Texte tiré de l’excellent livre d’Armand Farrachi, Les ennemis de la Terre.
Le sang des bêtes
[…] Et pourtant, partout autour de nous les animaux sont traqués, exploités, dressés, enfermés, torturés, mutilés, abattus, piégés, persécutés, empoisonnés et martyrisés avec une persévérance et un acharnement dont on a peine à croire qu’ils n’aient parfois d’autre but que le jeu ou le profit. Rien qu’en France, on abat chaque année un milliard de volailles, 6 millions de moutons, à quoi doivent s’ajouter, par centaines de millions, veaux, vaches, cochons, couvées, 7 millions de martyrs de la science, 50 millions de victimes de la chasse, et combien du sadisme ? Une plainte continue monte des fermes, des laboratoires, des arènes, des cuisines, des abattoirs, des niches, des cages ou des bois, de toutes les parcelles de la Terre. Le cri des bêtes nous assourdit. Leur sang nous inonde.

Ceux à qui on laisse la vie sauve ne connaissent pas un sort plus enviable. Captifs ou dressés, ils offriront toujours une image de vaincus dans un monde entièrement gouverné par des rapports de force d’autant plus admirables qu’inutiles, arbitraires et gratuits. Ils nous rappellent que toute société oppressive rêve que l’individu porte encore le poids des chaînes et la marque du fer quand les traces matérielles en auront disparu, qu’il forge lui-même les barreaux de sa cage et règle sa conduite sur le désir du maître, comme ces chevaux qu’on habitue à tenir le front bas en les enfermant face à une pointe où ils se piquent dès qu’ils relèvent le cou, de sorte que toute leur vie ils emportent avec eux, même au grand air, la menace de la pointe invisible enfoncée plus vivement encore dans leur mémoire que dans leur chair.
Tous les dressages sont fondés sur la violence, même s’il ne s’agit pas d’une violence physique ou chimique. Soumettre une volonté, briser une pulsion, plier un comportement, provoquer des réflexes aberrants ne peuvent être des actes innocents. Encore si ces pratiques répondaient toujours à une nécessité, comme de garder les troupeaux, de guider les aveugles ou de feindre devant les caméras, on comprendrait que s’y emploient ceux qui y trouvent leur compte. Mais dresser pour dresser, pour prouver sa capacité d’humilier, et en divertir ses semblables par procuration ou délégation de pouvoir revient à élever le supplice au rang d’une métaphysique.
Quoi de plus apaisant pour l’esprit qu’un oiseau sautant toute sa vie dans une cage d’un perchoir à l’autre, un écureuil s’épuisant à piétiner dans une roue ? Quoi de plus amusant qu’un ours avec un ruban rose sur des patins à glace, qu’un éléphant en tutu se contorsionnant sur une seule patte ? Que le chimpanzé en culotte tyrolienne se retrouve éclaboussé de crème, toute l’assistance se tord de rire sur ces gradins où l’on emmène les enfants pour qu’ils apprennent à quel état d’indignité peuvent être réduits ceux qui n’aspiraient qu’à vivre libres. Y a‑t-il d’ailleurs plus édifiante promenade que ces jardins de cellules, de bacs et de fosses où languissent des fauves, où les loups s’arrachent les ongles, où les éléphants se balancent interminablement d’un pied sur l’autre, où les dauphins tentent de se suicider en se fracassant la tête sur les parois de leur bassin, où les lions arpentent sans fin leurs quelques mètres carrés de béton, où les singes se cachent la tête dans le bras pour ne plus voir les hommes leur lancer des cacahuètes ? Quelle meilleure initiation à la vie animale que le parcours dominical parmi les innocents condamnés à perpétuité et les délégués du monde sauvage devenus psychotiques ? Les zoos, volontiers présentés comme des viviers propres à sauver les espèces menacées, ne sont que des prisons où les animaux privés de tout apprentissage et contraints de survivre contre leur instinct sont avilis jusque dans leurs gènes et leur improbable descendance.

