L’espoir est un fléau ! (par Derrick Jensen)

Le texte qui suit est un extrait du livre End­game de Der­rick Jen­sen (asso­cié, pour les para­graphes du début, à son article inti­tu­lé « Au-delà de l’es­poir », publié sur Orion). Un livre que nous tra­dui­rons pos­si­ble­ment en entier d’i­ci quelques années.


« L’es­poir est le véri­table tueur. L’es­poir est nui­sible. L’es­poir nous per­met de res­ter immo­biles dans un radeau en per­di­tion au lieu d’a­gir et d’affronter le pro­blème. Oubliez l’es­poir. Ana­ly­ser sin­cè­re­ment et hon­nê­te­ment la situa­tion comme elle se pré­sente est notre unique chance. Au lieu d’at­tendre, en « espé­rant » que l’on s’en sorte, peut-être devrions-nous admettre que prendre la pleine mesure de la situa­tion, aus­si déplai­sante soit-elle, est une très bonne chose, un pre­mier pas en direc­tion du chan­ge­ment véritable. »

Grin­go Stars

« L’es­poir est la laisse de la soumission. »

Raoul Vanei­gem

« Le remède au déses­poir n’est pas l’es­poir. C’est la décou­verte de ce que nous vou­lons faire pour ce qui nous importe. »

Mar­ga­ret Wheatley

« Nous sommes fou­tus ». Voi­là les mots que j’ai le plus enten­dus dans la bouche des éco­lo­gistes du monde entier. La plu­part d’entre eux luttent déses­pé­ré­ment, à l’aide des outils dont ils dis­posent — ou plu­tôt, des outils légaux dont ils dis­posent, donc des outils que ceux au pou­voir leur four­nissent, et donc d’outils qui, ulti­me­ment, seront inef­fi­caces — pour ten­ter de pro­té­ger quelque par­celle de terre, pour ten­ter de stop­per la fabrique et la pro­pa­ga­tion de poi­sons, pour ten­ter d’empêcher les humains civi­li­sés de tour­men­ter des plantes ou des ani­maux. Ils en sont par­fois réduits à pro­té­ger un arbre, un seul.

Voi­ci com­ment John Osborn, un acti­viste extra­or­di­naire et un ami, résume ses moti­va­tions : « Tan­dis que nous nous enfon­çons dans le chaos, je veux m’assurer que quelques portes res­tent ouvertes. Si les grizz­lys sont encore là dans 20, 30 et 40 ans, ils le seront peut-être encore dans 50. S’ils sont éteints dans 20 ans, ils le seront pour toujours. »

Mais quoi que fassent les éco­lo­gistes, nos meilleurs efforts sont insuf­fi­sants. Nous per­dons lour­de­ment, sur tous les fronts. Ceux au pou­voir tiennent dur comme fer à détruire la pla­nète, et la plu­part des gens n’en ont que faire.

Hon­nê­te­ment, je n’ai pas grand espoir. Mais je pense que c’est une bonne chose. L’espoir nous main­tient enchaî­nés au sys­tème, au conglo­mé­rat d’individus, d’idées et d’idéaux qui détruit la planète.

Pour com­men­cer, il y a ce faux espoir selon lequel sou­dai­ne­ment, de quelque façon, le sys­tème va inex­pli­ca­ble­ment chan­ger. Ou celui selon lequel la tech­no­lo­gie va nous sau­ver. Ou la déesse mère. Ou des créa­tures d’Alpha du Cen­taure. Ou Jésus Christ. Ou le père Noël. Tous ces faux espoirs mènent à l’inaction ou, au mieux, à l’inefficacité. Une des rai­sons pour les­quelles ma mère res­tait avec mon père, qui la vio­len­tait, tenait au fait qu’il n’y avait pas de foyers pour femmes bat­tues dans les années 50 et 60 ; une autre à l’espoir qu’elle avait de le voir chan­ger. Les faux espoirs nous enchaînent à des situa­tions invi­vables, et nous empêchent de dis­cer­ner les pos­si­bi­li­tés réelles.

