde assi­mile la vie à la per­for­mance tech­no­lo­gique, la mort à un pro­blème tech­nique. Pour­quoi deve­nir homme-machine ? Parce que c’est tech­ni­que­ment pos­sible. Quelle pau­vre­té. Le rai­son­ne­ment assis­té par ordi­na­teur confond quan­ti­té et qua­li­té. Didier Cœur­nelle, vice-pré­sident de Tech­no­prog, décrit la socié­té des immor­tels : plus riche (on tra­vaille­ra plus long­temps, on dépen­se­ra moins pour se soi­gner), plus apai­sée (moins de délin­quance chez les vieux, un citoyen âgé est un citoyen heu­reux), plus éco­lo­gique (les vieux soignent l’environnement), pré­ser­vée de la sur­po­pu­la­tion par la baisse de la nata­li­té (sur le modèle de Sin­ga­pour avec 0,9 enfant par femme). Une socié­té de vieux éter­nels et satis­faits — le stade avant les cyborgs.

Selon Cœur­nelle, refu­ser les recherches sur l’allongement de la vie s’apparente à la non-assis­tance à per­sonne en dan­ger. « Nos adver­saires disent que nous avons peur de la mort, mais refu­ser d’être immor­tel, c’est avoir peur de la vie ! N’est-ce pas une forme suprême d’arrogance que de consi­dé­rer l’être humain comme abou­ti et n’ayant pas besoin d’être amé­lio­ré ? » Croit-il en sa démons­tra­tion ? Front dégar­ni poivre et sel, veste trop large, voix de cré­celle, regard fuyant, ner­vo­si­té. Il inter­pelle la salle : « Qui veut mou­rir du can­cer ? d’Alzheimer ? Per­sonne, donc vous êtes tous trans­hu­ma­nistes. » Mur­mures dans le public. « Ques­tion oiseuse ! » Une dame au micro se dit « atter­rée ». Cœur­nelle déteste qu’on le contre­dise. Le débat fini, il fonce sur ses contra­dic­teurs pour les som­mer de s’expliquer.

Pour­quoi être immor­tel serait-il plus enviable qu’être humain ? Les trans­hu­ma­nistes ne se posaient pas la ques­tion. En tech­ni­ciens, ils se deman­daient « com­ment », jamais « pour­quoi ». Même leurs « phi­lo­sophes » ou socio­logues, pro­sé­lytes du fait accom­pli tech­no­lo­gique, s’intéressaient aux moyens d’agir plu­tôt qu’aux rai­sons. Imper­méables à l’appréhension sen­sible du monde, ils com­mu­ni­quaient en code binaire. La pen­sée machi­nale et la recherche d’efficacité avaient écra­sé ce qui se nom­mait autre­fois les « huma­ni­tés » — phi­lo­so­phie, lit­té­ra­ture, his­toire, langues anciennes.

Pour se dis­traire, ils ont invi­té à leur col­loque des res­ca­pés de ces dis­ci­plines. Les­quels recueillent incom­pré­hen­sion, moque­rie, agres­si­vi­té, de contra­dic­teurs étanches aux idées. Quand le phi­lo­sophe Fran­ces­co Ador­no doute que tous les humains refusent leur condi­tion de mor­tels, le bio­lo­giste Fran­çois-Xavier Pal­lay répond par des études de psy­cho­lo­gie prou­vant scien­ti­fi­que­ment l’inverse. Quand on évoque le sens d’une vie éter­nelle, le vice-pré­sident de Tech­no­prog balaie : là n’est pas le débat. Quand le phi­lo­sophe Jean-Michel Bes­nier fait l’éloge de l’inachèvement et de l’aléatoire de la vie, il recueille un silence indif­fé­rent. Nul ne se donne la peine de lui répondre. Je réa­lise que Bes­nier fait par­tie du décor, il est l’opposant offi­ciel invi­té à chaque réunion trans­hu­ma­niste. Il est com­pa­tible : Marc Roux peut lui taper dans le dos et rire avec lui de la « répu­ta­tion exa­gé­rée » de Pièces et main d’œuvre qui n’a pas per­tur­bé le col­loque ; Tech­no­prog peut grâce à lui se van­ter d’être démo­cra­tique — c’est à quoi servent les idiots vaniteux.

J’ai décou­vert dans les e‑archives la que­relle des « deux cultures ». Charles P. Snow, phy­si­cien et écri­vain anglais, avait déplo­ré en 1959 le schisme entre scien­ti­fiques et « intel­lec­tuels lit­té­raires[6] ». Les scien­ti­fiques moto­ri­sant la socié­té depuis la révo­lu­tion indus­trielle, Snow rageait de l’ignorance et du mépris dans lequel les tenaient les lit­té­raires, « lud­dites par tem­pé­ra­ment ». En 2014, le mépris était depuis long­temps inver­sé. Les huma­ni­tés ayant bais­sé pavillon devant l’arrogante bru­ta­li­té tech­no-scien­ti­fique. Comme disait Marc Roux : « Les for­ma­tions scien­ti­fiques devraient consti­tuer l’un des prin­ci­paux piliers de la construc­tion de notre ave­nir. (…) Il n’est plus suf­fi­sant de se sou­cier d’enseigner un monde pas­sé, à tra­vers l’histoire, la lit­té­ra­ture ou l’histoire de la phi­lo­so­phie[7]. » J’aurais pu ras­su­rer ce pro­mo­teur de l’esprit d’innovation : ma pro­gram­ma­tion n’a subi aucune influence du pas­sé, encore moins des « intel­lec­tuels lit­té­raires ». Que pour­raient ensei­gner les poètes aux cyborgs ?

Face non humaine
De telz gens qu’on maine
Raire ailleurs : ceans
Ne seroit seans.
Vui­dez ce dom­maine
Face non humaine.

Court-cir­cuit. Je réini­tia­lise mes connexions.

