Bertrand Louart : « À écouter certains écolos, on a en effet l’impression que les machines nous tombent du ciel ! »

Pho­to : Des pan­neaux solaires en train d’être assem­blés dans une usine près de Jai­pur, dans le Rajas­than, en Inde.

Nico­las Casaux : Je me suis entre­te­nu avec Ber­trand Louart, auteur, notam­ment, de Les êtres vivants ne sont pas des machines (La Len­teur), ani­ma­teur de l’é­mis­sion « Racine de moins un » (Radio Zin­zine), rédac­teur du bul­le­tin de cri­tique des sciences, des tech­no­lo­gies et de la socié­té indus­trielle Notes & Mor­ceaux choi­sis (La Len­teur), contri­bu­teur au blog de cri­tique du scien­tisme sniadecki.wordpress.com, oppo­sant d’I­TER (Cada­rache) et membre de Lon­go Maï où il est menuisier-ébeniste.


Nico­las Casaux : De plus en plus de gens se réclament désor­mais de l’an­ti­ca­pi­ta­lisme, y com­pris dans le grand caphar­naüm qu’on appelle par­fois « mou­ve­ment éco­lo­giste ». Le jour­na­liste du Guar­dian George Mon­biot, par exemple, mais aus­si Nao­mi Klein ou encore Cyril Dion. Je cite ces trois-là parce que leur « anti­ca­pi­ta­lisme » est à peu près le même (Dion et Mon­biot ren­voient aux thèses de Nao­mi Klein en ce qui concerne l’an­ti­ca­pi­ta­lisme et les chan­ge­ments sociaux qui devraient, selon eux, prendre place). Qu’en penses-tu ? Le capi­ta­lisme, c’est quoi ? Sont-ils anticapitalistes ?

Ber­trand Louart : J’avoue que je n’ai pas comme toi la patience de lire la prose de toutes ces figures média­tiques. Mais je crois que l’on peut dire sans se trom­per que leur anti­ca­pi­ta­lisme est tron­qué : ils s’en prennent à tel ou tel aspect du sys­tème – ce qui est sou­vent jus­ti­fié – sans voir l’unité et la dyna­mique glo­bale. Par exemple Mon­biot se déclare anti­ca­pi­ta­liste dans la chro­nique heb­do­ma­daire qu’il tient dans le grand quo­ti­dien pro­gres­siste The Guar­dian du 25 avril 2019 (tra­duit par Repor­terre : https://reporterre.net/Le-capitalisme-nous-conduit-au-desastre). Il pointe deux « élé­ments déter­mi­nants » qui expliquent « l’échec » du capitalisme :

1. La crois­sance per­pé­tuelle : « La crois­sance éco­no­mique est l’effet cumu­lé de la quête d’accumulation de capi­tal et d’extraction de bénéfices. »

2. La pro­prié­té pri­vée : « une per­sonne a droit à une part aus­si impor­tante des richesses natu­relles du monde que son argent peut en acheter. »

Certes, ce n’est pas faux, ces élé­ments sont les fon­de­ments du capi­ta­lisme com­mer­cial depuis envi­ron trois ou quatre siècles. Mais aujourd’hui, il y a d’autres « élé­ments fon­da­men­taux » tout aus­si importants.

Sur­tout, pour lui, « l’échec » du capi­ta­lisme est qu’il nous conduit au « désastre » éco­lo­gique et envi­ron­ne­men­tal. Mais en quoi est-ce un « échec » ? Le capi­ta­lisme n’a jamais rien pro­mis d’autre que de créer plus d’argent avec de l’argent, et de ce point de vue, il fonc­tionne actuel­le­ment à mer­veille. Qu’il apporte une aisance maté­rielle à cer­tains au détri­ment d’autres – comme le sou­ligne Mon­biot – et que pour ce faire il ravage le monde – ce que ne semble pas com­prendre Mon­biot –, ce sont là des consé­quences « secon­daires » mais inévi­tables de sa dynamique.

Fon­da­men­ta­le­ment, Mon­biot, comme les autres éco­lo­gistes média­tiques, aime la mar­chan­dise, c’est-à-dire le rap­port social qui fait que tout le monde va tra­vailler tous les matins dans une entre­prise pour un salaire, que le tra­vail est orga­ni­sé par un patron, que les pro­duits du tra­vail reviennent à l’entreprise, que cette entre­prise les vend ensuite sur le mar­ché et que les tra­vailleurs achètent tous ces pro­duits avec l’argent de leur salaire. Les Mon­biot & Co aiment ce sys­tème, parce qu’eux sont en somme des cadres supé­rieurs : ils ne tra­vaillent pas en usine, sur les pla­te­formes logis­tiques, ils ne sont pas agri­cul­teurs, rou­tiers, femmes de ménage, etc. En tant que figures média­tiques, ils ont un confor­table salaire et peuvent se payer des mar­chan­dises qui ne sont pas la came­lote que l’on sert aux pauvres dans les super­mar­chés. Donc, ils ne remettent pas en ques­tion le sala­riat ni la mar­chan­dise, la subor­di­na­tion du tra­vailleur dans l’entreprise ni le fait que d’autres tra­vaillent pour eux dans des condi­tions moins confortables.