Qui croit vrai­ment que Weye­rhaeu­ser va arrê­ter de défo­res­ter parce qu’on lui demande gen­ti­ment ? Qui croit vrai­ment que Mon­san­to va arrê­ter de Mon­san­ter parce qu’on lui demande gen­ti­ment ? Si seule­ment nous avions un démo­crate à la Mai­son-Blanche, les choses iraient mieux. Si seule­ment nous fai­sions pas­ser telle ou telle loi, les choses iraient mieux. Si seule­ment nous par­ve­nions à faire reti­rer telle ou telle loi, les choses iraient mieux. Non-sens. Les choses n’iraient pas mieux. Elles ne vont déjà pas du tout, et elles empirent. Rapidement.

Ce n’est pas sim­ple­ment le faux espoir qui enchaîne ceux qui vont en son sens. C’est l’es­poir lui-même.

L’es­poir, nous dit-on, est notre phare dans la nuit. Notre lumière à la fin d’un long et sombre tun­nel. Le rayon de lumière qui, contre toute attente, par­vient à péné­trer jusque dans nos cel­lules. Notre rai­son de per­sé­vé­rer, notre pro­tec­tion contre le déses­poir (qui doit à tout prix, et donc à celui de notre san­té et de celle du monde, être évi­té). Com­ment conti­nuer si nous n’a­vons pas d’espoir ?

On nous a tous ensei­gné que l’es­poir d’une condi­tion future meilleure — comme l’es­poir d’un para­dis futur — est et doit être notre refuge dans la peine pré­sente. Je suis sûr que vous vous sou­ve­nez de l’his­toire de Pan­dore. On lui remit une boîte fer­me­ment scel­lée, et on lui dit de ne jamais l’ou­vrir. Mais, curieuse, elle l’ou­vrit, et en sor­tirent les fléaux, les peines et les cala­mi­tés, pro­ba­ble­ment pas dans cet ordre. Elle refer­ma la boîte, trop tard. Une seule chose y était res­tée : l’es­poir. L’es­poir, selon la légende, était « le seul bien que conte­nait le cof­fret où étaient enfer­més tous les fléaux, et reste à ce jour le seul récon­fort de l’hu­ma­ni­té en cas de mal­heur ». Aucune men­tion ici de l’ac­tion comme récon­fort en cas de mal­heur, ou de réel­le­ment faire quelque chose pour apai­ser ou éli­mi­ner l’in­for­tune. (For­tune : du latin for­tu­na, appa­ren­té au latin fort‑, fors, hasard, chance : ce qui implique bien sûr que l’in­for­tune que l’es­poir est cen­sé récon­for­ter n’est que mal­chance, et non pas un élé­ment dépen­dant de cir­cons­tances que l’on peut chan­ger : en ce qui nous concerne, je ne vois pas le rap­port entre la mal­chance et les misé­rables choix que l’on fait chaque jour et qui per­mettent à la civi­li­sa­tion de conti­nuer à détruire la Terre.)

Plus je com­prends l’es­poir, plus je réa­lise que loin d’être un récon­fort, celui-ci méri­tait lar­ge­ment sa place dans la boîte de Pan­dore aux côtés de tous les fléaux, peines et cala­mi­tés ; qu’il sert les besoins de ceux au pou­voir aus­si sûre­ment qu’une croyance en un dis­tant para­dis ; que l’es­poir n’est vrai­ment rien de plus qu’une variante sécu­lière de la mys­ti­fi­ca­tion men­tale paradis/nirvana.

L’es­poir est, en réa­li­té, une malé­dic­tion, un fléau.

Non seule­ment en rai­son de l’ad­mi­rable dic­ton boud­dhiste, « l’es­poir et la peur se pour­suivent l’un l’autre » — sans l’es­poir il n’y a pas la peur — et non seule­ment parce que l’es­poir nous éloigne du pré­sent, de qui et de là où nous sommes en ce moment, en nous fai­sant miroi­ter un état futur ima­gi­naire ; mais sur­tout en rai­son de ce qu’est l’espoir.

