COP21 : le mot « décroissance » fait très peur au Figaro (par Thierry Sallantin)

Préface au texte : COP 21 : le mot « décroissance » fait très peur au Figaro.

Cette femme se nomme : Kar­men Rami­rez Boscàn

Elle est délé­guée de l’as­so­cia­tion des femmes de l’eth­nie Wayuu, groupe amé­rin­dien de Colom­bie confron­té à la plus grosse mine à ciel ouvert du monde : du char­bon des­ti­né à ali­men­ter des usines des­ti­nées à pro­duire de l’électricité.

Elle a cla­mé haut et fort :

« Nous ne vou­lons pas d’élec­tri­ci­té, nous n’en avons pas besoin » !

C’é­tait le same­di 10 octobre 2015 lors de la Table-Ronde de 16h30 à l’oc­ca­sion de la tra­di­tion­nelle jour­née annuelle de soli­da­ri­té avec les peuples amé­rin­diens des Amé­riques qu’or­ga­nise tou­jours l’as­so­cia­tion C.S.I.A.-Nitassinan, au moment du triste anni­ver­saire annuel de la pré­ten­due « décou­verte » des Amé­riques par Chris­tophe Colomb. Il était arri­vé le 12 octobre 1492 dans une île des Baha­mas, une de ces mul­tiples îles des Grandes et Petites Antilles peu­plées de groupes amé­rin­diens de langue « Ara­wak » : ce n’est qu’en 1930 qu’un lin­guiste décou­vri­ra qu’on n’a jamais par­lé le « caraïbe » aux îles « caraïbes », donc mal nommées.

On ne par­lait que l’A­ra­wak, le Caraïbe n’é­tant par­lé que sur le lit­to­ral véné­zué­lien, pour ce qui est le sec­teur le plus proche de ce cha­pe­let d’îles dont les peuples com­mer­çaient d’ailleurs avec ces par­ties caraï­bo­phones du conti­nent sud-américain.

En réédi­tant le dic­tion­naire du Père Bre­ton « Fran­çais-caraïbe », les édi­tions Kar­tha­la ont dû prendre la pré­cau­tion de publier en intro­duc­tion 60 pages de plu­sieurs lin­guistes et his­to­riens, pour mettre en garde le lecteur :

« Atten­tion ! Nous avons conser­vé le titre ori­gi­nal que por­tait cet ouvrage à la fin du XVIIème siècle, mais il s’a­vère que ce dic­tion­naire ne com­porte en réa­li­té que des mots de la langue ara­wak. Il n’y avait pas de « caraïbes » aux îles donc mal nom­mées « caraïbes » : il n’y avait que des per­sonnes s’ex­pri­mant dans les diverses langues de la famille lin­guis­tique ara­wak, une des 4 grandes familles lin­guis­tiques des langues d’A­mé­rique du Sud, avec le Tupi, le Gé et le Karib ou « Caraïbe ». »

Ima­gi­nons un dic­tion­naire « Russe-fran­çais » qui pré­ci­se­rait en introduction :

« Atten­tion, ce dic­tion­naire « Russe-fran­çais » ne contient aucun mot de Russe ! Il s’a­git en réa­li­té d’un dic­tion­naire « Hollandais-français » !

C’est pour­tant ce qui est arri­vé avec la langue arawak !

Et l’er­reur n’a jamais été cor­ri­gée. On conti­nue à par­ler des îles « caraïbes », au lieu de dire les Iles arawak.