Le fon­de­ment du capi­ta­lisme, c’est avant tout cela : la dépos­ses­sion de cha­cun de ses propres moyens d’existence, qui a pour consé­quence que tout le monde est obli­gé de se vendre pour un salaire afin de pou­voir ache­ter les mar­chan­dises néces­saires à son exis­tence. Et bien sûr, au pas­sage, les capi­ta­listes se mettent de l’argent plein les poches sur le dos des travailleurs.

Le véri­table désastre, il est là, et depuis le début du capi­ta­lisme indus­triel, il y a envi­ron deux ou trois siècles en Angle­terre. Il est dans la dépos­ses­sion et la subor­di­na­tion des « pauvres », dans l’accaparement et la domi­na­tion des « riches ». Ce rap­port social (comme dirait Marx), depuis qu’il s’est géné­ra­li­sé, a créé énor­mé­ment de souf­frances humaines et de dégra­da­tions éco­lo­giques. Nui­sances que les « pauvres » ont com­bat­tues dès le début et conti­nuent à com­battre aujourd’hui, sans attendre les leçons d’anticapitalisme des ren­tiers de l’écologie spectaculaire…

Lorsque Mon­biot se fait l’apôtre de l’industrie nucléaire au pré­texte qu’elle n’est pas aus­si dan­ge­reuse qu’il n’y paraît (il n’y avait pas de mon­ceaux de cadavres à Fuku­shi­ma, c’est donc que tout va bien ; voir son ignoble tri­bune en 2011 à ce sujet), on sent bien que cet « anti­ca­pi­ta­liste » n’est pas du tout inté­res­sé à remettre en ques­tion la dépos­ses­sion et la subor­di­na­tion qu’implique, pour des mil­lions de per­sonnes (sala­riés, consom­ma­teurs et futurs irra­diés), cette indus­trie la plus capi­ta­lis­tique au monde.

Nico­las Casaux : Effec­ti­ve­ment, Mon­biot ne s’op­pose pas réel­le­ment, par exemple, à la pro­prié­té pri­vée ni à la crois­sance. Ce qui le gêne, c’est davan­tage la pro­prié­té fon­cière. Et les auteurs vers les­quels il ren­voie en ce qui concerne des modèles éco­no­miques alter­na­tifs — Nao­mi Klein et Kate Raworth, notam­ment — ne sont pas anti­ca­pi­ta­listes, n’ont pas de pro­blème avec la pro­prié­té pri­vée, ni avec ce que tu sou­lignes ici.

Au plus simple, l’i­dée pro­mue et pro­mise par Mon­biot, Klein, Dion, Delan­noy, etc., idée qui, comme tu viens de le sou­li­gner, n’est pas vrai­ment anti­ca­pi­ta­liste, se rap­porte à : moyen­nant quelques réformes et quelques inno­va­tions tech­no­lo­giques, la civi­li­sa­tion tech­no-indus­trielle capi­ta­liste pour­rait deve­nir durable, sou­te­nable, verte. Il nous suf­fi­rait de pas­ser aux 100 % renou­ve­lables, et de conce­voir des tech­no­lo­gies plus vertes pour un peu tout, des fri­gos verts, des télé­vi­seurs verts, des smart­phones verts, des voi­tures vertes, etc. Et d’aug­men­ter le recy­clage. Les plus radi­caux de ceux qui pro­meuvent cette idée, ou quelque chose de simi­laire, l’a­gré­mentent de pré­ten­tions socia­listes ou démo­cra­tiques, et par­fois de vel­léi­tés légè­re­ment décrois­santes, ou de quelque sobrié­té ins­ti­tuée. Les « éco­so­cia­listes » comme Tanu­ro par exemple. L’i­ma­gi­naire (hau­te­ment) tech­no­lo­gique semble désor­mais lar­ge­ment domi­nant y com­pris dans la nébu­leuse éco­lo. Désor­mais, parce que dans les années 60 et jusque dans les années 80 et un peu au-delà, le mou­ve­ment pour des « tech­no­lo­gies appro­priées », et d’autres cou­rants tech­no­cri­tiques, ont, semble-t-il, eu une cer­taine impor­tance. Des pen­seurs comme Mum­ford et Kac­zyns­ki ont sou­li­gné le fait qu’il existe dif­fé­rents types (niveaux) de tech­no­lo­gies dont cer­tains appellent des orga­ni­sa­tions sociales par défi­ni­tion trop com­plexes et hié­rar­chiques pour être réel­le­ment démo­cra­tiques. Que penses-tu de ce rêve de tant d’é­co­los de par­ve­nir à des socié­tés éco­lo­giques, véri­ta­ble­ment démo­cra­tiques (fon­dées sur les prin­cipes de la démo­cra­tie directe) et hau­te­ment tech­no­lo­giques (fon­dées sur l’es­sen­tiel des tech­no­lo­gies modernes, en ver­sion « verte », et des sources d’éner­gies dites « vertes », pan­neaux solaires, éoliennes, etc.) ? Com­ment les aspi­ra­tions à une véri­table éman­ci­pa­tion, à davan­tage de liber­té, d’au­to­no­mie, au moyen de démo­cra­ties directes par exemple, peuvent-elles se conju­guer avec la ques­tion technique/technologique et avec la ques­tion écologique ?