Nous braillons plus ou moins tous et plus ou moins conti­nuel­le­ment à pro­pos de l’es­poir. Vous ne croi­riez pas — ou peut-être le croi­riez-vous — com­bien d’é­di­teurs pour com­bien de maga­zines m’ont deman­dé d’é­crire sur l’a­po­ca­lypse, en me pré­ci­sant ensuite de « faire en sorte de lais­ser aux lec­teurs un soup­çon d’es­poir ». Mais qu’est-ce que l’es­poir, au juste ? Lors d’une confé­rence, au prin­temps der­nier, quel­qu’un m’a deman­dé de le défi­nir. Je n’ai pas pu, et ai donc retour­né la ques­tion à l’au­dience. Voi­ci la défi­ni­tion qui a alors émer­gé : l’es­poir est une aspi­ra­tion en une condi­tion future sur laquelle vous n’a­vez aucune influence. Cela signi­fie que vous êtes essen­tiel­le­ment impuissant.

Pensez‑y. Je ne vais pas, par exemple, dire que j’es­père man­ger quelque chose demain. Je vais le faire. Je n’es­père pas prendre une nou­velle res­pi­ra­tion main­te­nant, ni finir d’é­crire cette phrase. Je le fais. D’un autre côté, j’es­père que la pro­chaine fois que je pren­drais l’a­vion, il ne se cra­she­ra pas. Pla­cer de l’es­poir en une fina­li­té signi­fie que vous n’a­vez aucune influence la concernant.

On ne compte plus ceux qui espèrent que la culture domi­nante cesse de détruire le monde. En cela, ils garan­tissent sa conti­nua­tion, au moins à court-terme, lui prêtent un pou­voir qu’elle n’a pas, et désa­vouent leur propre pouvoir.

Je n’es­père pas que le sau­mon coho sur­vive. Je ferai ce qu’il faut pour évi­ter que la culture domi­nante ne les exter­mine. Si les cohos sou­haitent par­tir en rai­son de la façon dont ils sont trai­tés — et qui pour­rait leur en vou­loir ? — je leur dirai au revoir, et ils me man­que­ront, mais s’ils ne sou­haitent pas par­tir je ne per­met­trai pas à la civi­li­sa­tion de les exter­mi­ner. J’a­gi­rai quoi qu’il en coûte.

Je n’es­père pas que la civi­li­sa­tion s’ef­fondre le plus tôt pos­sible. Je ferai ce qu’il faut pour que cela arrive.

Lorsque nous réa­li­sons le niveau d’in­fluence que nous avons en véri­té, nous n’a­vons plus du tout à « espé­rer ». Nous avons juste à agir. À faire en sorte que les sau­mons sur­vivent. À faire en sorte que les chiens de prai­rie sur­vivent. À faire en sorte que les tigres sur­vivent. À faire le nécessaire.

Casey Mad­dox a écrit que lorsque la phi­lo­so­phie meurt, l’ac­tion débute. J’a­jou­te­rais que lorsque nous ces­sons d’es­pé­rer une assis­tance exté­rieure, lorsque nous ces­sons d’es­pé­rer que l’hor­rible situa­tion dans laquelle nous sommes se résolve d’elle-même, lorsque nous ces­sons d’es­pé­rer que d’une façon ou d’une autre la situa­tion n’empire pas, alors nous sommes enfin libres — vrai­ment libres — de com­men­cer à réel­le­ment la résoudre. Je dirais que lorsque l’es­poir meurt, l’ac­tion commence.

L’es­poir peut être bon — et adap­table — pour les pri­son­niers, mais les hommes et les femmes libres n’en ont que faire.

Êtes-vous un pri­son­nier, ou êtes-vous libre ?

***

Cer­tains me demandent par­fois, « si les choses sont si ter­ribles, pour­quoi ne te sui­cides-tu pas ? »

La réponse est que la vie est vrai­ment, vrai­ment belle. Je suis un être assez com­plexe pour com­prendre en mon cœur que nous sommes vrai­ment, vrai­ment fou­tus, et en même temps que la vie est vrai­ment, vrai­ment belle. Pas parce que nous sommes fou­tus, évi­dem­ment, ni en rai­son de tout ce qui fait que nous le sommes, mais en dépit de cela. Nous sommes fou­tus. La vie est tou­jours belle. Nous sommes vrai­ment fou­tus. La vie est tou­jours vrai­ment belle.