Pire, des groupes poli­tiques issus de peuples arri­vés là avec la colo­ni­sa­tion, et donc au détri­ment des habi­tants de ces îles dont ils étaient les autoch­tones, groupes proches de ten­dance indé­pen­dan­tistes se targuent de « caraï­bi­té ». Mais que signi­fie ce mot « indé­pen­dance » ? Il fau­drait pré­ci­ser : « au sens « colon » du terme », comme l’ex­plique l’his­to­rien Marc Fer­ro, puis­qu’il n’y a jamais eu d’in­dé­pen­dance aux Amé­riques, il n’y a eu que des dis­putes entre euro­péens res­tés en Europe et euro­péens par­tis colo­ni­ser, jamais rapa­triés, et cou­pant les liens admi­nis­tra­tifs avec leur métro­pole euro­péenne d’o­ri­gine, sou­vent dans le but d’a­voir les mains encore plus libres pour mieux mas­sa­crer en déso­béis­sant par exemple aux ordres royaux venus de Londres ; pour ce qui est de cette colo­nie exter­mi­na­trice qui se nom­me­ra « États-Unis d’A­mé­rique », type d’in­dé­pen­dance-colon qui sera imi­tée par beau­coup d’autres colons par la suite, avec des situa­tions encore plus com­pli­quées lorsque ces colons seront des des­cen­dants d’A­fri­cains ins­tal­lés aux Amé­riques contre leur gré, puis déci­dant de res­ter sur la terre de leur exil même une fois leur libé­ra­tion du sta­tut d’es­clave obte­nue de force (Haï­ti) ou par fuite en forêt (Mar­ron­nage sur­tout au Suri­nam, et aus­si au Bré­sil où se crée­ront des répu­bliques noires auto­nomes sous le nom de « Qui­lom­bos » : celle de Palo­mares gar­de­ra son indé­pen­dance pen­dant un siècle, avant d’être enva­hie et vain­cue par les Por­tu­guais colons du Brésil…

Seul le mou­ve­ment orga­ni­sé par Mar­cus Gar­vey avec sa « Black Star Line » inci­te­ra les Noirs à reve­nir sur leur conti­nent d’o­ri­gine, en pro­fi­tant de l’a­bo­li­tion de l’es­cla­vage. On sait aus­si que deux pays d’A­frique seront les fruits de ces « retours » : La Sier­ra Léone et le Libé­ria, avec le para­doxe de l’i­nas­si­mi­la­bi­li­té des Noirs une fois vic­times de l’eth­no­cide, donc une fois séduits par l’oc­ci­den­ta­li­sa­tion avec au pas­sage la reli­gion des Blancs, le chris­tia­nisme, cen­sé être au ser­vice du seul vrai et unique Dieu !

De tels Noirs eth­no­ci­dés, évan­gé­li­sés, se com­por­te­ront en orgueilleux colons lors de leur retour en Afrique et auront une atti­tude pleine de mépris pour leurs frères noirs res­tés en Afrique, avec les valeurs africaines…

De tels Noirs eth­no­ci­dés sévissent en maints endroits des Amé­riques et se com­portent hélas sou­vent en alliés des Blancs contre les Peuples Autoch­tones, c’est à dire selon la défi­ni­tion de l’O.N.U., les peuples qui vivaient là avant l’ar­ri­vée des colons euro­péens, les­quels amè­ne­ront plus tard en guise de main‑d’œuvre sous divers sta­tut (esclaves, enga­gés, libres) des tra­vailleurs que les Euro­péens trans­por­te­ront de mul­tiples contrées : Blancs de l’Ir­lande en cours de conquête par les Anglais, Afri­cains, « coo­lies » d’A­sie, issus là-bas des zones occu­pées par les Anglais ou les Hol­lan­dais. On doit à ces der­niers le fait qu’au­jourd’­hui le Suri­nam soit le pre­mier pays musul­man d’A­mé­rique du Sud, puisque la main‑d’œuvre ame­née de Java et Suma­tra était de confes­sion musul­mane. Leurs des­cen­dants ont le pou­voir aujourd’­hui, avec de vifs conflits avec les des­cen­dants du mar­ron­nage, en langue créole fran­çaise : « Nèg-Mar­rons », et en créole anglo-hol­lan­dais : « Bushi-nen­gués » (« mar­ron » = mot qui vient de l’es­pa­gnol « cimar­ron » = fuir vers le som­met des mon­tagnes, « a cima », pour les esclaves fuyant les plan­ta­tions du lit­to­ral, même mot uti­li­sé déjà avant pour dési­gner le bétail qui s’é­chappe et devient auto­nome et sau­vage, par exemple en forêt (chèvres, porcs, bovins, che­vaux…)). Une guerre civile a eu lieu au Suri­nam de 1988 à 1992 à ce sujet. Le ministre des Armées de cette époque, Dési Bou­ter­sé, est un nar­co-tra­fi­quant (récep­tion de la cocaïne de Colom­bie, pistes d’a­via­tions clan­des­tines en forêt, je les ai visi­tées, et expor­ta­tion de cette drogue vers l’Eu­rope par les ports néer­lan­dais), tel­le­ment riche qu’il a pu payer ses élec­teurs et être élu pré­sident de la répu­blique du Suri­nam ! Il vend la forêt tro­pi­cale et réprime les habi­tants tra­di­tion­nels amé­rin­diens ou « Mar­rons » : sur­tout les Sara­ma­ka (livres de Richard et Sal­ly Price sur eux, mais leur livre excellent sur la Guyane fran­çaise, à la vie poli­tique tout aus­si glauque, « Equa­to­ria », n’a jamais été traduit !).