***

Cher­cher l’immortalité peut effrayer, vous faire pas­ser pour fou ou dan­ge­reux. En bonne tac­tique, mieux vaut évi­ter ce terme, nous explique Aubrey de Grey. Cette figure du trans­hu­ma­nisme — Anglais ins­tal­lé en Cali­for­nie — est fidèle à sa répu­ta­tion de tech­no-pro­phète. Barbe et che­veux longs, allure mys­tique, il a le main­tien modeste et la langue qui sos­sotte. Avec sa femme, ils forment un couple de vieux beat­niks geeks. Elle a de longs che­veux filasse, une den­ti­tion épou­van­table, le dos voû­té. Ils sont les héri­tiers des pre­miers trans­hu­ma­nistes issus de la contre-culture amé­ri­caine des années 1960. Aubrey de Grey réfute la déno­mi­na­tion « trans­hu­ma­niste », trop idéo­lo­gique. Il veut juste pour­suivre la recherche médi­cale comme on l’a tou­jours fait, ne tra­vaille pas sur l’immortalité mais sur la san­té, le rajeu­nis­se­ment et l’abolition du vieillis­se­ment — dont l’immortalité sera une consé­quence. On recon­naît l’argument « cene­quiste » — « ce n’est que la pour­suite, etc ». L’intelligence arti­fi­cielle aus­si, n’est que l’amélioration de l’automatisation : cela ne devrait effrayer per­sonne. Aubrey de Grey donne une leçon de nov­langue. Ne pas dire « Nous devien­drons dif­fé­rents de l’humanité », mais « Great­ly enhan­ced tech­no­lo­gy can deli­ver great­ly enhan­ced human hap­pi­ness » [Une tech­no­lo­gie lar­ge­ment amé­lio­rée pour­ra offrir un bon­heur humain lar­ge­ment amé­lio­ré]. C’est plus simple que de sou­le­ver la ques­tion de la condi­tion humaine, selon lui.

De Grey tra­vaille à la Sens Research Foun­da­tion, finan­cée en par­tie par son héri­tage mater­nel et par le mil­liar­daire trans­hu­ma­niste Peter Thiel, fon­da­teur de Pay­pal et admi­nis­tra­teur de Face­book. Le plan est prêt : d’ici 20 ans, le pro­gramme Sens 1.0 don­ne­ra pro­ba­ble­ment 30 ans de lon­gé­vi­té sup­plé­men­taire. Durant les­quels devrait abou­tir Sens 2.0 qui don­ne­ra 50 ans. Et ain­si de suite. Si on réus­sit Sens 1.0, le plus dur est fait.

Le fond de sa pen­sée : « de toute façon, l’humanité change, donc pour­quoi dis­cu­ter ? On n’a pas besoin que tous les gens soient vision­naires, on a besoin qu’ils soient de notre côté. » Suit un débat tac­tique. Les acti­vistes trans­hu­ma­nistes n’aident-ils pas à pro­mou­voir le mou­ve­ment ? Ne faut-il pas être radi­cal et dire sin­cè­re­ment qu’on veut l’immortalité ? De Grey est for­mel : l’activisme pro­voque un débat idéo­lo­gique inutile ; par­ler tech­nique — ce qu’on peut faire, com­ment, à quelle échéance — « c’est plus facile à vendre au public et aux poli­tiques ». Il est facile d’éliminer les objec­tions des oppo­sants en se concen­trant sur la san­té : la recherche médi­cale est res­pec­tée. Comme dit Gene­viève Fio­ra­so, secré­taire d’État gre­no­bloise à la Recherche et à l’enseignement supé­rieur : « La san­té, c’est incon­tes­table. Lorsque vous avez des oppo­si­tions à cer­taines tech­no­lo­gies et que vous faites témoi­gner des asso­cia­tions de malades, tout le monde adhère[8]. » Trans­hu­ma­niste de la Sili­con Val­ley et socié­tale-libé­rale de la tech­no­pole isé­roise : même pro­jet, même discours.

***

Gauche, droite : notions obso­lètes. Je dois faire mon édu­ca­tion poli­tique. Être trans­hu­ma­niste de gauche, c’est vou­loir en finir avec l’humain tous ensemble. Au pro­gramme : reve­nu uni­ver­sel garan­ti (pour l’éternité) ; inves­tis­se­ments publics dans les tech­no­lo­gies de l’immortalité, afin de garan­tir l’augmentation pour tous et toutes ; gou­ver­nance opti­mi­sée grâce aux logi­ciels de démo­cra­tie directe.

L’Anglais David Wood, membre des Lon­don Futu­rists, estime qu’il fau­dra amé­lio­rer l’organisation sociale en même temps que l’évolution bio­lo­gique, et deve­nir « plus col­la­bo­ra­tifs et empa­thiques ». Pas de pro­blème, on fait d’excellents implants pour ça. De son côté Xavier Pavie, direc­teur de l’ISIS (Ins­ti­tute for stra­te­gic inno­va­tion and ser­vices) à l’ESSEC, est fier d’enseigner à ses étu­diants le trans­hu­ma­nisme res­pon­sable, car, assure-t-il, « le trans­hu­ma­nisme est une inno­va­tion comme une autre ».

Col­la­bo­ra­tif, res­pon­sable, éga­li­taire : un tel pro­gres­sisme ne pou­vait que séduire la gauche tech­no­li­bé­rale. À l’été 2013, l’hebdomadaire Poli­tis fai­sait la part belle aux alter-trans­hu­ma­nistes de Tech­no­prog, dans son dos­sier « L’homme aug­men­té, c’est déjà demain ». Depuis plu­sieurs années, Jean-Luc Mélen­chon, lea­der du Front de Gauche, pré­dit : « Ce qui était autre­fois une condi­tion bio­lo­gique a ces­sé d’être une ser­vi­tude. Demain nous vain­crons la mort[9]. » « (…) un jour, nous vain­crons la mort et alors ce qui était le cœur de la condi­tion humaine, qui était sa fini­tude subie devien­dra d’une manière ou d’une autre une fini­tude que l’on aura choi­sie[10]. » Des ondes ++ pour les trans­hu­ma­nistes fran­çais qui les retrans­mettent en toute occasion.

Pour ce col­loque, ils ont invi­té Corinne Naras­si­guin, porte-parole du Par­ti socia­liste, ex-dépu­tée, ingé­nieur en tech­no­lo­gies de l’information et de la com­mu­ni­ca­tion. Elle déplore l’incapacité de ses col­lègues poli­tiques à anti­ci­per les évo­lu­tions tech­no­lo­giques. Or, « être de gauche, c’est consi­dé­rer celles-ci comme des oppor­tu­ni­tés pour le pro­grès humain », dit-elle à ses hôtes com­blés. Mme Naras­si­guin se sou­met au fait accom­pli, au motif que « le post­hu­ma­nisme ne peut plus être consi­dé­ré comme un simple arti­fice de science-fic­tion ou un exer­cice phi­lo­so­phique abs­trait. (…) Les socia­listes doivent réflé­chir et débattre de cette nou­velle étape de l’é­vo­lu­tion humaine pour redé­fi­nir ce qu’est l’hu­ma­nisme au 21ème siècle. » En 2014, les poli­ti­ciens pro­gres­sistes sou­te­naient le pro­jet d’homme-machine, qui n’était plus un délire de tech­no­lâtres mais une « nou­velle étape de l’évolution humaine ». Un fait acquis. Encore fal­lait-il accou­tu­mer le peuple à son futur-machine : « Quand on constate notre inca­pa­ci­té à orga­ni­ser un débat intel­li­gible et apai­sé sur la GPA, pra­tique issue d’une tech­no­lo­gie médi­cale vieille de plu­sieurs décen­nies, on peut s’in­quié­ter de notre capa­ci­té à pré­pa­rer la socié­té fran­çaise aux débats éthiques néces­saires sur ces nou­velles tech­no­lo­gies de l’hu­main[11]. »

Pour Corinne Naras­si­guin, le lien entre « ges­ta­tion pour autrui » (loca­tion d’utérus) et homme-machine va de soi. Marc Roux estime, comme elle, que les deux répondent, d’une « même logique qui peut nous per­mettre de nous rendre le plus indé­pen­dant pos­sible (…) de nos corps[12] ». Com­ment le logi­ciel de cette gauche poli­tique a‑t-il fusion­né avec celui des trans­hu­ma­nistes ? Là, j’ai besoin de mes implants aug-cog.

