La constitution n’a nulle autorité (par Lysander Spooner)

lysander-spoonerLysan­der Spoo­ner (1808–1887):
Né en 1808 dans le Nord-Est des états-unis, il fut un des grands pen­seurs anar­cho-indi­vi­dua­listes amé­ri­cains. Juriste de for­ma­tion et de métier, il se fit connaître dans les rangs des mili­tants abo­li­tion­nistes, par la viru­lence de son oppo­si­tion à l’es­cla­vage. Spoo­ner défen­dait ce qu’il appe­lait le « Droit Natu­rel » — ou la “Science de la Jus­tice” — dans lequel les actes de coer­ci­tion réelle à l’en­contre d’in­di­vi­dus et de leur pro­prié­té sont consi­dé­rés comme “illé­gaux” alors que actes pré­ten­du­ment « hors-la-loi », lors­qu’ils ne portent pas atteintes aux droits natu­rels d’au­trui et qu’ils ne violent qu’une légis­la­tion faite par un seul homme, ne sont pas illégaux.


La Consti­tu­tion n’a nulle auto­ri­té ou obli­ga­tion qui lui soit inhé­rente. Elle n’a nulle auto­ri­té ou obli­ga­tion quelle qu’elle soit, si ce n’est comme contrat entre un homme et un autre. Or, elle ne pré­tend même pas être un contrat entre per­sonnes actuel­le­ment vivantes. Au plus, elle pré­tend être un contrat conclu entre des per­sonnes qui vivaient il y a quatre-vingts ans. Encore ne peut-on lui sup­po­ser alors la qua­li­té de contrat qu’entre des per­sonnes qui avaient déjà atteint l’âge du dis­cer­ne­ment, de manière à être aptes à faire des contrats rai­son­nables et qui les obligent. En outre, l’his­toire nous l’ap­prend, seule une faible por­tion des per­sonnes qui vivaient alors ont été consul­tées sur le sujet, ou inter­ro­gées, ou auto­ri­sées à expri­mer leur accord ou leur désac­cord de façon quelque peu for­melle. Les hommes, s’il y en eut, qui don­nèrent bien leur accord for­mel sont tous morts aujourd’­hui. Pour la plu­part, ils sont morts depuis qua­rante, cin­quante, soixante ou soixante-dix ans. Et la Consti­tu­tion, parce qu’elle était leur contrat, est morte avec eux. Ils n’a­vaient ni le pou­voir natu­rel ni le droit natu­rel de rendre cette Consti­tu­tion obli­ga­toire pour leurs enfants. Non seule­ment il est abso­lu­ment impos­sible, selon la nature des choses, qu’ils lient leur pos­té­ri­té, mais ils ne ten­tèrent même pas de le faire. Autre­ment dit, ce docu­ment ne pré­tend pas être un accord entre qui que ce soit sinon entre « les hommes » alors vivants ; il ne reven­dique pas non plus pour ces hommes, ni expres­sé­ment ni impli­ci­te­ment, aucun droit, pou­voir ou désir de lier qui que ce soit d’autre qu’eux-mêmes. Voi­ci son langage :

« Nous, gens des États-Unis [autre­ment dit, les gens vivant alors aux États-Unis], en vue de for­mer une union plus par­faite, de ren­for­cer la tran­quilli­té à l’intérieur, de pour­voir à notre com­mune défense, de pro­mou­voir le bien-être géné­ral et d’as­su­rer à nous-mêmes et à notre pos­té­ri­té les bien­faits de la liber­té, ordon­nons et éta­blis­sons cette Consti­tu­tion pour les États-Unis d’Amérique. »