Pour mieux s’en­ri­chir par l’ex­por­ta­tion du bois tro­pi­cal, ce dic­ta­teur a auto­ri­sé les Chi­nois a ouvrir des bagnes en pleine forêt : des pri­son­niers chi­nois coupent la forêt sans être payés ! Un jour­na­liste de RFI que j’ai aler­té, Arnaud Jouve, a tour­né au prix d’é­normes risques un docu­men­taire sur ces bagnes, mais Green­peace-France, qui en a une copie refuse de signa­ler ce scan­dale : même étrange poli­tique pour ce qui concerne la Guyane fran­çaise, juste à côté. Green­peace Inter­na­tio­nal a don­né l’ordre de ne par­ler que du Bré­sil, car ce serait plus médiatique…

Après lec­ture des 60 pages d’in­tro­duc­tion au dic­tion­naire du Père Bre­ton, pour en savoir plus on lira le volume diri­gé par Neil Whi­te­head : « Wolf of the Sea », édi­té par l’u­ni­ver­si­té de Leiden…

N.B.

Ne jamais écrire « Amé­rique latine », sauf si vous êtes un adepte du géno­cide des Amé­rin­diens et un par­ti­san de la conti­nua­tion du plus grand géno­cide de tous les temps, puis­qu’en 1500, sur les 400 mil­lions d’hu­mains de la pla­nète à cette époque, ce sont 100 mil­lions d’A­mé­rin­diens qui dis­pa­raî­tront, soit le quart de l’hu­ma­ni­té (chiffres de l’École de démo­gra­phie de Berkeley).

L’A­mé­rique est amé­rin­dienne, et est encore sous le joug colo­nial, un joug colo­nial essen­tiel­le­ment anglo-saxon et ibé­rique. Encore aujourd’­hui, c’est 50% de la sur­face des conti­nents du monde qui est encore occu­pée par la colo­ni­sa­tion euro­péenne com­men­cée au XVI et XVIIème siècle : en plus des Amé­riques, ne pas oublier toute l’A­sie du Nord, enva­hie à par­tir des années 1600 par les Russes qui vont fran­chir l’Ou­ral, puis plus tard même le Behring…

Les Blancs sont encore roya­le­ment pré­sents dans leurs colo­nies de l’O­céan Paci­fique, par­fois en fai­sant croire que les autoch­tones n’existent plus : la « solu­tion finale » aurait réglé défi­ni­ti­ve­ment le pro­blème ! Mais c’est faux en ce qui concerne par exemple la Tas­ma­nie, et cette légende qui arrange les colons est même véhi­cu­lée dans l’actuel « Nou­veau Musée de l’Homme ». Or il existe des des­cen­dants des Tas­ma­niens, à par­tir des groupes que les mis­sion­naires avaient exi­lés sur les îles juste au nord de la Tas­ma­nie. Ils ont créé un mou­ve­ment poli­tique en vue de récu­pé­rer leur ter­ri­toire légi­time, la Tasmanie.

