Nous nous sommes récemÂment entreÂteÂnus avec Armand FarÂraÂchi, écriÂvain, miliÂtant écoÂloÂgiste et fonÂdaÂteur de la convenÂtion Vie et Nature pour une écoÂloÂgie radiÂcale. Il a publié des romans (La DisÂloÂcaÂtion, Stock, 1974, DesÂcenÂdance, Stock, 1982, SerÂmons aux pourÂceaux, ZulÂma, 1997, Aux Yeux des morts, Exils, 2002, Bach derÂnière fugue, GalÂliÂmard 2004…), des essais litÂtéÂraires (La Part du silence, BarÂrault, 1984, RousÂseau ou l’état sauÂvage, PUF, 1997), ou des pamÂphlets dans le domaine de l’écologie poliÂtique (Les EnneÂmis de la Terre, Exils, 1999, Les Poules préÂfèrent les cages, Albin Michel, 2000, Petit Lexique d’optimisme offiÂciel, Fayard, 2007).
Quels sont les prinÂciÂpaux indiÂcaÂteurs qui illusÂtrent la traÂjecÂtoire écoÂloÂgiÂqueÂment désasÂtreuse sur laquelle nous nous trouÂvons ? La mouÂvance écoÂloÂgique semble assez faible en France, les verts sont relaÂtiÂveÂment inutiles… quels mouÂveÂments écoÂlos vous insÂpirent actuelÂleÂment, en France et/ou ailleurs ?
Pour me préÂsenÂter d’abord : j’ai publié des articles dans la presse et pluÂsieurs livres (Les EnneÂmis de la Terre, Les Poules préÂfèrent les cages, La SociéÂté canÂcéÂriÂgène…) [des livres excelÂlents, dont nous avons publié des extraits, suivre les liens, NdE] sur ces sujets. J’ai miliÂté dans pluÂsieurs assoÂciaÂtions de proÂtecÂtion de la nature et fonÂdé avec Gérard ChaÂrolÂlois la ConvenÂtion Vie et Nature pour une ÉcoÂloÂgie RadiÂcale. J’ai égaÂleÂment diriÂgé aux édiÂtions IMHO la colÂlecÂtion RadiÂcaux libres, et parÂtiÂciÂpé à des actions énerÂgiques
Les repréÂsenÂtants offiÂciels de l’écologie poliÂtique (les Verts) n’interviennent sur aucun des thèmes concerÂnant la nature et semblent avoir oublié ce qu’est l’écologie. La culture de ce qu’on appelle en AméÂrique « wilÂderness » [nature sauÂvage, en franÂçais] leur est étranÂgère. De même que les comÂmuÂnistes ont contiÂnué de s’appeler « comÂmuÂnistes » alors même qu’ils se sont oppoÂsés durant un siècle à toute espèce de révoÂluÂtion, les pseuÂdo écoÂloÂgistes en arrivent à s’opposer aux écoÂloÂgistes de terÂrain, voire à défendre ce que les miliÂtants comÂbattent (la chasse, par exemple). PerÂsonÂnelÂleÂment, lorsque j’ai fait condamÂner un préÂfet pour avoir illéÂgaÂleÂment clasÂsé le renard [comme espèce] nuiÂsible, c’est DomiÂnique VoyÂnet, ex-diriÂgeante des Verts et alors ministre de l’écologie, qui a fait appel.
En France, le terÂrain de l’écologie proÂfonde est désert. Il existe à l’étranger, en parÂtiÂcuÂlier dans les pays anglo-saxons, des mouÂveÂments plus radiÂcaux, comme Gaïa, Earth first, EcoÂwarÂriors. Mais ces mouÂveÂments existent-ils touÂjours, et avec quelle audience ? [ils existent encore, heuÂreuÂseÂment, mais effecÂtiÂveÂment il s’aÂgit touÂjours de mouÂveÂment marÂgiÂnaÂliÂsés, consiÂdéÂrés comme extréÂmistes, quand il s’aÂgit en vériÂté des « meilleurs d’entre nous », comme dirait Chris Hedges…] Nous avons en France des perÂsonÂnaÂliÂtés sur une ligne plus dure, comme Fabrice NicoÂliÂno ou Yves PacÂcaÂlet, mais qui ne sufÂfisent pas à jouer le rôle qui fut celui des Lumières avant la RévoÂluÂtion franÂçaise !