En pre­mier lieu, il est clair que par ces termes l’ac­cord en tant qu’accord ne pré­tend pas être autre chose que ce que réel­le­ment il est, à savoir un contrat entre des gens alors vivants ; et qui néces­sai­re­ment ne lie, en tant que contrat, que les gens qui vivent alors. En second lieu, la for­mu­la­tion n’ex­prime ni n’im­plique que ceux-ci aient eu la moindre inten­tion ou désir d’o­bli­ger leur « pos­té­ri­té » à vivre sous cette loi, ni qu’ils se soient ima­gi­nés revê­tus du moindre droit ou pou­voir d’en user ain­si. La for­mule ne dit pas que leur « pos­té­ri­té » vivra, vou­dra ou devra vivre sous cette loi. Elle dit seule­ment, en fait, qu’en adop­tant cette Consti­tu­tion leurs espoirs et leurs motifs étaient qu’elle s’a­vé­re­rait sans doute utile non seule­ment à eux-mêmes mais aus­si à leur pos­té­ri­té, parce qu’elle pro­mou­vrait son union, sa sécu­ri­té, sa tran­quilli­té, sa liber­té, etc.[…] 

Par consé­quent, sur le plan juri­dique, il n’y a, dans la Consti­tu­tion, rien qui affirme lier ou qui tente de lier la « pos­té­ri­té » de ceux qui l’ont éta­blie. Dès lors que ceux qui ont éta­bli la Consti­tu­tion n’a­vaient pas le pou­voir de lier leur pos­té­ri­té et n’ont pas cher­ché à le faire, il faut se deman­der si leur pos­té­ri­té s’est liée elle-même. Si elle l’a fait, elle n’a pu le faire que de l’une des deux manières que voi­ci, à savoir par le vote ou par l’impôt.

[…] Puisque tous les hommes qui sou­tiennent la Consti­tu­tion en votant (pour autant qu’il existe de tels hommes) le font secrè­te­ment (par scru­tin secret), et de manière à évi­ter toute res­pon­sa­bi­li­té per­son­nelle pour l’ac­tion de leurs agents ou repré­sen­tants, on ne sau­rait dire en droit ou en rai­son qu’il existe un seul homme qui sou­tienne la Consti­tu­tion en votant.

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La consti­tu­tion des états-unis d’Amérique

Puisque tout vote est secret (par scru­tin secret), et puisque tout gou­ver­ne­ment secret est par néces­si­té une asso­cia­tion secrète de voleurs, tyrans et assas­sins, le fait géné­ral que notre gou­ver­ne­ment, dans la pra­tique, opère par le moyen d’un tel vote prouve seule­ment qu’il y a par­mi nous une asso­cia­tion secrète de voleurs, tyrans et assas­sins, dont le but est de voler, asser­vir et  s’il le faut pour accom­plir leurs des­seins  assas­si­ner le reste de la popu­la­tion. Le simple fait qu’une telle asso­cia­tion existe ne prouve en rien que « le peuple des États-Unis », ni aucun indi­vi­du par­mi ce peuple, sou­tienne volon­tai­re­ment la Constitution.

Les par­ti­sans visibles de la Consti­tu­tion, comme les par­ti­sans visibles de la plu­part des autres gou­ver­ne­ments, se rangent dans trois caté­go­ries, à savoir :

1. Les scé­lé­rats, classe nom­breuse et active ; le gou­ver­ne­ment est pour eux un ins­tru­ment qu’ils uti­li­se­ront pour s’a­gran­dir ou s’enrichir ;

2. Les dupes — vaste caté­go­rie, sans nul doute, dont chaque membre, parce qu’on lui attri­bue une voix sur des mil­lions pour déci­der ce qu’il peut faire de sa per­sonne et de ses biens, et parce qu’on l’au­to­rise à avoir, pour voler, asser­vir et assas­si­ner autrui, cette même voix que d’autres ont pour le voler, l’as­ser­vir et l’as­sas­si­ner, est assez sot pour ima­gi­ner qu’il est « un homme libre », un « sou­ve­rain »; assez sot pour ima­gi­ner que ce gou­ver­ne­ment est « un gou­ver­ne­ment libre », « un gou­ver­ne­ment de l’é­ga­li­té des droits », « le meilleur gou­ver­ne­ment qu’il y ait sur terre », et autres absur­di­tés de ce genre ;

3. Une caté­go­rie qui a quelque intel­li­gence des vices du gou­ver­ne­ment, mais qui ou bien ne sait com­ment s’en débar­ras­ser, ou bien ne choi­sit pas de sacri­fier ses inté­rêts pri­vés au point de se dévouer sérieu­se­ment et gra­ve­ment à la tâche de pro­mou­voir un changement.