Il est pré­fé­rable de nom­mer les par­ties du monde avec des termes géo­gra­phiques plus neutres : dire Afrique du Sud, et non pas « Afrique anglo-saxonne », dire « Asie du Sud-est », et non pas « Asie his­pa­no-saxo-néer­lan­daise ».

On se gar­de­ra donc de dire pour tout ce qui est au sud du Rio Grande : « Amé­rique ibé­rique », terme qui com­men­çait à être uti­li­sé vers 1860, ce qui affo­le­ra Napo­léon III car il avait des vues sur le Mexique (l’af­faire Maxi­mi­lien), et c’est lui qui inven­te­ra l’ex­pres­sion « Amé­rique latine », car si la France n’est pas incluse dans l’I­bé­rie, elle peut se consi­dé­rer comme « latine » au même titre que l’Es­pagne et le Por­tu­gal, et donc pré­tendre être chez elle en « Amé­rique latine ».

La force de la diplo­ma­tie fran­çaise était telle dans la deuxième moi­tié du XIXe siècle que Napo­léon III gagne­ra la bataille séman­tique : il va réus­sir très vite à sub­sti­tuer à l’ex­pres­sion « Amé­rique ibé­rique » l’ex­pres­sion « Amé­rique latine ».

Pour nous, il convient de ne jamais uti­li­ser l’ex­pres­sion « Amé­rique latine » et de pré­fé­rer les expres­sions plus neutres : Amé­rique du Nord et Amé­rique du Sud.

On pour­ra par­fois être plus pré­cis et dire « Amé­rique cen­trale », pour tout ce qui est entre les U.S.A. et la Colom­bie : tous les petits États et le Mexique, les savants diront « Mésoa­mé­rique » !

Cette pré­cau­tion de lan­gage est hélas le cadet des sou­cis des gens qui se pensent de gauche et même par­fois anti­co­lo­nia­listes. On se rap­pel­le­ra de cette gauche mar­xiste qui, confor­mé­ment aux sou­haits civi­li­sa­teurs de Karl Marx lui-même, n’au­ra que mépris pour les Amé­rin­diens du Nica­ra­gua, lors de la mise en place de leur régime « révo­lu­tion­naire » ! L’eth­no­logue Robert Jau­lin se fera incen­dier par la gauche lors­qu’il aura l’au­dace de révé­ler les mesures eth­no­ci­daires prises par les marxistes !

Après tout, Marx saluait la vic­toire des colons anglo-saxons entrain de refou­ler les colons d’o­ri­gine espa­gnole plus loin au sud, hors de la Cali­for­nie, de la Flo­ride du Texas et du Nou­veau-Mexique, car pour lui, les colons du nord étaient plus aptes à mettre en place l’in­dus­tria­lisme dont il rêvait, que les « pri­mi­tifs mexi­cains ». Pour les mêmes rai­sons il saluait « l’œuvre civi­li­sa­trice » des colons anglais aux Indes, un pays pour lui encore au Moyen-Age, que la pré­sence euro­péenne pour­rait faire « ren­trer dans l’His­toire », comme dira plus tard Sar­ko­zy dans son dis­cours de Dakar !

A ce sujet voir sur inter­net mon texte : Le racisme ordi­naire de la Répu­blique de Jules Fer­ry à Nico­las Sar­ko­zy, et Qu’est-ce que l’é­co­lo­gie radi­cale, où je montre qu’en 1925 Léon Blum uti­li­se­ra encore la notion de « races supé­rieures » pour jus­ti­fier l’en­voi du maré­chal Pétain au Maroc pour répri­mer mili­tai­re­ment le sou­lè­ve­ment de Abd El Krim dans les mon­tagnes du Rif ;  et en 1952 le haut fonc­tion­naire Félix Gaillard van­te­ra les avan­tages de l’éner­gie ato­mique en arguant que s’y oppo­ser serait en res­ter au stade des pri­mi­tifs africains !

Pour Marx, le com­mu­nisme ne peut triom­pher que dans une socié­té moderne et indus­trielle, il faut donc au préa­lable que ce type de socié­té soit en place, pour qu’en­suite la pré­sence de nom­breux ouvriers exploi­tés enclenche la révo­lu­tion de ses rêves !