Ber­trand Louart : À écou­ter cer­tains éco­los, on a en effet l’impression que les machines nous tombent du ciel ! Il semble qu’il n’y ait pas besoin de les conce­voir, de les pro­duire, de les entre­te­nir, de les appro­vi­sion­ner en éner­gie et en matière… L’infrastructure indus­trielle qu’implique tout cela est admise comme une sorte d’évidence, de « phé­no­mène natu­rel » dont l’existence et le fonc­tion­ne­ment ne sont jamais ques­tion­nés, sinon à la marge. Comme le sou­ligne un éco­lo­giste que tu cites dans un de tes articles :

« La plu­part d’entre nous sommes moins déran­gés par l’idée de vivre dans un monde sans martres des pins, sans abeilles mel­li­fères, sans loutres et sans loups qu’à l’idée de vivre dans un monde sans médias sociaux, sans cap­puc­ci­nos, sans vols éco­no­miques et sans lave-vais­selle. Même l’écologisme, qui a un temps été moti­vé par l’amour du monde natu­rel, semble désor­mais plus concer­né par la recherche de pro­cé­dés un peu moins des­truc­teurs qui per­met­traient à une civi­li­sa­tion sur­pri­vi­lé­giée de conti­nuer à sur­fer sur inter­net, à ache­ter des ordi­na­teurs por­tables et des tapis de yoga, que par la pro­tec­tion de la vie sau­vage. » (Nico­las Casaux, « Les mar­chands d’illu­sions vertes occi­den­taux, des USA à la France, de Bill McKib­ben à Cyril Dion », février 2020)

Tant que l’on ne remet pas en ques­tion le carac­tère indus­triel de la pro­duc­tion, la « démo­cra­tie directe », ou toute autre forme de consul­ta­tion des popu­la­tions, ne pour­ra jamais ser­vir qu’à amé­na­ger le capi­ta­lisme indus­triel, à le repeindre en vert. Si la pro­prié­té pri­vée des moyens de pro­duc­tion impli­quait déjà une subor­di­na­tion des sala­riés aux employeurs dès le XIXe siècle, de nos jours, cette subor­di­na­tion n’est plus seule­ment ins­crite dans les formes juri­diques de la pro­prié­té, mais sur­tout dans l’organisation même de la pro­duc­tion. L’extrême divi­sion du tra­vail, la com­plexi­té inouïe des machines, les rami­fi­ca­tions gigan­tesques des réseaux d’approvisionnement, la tech­ni­ci­té ultra sophis­ti­quée des pro­cé­dés mis en œuvre dans la pro­duc­tion (autant que pour la consom­ma­tion, d’ailleurs), etc. qui peut pré­tendre maî­tri­ser un tant soit peu les tenants et abou­tis­sants d’un tel mode de production ?

Le pro­blème n’est pas que la pro­duc­tion soit indus­trielle, car il est pro­ba­ble­ment impos­sible de pro­duire de l’acier, par exemple, néces­saire à l’outillage le plus élé­men­taire et aux machines les plus simples, autre­ment que de manière indus­trielle. Mais cela implique des mines de char­bon et de fer, des haut-four­neaux et des lami­noirs, des usines avec leurs ouvriers et leurs ingé­nieurs, toute une indus­trie sidé­rur­gique et méca­nique qui impliquent un ensemble de tâches pénibles dans des condi­tions haras­santes et une divi­sion du tra­vail élar­gie. Pour autant une telle orga­ni­sa­tion pour­rait fonc­tion­ner de manière démo­cra­tique à l’échelle d’une région, car elle implique aus­si une divi­sion du tra­vail à cette échelle (il faut nour­rir les ouvriers, les vêtir, les loger, les dis­traire, etc.). C’était le pro­jet du mou­ve­ment ouvrier révo­lu­tion­naire au XXe siècle.

Le pro­blème aujourd’hui est que toute pro­duc­tion tend à deve­nir indus­trielle, que tous les aspects de notre vie soient enva­his par la mar­chan­dise, même les plus per­son­nels et intimes. Et cela au détri­ment des capa­ci­tés de pro­duc­tion auto­nome des indi­vi­dus et des com­mu­nau­tés. Qui pro­duit ou connaît ceux et celles qui pro­duisent ce qu’il mange, la mai­son où il habite, les habits qu’il ou elle porte – sans par­ler des innom­brables machines que nous uti­li­sons main­te­nant ? Et donc toutes les déci­sions qui nous concernent direc­te­ment dans nos exis­tences sont prises par d’autres que nous, par les ingé­nieurs, les pro­fes­sion­nels du mar­ke­ting et de la publi­ci­té, les experts plus ou moins sti­pen­diés par l’industrie, les chefs d’entreprises et les tech­no­crates de l’État, etc. Bref, des gens qui sont loin de nous et hors de notre por­tée, tout autant que les pro­ces­sus maté­riels et pro­duc­tifs qu’ils mettent en œuvre pour nous vendre leur came­lote. Dans ces condi­tions, la démo­cra­tie se limite néces­sai­re­ment au choix de la cou­leur des emballages…