Or, nous avons un docu­ment — la Consti­tu­tion — qui veut et pré­tend être un contrat, ou dont on pré­tend qu’il est un contrat ; un docu­ment rédi­gé il y a quatre-vingts ans, par des hommes qui sont tous morts aujourd’hui ; et n’ont jamais eu aucun pou­voir de nous lier nous ; un docu­ment qui (pré­tend-on) a néan­moins lié trois géné­ra­tions, (soit des mil­lions d’hommes, et qui (pré­tend-on) va lier tous les mil­lions d’hommes à venir ; mais que per­sonne n’a jamais signé, scel­lé, ni remis, authen­ti­fié par un témoi­gnage ou autre­ment ; un docu­ment que des gens qui ne sont qu’une poi­gnée, com­pa­rés au nombre total de per­sonnes qu’on veut qu’il lie ont jamais lu, ou même vu, ou ver­ront ou liront jamais. Et par­mi ceux qui l’ont jamais lu, ou le liront jamais, à peine deux per­sonnes, et peut-être même pas deux per­sonnes, ont jamais été d’accord ou seront jamais d’accord sur ce qu’il signifie.

Mais, en 2015, qui l'a lu en entier? Et qui l'a signée ou approuvée?
Mais, en 2015, qui l’a lue en entier ? Et qui l’a signée ou approuvée ?

En outre, ce sup­po­sé contrat — qui ne serait jamais accep­té par aucune cour de jus­tice sié­geant par l’autorité de ce même contrat, si on l’avançait pour attes­ter une somme de cinq dol­lars due par un homme à un autre —, ce contrat, dis-je, tel qu’il est géné­ra­le­ment inter­pré­té par ceux qui pré­tendent l’appliquer, est celui par quoi tous les hommes, femmes et enfants à tra­vers tout ce pays et dans tous les temps aban­donnent non seule­ment tous leurs biens, mais aus­si leur liber­té, et même leur vie, entre les mains d’hommes qui par ce sup­po­sé contrat sont expres­sé­ment exemp­tés de toute res­pon­sa­bi­li­té pour l’usage qu’ils font des per­sonnes et des biens à eux livrés. Et nous sommes assez fous, ou assez mau­vais, pour détruire des biens et des vies sans limites, lorsque nous com­bat­tons pour obli­ger des hommes à rem­plir un sup­po­sé contrat qui, puisqu’il n’a jamais été signé par qui­conque, n’est, selon les prin­cipes géné­raux du Droit et de la rai­son — ces prin­cipes qui nous gou­vernent tous lorsqu’il s’agit d’autres contrats — qu’un mor­ceau de papier sans valeur, inca­pable de lier per­sonne, bon seule­ment à jeter au feu ; ou, si on vou­lait le gar­der, à conser­ver seule­ment pour témoi­gner et aver­tir de la folie et de la méchan­ce­té du genre humain.

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A propos des élus

Le plus que puissent dire les membres du Congrès quant à leur nomi­na­tion est ceci, que cha­cun d’eux peut dire de lui-même :

« J’ai des preuves, à mes yeux satis­fai­santes, qu’il existe, dis­per­sée dans le pays, une bande d’hommes qui ont entre eux un accord tacite, et qui se font appe­ler “le peuple des États-Unis”; ces gens ont pour objec­tif géné­ral de se gou­ver­ner et de se piller les uns les autres, ain­si que tous les autres habi­tants de ce pays — et, autant qu’ils le pour­ront, ceux des pays voi­sins ; et de tuer tout homme qui ten­te­ra de défendre sa per­sonne et ses biens contre leurs machi­na­tions visant à voler et dominer.