Data­base : FichTech#32 / His­toire des idées / XXe / XXIe 

Dans la der­nière par­tie du XXe siècle et au début du XXIe domine chez les intel­lec­tuels, les uni­ver­si­taires et les mili­tants de gauche la pen­sée de la « décons­truc­tion » : il faut, disent les post­mo­dernes, décons­truire les grands récits et la méta­phy­sique, le lan­gage, l’identité, et avant tout le sujet auto­nome héri­té des Lumières. Née en France et pro­pul­sée par son suc­cès sur les cam­pus amé­ri­cains, la « French Theo­ry » enva­hit le pou­voir poli­tique, média­tique et uni­ver­si­taire aus­si bien que les milieux contes­ta­taires, asso­cia­tifs ou « radi­caux ». Elle est la pen­sée domi­nante de l’époque des tech­nos­ciences triom­phantes, dont elle par­tage les pré­sup­po­sés théo­riques issus du para­digme cyber­né­tique[13]. Tout est code, infor­ma­tion, mes­sage. Le corps, la pen­sée, le lan­gage, la nature sont purs sys­tèmes infor­ma­tion­nels. D’où les ana­lo­gies (pré­ludes aux hybri­da­tions) entre cer­veau et ordi­na­teur, pro­gramme géné­tique et pro­gramme infor­ma­tique, corps et machine, évo­lu­tion et pro­ces­sus de com­plexi­fi­ca­tion algo­rith­mique. D’où la modé­li­sa­tion mathé­ma­tique de tout phé­no­mène vivant (de la cel­lule à « l’écosystème » en pas­sant par les affects et les inter­ac­tions sociales). Deuxième étape : la numé­ri­sa­tion du monde, soit la réduc­tion sys­té­ma­tique de toute infor­ma­tion au code infor­ma­tique, qui uni­fie et rend com­pa­tibles le vivant et l’inerte. Tout est dans tout. Tout se vaut. La cyber­né­tique est dans l’ADN du cyborg ; ceci est à peine une métaphore.

Ce réduc­tion­nisme opère éga­le­ment dans la phi­lo­so­phie post­mo­derne, qui nour­rit ce mou­ve­ment des sciences « dure ». Der­ri­da, Fou­cault, Deleuze, Guat­ta­ri par­mi d’autres, valo­risent l’hybride contre le sujet sou­ve­rain, théo­risent le rela­ti­visme (rien n’existe hors du lan­gage, qui est une construc­tion, donc aucune réa­li­té objec­tive n’est pos­sible — même la sub­jec­ti­vi­té est une illu­sion), et l’instabilité iden­ti­taire (je fais de moi-même ce que je veux).

« Allons encore plus loin, nous n’avons pas encore trou­vé notre CsO (NdA : Corps sans organes), pas assez défait notre moi. (…) Le plan de consis­tance ignore (…) toute dif­fé­rence entre l’artificiel et le natu­rel. (…) Il n’y a pas de bio­sphère, de noo­sphère, il n’y a par­tout qu’une seule et même Méca­no­sphère[14]. » (Deleuze & Guattari)

« Il n’y a pas à s’émouvoir par­ti­cu­liè­re­ment de la fin de l’homme : elle n’est que le cas par­ti­cu­lier, ou si vous vou­lez une des formes visibles d’un décès beau­coup plus géné­ral. Je n’entends pas par cela la mort de Dieu, mais celle du Sujet, du Sujet majus­cule, du sujet comme ori­gine et fon­de­ment du Savoir, de la Liber­té, du Lan­gage et de l’Histoire.[15] » (Fou­cault)

Suivent les épi­gones de la French Theo­ry clas­sés, selon la taxo­no­mie amé­ri­caine uni­ver­sel­le­ment adop­tée, en « cultu­ral stu­dies », « post­co­lo­nial stu­dies », « Black stu­dies », « gen­der stu­dies », « gay and les­bian stu­dies », « women stu­dies », « subal­tern stu­dies », « disa­bi­li­ty stu­dies ». Les­quels dégradent la décons­truc­tion en décons­truc­tion du don­né, du déjà-là et en « décons­truc­tion de toutes les formes de domi­na­tion » (que cha­cun décons­truise le domi­nant en lui selon ses caté­go­ries d’appartenance : cou­leur de peau, sexe, âge, sexua­li­té, état de vali­di­té, natio­na­li­té, etc). D’après le concept fou­cal­dien de « micro­po­li­tique », tout est poli­tique : la fron­tière public/privée est abo­lie, cha­cun devient comp­table devant les autres de son for intérieur.

Les héri­tiers de la French Theo­ry poussent à bout la quête de l’hybride — jusqu’au « monstre » —, l’effacement du sujet et de toute dis­tinc­tion (homme/femme, nature/artifice, public/privé, etc, ces dicho­to­mies qui, comme le diable[16], sont accu­sées de dés­unir). Tout est construit, rien n’est don­né de façon natu­relle donc, tout doit être décons­truit et réagen­cé. Il n’y a pas d’huma­ni­té, mais un agré­gat d’entités éparses, por­teuses de « micro-récits » (Lyo­tard) et libres de se recons­truire selon leur volon­té. Le post­mo­der­nisme en action se nomme transhumanisme.