Si on veut bâtir une socié­té réel­le­ment démo­cra­tique et éco­lo­gique (et je pense que les deux vont néces­sai­re­ment de pair, ils s’impliquent l’un et l’autre), je suis convain­cu qu’il faut reve­nir en arrière. Non pas à un moment du pas­sé qui serait défi­ni comme idyl­lique et par­fait – il n’y en a pas et je n’ai pas inven­té la machine à voya­ger dans le temps ! – mais à des formes d’organisation tech­niques et sociales plus simples, plus à la por­tée de la maî­trise et com­pré­hen­sion de cha­cun. Lewis Mum­ford avait déjà eu le cou­rage de dire ça dans les années 1960 : « Les avan­tages authen­tiques que pro­cure la tech­nique basée sur la science ne peuvent être pré­ser­vés qu’à condi­tion que nous reve­nions en arrière, à un point où l’homme pour­ra avoir le choix, inter­ve­nir, faire des pro­jets à des fins entiè­re­ment dif­fé­rentes de celles du sys­tème. » (« Tech­nique auto­ri­taire et tech­nique démo­cra­tique », Dis­cours pro­non­cé à New York, le 21 jan­vier 1963)

Cela va un peu plus loin que la « décrois­sance », qui se limite trop sou­vent à la ques­tion de la consom­ma­tion : il fau­drait consom­mer moins de mar­chan­dises pour extraire moins de res­sources sur une pla­nète finie (l’écologie est réduite à un pro­blème de phy­sique) ; d’où le côté par­fois un peu mora­li­sa­teur et l’appel à « déco­lo­ni­ser nos ima­gi­naires » (la socié­té est réduite à un pro­blème de psy­cho­lo­gie indi­vi­duelle). Les tenants de la « décrois­sance » se pré­oc­cupent trop peu à mon goût de la pro­duc­tion et de ce que cela implique en termes d’organisation poli­tique et sociale, au sens large.

Nico­las Casaux : J’aurais dû com­men­cer par : que devrait être l’ob­jec­tif pri­mor­dial à atteindre (pour nous humains, indi­vi­duel­le­ment et/ou col­lec­ti­ve­ment) ? Pré­pa­rer l’ef­fon­dre­ment de la civi­li­sa­tion indus­trielle capi­ta­liste ? Ou tra­vailler à sa réforme, à l’é­la­bo­ra­tion des pro­ces­sus qui pour­raient-pour­ront la rendre soutenable/démocratique ? Viser une espèce de « sor­tie du capi­ta­lisme », une reconfiguration/déconstruction plus ou moins radi­cale de l’or­ga­ni­sa­tion sociale domi­nante, de la civi­li­sa­tion indus­trielle (en comp­tant sur des insur­rec­tions plus ou moins révo­lu­tion­naires) ? Ou, toute réforme ou sor­tie (même rela­ti­ve­ment) orga­ni­sée de la civi­li­sa­tion indus­trielle et du capi­ta­lisme étant stric­te­ment impos­sible, viser leur des­truc­tion, afin de sau­ver ce qui peut l’être de ce qu’il reste du monde, d’en­rayer le plus tôt pos­sible sa des­truc­tion (ce que prône un Théo­dore Kac­zyns­ki par exemple) ? Ou autre chose encore ?

Ber­trand Louart : Autre­ment dit, « Que faire ? » comme deman­dait déjà un Lénine il y a cent ans !

Le pro­blème est que la puis­sance de la socié­té capi­ta­liste et indus­trielle est telle que pour le moment, il semble bien dif­fi­cile non seule­ment de l’arrêter mais même sim­ple­ment de la réfor­mer. Le rap­port de force n’est clai­re­ment pas en faveur de ceux et celles qui veulent aujourd’hui « sor­tir du capi­ta­lisme », quoi qu’on entende par là.

J’ai lu quelque part que « il faut 25 000 heures de tra­vail phy­sique humain pour pro­duire la même quan­ti­té d’énergie conte­nue dans un seul baril de pétrole (160 litres). La puis­sance géné­rée par la consom­ma­tion d’énergie moyenne d’un Euro­péen équi­vaut au tra­vail de 500 esclaves humains. » Cela donne une idée de la puis­sance dont dis­posent les États et l’Économie (et donc les classes domi­nantes) pour conti­nuer d’imposer le pré­sent ordre des choses, et aus­si et sur­tout de la dépen­dance dans laquelle cha­cun de nous se trouve main­te­nant à l’égard de ce sys­tème. Les col­lap­so­logues nous diront cer­tai­ne­ment que ce sys­tème va bien­tôt s’effondrer du fait de la limi­ta­tion des res­sources ; les mar­xistes du siècle der­nier nous avaient déjà dit que le sys­tème allait bien­tôt s’effondrer sous le poids de ses contra­dic­tions internes (entre le déve­lop­pe­ment des forces pro­duc­tives et les rap­ports de pro­duc­tion, etc.). Tous ces gens sont des pro­gres­sistes au pire sens du terme : ils attendent de l’avenir la solu­tion des maux du pré­sent, c’est-à-dire laissent pour­rir la situa­tion au pro­fit du sys­tème fina­le­ment (voir ma cri­tique des ouvrages de Ser­vigne & Co : Ber­trand Louart, « La col­lap­so­lo­gie : start-up de l’happy col­lapse », 2019).