Ce que sont indi­vi­duel­le­ment ces hommes, je n’ai pas le moyen de le savoir avec cer­ti­tude, car ils ne signent aucun papier, et ne donnent aucune preuve ouverte et authen­tique de leur appar­te­nance indi­vi­duelle. Ils ne se connaissent même pas indi­vi­duel­le­ment entre eux. Appa­rem­ment, ils craignent tout autant de se connaître indi­vi­duel­le­ment entre eux que d’être connus des autres gens. C’est pour­quoi ordi­nai­re­ment leur seule manière d’exercer ou de faire connaître leur appar­te­nance indi­vi­duelle consiste à voter secrè­te­ment pour cer­tains agents char­gés d’accomplir leur volonté.

Mais bien que ces hommes soient indi­vi­duel­le­ment incon­nus tant d’eux-mêmes que des autres gens, il est géné­ra­le­ment admis dans le pays que seuls les mâles âgés de vingt et un ans et plus ont le droit d’appartenir à ce groupe. De même il est géné­ra­le­ment admis que tous les mâles nés dans ce pays, ayant une cer­taine cou­leur de peau, et (en cer­tains lieux) une quan­ti­té de biens déter­mi­née, et (en cer­tains cas) même ceux qui sont nés à l’étranger, sont auto­ri­sés à faire par­tie de ce groupe. Cepen­dant, il appa­raît qu’ordinairement seuls une moi­tié, ou deux tiers, ou en cer­tains cas trois quarts de tous ceux qui sont ain­si auto­ri­sés à faire par­tie de la bande uti­lisent jamais leur qua­li­té de membre, et par consé­quent font la preuve de cette qua­li­té, de la seule manière qu’ils puissent ordi­nai­re­ment l’utiliser et la prou­ver, à savoir en votant en secret pour les offi­ciers ou agents de la bande.

Le nombre de ces votes secrets, pour autant que nous le connais­sions, varie gran­de­ment d’une année à l’autre, et tend donc à prou­ver que la bande n’est pas une orga­ni­sa­tion per­ma­nente, mais plu­tôt un arran­ge­ment pro­vi­soire concer­nant ceux qui choi­sissent pro­vi­soi­re­ment d’en faire par­tie. Le nombre total de ces votes secrets, ou ce qu’on pré­tend être leur nombre total, dans les diverses loca­li­tés, est par­fois ren­du public. Nous n’avons aucun moyen de véri­fier si ces don­nées sont exactes ou non. On sup­pose géné­ra­le­ment que de nom­breuses fraudes sont com­mises lors des scru­tins. Il est enten­du que les votes sont reçus et comp­tés par cer­taines per­sonnes qui sont nom­mées à cet effet par le même pro­ces­sus secret qui est en usage pour choi­sir tous les autres offi­ciers et agents de la bande. Selon les rap­ports faits par ceux qui ont reçu les votes (gens dont je ne peux tou­te­fois garan­tir la pré­ci­sion et hon­nê­te­té), et selon ce que je sais du nombre total des mâles “dans mon dis­trict” qui (sup­pose- t‑on) furent auto­ri­sés à voter, il semble que la moi­tié, les deux tiers ou les trois quarts ont effec­ti­ve­ment voté.

Ce que sont indi­vi­duel­le­ment ces gens qui ont voté, je n’en ai pas connais­sance, car tout s’est pas­sé en secret. Mais, par­mi les suf­frages secrets ain­si expri­més pour ce qu’ils appellent un “membre du Congrès”, ceux qui les ont reçus disent que j’ai eu la majo­ri­té, ou du moins un plus grand nombre de voix que toute autre per­sonne. Et c’est uni­que­ment en ver­tu d’une telle dési­gna­tion que je me trouve main­te­nant ici, pour agir de concert avec d’autres per­sonnes choi­sies de la même façon dans d’autres par­ties du pays. Il est enten­du entre ceux qui m’ont envoyé ici que toutes les per­sonnes ain­si choi­sies, lorsqu’elles se réuni­ront dans la ville de Washing­ton, s’engageront par ser­ment en pré­sence de toutes les autres à “sou­te­nir la Consti­tu­tion des États-Unis”.