Beau­coup ont peur de res­sen­tir du déses­poir. Ils craignent qu’en s’au­to­ri­sant à per­ce­voir le déses­poir de notre situa­tion, ils se condam­ne­raient à être éter­nel­le­ment mal­heu­reux. Ils oublient qu’il est pos­sible de res­sen­tir plu­sieurs choses en même temps. Je suis plein de rage, de peine, de joie, d’a­mour, de haine, de déses­poir, de bon­heur, de satis­fac­tion, d’in­sa­tis­fac­tion, et d’un mil­lier d’autres sen­ti­ments. Ils oublient aus­si que le déses­poir est une réponse tout à fait appro­priée pour une situa­tion déses­pé­rée. Beau­coup, aus­si, ont pro­ba­ble­ment peur qu’en s’au­to­ri­sant à per­ce­voir à quel point les choses sont déses­pé­rées, ils seraient alors obli­gés de faire quelque chose pour chan­ger leurs circonstances.

Déses­poir ou pas, la vie est belle. L’autre jour, allon­gé au bord de l’é­tang devant chez moi, je regar­dais à tra­vers les aiguilles de séquoia ren­dues trans­lu­cides par les rayons du soleil. J’é­tais heu­reux, et je pen­sais, « que deman­der de plus ? ». La vie est si belle. Rai­son de plus pour se battre.

D’autres me demandent par­fois, « si les choses sont si ter­ribles, pour­quoi ne pas faire la teuf ? »

Eh bien, ma pre­mière réponse c’est que je n’ap­pré­cie pas vrai­ment les teufs. La seconde c’est que je m’a­muse déjà beau­coup. J’aime ma vie. J’aime la vie. C’est vrai pour la plu­part des acti­vistes que je connais. En nous bat­tant pour qui et pour ce que nous aimons, nous fai­sons ce que nous aimons.

Je n’ai aucune patience envers ceux d’entre nous qui uti­lisent le déses­poir de la situa­tion pour excu­ser leur inac­tion. J’ai remar­qué que si vous pri­vez la plu­part de ceux-là de cette excuse par­ti­cu­lière, ils en trouvent alors une autre, et encore une autre, et puis une autre. L’u­ti­li­sa­tion de cette excuse pour jus­ti­fier leur inac­tion — l’u­ti­li­sa­tion de n’im­porte quelle excuse pour jus­ti­fier l’i­nac­tion — révèle ni plus ni moins qu’une inca­pa­ci­té à aimer.

Lors d’une de mes der­nières confé­rences, une per­sonne s’est levée lors des questions/réponses pour affir­mer que la seule rai­son pour laquelle les acti­vistes font ce qu’ils font, c’est pour se sen­tir mieux eux-mêmes. Que l’ef­fi­ca­ci­té ne comp­tait pas, a‑t-elle dit, et que c’é­tait égo­tique de pen­ser qu’elle comp­tait. Elle a éga­le­ment sor­ti l’ex­cuse clas­sique selon laquelle le monde natu­rel n’au­rait pas besoin de notre aide. Au moins avait-elle recon­nu que le monde réel exis­tait, et n’é­tait pas que le bat­te­ment de cil d’un dieu quel­conque, mais il en résul­tait un nar­cis­sisme tout aus­si mythologique.

Je lui ai répon­du que je n’é­tais pas d’accord.

Il m’a deman­dé : « L’ac­ti­visme ne te per­met-il pas te sen­tir bien ?

— Bien sûr que si, mais ce n’est pas la rai­son pour laquelle j’en suis. Si je vou­lais sim­ple­ment me sen­tir bien, je me mas­tur­be­rais. Mais je veux accom­plir quelque chose dans le monde réel.

— Pour­quoi ?