L’expérience a monÂtré qu’il était imposÂsible (ou qu’il a jusqu’à préÂsent été imposÂsible) de mobiÂliÂser sur ces sujets. Une maniÂfesÂtaÂtion sur l’âge de la retraite attire mille fois plus de monde qu’un rasÂsemÂbleÂment sur la proÂtecÂtion de la nature, et, en France, les lobÂbies sont puisÂsants, depuis que Pétain leur a renÂdu du pouÂvoir. Nous vivons dans une sorte de dicÂtaÂture agroÂcyÂnéÂgéÂtique et techÂnoÂloÂgique. Avec 3000 perÂsonnes à Paris, nous sommes au maxiÂmum de nos capaÂciÂtés. L’écologie est d’ailleurs un sujet difÂfiÂcile, à cause des mille liens comÂplexes que chaque éléÂment d’un écoÂsysÂtème entreÂtient avec tous les autres. Les citoyens, qui sont couÂpés de la nature, ne le comÂprennent pas. On va touÂjours au plus presÂsé, au plus urgent, au court terme. Il est difÂfiÂcile de faire pasÂser l’intérêt généÂral avant le sien et presque imposÂsible de consiÂdéÂrer dans son ensemble un phéÂnoÂmène ausÂsi gloÂbal, même pour des proÂfesÂsionÂnels, qui ne sont comÂpéÂtents que sur un segÂment de la connaisÂsance. Quand bien même ces thèmes seraient comÂpris, « le peuple », faute d’avoir pris le pouÂvoir, devrait nécesÂsaiÂreÂment y intéÂresÂser ses diriÂgeants, et, même s’il y parÂveÂnait, il fauÂdrait alors réunir sur une même phiÂloÂsoÂphie et sur des milÂliers de proÂjets tous les pays du monde, chose imposÂsible, car l’écologie, par défiÂniÂtion, est plaÂnéÂtaire. C’est pourÂquoi je suis pesÂsiÂmiste. Je crois que, l’homme étant le canÂcer de la Terre [nous ne sommes pas entièÂreÂment d’acÂcord avec ça, il s’aÂgiÂrait, pour être plus préÂcis, de parÂler de l’huÂmain indusÂtriel civiÂliÂsé], il lui apparÂtient, comme toutes les espèces, de disÂpaÂraître. C’est à ce prix que la Terre surÂviÂvra, car il ne s’agit pas de sauÂver la plaÂnète, qui s’est remise de pires cataÂclysmes, mais de sauÂver l’humanité. Si ce n’est pas posÂsible, tant pis et tant mieux.
Il me semble que deux écoÂloÂgies difÂféÂrentes et proÂfonÂdéÂment antaÂgoÂnistes évoÂluent en paralÂlèle en France, aujourd’Âhui. CerÂtains miliÂtants écoÂloÂgistes semblent même parÂfois ignoÂrer leurs exisÂtences, et ignoÂrer que ces deux écoÂloÂgies sont disÂtinctes et incomÂpaÂtibles. Je parle d’un côté, de l’éÂcoÂloÂgie prôÂnée par les grandes ONGs (GreenÂpeace, 350.org, le WWF, et d’autres), qui est une écoÂloÂgie capiÂtaÂliste, pour reprendre les termes des clauses du GCCA (GloÂbal Call for CliÂmate Action, auxÂquelles sousÂcrivent ces ONG), il s’aÂgit de penÂser l’éÂcoÂloÂgie « main dans la main » avec les corÂpoÂraÂtions, les gouÂverÂneÂments, les hommes d’afÂfaires. De l’autre côté l’éÂcoÂloÂgie zadiste, antiÂcaÂpiÂtaÂliste, qui souÂhaite mettre un terme au règne du capiÂtal et de la finance, (contre l’aéÂroÂport et son monde), la seule qui ait un sens, selon nous, parce que la seule qui mérite de s’apÂpeÂler écoÂloÂgie (le capiÂtaÂlisme vert étant tout ausÂsi desÂtrucÂteur et injuste que le capiÂtaÂlisme non-vert). CerÂtaines perÂsonÂnaÂliÂtés de preÂmier plan du mouÂveÂment écoÂloÂgiste entreÂtiennent d’ailleurs un cerÂtain flou autour de l’éÂcoÂloÂgie qu’elles souÂtiennent. Qu’en penÂsez-vous ?
On a pris l‘habitude de disÂtinÂguer « l’environnementalisme » qui souÂhaite ménaÂger à la fois « l’environnement » (concept perÂvers) et la sociéÂté telle qu’elle est (c’est-à -dire écoÂper), de l’écologie radiÂcale qui entend prendre le mal à la racine et réorÂgaÂniÂser toute la sociéÂté en foncÂtion de la préÂserÂvaÂtion de la nature (c’est-à -dire ferÂmer le robiÂnet). L’écologie est la seule idéoÂloÂgie nouÂvelle du XXe siècle. Elle n’a pas de sang sur les mains. C’est une idée ausÂsi neuve que l’a été l’idée de la répuÂblique au XVIIIe siècle, du sociaÂlisme au XIXe. Elle n’est pas comÂpaÂtible avec le capiÂtaÂlisme, le proÂducÂtiÂvisme, le consuÂméÂrisme, etc. mais elle a éviÂdemÂment ses défenÂseurs, direcÂteÂment intéÂresÂsés à la surÂvie de l’Ancien Régime : indusÂtrie, finance, techÂnoÂloÂgie, idéoÂloÂgie du proÂgrès, y comÂpris l’égoïsme indiÂviÂduel. C’est pourÂquoi l’écologie ne peut exisÂter selon moi qu’au prix d’une révoÂluÂtion, comÂpaÂrable à celle de 1789 ou de 1917.