Voi­là en guise de pré­face quelques mises au point à pro­pos de la pré­sence de cette femme Wayuu, Kar­men Rami­rez Bos­can, amé­rin­dienne anti-élec­tri­ci­té, à Paris en octobre 2015…

COP 21 : le mot « décroissance » fait très peur au Figaro.

  • Le Figa­ro 4/11/2015 — Yves de Kerdrel :

« Le dan­ger qui pèse sur cette fameuse COP 21, c’est le mot « décrois­sance » qui com­mence à réap­pa­raître dans la bouche des aya­tol­lahs de l’é­co­lo­gie ». Com­ment vendre ce mal­thu­sia­nisme d’un autre siècle à une Europe où l’on compte actuel­le­ment pas moins de 23 mil­lions de chômeurs ? »

  • Le Figa­ro, édi­to­rial, pre­mière page, Lun­di 30 novembre 2015 — Gaë­tan de Capèle :

« Lignes rouges »

« Le som­met de la COP 21 sur le cli­mat qui s’ouvre aujourd’­hui à Paris se veut his­to­rique. Il ambi­tionne, ni plus ni moins, de trou­ver un accord contrai­gnant pour tous les pays, visant à limi­ter à 2° C la hausse de la tem­pé­ra­ture sur Terre d’i­ci à la fin du siècle.

Pour dire les choses fran­che­ment, cette loin­taine pers­pec­tive n’est pas la pre­mière pré­oc­cu­pa­tion des Fran­çais. Entre la mon­tée du ter­ro­risme isla­mique et une crise éco­no­mique inter­mi­nable, la lutte contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique, si inquié­tant soit-il, paraît bien éloi­gnée des prio­ri­tés du moment. Sur­tout trai­tée à tra­vers une de ces grand-messes dont on pro­met tou­jours monts et mer­veilles, pour un bilan concret à ce jour plus que mai­gre­let. Ces consi­dé­ra­tions n’en­lèvent pour autant rien à la néces­si­té d’a­gir vite contre les causes du dérè­gle­ment cli­ma­tique. Der­rière ce phé­no­mène, cha­cun sait que se pro­filent des catas­trophes météo­ro­lo­giques, ain­si que des migra­tions mas­sives aux consé­quences géo­po­li­tiques incalculables.

Com­ment inter­rompre le cours des évè­ne­ments ? C’est là que les dif­fi­cul­tés com­mencent. Au moment où s’en­gage le grand mar­chan­dage pla­né­taire pour réduire les émis­sions de CO2, les lignes rouges à ne pas fran­chir pour la France s’im­posent d’elles-mêmes. La pre­mière serait de s’a­ven­tu­rer sur le che­min mor­ti­fère de la décrois­sance, où vou­draient l’en­traî­ner les voyous qui se sont déchaî­nés place de la Répu­blique, mais aus­si une par­tie de la majo­ri­té. Lorsque l’ac­ti­vi­té est déjà réduite à néant et le chô­mage au zénith, mieux vaut miser sur le déve­lop­pe­ment par l’in­no­va­tion que sur l’at­tri­tion. (1) La deuxième est celle de la fis­ca­li­té, où l’i­ma­gi­na­tion de la gauche est sans limite. Même avec une teinte d’é­co­lo­gie, plus aucune taxe nou­velle n’est accep­table dans le pays. La der­nière ligne rouge est celle du cava­lier seul, cette spé­cia­li­té fran­çaise qui consiste à char­ger notre sac pour l’exemple, en espé­rant que les autres sui­vront. Ce qui nous vaut aujourd’­hui de payer une « taxe Chi­rac » sur les billets d’a­vion et demain une taxe sur les tran­sac­tions financières.

Lut­ter contre le réchauf­fe­ment cli­ma­tique est sans nul doute une néces­si­té. Mais sans naïveté ! »

(1) = sou­li­gné par moi, T.S.

Preuve que l’on vise où cela fait mal en contes­tant fron­ta­le­ment la notion même de « croissance » !