— Parce que je suis amou­reux. Des sau­mons, des arbres devant ma fenêtre, des bébés lam­proies qui vivent dans les fonds sablon­neux, des petites sala­mandres qui rampent dans la couche d’hu­mus. Et si vous aimez, vous agis­sez pour défendre votre bien-aimé. Bien sûr que les résul­tats importent, mais ils ne déter­minent pas si l’on agit ou pas. On n’es­père pas sim­ple­ment que nos bien-aimés sur­vivent et pros­pèrent. On fait ce qu’il faut pour. Si mon amour ne me pousse pas à pro­té­ger ceux que j’aime, ce n’est pas de l’a­mour. Et si je n’a­gis pas pour pro­té­ger ma Terre, je ne suis pas vrai­ment humain. »

Il y a quelque temps, j’ai reçu un e‑mail d’un habi­tant de Spo­kane, dans l’État de Washing­ton. Il me disait que son fils de 15 ans était mer­veilleu­se­ment actif dans la lutte éco­lo­gique et sociale, mais il conti­nuait ain­si : « je vou­drais m’as­su­rer qu’il reste actif, donc je res­sens le besoin de lui don­ner de l’es­poir. C’est un pro­blème, parce que je ne per­çois aucun espoir, et que je ne veux pas lui mentir. »

Je lui ai dit de ne pas men­tir, et que s’il vou­lait faire en sorte que son fils reste actif, il ne devrait pas essayer de lui don­ner de l’es­poir, mais plu­tôt de l’a­mour. Si son fils apprend com­ment aimer, il res­te­ra actif.

Une chose mer­veilleuse se pro­duit lorsque vous aban­don­nez l’es­poir, et vous fait prendre conscience que vous n’en aviez jamais eu besoin pour com­men­cer. Vous réa­li­sez qu’a­ban­don­ner l’es­poir ne vous a pas tué, ni ne vous a ren­du moins effi­cace. En réa­li­té, cela vous a ren­du plus effi­cace, parce que vous ces­sez de dépendre de quel­qu’un ou de quelque chose pour résoudre vos pro­blèmes — vous ces­sez d’es­pé­rer que vos pro­blèmes se résolvent mira­cu­leu­se­ment, à tra­vers l’aide magique de Dieu, de la déesse Mère, du Sier­ra Club, des vaillants occu­peurs d’arbres [Tree-sit­ters, ceux qui grimpent dans les arbres afin d’empêcher leur aba­tage, NdT], des braves sau­mons, ou de la Terre elle-même — et vous com­men­cez à faire le néces­saire pour résoudre vous-mêmes vos problèmes.

À cause de la civi­li­sa­tion indus­trielle, les taux de sper­ma­to­zoïdes humains ont été divi­sés par deux au cours des 50 der­nières années. Sur la même période, les filles ont com­men­cé la puber­té de plus en plus tôt : 1 % des filles de 3 ans ont com­men­cé à déve­lop­per de la poi­trine ou des poils pubiens, et au cours, seule­ment, des 6 der­nières années, le pour­cen­tage de filles de moins de 8 ans aux poi­trines gon­flées et aux poils pubiens est pas­sé d’1 à 6,7 % pour les filles blanches, et à 27,2 % pour les filles noires.

Qu’al­lez-vous y faire ? Allez-vous espé­rer que ce pro­blème dis­pa­raisse d’une façon ou d’une autre ? Allez-vous espé­rer que quel­qu’un le résolve par magie ? Allez-vous espé­rer que quel­qu’un — qui­conque — stoppe l’in­dus­trie chi­mique qui nous tue tous ? Ou allez-vous faire quelque chose ?