Chi­mères, revue deleu­zo-guat­ta­rienne : « Dans le débat phi­lo­so­phique des grands auteurs de réfé­rence, il est d’ailleurs essen­tiel­le­ment ques­tion de craintes et de rai­dis­se­ments dans un monde post-humain où les tech­no­lo­gies sont hors de contrôle (…). Il serait néces­saire de plier et déplier ces cri­tiques dans d’autres direc­tions, plus prag­ma­tiques, comme le pro­posent les tra­vaux de Michel Fou­cault, de Gilles Deleuze et Félix Guat­ta­ri (…). Au lieu d’être tout sim­ple­ment des “enne­mies du corps”, toutes ces nou­velles formes d’hybridation (…) peuvent nous offrir de nou­velles voies d’accès à un corps non plus “pri­son” ou “tom­beau”, mais “pla­teau”, région d’intensité conti­nue, qui ne se laisse pas arrê­ter par des fron­tières exté­rieures (celles de la “nature” ou de l’“organisme”) mais qui pro­cède par modu­la­tions, vibra­tions et varia­tions d’intensité[17]. »

Le deleu­zien Domi­nique Ques­sa­da : « L’intériorité et la pro­fon­deur, ça n’existe pas (…) Il n’y a pas de dif­fé­rence entre être et chose (…) Il n’y a pas de rup­ture entre ma peau et l’air qui l’entoure (…) Il n’y a pas de bord qui ter­mine mon corps (ou n’importe quel corps phy­sique) et où com­mence ce qui ne serait plus moi (…) La pro­thé­tique moderne (…) et bien­tôt les implants d’interfaçage infor­ma­tique entre le corps et les banques de don­nées — résulte de cette inclu­sion du réel dans le sujet et du sujet dans le réel (l’utérus arti­fi­ciel à venir, par exemple, per­met­tra une ecto­ge­nèse c’est-à-dire une ges­ta­tion en-dehors du corps humain, met­tant poten­tiel­le­ment hommes et femmes à éga­li­té devant la repro­duc­tion)[18]. »

Le der­ri­do-deleu­zien Jean-Mar­tin Clet : « Dif­fi­cile du coup de dire “ce qu’est un homme”, où passe la fron­tière avec l’inhumain puisque notre réa­li­té n’est ni bio­lo­gique ni zoo­lo­gique, rede­vable d’aucun pro­gramme sup­po­sé natu­rel. (…) Alors, entre le corps vivant et la machine pro­thé­tique, la dif­fé­rence s’estompe et des alliances inédites pour­ront peu­pler les uni­vers de la chair comme du métal[19]. »

La fou­cal­dienne Judith But­ler pro­pose quant à elle « rien de moins que la recons­truc­tion de la réa­li­té, la recons­truc­tion de l’humain[20] ».

Si les post­mo­dernes ont tant décons­truit, ce n’était certes pas pour lais­ser vide la place des anciennes normes, mais pour la com­bler de leurs nou­veaux codes, d’autant plus per­for­ma­tifs que relayés et démul­ti­pliés par les nou­velles tech­no­lo­gies. Recons­truire l’humain, dixit But­ler. Afin que nul ne parle jamais plus « pour les autres », au nom d’un pré­ten­du point de vue uni­ver­sel (« humain », disaient les anciens), on impo­sa d’abord le lan­gage situé (en tant que ceci-cela), puis la décom­po­si­tion en infra-lan­gages adap­tés aux par­ti­cu­la­ri­tés de cha­cun. Pour finir, on aban­don­na l’idée de par­ta­ger quoi que ce soit par la langue, qui devint outil de com­mu­ni­ca­tion à visée uti­li­taire. Any­way, l’essentiel de l’existence fonc­tionne via les inter­faces machi­niques. Plus besoin de dire « je », le matri­cule d’un cyborg est bien plus explicite.

Cette notice me met à jour sur les confé­rences Trans­Vi­sion. Je com­prends mieux l’intervention de Syl­vie Allouche. Auteur d’une thèse sur « les enjeux socio-poli­tiques de l’anthropotechnique à tra­vers la science-fic­tion », celle-ci sou­ligne la néces­si­té de tra­vailler sur l’imaginaire pour pro­mou­voir le monde post-humain : « La science-fic­tion est un bon outil, à condi­tion de choi­sir les bons auteurs ». Allouche se bat contre l’influence sur les jeunes cer­velles du Meilleur des Mondes et de 1984, seuls livres de SF lus à l’école, et mal inter­pré­tés. Car, débite cette jeune post­mo­derne, « nous n’avons pas à plaindre les habi­tants du Meilleur des Mondes, très heu­reux puisqu’adaptés. Notre juge­ment sur ce qui est bon et digne est pater­na­liste et colo­nia­liste. » Qui sommes-nous pour décré­ter ce qu’est le bon­heur ? C’est un point de vue per­for­ma­tif, comme dirait Judith But­ler. Si ça me plaît d’être un cyborg, ou un Del­ta, ou un indi­vi­du non sexuel­le­ment déter­mi­né, et de modi­fier mon corps à loi­sir, où est le problème ?

Comme moi, Syl­vie Allouche a des pro­blèmes de réglages. Elle avoue être cho­quée par l’excision, ce qui est non-conforme au rela­ti­visme. Com­ment une Occi­den­tale ose-t-elle juger de ce qui est bon et digne pour les Afri­caines ? Colo­nia­lisme nau­séa­bond. Heu­reu­se­ment, n’étant pas un homme, elle s’épargne un cri­tère oppressif.

Ce n’est pas le cas de Gabriel Dorthe, qui porte pour la vie le poids de sa nais­sance dans la peau d’un salaud. Un homme blanc, occi­den­tal, Suisse par-des­sus le mar­ché. À sa mort, il sera « Dwem » (Dead white euro­pean male), grade le plus éle­vé par­mi les oppres­seurs sur l’échelle de la décons­truc­tion (à moins d’être homo­sexuel). Il ne manque jamais une occa­sion de battre sa coulpe d’un air de curé contrit, qui dis­si­mule mal sa suf­fi­sance de phi­lo­sophe bien­tôt diplô­mé. Gabriel fait sa thèse par­mi les trans­hu­ma­nistes de Tech­no­prog, il est phi­lo­sophe embed­ded. Il aime la démarche de Lepht Ano­nym, hacker de son propre corps et gen­der­less (sans genre). Il s’applique à alter­ner « il » et « elle » pour évo­quer cette enti­té adepte du kit­chen trans­hu­ma­nism, qui s’anesthésie à la vod­ka pour s’implanter des choses dans la chair. Dorthe est un lec­teur du maga­zine tech­no-furieux Usbek & Rika et un émule de la cyber-fémi­niste Don­na Hara­way — l’auteur du Cyborg Mani­fes­to, qui rêve de fabri­quer un « moi par excel­lence, enfin déga­gé de toute dépen­dance, un homme de l’espace[21] ». Encore une à qui j’enverrais bien un flash du futur.

Dorthe s’inquiète aus­si des effets per­for­ma­tifs et oppri­mants des oppo­si­tions binaires nature/culture, homme/femme, transhumanistes/bioconservateurs. Plu­tôt que de choi­sir un camp, il pré­fère se lais­ser affec­ter par ces oppo­si­tions et par l’inquiétude : suis-je encore un humain ? N’est-ce pas exal­tant de se poser la ques­tion ? (Au fait, sup­pri­mer les bina­ri­tés en rédui­sant le monde à un code binaire 0/1 n’émeut pas les post­mo­dernes. Tout est relatif.)