Veut-on des jeux, pour passer le temps et oublier les petits soucis quotidiens ? En voici. Commençons par les plus divertissants. L’Espagne, en particulier, en propose à tous les goûts une gamme étendue. Chaque village y défend sa tradition. Ici, on lâche un taureau dans les rues où la foule assemblée pour cette joyeuse circonstance joue à qui lui enfoncera le plus d’aiguilles dans les parties les plus sensibles : les yeux, l’anus, les testicules. Le jeu s’arrête lorsque l’animal, littéralement hérissé d’aiguilles, en meurt, ce qui, avec un si puissant sujet, permet au moins de s’amuser longtemps. Là, c’est un vieil âne qui doit traverser le village et à qui chacun, masqué, grimé et costumé, assène des coups de poing jusqu’à ce que mort s’ensuive. Mais l’animal, mauvais joueur, meurt plus souvent de son angoisse que de ses blessures, ce qui gâche le plaisir. Là encore, tout va plus vite : la chèvre est précipitée du haut du clocher ; c’est presque une faveur.
Toutes ces festivités le cèdent en renommée et en popularité à la corrida, où l’homme, en « habit de lumières », après avoir longtemps planté ses piques sur l’échine d’un taureau ruisselant de sang et qui cherche à comprendre, lui enfonce son signe triomphant derrière l’omoplate, assez profondément pour atteindre les vaisseaux pulmonaires ou péri-cardiaques. L’hémorragie et l’étouffement provoquent la mort du taureau, la fierté du matador et la liesse d’une foule d’amateurs, car te spectacle n’est réussi que si la mort est lente et l’épanchement sanguin assez progressif pour maintenir jusqu’au bout la vitalité du supplicié. Il n’aura fallu qu’une mise en scène, des paillettes, des perles et des couleurs vives pour convaincre même des intellectuels, en principe moins sensibles au brillant, aux jeux du cirque, aux combats de gladiateurs et aux martyres, qu’ils n’ont pas assisté à un vulgaire supplice mais à un spectacle hautement symbolique sanctifiant l’éternel affrontement de l’homme et de la bête, à un rituel sacré, à une cérémonie sacrificielle, ce qui montre qu’il faut peu de chose pour justifier une esthétique criminelle. Le taureau a sa chance ? Une, en effet, sur cinquante mille, selon les statistiques, et la victime ne sera certes pas graciée pour avoir vaincu son bourreau. Ce n’est pas que le spectacle deviendrait plus tolérable s’il coûtait la vie à autant d’hommes que de taureaux, mais pourquoi faudrait-il qu’on y souffre et qu’on en meure pour qu’il plaise ? S’il ne s’agissait que d’admirer l’adresse, le courage et l’esquive, pourquoi des piques, des banderilles et des épées ? « Après qu’on se fut apprivoisé à Rome aux spectacles des meurtres des animaux, on en vint aux hommes et aux gladiateurs, dit Montaigne. Nature a, ce crains-je, elle-même attaché à l’homme quelque instinct à l’inhumanité. Les naturels sanguinaires à l’endroit des bêtes témoignent une propension naturelle à la cruauté. »

L’imagination ludique est inépuisable : combats de coqs aux Antilles, jeu de polo aux lapins vivants en Australie, tir à l’arc sur rats suspendus dans les Flandres, lapidation de lapins accrochés par les pattes en Espagne, encore. On n’en finirait pas d’énumérer les plaisirs licites des maîtres de la Terre, et bien qu’on n’ait jamais vu un animal se comporter ainsi, les humains qui jouent à torturer diront spontanément d’un assassin ou d’un sadique s’exerçant sur sa propre espèce qu’il se conduit comme une bête. Il n’est pas jusqu’à l’amour des animaux qui ne procure des chiens et des chats infiniment croisés, manipulés, déformés, dénaturés, nanisés, pour réconforter les hommes grâce à la compagnie des monstres.