Lorsque vous renon­cez à l’es­poir, non seule­ment vous sur­vi­vez, mais il y a mieux. Et c’est que d’une cer­taine manière, vous mou­rez. Et ce qu’il y a de mer­veilleux dans cette mort, c’est qu’une fois mort ils — ceux au pou­voir — ne peuvent plus vous tou­cher. Pas au tra­vers de leurs pro­messes, de leurs menaces, ni même au tra­vers de leur vio­lence. Une fois mort de cette façon, vous pou­vez tou­jours chan­ter, vous pou­vez tou­jours dan­ser, vous pou­vez tou­jours faire l’a­mour, vous pou­vez tou­jours vous battre comme un diable — vous pou­vez tou­jours vivre parce que vous êtes tou­jours en vie, d’ailleurs plus que jamais aupa­ra­vant — mais ceux au pou­voir n’ont plus prise sur vous. Vous réa­li­sez ain­si que lorsque l’es­poir meurt, cette par­tie de vous qu’il emporte n’é­tait pas vous, mais était le vous dépen­dant de ceux qui vous exploitent, le vous qui croyait que ceux qui exploitent s’ar­rê­te­raient d’eux-mêmes d’une façon ou d’une autre, le vous qui dépen­dait et croyait en ces mytho­lo­gies pro­pa­gées par ceux qui vous exploitent afin de faci­li­ter leur exploi­ta­tion. Le vous socia­le­ment construit. Le vous civi­li­sé. Le vous fabri­qué, pro­duit, estam­pillé, façon­né, est mort. La vic­time est morte.

Et qui reste-t-il une fois ce vous mort ? Il reste vous. Le vous ani­mal. Le vous nu. Le vous vul­né­rable (et invul­né­rable). Le vous mor­tel. Le vous sur­vi­vant. Le vous qui pense non pas ce que cette culture vous a ensei­gné à pen­ser, mais qui pense par lui-même. Le vous qui res­sent non pas ce que cette culture vous a appris à res­sen­tir, mais qui res­sent par lui-même. Le vous qui n’est pas ce que cette culture vous a appris à être, le véri­ta­ble­ment vous. Le vous qui peut dire oui, le vous qui peut dire non. Le vous qui fait par­tie de la Terre où vous vivez. Le vous qui va se battre (ou pas) pour défendre sa famille. Le vous qui com­bat­tra (ou pas) pour défendre ceux que vous aimez. Le vous qui va se battre (ou pas) pour défendre la Terre dont dépend votre vie et celles de ceux que vous aimez. Le vous dont la morale ne dépend pas de ce que cette culture — qui détruit la pla­nète, qui vous détruit — enseigne, mais dépend de vos propres sen­ti­ments ani­ma­liers d’a­mour et de lien avec votre famille, vos amis, votre Terre. Pas de votre famille de civi­li­sés auto-iden­ti­fiés mais d’a­ni­maux ayant besoin d’une Terre pour vivre, d’a­ni­maux qui sont tués par les pro­duits chi­miques, d’a­ni­maux ayant été for­més et défor­més pour cor­res­pondre aux besoins de cette culture.

Lorsque vous aban­don­nez l’es­poir — lorsque vous mou­rez de cette façon, et êtes ain­si réel­le­ment en vie — vous vous ren­dez invul­né­rable à la coop­ta­tion de ratio­na­li­té et de peur que les nazis ont fait subir aux Juifs et à d’autres, que les abu­seurs font subir à leurs vic­times, que la culture domi­nante nous fait subir à tous. Ou peut-être fau­drait-il dire que les exploi­teurs éla­borent des cir­cons­tances phy­siques, sociales et émo­tion­nelles telles que les vic­times se per­çoivent comme n’ayant d’autre choix que de s’in­fli­ger eux-mêmes cette coop­ta­tion. Mais lorsque vous aban­don­nez l’es­poir, cette rela­tion exploiteur/victime est bri­sée. Vous deve­nez comme ces Juifs qui par­ti­ci­pèrent au sou­lè­ve­ment du ghet­to de Varsovie.

Lorsque vous aban­don­nez l’es­poir, vous per­dez beau­coup de peur. Et lorsque vous arrê­tez de vous repo­ser sur l’es­poir, et com­men­cez à la place à pro­té­ger ceux que vous aimez, vous deve­nez dan­ge­reux pour ceux au pouvoir.

Et au cas où vous vous pose­riez la ques­tion, c’est une très bonne chose.