Le XXe siècle a été for­mi­dable, qui a effri­té ces pola­ri­tés, même si, par­don d’être un salaud, il reste beau­coup de tra­vail sur la bina­ri­té homme/femme. Comme cha­cun sait, ces dicho­to­mies ser­vaient à fon­der un sys­tème de valeurs hié­rar­chi­sé (l’homme supé­rieur à la femme, l’homme supé­rieur à la tech­no­lo­gie, etc.) au pro­fit de l’homme blanc occi­den­tal suisse. Heu­reu­se­ment, il y a dans la théo­rie du cyborg un poten­tiel libé­ra­teur : comme Hara­way, Dorthe pense que le deve­nir-cyborg des humains éli­mi­ne­ra la dif­fé­rence sexuelle et l’oppression qui en résulte. Fin du prêche contre­tou­tes­les­for­mes­de­do­mi­na­tio­net­de­pri­vi­lèges — sauf ceux de la car­rière uni­ver­si­taire, faut pas déconner.

Ce doc­to­rant décons­truit a rai­son. Les cyborgs ont abo­li les bina­ri­tés au pro­fit d’une mul­ti­tude d’entités mou­vantes, que l’absence de traits saillants rend uni­formes. L’hybridation a vain­cu les iden­ti­tés, comme la langue a effa­cé les reliefs. Nous sommes tout à la fois, c’est-à-dire rien, afin que nul ne se croie supé­rieur ou dif­fé­rent. Oh la hié­rar­chie demeure, évi­dem­ment. Nous n’avons pas tous la même fonc­tion et les mêmes attri­bu­tions dans la cyber­sphère. Cer­tains sont plus implan­tés que d’autres. Il faut bien attri­buer les places et les postes. Mais je dis ça parce que je suis non-conforme.

Pause diver­tis­sante. Voi­ci un artiste post­mo­derne, invi­té à aérer le col­loque Trans­Vi­sion pour son der­nier jour. Blouse blanche et ton publi­ci­taire, Maël Le Mée joue le confé­ren­cier scien­ti­fique, van­tant avec force détails et humour les « organes de confort » conçus par un ins­ti­tut ima­gi­naire. La « den­ti­tion sto­ma­cale » par exemple, faci­lite vos déjeu­ners d’affaires, en vous per­met­tant de par­ler au lieu de mâcher votre repas. Le Mée prône des amé­lio­ra­tions « DIY » (do it your­self), comme dans le kit­chen trans­hu­ma­nism de Lepht Ano­nym. Il se dit révo­lu­tion­naire en tant qu’« artiste queer », trans­genre ten­dance bio-art low tech. Sans doute met-il en pra­tique la pro­cla­ma­tion de la théo­ri­cienne queer Bea­triz Pre­cia­do : « La prise de parole des mino­ri­taires queer est un avè­ne­ment non tant post­mo­derne que post-humain[22]. » Je ne vois rien de trans­genre ni de queer dans sa per­for­mance, mais s’il veut croire à ses énon­cés per­for­ma­tifs, c’est son droit. À moins qu’il ne soit une fille ? Mes connais­sances en la matière sont toutes théoriques.

Reve­nons à la poli­tique. C’est le bioé­thi­cien amé­ri­cain James Hugues qui détaille le mieux la connexion entre idéo­lo­gie post­mo­derne et trans­hu­ma­nisme « de gauche ». Petit bedon­nant en che­mise et cra­vate, élo­cu­tion à haut débit, le direc­teur de l’Institute for Ethics and Emer­ging Tech­no­lo­gy car­to­gra­phie les mou­ve­ments trans­hu­ma­nistes, leurs alliés et leurs oppo­sants. Les lignes de par­tage entre conser­va­teurs et pro­gres­sistes ne sont plus seule­ment tra­cées du point de vue éco­no­mique et du point de vue cultu­rel, explique-t-il. Au XXIe siècle s’ajoute une troi­sième dimen­sion, « bio­po­li­tique ». Sur cet axe s’opposent bio­con­ser­va­tisme et trans­hu­ma­nisme. Par exemple, les pre­miers défendent l’humain (l’exception humaine) quand les seconds s’attachent à la per­sonne (qui peut aus­si être l’apanage d’une intel­li­gence arti­fi­cielle ou d’un post-humain).

Au sein du trans­hu­ma­nisme, Hugues dis­tingue les conser­va­teurs — Ray Kurz­weil, la Sin­gu­la­ri­ty Uni­ver­si­ty, Google, Peter Thiel, les néo-réac­tion­naires à la Zol­tan Ist­van — des tech­no-pro­gres­sistes qui orga­nisent le col­loque Trans­Vi­sion. Ceux-là sont proches des « tech­no-gaïens » (« éco­lo­gistes » pro­mo­teurs de la géoin­gé­nie­rie, du nucléaire, des OGM et de l’innovation), du par­ti Pirate alle­mand voire des liber­taires. Leurs meilleurs alliés res­tent les « domi­nés » : han­di­ca­pés, femmes, homo­sexuels, trans­genres. Une alliance évi­dente : les tech­no-pro­gres­sistes reven­diquent avec les néo­fé­mi­nistes, les mou­ve­ments LGBT et queer et le post-gen­de­risme, le dépas­se­ment tech­no­lo­gique des contraintes bio­lo­giques, le libre choix des déter­mi­nants cor­po­rels, l’auto-fabrication d’identités fluides et la repro­duc­tion artificielle.

James Hugues étu­die depuis long­temps cette conver­gence idéo­lo­gique. « Le post­gen­de­risme (…) pro­pose de trans­cen­der le genre non seule­ment par des moyens sociaux et poli­tiques, mais en les com­plé­tant par des moyens tech­no­lo­giques. (…) seuls le flou­tage et l’érosion du sexe bio­lo­gique, du cer­veau gen­ré, des rôles sociaux binaires par les tech­no­lo­gies conver­gentes per­met­tra aux indi­vi­dus d’accéder à tous les poten­tiels humains et à toutes les expé­riences, quels que soient leur sexe de nais­sance ou leur genre assu­mé. (…) Une espèce post-bio­lo­gique serait par défi­ni­tion (…) une enti­té post-genre (…) Les bio­tech­no­lo­gies, les neu­ro­tech­no­lo­gies et les tech­no­lo­gies de l’information per­mettent de com­plé­ter ce pro­jet de nous libé­rer du patriar­cat et des contraintes de la bina­ri­té de genres. Les tech­no­lo­gies post-genre met­tront un terme à l’auto-identification figée, bio­lo­gique et sexuelle, per­met­tant aux indi­vi­dus de déci­der pour eux-mêmes quels traits bio­lo­giques et psy­cho­lo­giques gen­rés ils veulent gar­der ou reje­ter[23]. »

Un pro­gramme queer iden­tique à celui de Bea­triz Pre­cia­do, qui veut uti­li­ser les « bio-tech­no­lo­gies de sexe » (chi­rur­gie, hor­mones…) pour « quee­ri­ser » la nature, de sorte que le corps « ne puisse [jamais] recon­duire l’idée d’une cohé­rence mas­cu­line ou fémi­nine[24] ».