Ne pas oublier la notion de « déve­lop­pe­ment », qui bloque toute prise en compte de la lutte pour réta­blir les équi­libres éco­lo­giques depuis au moins 1970, lors­qu’à la suite de la pre­mière confé­rence mon­diale sur les dan­gers pesant sur la bio­sphère, en sep­tembre 1968, à l’U­NES­CO (j’y étais!), confé­rence qui lan­ça le Pro­jet M.A.B. de l’O.N.U. (Man and Bio­sphère), et suite à l’offres de l’am­bas­sa­deur de Suède d’or­ga­ni­ser à Stock­holm le Pre­mier Som­met de l’O.N.U. sur l’en­vi­ron­ne­ment (il se tien­dra en juin 1972), avec l’i­dée de pro­gram­mer tous les 10 ans ce genre de Som­met, le der­nier ayant eu lieu à Rio en 2012, il est alors appa­ru dès 1970, lorsque Mau­rice Strong (décé­dé le 28 novembre der­nier, voir à ce sujet le billet de Nico­li­no sur son site,« Pla­nète sans visa » article sur « Cette funeste confé­rence cli­ma­tique… ») pren­dra les pre­miers contacts en vue de pré­pa­rer le Som­met de 1972, que le pro­blème vien­dra des nou­veaux états du Tiers-Monde obsé­dés par la notion de « déve­lop­pe­ment ».

Il ten­te­ra de trou­ver la parade au sémi­naire de Fou­nex, en Suisse, en juin 1971. C’est là qu’il sera déci­dé de séduire les États du Tiers-Monde enga­gés dans la course à l’i­mi­ta­tion du « mer­veilleux mode de vie occi­den­tal », en uti­li­sant désor­mais sys­té­ma­ti­que­ment dans les textes de l’O­NU le mot « déve­lop­pe­ment » tou­jours immé­dia­te­ment à côté du mot « envi­ron­ne­ment ».

Puis en 1983, l’homme d’af­faires Mau­rice Strong va créer la Com­mis­sion ONU « Envi­ron­ne­ment et déve­lop­pe­ment », d’où sor­ti­ra en 1987 le Rap­port Brundt­land, lequel réuti­li­se­ra l’ex­pres­sion inven­tée par les natu­ra­listes de UICN et WWF en 1980 : « sus­tai­nable deve­lop­ment », elle-même ima­gi­née alors pour rem­pla­cer celle d’I­gna­cy Sachs : « éco­dé­ve­lop­pe­ment », au sens de « déve­lop­pe­ment éco­lo­gique », qu’il lan­ça en 1972.

Mais en 2015, et tou­jours venant d’un des pays les plus féro­ce­ment mimé­tique, l’Inde,  comme en 1970, la demande, encore,  de ne pas être obli­gé de lut­ter contre la pol­lu­tion, les gaz à effets de serre, etc… tant que « l’A­me­ri­can Way of Life » n’est pas géné­ra­li­sée à l’in­té­rieur du pays :

le Pre­mier Ministre Naren­dra Modi déclare :

« La jus­tice exige qu’a­vec le peu de car­bone que nous pou­vons encore brû­ler en toute sécu­ri­té, les pays en déve­lop­pe­ment soient auto­ri­sés à croître »

L’Inde, troi­sième pol­lueur mon­dial, défend son droit au déve­lop­pe­ment : en 2015, sa crois­sance a dépas­sé celle de la Chine et base sa demande de conti­nuer sur cette lan­cée au nom de ses « 300 mil­lions de pauvres qui n’ont pas accès à l’élec­tri­ci­té ».