Je ne sou­haite pas par­ti­cu­liè­re­ment mou­rir. J’aime vivre, et j’aime ma vie. Mais je vais vous racon­ter quelque chose qui m’a aidé à perdre au moins une par­tie de la crainte que ceux au pou­voir me tuent, s’ils en arri­vaient à me per­ce­voir comme une menace envers leur droit inalié­nable de détruire la pla­nète. Je me suis posé la ques­tion : quel est le pire qu’ils puissent me faire ? Concrè­te­ment, le pire qu’ils puissent faire c’est me tuer. Oui, ils peuvent me tor­tu­rer — ce qu’ils font à beau­coup — ou m’en­fer­mer en confi­ne­ment soli­taire — ce qu’ils font aus­si à beau­coup — mais j’ose espé­rer (voi­là le mot) qu’en de telles cir­cons­tances je serais capable de m’ôter la vie, si néces­saire. Et pour autant que je sache, s’ils me tuent, une de trois choses dif­fé­rentes advien­dra pro­ba­ble­ment. La pre­mière pos­si­bi­li­té, après la mort, c’est « l’ex­tinc­tion des feux », les lumières s’é­teignent ; auquel cas je serais juste mort, et je n’en sau­rais rien de toute façon. La deuxième, c’est qu’a­près la mort nous nous retrou­vions « autre part », peu importe ce que cela signi­fie, auquel cas je conti­nue­rais à les com­battre depuis là-bas. Et la troi­sième, qu’a­près la mort, nous nous réin­car­nions. Si tel était le cas, je sui­vrais la voie de Kar­tar Singh (Sar­dar Kar­tar Singh Sara­ba, ou encore Sha­heed Kar­tar Singh Sara­ba), un jeune indien de 18 ans qui s’est bat­tu pour expul­ser les Bri­tan­niques de chez lui et qui, en 1915, fut tra­hi et cap­tu­ré. Alors que le magis­trat res­pon­sable de l’af­faire s’ap­prê­tait à choi­sir entre le pendre et l’emprisonner à vie, Kar­tar Singh s’ex­pri­ma ain­si : « Je sou­haite être condam­né à mort, et pas à la pri­son à vie, afin qu’a­près ma réin­car­na­tion je puisse m’ef­for­cer d’a­néan­tir l’es­cla­vage impo­sé par les Blancs. Si je nais femme, je por­te­rai des fils aux cœurs de lions, et les inci­te­rai à tailler en pièce les diri­geants britanniques. »

La cour déci­da qu’il était trop dan­ge­reux pour qu’on le laisse vivre.

J’es­père qu’il est reve­nu pour se battre à nouveau.

Der­rick Jensen


Tra­duc­tion : Nico­las CASAUX

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  1. Le pire qui puisse vous arri­ver serait de mou­rir ? Vous plaisantez ?
    « ils » savent faire mille fois pire.
    Par exemple : vous déva­lo­ri­ser aux yeux de tous, ou juste des vôtres ou de la jus­tice (exemple : Snow­den faus­se­ment accu­sé de viol en Suède, jamais prou­vé mal­gré plu­sieurs années d’enquête…).
    Ou vous empê­cher d’a­gir (exemple : Nico­las Hulot ministre).
    Vous pour­rir la vie avec un contrôle fis­cal, brû­ler votre voi­ture (méchants délin­quants…), vous arrê­ter 48 heures en pri­son puis vous relâ­cher en vous disant qu’il n’y avait aucune rai­son de vous arrê­ter, etc…
    Regar­dez en France ce qu’il se passe depuis novembre 2018 et les mil­liers d’ar­res­ta­tions arbi­traires, des accu­sa­tions anti­sé­mites ou homo­phobes, etc… L’o­li­gar­chie et leurs mani­pu­la­tions vous font froid dans le dos au pays des Droits de l’Homme ? C’est nor­mal : faire peur aux Gilets Jaunes sert à ter­ro­ri­ser toute oppo­si­tion dans le monde entier. Les ter­ro­ristes ne sont pas tou­jours ceux qui sont nom­més ain­si dans tous les journaux…

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