Pour­tant, en ce moment, il y a des mou­ve­ments sociaux et des mobi­li­sa­tions éco­lo­giques par­tout dans le monde. La ges­tion néo­li­bé­rale du capi­ta­lisme plonge énor­mé­ment de gens dans la pré­ca­ri­té, le chan­ge­ment cli­ma­tique et l’effondrement de la bio­di­ver­si­té montrent de manière évi­dente que le sys­tème n’est pas viable. Mais ce qui me frappe, c’est qu’il n’y a aucun idéal social qui s’affirme en contre­point de l’ordre exis­tant. J’ai l’impression – et j’espère que la suite me don­ne­ra tort ! – que la grande majo­ri­té ne remet pas en ques­tion la mar­chan­dise et les rap­ports sociaux qui vont avec : on veut « conti­nuer comme avant » avec une meilleure répar­ti­tion du gâteau, avec une ges­tion durable des res­sources ; on veut les avan­tages du sys­tème sans les incon­vé­nients, la mar­chan­dise sans les nui­sances qui vont avec. Or, tant que l’on ne rompt pas radi­ca­le­ment avec l’imaginaire domi­nant (et des domi­nants), on s’expose à une reprise en main auto­ri­taire de la socié­té, une sorte de réforme par le haut, qui don­ne­rait un mini­mum de sécu­ri­té aux pauvres en échange de leur sou­mis­sion ; le reve­nu uni­ver­sel serait une bonne solu­tion en ce sens, avec les contre­par­ties en termes de contrôle social, bien sûr, du genre social ran­king éco­lo et social où cha­cun sur­veille tout le monde et réci­pro­que­ment et véri­fie que l’on se conforme bien aux injonc­tions du poli­ti­cal­ly & eco­lo­gi­cal­ly cor­rect (cf. Mara Hvis­ten­dahl, Bien­ve­nue dans l’enfer du social ran­king, 2018). Et donc, s’il y a quelque chose à faire aujourd’hui, c’est bien d’affirmer une rup­ture avec cet ima­gi­naire mar­chand, indus­tria­liste et pro­gres­siste, et créer par­tout où c’est pos­sible des lieux où d’autres valeurs sont pratiquées.

Contrai­re­ment à ce que croient et font accroire les insu­rec­tion­na­listes, les révo­lu­tions ne sortent pas de nulle part. La révo­lu­tion espa­gnole de 1937, par exemple, est le pro­duit d’imaginaires et de pra­tiques anar­chistes qui ont été dif­fu­sés dans la socié­té durant des dizaines d’années aupa­ra­vant, grâce à des revues, des pièces de théâtre, des orga­ni­sa­tions syn­di­cales, des écoles alter­na­tives, des cours du soir, des caisses de grève, etc. Le tout éma­nant de la base, des classes ouvrières et popu­laires. Et si cette révo­lu­tion a été vain­cue, c’est moins à cause du talent stra­té­gique des fas­cistes, que du fait de la dupli­ci­té des sta­li­niens (c’est bien connu, voir Georges Orwell, Hom­mage à la Cata­logne, 1938) mais aus­si — c’est moins connu — des com­pro­mis­sions des intel­lec­tuels anar­chistes. Contre les aspi­ra­tions de la base, ces der­niers se sont ral­liés à l’imaginaire indus­tria­liste et ont subor­don­né la révo­lu­tion au « déve­lop­pe­ment des forces pro­duc­tives », recon­dui­sant ain­si les rap­ports sociaux hié­rar­chiques et oppres­sifs propre au capi­ta­lisme. Les classes ouvrières et popu­laires vou­laient réa­li­ser la révo­lu­tion tout de suite et étaient bien conscientes de ce que cela impli­quait en termes d’organisation de la pro­duc­tion et d’organisation sociale : « Nous pro­po­sons au monde ouvrier le retour à un point de départ per­du : la com­mune libre. Et à par­tir de cette base natu­relle [sic] nous struc­tu­re­rons la vie nou­velle, à par­tir d’une répar­ti­tion des ins­tru­ments méca­niques réel­le­ment utiles, en reliant le déve­lop­pe­ment agri­cole des com­munes à ses déri­vés indus­triels en fonc­tion des besoins locaux pré­cis. C’est-à-dire que l’industrialisation sera stric­te­ment res­treinte aux pro­duits qui vont avec une vie sim­pli­fiée où les besoins de l’esprit ont davan­tage d’espace et de temps pour se culti­ver[1]. » C’est cela que je pro­pose de com­men­cer d’essayer à faire dès aujourd’hui : la réap­pro­pria­tion de notre sub­sis­tance et des formes d’organisation sociales et poli­tiques à notre por­tée. L’idée est simple, il s’agit de reprendre en mains autant qu’il est pos­sible notre exis­tence ici et main­te­nant, et cela ne peut se faire que col­lec­ti­ve­ment et sur une base égalitaire.