Avec Gérard ChaÂrolÂlois, nous avions fonÂdé la ConvenÂtion Vie et Nature pour une ÉcoÂloÂgie radiÂcale, non pour faire la révoÂluÂtion, mais pour susÂciÂter les débats et les comÂbats qui pouÂvaient aider à cette prise de conscience, appeÂler des articles, faire en sorte que ce couÂrant de penÂsée accède au moins à l’existence. Ce fut un échec. Le simple mot de « radiÂcal » agit pluÂtôt comme un repousÂsoir. Gérard ChaÂrolÂlois contiÂnue d‘animer cette forÂmaÂtion (qui a modiÂfié son nom) et qui, selon moi, a monÂtré son impuisÂsance. Les orgaÂniÂsaÂtions d’extrême gauche qui entenÂdaient intéÂgrer l’écologie à leur proÂjet ont monÂtré que cerÂtains concepts écoÂloÂgiques n’étaient pas intéÂgrables par une penÂsée de type marÂxiste (surÂpoÂpuÂlaÂtion, décroisÂsance, libéÂraÂtion aniÂmale, régime fruÂgal, criÂtique de la techÂnique, etc.). Il n’y a pas eu, en France, de couÂrant intelÂlecÂtuel pour défendre ces idées. Les radiÂcaux passent pour des quaÂsi terÂroÂristes, en tout cas des extréÂmistes. Ils sont sysÂtéÂmaÂtiÂqueÂment attaÂqués dans la presse et suiÂvis par la police. L’écologie radiÂcale n’est pas consiÂdéÂrée comme une fracÂtion de l’opinion mais comme un danÂger, une menace. Tout ce qui est zadisme, ecoÂguerÂriers, etc., est non seuleÂment marÂgiÂnaÂliÂsé mais criÂmiÂnaÂliÂsé.
La COP21, un comÂmenÂtaire ?
Depuis le somÂmet de Rio en 1992 jusqu’au fiasÂco de CopenÂhague, la COP21 est une preuve supÂpléÂmenÂtaire que la proÂtecÂtion de la plaÂnète est un objecÂtif dont les États sont incaÂpables. Le seul proÂgrès, c’est qu’ils en viennent à admettre ce qu’ils niaient naguère : que c’est la vie même sur Terre qui est en jeu. Mais quant à reméÂdier à la situaÂtion, c’est une autre affaire. Et puis, il est trop tard. Un accord aurait dû interÂveÂnir voiÂci trente ans. Dans trente ans, nous n’aurons pas avanÂcé d’un pas. Ce somÂmet, comme tous les préÂcéÂdents, et comme tous les suiÂvants, s’il y en a, abouÂtiÂra à des engaÂgeÂments insufÂfiÂsants et qui, de toute façon, ne seront pas resÂpecÂtés.
Des conseils pour aider à l’uÂniÂfiÂcaÂtion et à l’orÂgaÂniÂsaÂtion d’un mouÂveÂment écoÂloÂgique cohéÂrent en France ? (Par exemple, penÂsez-vous qu’il soit utile de mener une bataille sur le front médiaÂtique, interÂnet, réseaux sociaux, etc., ou autre chose…)
Mon expéÂrience est des plus modestes. Je ne suis nulÂleÂment quaÂliÂfié pour donÂner des conseils, à qui que ce soit, ayant moi-même échoué à chanÂger quoi que ce soit. Ce que je vois, malÂheuÂreuÂseÂment, c’est que rien n’annonce un retourÂneÂment de situaÂtion ou un bouÂleÂverÂseÂment des valeurs. Et sans cela aucun salut n’est posÂsible. Encore une fois : tant pis et tant mieux.
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Afficher les commentaires Hide commentsMerÂci pour cet entreÂtien. Je ne vois rien de dur, ce n’est que du bon sens, encore faut-il oser le reconÂnaître. Tant pis et tant mieux…
Je parÂtage cette analyse.Le comÂbat contre les exploiÂtaÂtions de graÂnuÂlats marins en NorÂmanÂdie pourÂrait parÂfaiÂteÂment illusÂtrer les proÂpos de cet entreÂtien . CepenÂdant tout n’est pas sans espoir, même quant tout à échoué il reste la vieille tacÂtique du caillou dans la chausÂsure, en attenÂdant des jours meilleurs . SurÂtout pas les laisÂser gagner. Quant tout est preÂvu, c’est l’imÂpréÂviÂsible qui fait la difÂféÂrence. MerÂci encore.