Par là on veut par­ler d’un cer­tain docu­ment qui fut rédi­gé il y a quatre-vingts ans. Ce docu­ment n’a jamais été signé par per­sonne, et appa­rem­ment il n’a pas et n’a jamais eu le moindre pou­voir de lier à la façon d’un contrat. En fait, peu de gens l’ont jamais lu et sans aucun doute la plus grande par­tie, et de loin, des gens qui ont voté pour moi et pour les autres ne l’ont jamais vu, ou ne pré­tendent pas savoir ce qu’il signi­fie. Néan­moins, il arrive sou­vent dans ce pays qu’on le nomme “la Consti­tu­tion des États-Unis”; et pour une rai­son quel­conque, les gens qui m’ont envoyé ici semblent s’attendre à ce que moi-même, et les autres gens avec les­quels j’agis, nous nous enga­gions par ser­ment à mettre en appli­ca­tion cette Consti­tu­tion. Je suis donc dis­po­sé à prê­ter ce ser­ment, et à coopé­rer avec toutes les autres per­sonnes choi­sies de la même manière qui sont dis­po­sées à prê­ter le même serment. »

Voi­là tout ce que peut dire un membre du Congrès pour prou­ver qu’il a bien des élec­teurs ; qu’il repré­sente bien quelqu’un ; que son ser­ment de « sou­te­nir la Consti­tu­tion » est bien prê­té à quelqu’un, ou engage sa fidé­li­té envers quelqu’un. Il n’a aucune preuve ouverte, écrite, ou autre­ment authen­tique, telle qu’on en exige dans tous les autres cas, qu’il a jamais été nom­mé agent ou repré­sen­tant de qui que ce soit. Il n’a pro­cu­ra­tion écrite d’aucun indi­vi­du en par­ti­cu­lier. Il n’a pas le genre de garan­tie juri­dique, exi­gée dans tous les autres cas, qui lui per­met­trait d’identifier un seul de ceux qui pré­tendent l’avoir nom­mé pour les représenter.

Il est clair que, selon les prin­cipes géné­raux du Droit et de la rai­son, il n’existe rien qui res­semble à un gou­ver­ne­ment créé par ou repo­sant sur un quel­conque consen­te­ment, ou une conven­tion ou un accord pas­sé par « le peuple des États-Unis » avec lui-même ; que le seul gou­ver­ne­ment visible, tan­gible et res­pon­sable qui existe est celui d’un petit nombre d’individus, qui agissent de concert, et se font appe­ler de noms divers tels que séna­teurs, repré­sen­tants, pré­si­dents, juges, huis­siers, tré­so­riers, per­cep­teurs, géné­raux, colo­nels, capi­taines, etc., etc.

Selon les prin­cipes géné­raux du Droit et de la rai­son, il n’importe aucu­ne­ment que ces quelques indi­vi­dus pré­tendent être les agents et repré­sen­tants du « peuple des États-Unis », puisqu’ils sont inca­pables de mon­trer les docu­ments par les­quels ce peuple les accré­di­te­rait comme tels ; jamais ils n’ont été nom­més en qua­li­té d’agents ou repré­sen­tants en aucune façon ouverte, authen­tique ; eux-mêmes ne savent pas et n’ont aucun moyen de savoir et de prou­ver qui sont indi­vi­duel­le­ment leurs man­dants (comme ils les appellent); et par consé­quent on ne sau­rait dire, en droit et en rai­son, qu’ils en aient aucun.