Nico­las Casaux : À ce pro­pos, je vou­drais reve­nir sur une chose que tu avances dans ton avant-der­nière réponse : tu affirmes, en par­lant d’une pro­duc­tion indus­trielle d’a­cier, qu’une « telle orga­ni­sa­tion pour­rait fonc­tion­ner de manière démo­cra­tique à l’échelle d’une région ». « Pour­rait », au condi­tion­nel donc. C’est très hypo­thé­tique. L’é­chelle à laquelle une démo­cra­tie, une vraie démo­cra­tie, est pos­sible, n’est sans doute pas déter­mi­nable d’une manière pré­cise. Elle dépend de cir­cons­tances, de beau­coup de fac­teurs dif­fé­rents. Pour Mum­ford, que tu cites : « la démo­cra­tie est une inven­tion de petite socié­té. Elle ne peut exis­ter qu’au sein de petites com­mu­nau­tés. […] La démo­cra­tie requiert des rela­tions de face-à-face, et donc des com­mu­nau­tés de petites tailles, qui peuvent ensuite s’inscrire dans des com­mu­nau­tés plus éten­dues, qui doivent alors être gou­ver­nées selon d’autres principes. »

Peut-être qu’une indus­trie de l’a­cier pour­rait s’or­ga­ni­ser, démo­cra­ti­que­ment, à l’é­chelle d’une région. Et peut-être pas. Per­son­nel­le­ment, je pense que ce serait très dif­fi­cile. En outre, tu affirmes qu’une indus­trie de l’acier est en quelque sorte une néces­si­té fon­da­men­tale de l’existence humaine, parce que l’acier serait « néces­saire à l’outillage le plus élé­men­taire et aux machines les plus simples ». Tu n’es pour­tant pas sans savoir que l’humanité a sur­vé­cu fort long­temps sans indus­trie de l’acier, que beau­coup de socié­tés ont pros­pé­ré, ont vécu très long­temps sur un même ter­ri­toire, sans le détruire, en se pas­sant très bien de toute indus­trie, y com­pris d’industrie de l’acier, sans « mines de char­bon et de fer », sans « haut-four­neaux et […] lami­noirs », sans « usines », sans « ingé­nieurs ». Et que de telles socié­tés n’étaient pour­tant pas dépour­vues « d’outillage élé­men­taire ». Consi­dé­rer qu’une indus­trie de l’acier est néces­saire, c’est donc déjà plus que discutable.

Ber­trand Louart : Je ne sais pas si indus­trie de l’a­cier est « une néces­si­té fon­da­men­tale de l’exis­tence humaine », comme tu dis. Je dirais plu­tôt que ça aide beau­coup d’a­voir de bons et solides outils dans plein de domaines de la production.

Je suis menui­sier depuis main­te­nant plus de 20 ans. Pour l’ou­tillage à main, je sais que par le pas­sé les for­ge­rons de vil­lages étaient capables de pro­duire de l’ou­tillage par­fois de très bonne qua­li­té à par­tir du fer, mais qu’il fal­lait sou­vent réaf­fû­ter. En ce qui concerne les machines-outils pour le tra­vail du bois, elles sont contem­po­raines de la révo­lu­tion indus­trielle : elles sont mises au point et com­mer­cia­li­sées dans la seconde moi­tié du XIXe siècle, alors que l’in­dus­trie sidé­rur­gique est déjà bien développée.

Les machines-outils en char­pente, menui­se­rie, ébé­nis­te­rie ou encore luthe­rie per­mettent d’exé­cu­ter des tâches fas­ti­dieuses et haras­santes très rapi­de­ment. Jus­qu’au début du XXe siècle, il y avait encore des scieurs de long dans les cam­pagnes, qui sciaient les grumes (tronc d’arbre cou­pé et ébran­ché) pour en faire des planches : un au-des­sus et un en des­sous, à la force des bras, ils sciaient toute la jour­née et le soir réaf­fû­taient leurs lames. Je ne sais pas si tu as déjà essayé de rabo­ter une planche avec un rabot manuel : à condi­tion qu’il n’y ait pas de nœuds dans la pièce de bois (sinon, ils désaf­fûtent rapi­de­ment la lame et on arrache la fibre dans le contre­fil), on chope vite le coup de main et ça peut être agréable, mais c’est épui­sant ! Avec une scie à ruban, une dégau­chis­seuse et une rabo­teuse, ces opé­ra­tions de trans­for­ma­tion pri­maire peuvent être réa­li­sées en quelques minutes et de manière par­faite. Je crois qu’il n’y a pas beau­coup de menui­siers qui vou­draient s’en pas­ser de nos jours !

La dégau­chis­seuse de 1950 dont parle Ber­trand (voir ci-après)

Ces machines sont très simples méca­ni­que­ment (du moins dans leur prin­cipe, les construc­teurs les com­pliquent à loi­sir de nos jours), et pour peu qu’elles soient bien entre­te­nues, elles peuvent durer très long­temps. Dans l’a­te­lier où je tra­vaille, on a une dégau­chis­seuse qui date de 1950 (voir pho­to). On a chan­gé les rou­le­ments à billes du cylindre qui porte les lames (au centre de la machine), il y a 5 ans. C’est dif­fi­cile de savoir s’ils étaient d’o­ri­gine, et sinon com­bien de fois ils ont été chan­gés. Quoi qu’il en soit, c’est une machine qui a 70 ans et qui peut encore fonc­tion­ner assez bien durant au moins les 70 pro­chaines années. Bien sûr, cela implique que l’on pro­duise encore des lames et des rou­le­ments à billes. Au pas­sage, le rou­le­ment à billes est une grande inven­tion qui per­met de réduire consi­dé­ra­ble­ment les frot­te­ments (et donc la dépense d’éner­gie) dans tous les essieux et autres dis­po­si­tifs méca­niques mobiles. Mais ce sont des pièces de pré­ci­sion, qui ne sup­portent pas la médio­cri­té d’exé­cu­tion : il faut impé­ra­ti­ve­ment les pro­duire de manière indus­trielle. Bien entre­te­nus, ils peuvent durer entre 20 et 30 ans, voire plus.