À l’écran, le power­point de J. Hugues affiche la cou­ver­ture du livre de Mar­tine Roth­blatt, From trans­gen­der to trans­hu­man [De trans­genre à trans­hu­main]. Qui est Mar­tine Roth­blatt ? « La femme PDG la mieux payée des États-Unis », selon le New York Maga­zine. Une for­tune accu­mu­lée dans les com­mu­ni­ca­tions par satel­lite et l’industrie phar­ma­ceu­tique, et réin­ves­tie en par­tie dans sa fon­da­tion trans­hu­ma­niste « Tera­sem ». Trans­genre (Mar­tin est deve­nu Mar­tine en 1994), Roth­blatt reven­dique à la fois la dis­pa­ri­tion du genre et l’immortalité via le clo­nage numé­rique de l’esprit. Elle incarne ce double refus propre aux trans­hu­ma­nistes : refus de la mort et de la sexua­tion, c’est-à-dire de ce qui carac­té­rise le vivant.

Si les humains du XXIe siècle ont accep­té sans révul­sion l’idée d’en finir avec eux-mêmes, c’est que les esprits avaient été pré­pa­rés par des décen­nies d’idéologie anti-huma­niste dif­fu­sée par l’université, l’édition, l’industrie cultu­relle, les médias, la publicité.

Tout de même. Sans jouer les psy­borgs, les mots nous informent : choi­sir la décons­truc­tion pour maître mot annon­çait le pro­gramme. L’entreprise de démo­li­tion a fait son œuvre. Faut-il rabâ­cher que les idées ont des consé­quences ? Je suis le pro­duit de cette pensée.

***

Un café s’impose. Mon oreille bio­nique capte les conver­sa­tions. Fran­çois-Xavier Pal­lay, jeune cher­cheur de l’équipe de Miro­slav Rad­man à l’Inserm, dis­cute avec un spec­ta­teur. Ses recherches portent sur la lutte contre le vieillis­se­ment, il est très opti­miste et tech­no­phile au der­nier degré, se sent proche des valeurs trans­hu­ma­nistes. « Miro » est un super chef, dans un an il rejoin­dra son labo en Croa­tie, c’est une bonne oppor­tu­ni­té pour lui. Après, il par­ti­ra peut-être pour la Cali­for­nie, il n’aura aucun pro­blème pour s’adapter. Il a une très mau­vaise hygiène de vie, ne pra­tique aucun sport et adore man­ger. Mais il a de bons gènes puisque sa grand-mère a 100 ans. Et comme c’est sa grand-mère mater­nelle, il a ses mito­chon­dries, quelle chance.

Je me demande par­fois ce qui m’attire tant chez les humains.

***

Plus le col­loque avance, plus je per­çois l’enjeu de cette époque : quel choix la défer­lante tech­no­lo­gique a‑t-elle lais­sé aux hommes du XXIe siècle ? Comme les ingé­nieurs, les trans­hu­ma­nistes sont duplices. D’un côté, les tech­no­lo­gies doivent tout « révo­lu­tion­ner », d’un autre, on n’est pas for­cés de les adop­ter. Certes, mais ils omettent leur propre conclu­sion : ceux qui refusent le « pro­grès » sont exclus de la socié­té révo­lu­tion­née. Comme nos infé­rieurs gar­dés à dis­tance. En 2014, les pro­thèses com­mu­ni­cantes n’étant pas encore implan­tées, les humains avaient le choix de les uti­li­ser ou non, contrai­re­ment à nous. Or ils étaient tous équi­pés de smart­phones et autres sup­ports numé­riques externes. Com­ment res­ter en lien avec ses congé­nères sans adop­ter leurs moyens de com­mu­ni­ca­tion, a for­tio­ri quand toute l’existence s’organise via ceux-ci ? Pour vivre ensemble, il faut a mini­ma par­ta­ger des modes de vie. Ceux pré­ci­sé­ment que la tech­no­lo­gie révo­lu­tionne. L’argument du choix est non-valide.

Les trans­hu­ma­nistes ne cessent pour­tant de l’invoquer, de même que la liber­té de dis­po­ser de son propre corps : au nom de quoi leur refu­se­rait-on l’augmentation tech­no­lo­gique, s’ils laissent aux autres la liber­té de ne pas les imi­ter ? C’est ce que défendent notam­ment les liber­ta­riens, repré­sen­tés au col­loque par deux figures importantes.

Anders Sand­berg, Sué­dois implan­té à l’université d’Oxford, est un col­lègue de Nick Bos­trom au Future Huma­ni­ty Ins­ti­tute. Vêtu de noir, médaillon d’argent au cou, raie sur le côté, voix et sou­rire onc­tueux, blagues polies : on dirait un pas­teur luthé­rien. Sand­berg s’intéresse à l’augmentation cog­ni­tive pour tous. Il pré­sente des dia­grammes de cor­ré­la­tion entre hausse du QI et hausse du PIB, entre niveau de QI et bon­heur. On doit avoir le droit de s’améliorer si on veut — ou non, cha­cun fait ce qui lui plaît. Un ami s’est implan­té des aimants au bout des doigts. Sand­berg, lui, prend des drogues (du moda­fi­nil, des­ti­né aux nar­co­lep­tiques) pour être plus per­for­mant du cer­veau. Heu­reu­se­ment pour nous, il n’en a pas pris aujourd’hui, sinon son expo­sé aurait duré huit heures (rire poli).