Il y a une autre rai­son encore qui fait qu’ils ne sont pas nos ser­vi­teurs, agents, man­da­taires ou repré­sen­tants. Cette rai­son est que nous ne nous attri­buons pas non plus la res­pon­sa­bi­li­té de leurs actes. Si un homme est mon ser­vi­teur, agent ou man­da­taire, néces­sai­re­ment je prends la res­pon­sa­bi­li­té de tous les actes qu’il accom­plit dans la limite du pou­voir dont je l’ai revê­tu. Si, en tant que mon agent, je l’ai revê­tu d’un pou­voir abso­lu, ou d’un pou­voir quel qu’il soit sur les per­sonnes ou les biens d’autres que moi-même, par néces­si­té j’ai par là même pris la res­pon­sa­bi­li­té devant ces autres per­sonnes de tout le mal qu’il pour­rait leur faire, pour­vu qu’il agisse dans les limites du pou­voir dont je l’ai revê­tu. Or aucun indi­vi­du qui se trou­ve­rait lésé dans sa per­sonne ou ses biens par des actes du Congrès ne peut se tour­ner vers l’électeur indi­vi­duel, et le tenir pour res­pon­sable de ces actes accom­plis pas les soi-disant agents ou repré­sen­tants de cet élec­teur. Ce qui prouve que ces pré­ten­dus agents du peuple, ou de tout le monde, ne sont en fait les agents de personne.

Transmutations


Du scrutin secret

Pour­quoi le scru­tin est-il secret ? Pour une rai­son et une seule : comme tous les gens asso­ciés dans le crime, ceux qui uti­lisent le scru­tin ne sont pas des amis, mais des enne­mis ; et ils ont peur d’être connus, et que les actes qu’ils accom­plissent indi­vi­duel­le­ment soient connus, même de leurs asso­ciés. Ils par­viennent à éta­blir entre eux assez de com­pli­ci­té pour agir de concert au détri­ment d’autres per­sonnes ; mais au-delà de cela il n’y a entre eux aucune confiance, aucune ami­tié. En fait, ils sont tout aus­si empres­sés à se dépouiller les uns les autres par leurs machi­na­tions qu’à dépouiller ceux qui n’appartiennent pas à leur bande. Et il est par­fai­te­ment enten­du qu’en de cer­taines cir­cons­tances le par­ti le plus fort par­mi eux fera tuer les membres des autres par­tis par dizaines de mil­liers — ce qu’ils firent il y a peu* — pour accom­plir les plans our­dis contre eux. C’est pour­quoi ils ont peur d’être connus, ou que leurs actions indi­vi­duelles soient connues, même entre eux. Et c’est, de leur propre aveu, la seule rai­son qui jus­ti­fie le scru­tin secret ; qui jus­ti­fie un gou­ver­ne­ment secret ; qui jus­ti­fie le gou­ver­ne­ment d’une asso­cia­tion secrète de voleurs et d’assassins. Et nous sommes assez fous pour appe­ler cela liber­té ! Faire par­tie de cette asso­cia­tion secrète de voleurs et d’assassins est consi­dé­ré comme un pri­vi­lège et un hon­neur ! S’il est pri­vé de ce pri­vi­lège l’homme passe pour un esclave ; s’il en jouit, c’est un homme libre ! Un homme libre, parce que le pou­voir qu’a autrui de le voler, asser­vir et assas­si­ner secrè­te­ment (par scru­tin secret), ce pou­voir il l’a lui aus­si sur autrui ! Voi­là ce qu’on nomme l’égalité des droits !

Si un nombre d’hommes, grand ou petit, reven­dique le droit de gou­ver­ner le peuple de ce pays, qu’ils concluent et signent ouver­te­ment entre eux une conven­tion à cet effet. Qu’ils se fassent indi­vi­duel­le­ment connaître par ceux qu’ils veulent gou­ver­ner. Et qu’ils prennent ain­si ouver­te­ment la res­pon­sa­bi­li­té légi­time de leurs actes. Com­bien le feront, par­mi ceux qui aujourd’hui sou­tiennent la Consti­tu­tion ? Com­bien auront l’audace de pro­cla­mer ouver­te­ment leur droit de gou­ver­ner ? Ou de prendre la res­pon­sa­bi­li­té légi­time de leurs actes ? Aucun !

* Lysan­der Spoo­ner évoque ici la Guerre civile dite « guerre de Séces­sion » (N.d.T).

Lysan­der Spooner


Extraits du livre :

1943425

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