Même la cuisine s’évertue à transformer les cordons-bleus en bourreaux et les livres de recettes en invitation au supplice. Destiné à flatter le palais des gastronomes, l’animal paiera cher son appartenance au règne comestible. À chaque espèce son châtiment. Pour officier dans les règles de l’art, il convenait de battre le cochon avant de l’égorger, ce qui attendrit sa chair, puisque le verbe supporte aussi cette acception. En Asie du Sud-Est, la cervelle de singe trépané vif constitue un mets de choix. En Chine, on préfère le lapin torturé parce que sa viande y gagne, paraît-il, « une saveur exquise ». Dans ce même pays, où l’on s’y entend en matière de raffinement, on peut consommer la truite à la fois cuite et vivante à condition de lui envelopper la tête dans un linge humide avant de la plonger dans la friture. L’empire du milieu est friand d’autres recettes dont on épargnera le détail aux lecteurs sensibles. Il n’est d’ailleurs pas nécessaire d’aller si loin pour en trouver quand on habite un pays où les oies sont gavées, où les escargots ne sauraient être préparés sans avoir « longtemps » jeûné et dégorgé dans la farine, où le canard au sang « exige » qu’on l’étouffe en lui écrasant la poitrine avec le pied, où le lièvre veut être dépouillé vif, le homard tronçonné ou ébouillanté (« après lui avoir arraché sa poche à gravier », précise le cuisinier scrupuleux), l’ortolan enivré puis noyé dans l’alcool. La chair du veau est plus blanche si le nouveau-né est enfermé dans l’obscurité, immobilisé par un collier et nourri à la farine, dont il raffole sans doute, mais il n’a pas le choix. Les gourmets réclament maintenant de l’autruche, du bison, du renne, du kangourou, du cheval de course… On sent que la découverte d’une licorne les mettrait aussitôt en appétit. À quand le gruyère au lait de gorille ou la fricassée de panda aux langues de rossignols ? À la question : Pourquoi manger des animaux quand on peut s’en passer, l’amateur répondra toujours : « Parce que c’est bon ». Pourquoi les torturer quand on peut faire autrement ? « Parce que c’est meilleur. » Le plaisir absout dans tous les cas. On imagine sans peine quelles applications peut connaître un principe qui veut que le plaisir de celui qui l’éprouve l’emporte sur la souffrance de celui qui le procure.
Un degré supplémentaire, s’il est possible, est encore franchi avec le seuil des laboratoires, dont les murs laqués de blanc et les vitres dépolies abritent un univers de cauchemar. Les victimes du progrès y sont détenues dans des conditions terrifiantes pour subir un traitement à faire frémir les plus endurcis, appliqué avec une minutie et une précision dont la description même épouvante et décourage. Cages, carcans, chevalets, la volonté de savoir est ici dans son décor de prédilection. Sa fin justifie tous ses moyens. Malgré le secret qui pèse sur les chiffres, en particulier dans le domaine militaire, on peut estimer à 300 millions les animaux qui y perdent chaque année la vie, à plus de 7 millions en France. La plupart n’auront été sacrifiés qu’à de bien misérables causes.
L’impact des chocs automobiles a été étudié sur des porcs solidement arrimés à leur poste de conduite. Celui que les fléchettes peuvent avoir sur les yeux des enfants est d’abord essayé sur les yeux des lapins. Ces mêmes animaux sont fermement invités à fumer continuellement des cigarettes pour qu’on puisse juger au plus vite sur eux des méfaits du tabac, tandis que les ravages de l’alcool sont mesurés sur des chiens forcés à l’éthylisme. L’industrie cosmétique, fondée sur la séduction et sur la beauté, s’y montre avide d’horreur. S’il est vrai qu’il faut souffrir pour être belle, les tâches auront été inégalement réparties.

Même lorsque les recherches effectuées sur ce matériel immobilisé plutôt qu’inerte se rapportent à la médecine humaine, c’est souvent avec un maigre ou suspect résultat. Pour une expérience concluante, combien de tâtonnements, d’erreurs et de gâchis ? Pour un succès sur l’animal, combien d’échecs sur l’homme ? L’analogie et la transposition n’étant pas des sciences exactes, ce qui semble fonctionner sur une espèce risque de décevoir cruellement sur une autre. La Thalidomide, efficace chez les porcs, n’a produit chez nous que des infirmes. Et si l’on n’a jamais vu qu’un courant électrique appliqué à une grenouille décérébrée ait suscité de vocation médicale, on admettra que l’apprentissage de la torture sur « nos frères inférieurs » puisse en permettre la maîtrise sur nos frères momentanément égaux. Ici encore, les hommes qui se croient protégés des expérimentations par la taille de leurs oreilles ou la place de leurs yeux devront déchanter. Malades mentaux, cancéreux, ou soldats en pleine santé, des humains empêchés de choisir ont servi de cobayes involontaires quand il s’est agi d’essayer en vraie grandeur des produits, des techniques ou des armes. Aux États-Unis aussi bien qu’en Union soviétique, pour étudier les effets des radiations, des bataillons entiers y ont été intentionnellement exposés. Orphelins, marginaux et vieillards, un œil noir vous regarde. Craignez que les ennemis de la Terre, malgré leurs propos ségrégationnistes, ne vous hissent éprouver la solidarité qu’ils pourront en effet vous trouver avec les cobayes et les souris blanches, comme d’autres avec le bétail.