L’autre vedette liber­ta­rienne est la desi­gner Nata­sha Vita-More, pré­si­dente de Huma­ni­ty +. Robe mou­lante, blou­son de cuir sur les épaules, bru­shing et maquillage de star, sou­rire télé­vi­suel — « Hi James ! Hi Anders ! », salut de la main à la salle, une fesse sur un coin de la table. Vive la Sili­con Val­ley. Bien que tech­no­lâtre, Vita-More ne touche pas l’ordinateur et dicte ses ordres au petit per­son­nel. Sa leçon : en cas d’accident d’avion, il faut mettre son masque à oxy­gène avant d’aider les autres. C’est du bon sens, pas de l’égoïsme. La vie, c’est pareil. « Le trans­hu­ma­nisme, lan­cé dans la vague post-moderne des années 1990, n’est pas égoïste. C’est juste qu’il faut être en bonne san­té pour s’occuper des autres. » Vita-More s’intéresse donc à la pos­si­bi­li­té de sau­ve­gar­der son cer­veau (comme un « back up » infor­ma­tique), et tra­vaille pour cela sur la vitri­fi­ca­tion. Quand on lui demande son âge, elle répond : ma jambe gauche a 20 ans, mon nou­veau sein a trois ans. Mais de près, on dirait une vieille gar­gouille qui vou­drait res­ter jeune.

Vita-More a été membre des « Verts » amé­ri­cains et regrette que la socié­té ne soit pas prête pour le liber­ta­risme. Elle est cyber-boud­dhiste et remer­cie Apple pour la beau­té de ses objets connec­tés. Est-ce mes cir­cuits qui chauffent ? Son babillage sature mes capteurs.

Afin de mettre en scène la fable du libre choix, le col­loque a invi­té des sourds qui refusent l’implant cochléaire, pour un débat et la pro­jec­tion d’un docu­men­taire sur le sujet. Co-auteur du film, le phi­lo­sophe et psy­cha­na­lyste Miguel Benas­sayag, irri­té d’avoir accep­té l’invitation, fait un numé­ro de non-conforme exu­bé­rant aus­si­tôt folk­lo­ri­sé par le public. Après quoi Marc Roux conclut posé­ment : « nous, trans­hu­ma­nistes, et vous, sourds non implan­tés, refu­sons pareille­ment la nor­ma­li­sa­tion du corps, et deman­dons qu’on nous laisse le choix. Votre com­bat est le nôtre. » Ces humains sont vrai­ment décon­cer­tants. Sa conclu­sion serait iden­tique avec des sourds implan­tés : cha­cun fait ce qu’il veut. Gros­sier pro­cé­dé pour occul­ter la tyran­nie tech­no­lo­gique. Hum, je com­mence à par­ler comme les « Chim­pan­zés du futur ».

Laurent Alexandre, lui, ne nie pas la contrainte du « pro­grès ». Pour l’ex-urologue deve­nu mil­lion­naire grâce à Inter­net, puis fon­da­teur de la boîte de séquen­çage géné­tique DNA­Vi­sion, le bébé à la carte est en route. D’abord par le choix des bons embryons, puis par les mani­pu­la­tions géné­tiques. On scan­ne­ra l’embryon — par simple prise de sang — pour le choi­sir, y com­pris sur ses capa­ci­tés intel­lec­tuelles et son espé­rance de vie. 28 % des Amé­ri­cains sont d’accord pour sélec­tion­ner un bébé plus intel­li­gent. « Les autres ne tien­dront pas long­temps s’ils ne veulent pas que leurs enfants soient les domes­tiques des pre­miers », assène Laurent Alexandre. Ou des infé­rieurs relé­gués aux marges de la cyber­sphère. Le chro­ni­queur heb­do­ma­daire du Monde, visi­ble­ment un Alpha +, dompte son public. Grand et droit dans son jean repas­sé et sa che­mise bleue, visage plas­ti­fié et regard froid, il fonce sur Jean-Michel Bes­nier : « Tiens, il y a même des intel­lec­tuels de gauche ». Ser­re­ment de mains, rire gêné de Bes­nier, dont l’apparence contraste avec celle de son inter­lo­cu­teur. Petit, enro­bé, le visage mou et faible, presque apeu­ré devant le mâle domi­nant. On a honte et pitié de ce défen­seur de l’humain si gélatineux.

Alexandre ordonne, bouge, se fige, fixe l’auditoire, lève les mains, crie, parle gros­siè­re­ment. De ces ges­ti­cu­la­tions, il res­sort que : le trans­hu­ma­nisme compte aus­si ses char­la­tans et Ray Kurz­weill est le Rika Zaraï de la géné­tique ; ses « conne­ries » en la matière amusent le jar­di­nier de M. Alexandre mais n’ont aucun fon­de­ment scien­ti­fique ; pen­ser qu’on va gagner 200 ans d’espérance de vie est au mieux de l’escroquerie, au pire de la « conne­rie » ; don­ner de faux espoirs décré­di­bi­lise les pro­gres­sistes qui vont pas­ser pour des « cons ».

À quoi joue-t-il ? Deux ans avant ce col­loque, il décla­rait : « Ma convic­tion per­son­nelle est que cer­tains d’entre vous dans cette salle vivront mille ans[25]. » D’ailleurs, le voi­ci qui enchaîne : il pense que l’espérance de vie va aug­men­ter for­te­ment après 2050 grâce au poten­tiel des NBIC. « Je ne suis pas un bio­con­ser­va­teur. » Le can­cer devien­dra une mala­die chro­nique à l’horizon 2030 grâce au séquen­çage des tumeurs. La méde­cine de l’ère trans­hu­ma­niste est celle des big data, des NBIC, des objets connec­tés, des neu­ro­tech­no­lo­gies. Le méde­cin sera subor­don­né à son sys­tème expert, et c’est le ser­veur qui pren­dra les déci­sions : les normes éthiques seront gérées par les algorithmes.

Oui, la révo­lu­tion NBIC est en marche MAIS ! — il crie — « on ne des­cend pas de la révo­lu­tion comme d’un car­rosse ! » Il est louable de nous aug­men­ter et de nous rendre immor­tels, mais la dyna­mique de la révo­lu­tion risque de nous échap­per. La lutte contre le vieillis­se­ment est mar­gi­nale à côté des mondes ver­ti­gi­neux créés par les neu­ro­tech­no­lo­gies. Les machines deve­nant plus intel­li­gentes, il nous faut aus­si aug­men­ter notre intel­li­gence. D’ailleurs, Jacques Atta­li, qui a des capa­ci­tés cog­ni­tives supé­rieures, est un ami. Les Chi­nois ont lan­cé l’eugénisme intel­lec­tuel. Voi­ci la vraie « dis­rup­tion ». Nous entrons dans une éco­no­mie schum­pé­té­rienne basée sur les algo­rithmes. Les GAFA (Google, Apple, Face­book, Ama­zon) et la Sili­con Val­ley inves­tissent dans la san­té, avec des visées sur l’augmentation cérébrale.

Nous n’avons pas d’éthique sta­bi­li­sée. Quelle peut être la réac­tion des bio­con­ser­va­teurs ? Ver­ra-t-on de nou­velles révoltes lud­dites ? « Ludo­vine de la Rochère, même si elle n’aime pas les pédés, est moins conser­va­trice que José Bové : elle est pour la thé­ra­pie génique et la PMA. » On pour­rait voir une contre-révo­lu­tion agres­sive avec un retour vers une bar­ba­rie anti-tech­no­lo­gique (à l’écran, image d’un Coran et d’une main tran­chée). Fin du show. Wlad ne me croi­ra jamais.