Bien sûr, on peut se pas­ser de meubles, de char­rettes, de mai­sons, etc. Comme tu le dis, beau­coup de peuples ont vécu ain­si et cela jus­qu’à une époque pas si loin­taine. Donc en effet, une indus­trie de l’a­cier n’est pas abso­lu­ment néces­saire à l’exis­tence humaine.

Tout dépend de la manière dont on veut vivre et du tra­vail social que l’on est prêt à y inves­tir. Le grand pro­blème, c’est que dans l’his­toire de toutes les civi­li­sa­tions, ce sont les classes domi­nantes qui ont répon­du à ces ques­tions en impo­sant leur manière de voir et en confis­quant une grande par­tie du tra­vail social pour réa­li­ser leurs vues en la matière. Pour autant faut-il reje­ter, avec la domi­na­tion, tout l’hé­ri­tage de la civi­li­sa­tion ? Je ne le pense pas.

Il me semble plus inté­res­sant, dans les cir­cons­tances actuelles, de faire ce que pré­co­ni­sait Simone Weil : « de sépa­rer, dans la civi­li­sa­tion actuelle, ce qui appar­tient de droit à l’homme consi­dé­ré comme indi­vi­du et ce qui est de nature à four­nir des armes contre lui à la col­lec­ti­vi­té, tout en cher­chant les moyens de déve­lop­per les pre­miers élé­ments au détri­ment des seconds » (S. Weil, Réflexion sur les causes de la liber­té et de l’op­pres­sion sociales, 1934). Et donc d’ef­fec­tuer un tri, sur la base de « l’in­ven­taire exact de ce qui dans les immenses moyens accu­mu­lés, pour­rait ser­vir à une vie plus libre, et de ce qui ne pour­ra jamais ser­vir qu’à la per­pé­tua­tion de l’op­pres­sion » (Revue Ency­clo­pé­die des Nui­sances n°1, « Dis­cours pré­li­mi­naire », novembre 1984).

Il est évident qu’une cen­trale nucléaire, vu la quan­ti­té de tra­vail social qu’elle néces­site, la concen­tra­tion de la puis­sance qu’elle réa­lise et la forme très hié­rar­chi­sée du pou­voir poli­tique qu’elle sup­pose (sans par­ler des nui­sances bio­lo­giques qu’elle impose avec l’i­né­vi­table dis­sé­mi­na­tion des radio-élé­ments) « ne pour­ra jamais ser­vir qu’à la per­pé­tua­tion de l’op­pres­sion » (cf. mon texte « ITER ou la fabrique d’ab­so­lu »).

Ça devrait l’être aus­si pour bien d’autres indus­tries, comme l’élec­tro­nique et l’in­for­ma­tique ou l’a­gro-ali­men­taire par exemple. La seconde entrai­nant la défo­res­ta­tion, la des­truc­tion de la bio­di­ver­si­té – l’ex­ploi­ta­tion de la faune sau­vage dans les anciennes forêts pri­maires engen­drant la dis­sé­mi­na­tion de virus patho­gènes (cf. les tra­vaux de Rob Wal­lace) – et la pre­mière per­met­tant les satis­fac­tions vir­tuelles d’une vie confi­née dans les centres urbains et indus­triels… Par­faite synergie !

Mais ce n’est pas parce que la pro­duc­tion indus­trielle et ses machines ont acca­pa­ré toute pro­duc­tion aujourd’­hui qu’il faut se pas­ser en tout et pour tout de toute pro­duc­tion indus­trielle et de toutes les machines. Ce qui est cer­tain, c’est que à par­tir du moment où le pillage et l’im­por­ta­tion mas­sive d’éner­gie fos­sile cessent, énor­mé­ment de machines que l’on uti­lise actuel­le­ment ne peuvent plus fonc­tion­ner. La pro­duc­tion et l’emploi de machines sera à recon­si­dé­rer tota­le­ment, en fonc­tion de l’éner­gie qu’est capable de pro­duire la socié­té, loca­le­ment et avec les res­sources renou­ve­lables. Or, cette tâche consti­tue autant de tra­vail social sous­trait aux acti­vi­tés élé­men­taires et immé­diates de sub­sis­tance de la com­mu­nau­té. L’u­ti­li­sa­tion des machines ne peut être consi­dé­rée comme utile ou avan­ta­geuse que dans la mesure où le tra­vail social qu’elles mobi­lisent reste infé­rieur à celui qu’elles épargnent par leur usage. Or, il est loin d’être évident que ce rap­port soit tou­jours et sys­té­ma­ti­que­ment en leur faveur, contrai­re­ment à ce que croient les pro­gres­sistes qui oublient que l’éner­gie doit elle-même être pro­duite (voir José Ardillo, Les illu­sions renou­ve­lables, Éner­gie et pou­voir : une his­toire, 2015).