Lorsque les tests de matériel et de techniques chirurgicaux, les contrôles toxicologiques et pharmaceutiques ou la recherche de fond rendent strictement indispensable l’expérimentation sur le vivant, et en attendant la généralisation des méthodes de substitution, il devrait être impératif de détenir les animaux dans des conditions acceptables, d’effectuer les opérations sous anesthésie, de pratiquer un suivi postopératoire pour en atténuer les séquelles, et de donner aux chercheurs une formation éthique, dont beaucoup semblent en effet avoir manqué, et qui, de toute façon, n’en ferait pas des saints. Le fait d’admettre la souffrance de l’animal qu’ils tourmentent les obligerait à admettre leur propre cruauté ou à changer de métier. Alors que les biologistes n’appliquent pas même encore des lois anciennes, voilà déjà que les généticiens en appellent de nouvelles.
Des chercheurs aux allures de savants fous modifient les gènes des plantes, « clonent » les brebis, greffent la tête d’un singe sur le corps d’un autre et, pour augmenter la rentabilité des élevages avicoles, travaillent à inventer des volailles sans plumes, sans graisse, et à plusieurs cuisses, qui pondront des œufs cubiques sans avoir à les couver. Grâce à de savantes manipulations génétiques, ils sont parvenus à faire pousser au coq le cri de la caille. Il était temps ! Lancés à une telle allure vers une telle direction, on aura du mal à les arrêter en si bon chemin. Ce sont des gens persévérants. Ils ne décevront pas. Ils travaillent déjà à « humaniser » les porcs au moyens de gènes qui rendront leurs organes compatibles avec les nôtres en cas de transplantation, et encore à greffer des têtes, ce qui pourra donner lieu à d’amusants collages, en attendant sans doute de savoir greffer l’esprit d’un individu sur le corps d’un autre, ce dont quelques-uns devraient s’impatienter. Le récent « clonage » d’une brebis, comme toutes les victoires de la science moderne, a fait pleuvoir des comités d’éthique dont les conclusions ne sont pas bien surprenantes : le clonage est dégradant, il sera donc interdit… sur les humains. Nous voilà rassurés.
Le sort des animaux préfigure toujours celui des hommes, qu’ils soient traqués, enfermés, exploités, dressés ou manipulés génétiquement. Aux États-Unis, des couples stériles, séduits par la reproduction à l’identique et par les coefficients multiplicateurs, reprennent espoir et se portent volontaires auprès des médecins attirés par la duplication du vivant, qui ne résisteront pas tous, ni éternellement, à la fortune qu’on leur propose. L’équipe américaine qui travaillait sur la question, brutalement privée de crédits pour des raisons éthiques, a été rachetée, hommes, matériel et résultats, par un pays du Sud-Est asiatique où l’on n’est pas embarrassé par les scrupules ou par les comités d’éthique, et où on ne paie pas non plus les gens à ne rien faire. Il n’y a pas à douter que des clones humains se promènent déjà à la surface de la Terre, et qu’ils soient appelés à se multiplier dans des régimes où la différence effraie et que l’écart menace. Imagine-t-on l’usage que le sinistre Dr Mengele aurait eu du génie génétique s’il avait pu améliorer les « races » sur ses critères et produire à volonté des surhommes aux yeux bleus pour commander des sous- hommes à peau noire ? Voilà qui ouvre sur l’avenir des perspectives assez vertigineuses pour ne pas s’y engager ici. Revenons à nos moutons.
Ces placides et laineux compagnons ont longtemps incarné, avec les autres animaux de la ferme, l’ordre, le calme et la prospérité de nos campagnes. Ce temps heureux n’est plus. L’élevage intensif a changé tout cela. Là encore, il ne s’agit pas d’adapter l’industrie à la vie mais d’adapter la vie à l’industrie. Une logique insoucieuse de toute morale impose maintenant une production maximale dans un espace minimal et au coût le plus bas. Les spécialistes ont pris l’affaire en main. On peut s’attendre au pire.