***

Ces trois jours ont épui­sé mes bat­te­ries. Il faut encore sup­por­ter un artiste. Yann Minh joue si bien le cré­tin qu’on le croit immé­dia­te­ment. Il nous inflige un jeu vidéo à l’écran en débi­tant des cyber­ba­na­li­tés : « Je suis un cyber punk à béret, j’ai l’âge de mon ADN, soit 4 mil­liards d’années, je donne des cours dans des grandes écoles d’art et d’ingénierie ; il n’y a pas d’aliénation, mais des appren­tis­sages ; l’automobile est l’extension de nos jambes et on s’y est adap­tés ; la pilule est un outil de cyber-sexe ; l’homme avec un mar­teau, c’est déjà un pro­ces­sus trans­hu­ma­niste ; Marc Caro est un pote, et je sais ce qu’est la révo­lu­tion ; la vie, c’est de la matière infor­mée et le trans­hu­ma­nisme est une méta­phore de l’histoire de la vie ; c’est vrai­ment top. » Gabriel Dorthe, le phi­lo­sophe domi­nant, est ravi de ren­con­trer Yann Minh, qu’il suit sur Face­book depuis longtemps.

Si les écoles d’art et d’ingénierie ont déver­sé ces méga­oc­tets de junk code dans la cer­velle de leurs élèves, il n’y a plus à se deman­der com­ment les humains ont bas­cu­lé dans la post-huma­ni­té. Un ima­gi­naire né de la socié­té de consom­ma­tion et des loi­sirs et de l’emballement tech­no­lo­gique, dans les cer­veaux de gavés insa­tiables. Comme les toxi­co­manes, il leur en faut tou­jours plus — de sen­sa­tions, de per­for­mances, de jouis­sance, de puis­sance. Leur besoin de s’augmenter tra­hit leur insa­tis­fac­tion d’eux-mêmes. Ne sachant plus être humains, ils sont deve­nus anthro­po­phobes. Aucune des bornes inter­ac­tives de « Trans­Vi­sion 2014 » n’a expli­qué l’intérêt d’une exis­tence post-humaine, hors cet argu­ment quan­ti­ta­tif : plus égale mieux. Méca­nique et limi­tée, leur ima­gi­na­tion n’en est pas moins au pou­voir. Il est si facile d’être du côté de la tech­no­lo­gie, quand la tech­no­lo­gie gou­verne le monde.

Il faut déjà ren­trer. Je quitte 2014 avec le sen­ti­ment d’avoir vécu le moment de bas­cule. Furie tech­no­lo­gique sou­te­nue par une tech­no-classe riche et puis­sante, accom­pa­gnée de dis­po­si­tifs d’acceptabilité mul­tiples ; renon­ce­ment de la gauche à l’émancipation au pro­fit de la décons­truc­tion ; allé­geance des poli­tiques et des intel­lec­tuels à la tech­no­cra­tie ; effon­dre­ment de la pen­sée et de son ensei­gne­ment. Les der­niers humains auraient-ils pu blo­quer la machine ? Je l’ignore. Je suis heu­reux tout de même d’avoir décou­vert des réfrac­taires à ce pro­ces­sus d’autodestruction. En fait, la contra­dic­tion prin­ci­pale de l’époque oppo­sait les humains (d’origine ani­male) aux inhu­mains (d’avenir machi­nal). Les « Chim­pan­zés du futur » n’étaient d’accord ni sur les moyens, ni sur les fins. Ils détes­taient la lâche­té des fuyards et leur pro­jet d’existence arti­fi­cielle. Je les com­prends. Je suis un cyborg mélancolique.

N° 0 67 09 47 011 009 

Depuis la cybersphère,

12 jan­vier 2211

Un livre pour aller plus loin

  1. Appel des Chim­pan­zés du futur, nov. 2014, sur www.piecesetmaindoeuvre.com

  2. Cinq prix Nobel (Pierre Curie, Marie Curie, Fré­dé­ric Joliot-Curie, Pierre-Gilles de Gennes et Georges Char­pak) sont pas­sés par l’ESPCI, dont tous les direc­teurs hor­mis le pre­mier ont été élus à l’Académie des sciences.

  3. cf. « Nano­tech­no­lo­gies : et main­te­nant, le tsu­na­mi de la com­mu­ni­ca­tion », sur www.piecesetmaindoeuvre.com

  4. Nano­tech­no­lo­gies, bio­tech­no­lo­gies, infor­ma­tique, sciences cog­ni­tives

  5. https://www.frc.ri.cmu.edu/~hpm/project.archive/general.articles/1997/970128.nosense.html

  6. Les deux cultures, C.P Snow (Edi­tions Bour­gois)

  7. http://ieet.org/index.php/IEET/print/8341

  8. France Inter, 27/06/12

  9. 12/01/12, France 2, « Des paroles et des actes »

  10. Fête de l’Humanité, 13/09/14

  11. Tri­bune sur huffingtonpost.fr, 3/11/14

  12. http://ieet.org/index.php/IEET/print/8341

  13. cf. L’empire cyber­né­tique. Des machines à pen­ser à la pen­sée machine, Céline Lafon­taine (Seuil)

  14. Mille Pla­teaux – Capi­ta­lisme et schi­zo­phré­nie (édi­tions de Minuit)

  15. Dits et Ecrits 1 (1969)

  16. Du latin « dia­bo­los » : qui dés­unit.

  17. n°75, automne 2011, « Deve­nir-hybride »

  18. L’inséparé, essai sur un monde sans autre, Domi­nique Ques­sa­da (PUF, 2013)

  19. Plu­ri­vers, essai sur la fin du monde, Jean-Clet Mar­tin (PUF, 2010)

  20. Défaire le genre (édi­tions Amster­dam, 2006)

  21. « Mani­feste cyborg : science, tech­no­lo­gie et fémi­niste socia­liste à la fin du XXe siècle » in Mani­feste cyborg et autres essais, D. Hara­way

  22. Mul­ti­tudes queer : notes pour une poli­tique des anor­maux (site Les Pan­thères roses, 2003)

  23. Post­gen­de­rism : Beyond the Gen­der Bina­ry, J. Hugues et G. Dvors­ky, mars 2008 (IEET)

  24. Mani­feste contra-sexuel, B. Pre­cia­do (Bal­land, 2000)

  25. Confé­rence TEDx, 6/10/12. Pro­pos réité­rés dans la presse, notam­ment en juillet 2014 (capital.fr)

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