D’au­tant que la plu­part des machines sont actuel­le­ment conçues de manière à pri­vi­lé­gier la puis­sance au détri­ment du ren­de­ment : on mobi­lise et on gas­pille toutes les res­sources pos­sibles (et notam­ment les éner­gies fos­siles) pour obte­nir le plus rapi­de­ment un résul­tat net et pré­cis. C’est évi­dem­ment tout le contraire qu’il fau­drait faire : pri­vi­lé­gier le ren­de­ment au détri­ment de la puis­sance, uti­li­ser au mieux les res­sources locales et que l’on pro­duit soi-même, démul­ti­plier l’ac­ti­vi­té auto­nome des humains et de la nature, afin d’ob­te­nir un résul­tat satis­fai­sant sur le long terme. Autre­ment dit, la manière dont on conçoit les machines et la tech­nique est à revoir de fond en comble afin d’y inté­grer une atten­tion aux res­sources sociales autant que natu­relles qu’elles mobi­lisent. De ce point de vue, il est cer­tain que la trac­tion ani­male est beau­coup plus effi­cace dans la plu­part des situa­tions qu’un moteur à explosion.

Une telle approche, en tout cas, encou­ra­ge­rait l’in­ven­ti­vi­té de cha­cun et de cha­cune et favo­ri­se­rait la plu­ra­li­té des sys­tèmes tech­niques plu­tôt qu’une tech­no­lo­gie mono­li­thique, venue d’en haut, conçue par une caste d’in­gé­nieurs qui ont inté­rio­ri­sé les exi­gences et les pré­sup­po­sés de l’in­dus­trie et qui contri­buent, par leurs choix tech­niques, à les relayer et à les impo­ser à toute la société.

Nico­las Casaux : Mer­ci pour cet entre­tien. Cela dit, pour rebon­dir une der­nière fois sur ta réponse : je n’ai pas par­lé de « reje­ter, avec la domi­na­tion, tout l’hé­ri­tage de la civi­li­sa­tion », j’ai juste posé la ques­tion de savoir si une indus­trie de l’acier pou­vait être démo­cra­tique, ce qui rejoint d’ailleurs en par­tie la cita­tion de Weil que tu rap­portes, mais disons que la ques­tion demeure ouverte, même si, à mes yeux, « des mines de char­bon et de fer, des haut-four­neaux et des lami­noirs, des usines avec leurs ouvriers et leurs ingé­nieurs, toute une indus­trie sidé­rur­gique et méca­nique qui impliquent un ensemble de tâches pénibles dans des condi­tions haras­santes et une divi­sion du tra­vail élar­gie », c’est dif­fi­ci­le­ment démo­cra­tique ; en outre, on dis­pose de meubles, de char­rettes et de mai­sons depuis bien avant l’a­vè­ne­ment de l’in­dus­trie de l’a­cier. Quoi qu’il en soit, ceux que les sujets dis­cu­tés ici inté­ressent sont invi­tés à pro­lon­ger la réflexion en consul­tant le très bon blog tenu par Ber­trand : https://sniadecki.wordpress.com/


  1. Jour­nal Tier­ra y Liber­tad, 18 juillet 1931. Cité dans Myr­tille Gon­zal­bo, gimé­no­logue, Les Che­mins du com­mu­nisme liber­taire en Espagne, 1868–1937, vol. II, “L’anarcho-syndicalisme tra­vaillé par ses pré­ten­tions anti­ca­pi­ta­listes, 1910-juillet 1936” éd. Diver­gences, 2018, p. 156. Sur l’opposition entre “com­mu­na­listes” et “indus­tria­listes”, voir le cha­pitre 5.

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  1. super de lire cette conver­sa­tion entre les 2 per­sonnes dont je suis les blogs depuis long­temps. Je me per­mets d’in­clure une pre­ci­sion quand a la pro­duc­tion de l’a­cier. Celle-ci appa­rait deja au moyen age en europe ou bien en chine, il s’a­git bien de pro­duc­tion d’a­cier au car­bone (essen­tiel­le­ment pour faire des epees) qui reste arti­sa­nale (uti­li­sa­tion de sou­flets manuels, de char­bon de bois etc… ) De meme il me semble avoir enten­du une emmi­son sur fran­ceQ il y a fort long­temps qui decri­vait le pro­ces­sus de nitru­ra­tion de l’a­cier (crea­tion d’un alliage extre­me­ment dur) au Japon des samou­rais par des arti­sans fabri­quants de sabres. Le pro­cede sem­blait presque invrais­sem­blable jus­qu’a rece­ment ou il a pu etre demontre qu’il s’a­gis­sait bien de nitru­ra­tion de l’a­cier. Les arti­sans uti­li­saient des dejec­tions de poules dans un cycle d’in­cor­pa­ra­tion par etapes suc­ces­sives dans l’a­cier. Bref, l’in­dus­trie bien sou­vent uti­lise des savoirs ances­traux, et grace au pro­ces­sus de pro­le­ta­ri­sa­tion ultime finit par confis­quer les savoirs tech­niques en faveur d’une pro­duc­tion bien sou­vent de pietre qua­lite (exemple fla­grant : l’in­dus­trie tex­tile, de la fila­ture a la confec­tion en pas­sant par le tissage).

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