En France, 50 millions de poules sont emprisonnées à vie dans des cages inclinées que la lumière du jour n’éclairera jamais. Chaque pondeuse y dispose d’un espace à peine plus grand que le livre ouvert où sont imprimées ces lignes et ne peut dormir plus de 67 secondes sans être dérangée par une de ses trop proches voisines. Incapables de picorer, de gratter, de se percher, de prendre un bain de poussière, de s’étirer, de faire tout ce qui remplit ordinairement la vie d’une poule, elles se mutilent et s’arrachent les plumes, inconvénient qu’on pallie en leur tranchant le bec avec une lame chauffée à rouge. Ce moignon leur suffira de toute façon à absorber la farine dont on les nourrit. Au terme d’une existence qui n’a que le mérite d’être brève, elles seront transportées dans des caisses qui leur brisent les ailes, pendues par les pattes à des chaînes mobiles, électrocutées, égorgées par des lames rotatives. Fin de la pastorale.
Les vaches, les bœufs et les veaux survivront quant à eux dans des stalles obscures au moyen de granulés, voire de « farines animales ». Grâce à des techniques « d’amélioration des races », pour reprendre ce concept eugénique, les vaches les plus « performantes », inséminées artificiellement, conçoivent des veaux si disproportionnés qu’ils ne peuvent être extraits de leur mère sans césarienne. Après deux ou trois de ces opérations, la vache épuisée ne présente plus d’intérêt pour son propriétaire mais seulement pour l’abattoir. Encore un voyage interminable où elle ne prendra ni repos, ni nourriture, ni eau, et elle sera abattue dans des conditions que la loi interdit mais que la pratique tolère. Au suivant.
Les porcelets, à qui on a coupé la queue et arraché une dent, apprendront à vivre sans litière, sur des caillebotis ou ils peinent à poser leurs sabots, inconvénient négligeable puisque, une fois adultes, l’exiguïté des cages où on les tient leur interdit tout mouvement et les empêche même de se retourner ou de se lécher le flanc si une mouche les pique. Ces animaux naturellement propres, contraints de se vautrer dans leurs déjections, seront de plus moqués par l’homme qui les souille comme symboles de toute saleté. Contrairement à une opinion répandue, les animaux vivent avec une conscience aiguë les conditions qui leur sont faites de leur naissance à leur mort. Pour regarder son assiette sans frémir, il faut se forcer à oublier tout ce qui la précède. Aussi celui qui vient troubler la fête est-il généralement mal reçu par les candidats gastronomes qui ne veulent pas savoir et qui défendent leur ignorance pour établir leur innocence.
C’est à ce prix que ceux qui ne peuvent s’en passer mangeront de la viande. S’ils ne sont pas difficiles, ils pourront se régaler de volailles qui n’auront jamais pu étendre les ailes, de bœufs qui n’auront jamais goûté l’herbe des prés, de cochons dont le groin n’aura jamais foui la terre. Poules en batterie, veaux en case, truie à l’attache, vache en stabulation à logette, sous ces noms musicaux se cache une réalité carcérale. L’animal n’est même plus un être sensible, même plus un être vivant, mais une marchandise, une matière, une machine à lait, à œufs, à viande, et de la pire qualité. La ferme est désormais le nom pudique du camp de concentration, une galerie de geôles auprès desquelles les « fillettes » de Louis XI passeraient pour des hangars. Sous sa raison technique, la « logique de production intensive de denrées alimentaires aux coûts les plus bas » ne suffit ni à tout expliquer, ni à désigner les technocrates qui la défendent comme seuls responsables. Il faut des exécutants, des hommes et des femmes capables d’abattre la besogne sans scrupule sinon sans innocence. Chaque fois qu’il est question d’améliorer les conditions d’élevage, les professionnels protestent en brandissant des chiffres d’affaires qui tiennent lieu de toute autre considération. À quoi bon s’interroger sur le psychisme de bourreaux que l’histoire ou la géographie rendraient presque exotiques quand nos campagnes abondent en kapos ordinaires ? Pour l’économie totalitaire comme pour la politique totalitaire, le bon citoyen est celui qu’on peut amener à torturer son semblable. On ne saurait mieux se préparer à un tel civisme qu’en torturant d’abord son dissemblable. Le productivisme fonctionne bel et bien comme une idéologie fondée sur le mépris et sur l’exploitation sans limites. Cette haine du libre et du vivant vérifie le principe : s’éloigner de la nature rapproche de l’oppression, exercée ou subie.
Armand Farrachi

comment peut on faire subir cela à un être vivant au nom de la vie humaine notre vie n’est plus précieuse à ce prix!!! Soit disant peuple évolué le progrès devrait empêcher cela il y a des alternatives