A ce rythme, ses émis­sions de gaz à effet de serre devraient dou­bler d’i­ci à 2030, mais au nom de la « jus­tice cli­ma­tique » (étrange notion qui enchante les milieux mar­xistes), sans jamais expli­quer ce que serait la jus­tice ou l’é­ga­li­té : tous égaux car tous équi­pés d’une BMW !? Quel mode de vie faut-il géné­ra­li­ser ? Quel mode de vie faut-il imi­ter ? Ne fau­drait-il pas rat­tra­per le mode de vie modeste du sar­cleur bur­ki­na­bé qui vit modes­te­ment avec des outils à main fabri­qués par l’ar­ti­san du vil­lage, avec des moyens simples ? En ce cas ce serait l’A­frique qui serait en avance, et les pays occi­den­taux qui seraient en retard sur le bon mode de vie éco­lo­gi­que­ment sou­te­nable et par­ta­geable équi­ta­ble­ment non seule­ment entre tous les humains, sans piller les res­sources de la bio­sphère, mais aus­si entre tous ces humains et toutes les autres espèces ani­males et végé­tales, grâce à un mode de vie à faible empreinte éco­lo­gique, garan­tis­sant la péren­ni­té des éco­sys­tèmes sau­vages néces­saires au confort des ani­maux libres. Voi­là ce qui serait la véri­table justice !

Mais ce Pre­mier Ministre clame :

« Les modes de vie de cer­tains ne doivent pas empê­cher les oppor­tu­ni­tés de ceux, nom­breux, qui sont encore à la pre­mière marche de l’é­chelle du développement »

Ce sont les pro­pos d’une per­sonne qui a été vic­time de l’eth­no­cide, c’est à dire vic­time de son état de membre de l’é­lite ins­truite, donc embour­geoi­sée, sou­vent issues d’une for­ma­tion reçue au cœur de la patrie colo­niale, à Oxford ou à Cam­bridge. Ces citoyens de l’Inde ont été convain­cus par cette ins­truc­tion (à relire comme une défor­ma­tion, un bour­rage de crâne, un effet de la pré­ten­due « œuvre civi­li­sa­trice ») de leur état de membres d’un peuple infé­rieur qui doit rat­tra­per la métro­pole mon­trée en modèle. L’eth­no­cide intro­duit le com­plexe  d’in­fé­rio­ri­té, la honte de pro­ve­nir de ce que le colon nomme avec mépris la « sau­va­ge­rie » et donc la néces­si­té pour l’in­fé­rio­ri­sé de se mettre en route vers la vie supé­rieure, la vie civi­li­sée, donc de s’oc­ci­den­ta­li­ser. Serge Latouche a rai­son de dire que le déve­lop­pe­ment n’est rien d’autre que l’occidentalisation !

Mais il y a par­fois de belles surprises :

Par exemple le 10 octobre 2015 à l’oc­ca­sion des trois jour­nées de soli­da­ri­té avec les peuples Amé­rin­diens orga­ni­sée par http://www.csia-nitassinan.org à Paris, salle Olympe de Gouges 15 rue Mer­lin 75011, la délé­guée des femmes du peuple amé­rin­dien Wayuù, venue de Colom­bie, Kar­men Rami­rez Boscàn, va décla­rer en évo­quant leur lutte contre la plus grande mine à ciel ouvert du monde, 69 000 hec­tares, une mine de char­bon des­ti­née à four­nir l’éner­gie à une usine thermo-électrique :

« Mais nous ne vou­lons pas d’élec­tri­ci­té ! nous n’en avons pas besoin ! »

Il fau­drait en par­ler à Jean-Louis Bor­loo qui pense remar­quable et admi­rable ses ini­tia­tives pour don­ner l’élec­tri­ci­té à tous les Africains !

Les Occi­den­taux croient tou­jours que leur mode de vie est supé­rieur, et for­cé­ment à généraliser !

Or on sait que c’est éco­lo­gi­que­ment impos­sible, et même pas sou­hai­table en termes de mode de vie épa­nouis­sant et tran­quille­ment agréable ! Le bon­heur est dans la vie simple, à taille humaine : rien à voir avec la déme­sure où mène la course à la com­pé­ti­ti­vi­té, ou la folie pro­mé­théenne de faire croire que le pro­grès consiste à se battre contre la nature et en tirer coûte que coûte le maxi­mum de « richesses », ce qui est hélas le pro­jet qu’ont en com­mun les idéo­lo­gies com­mu­nistes et capi­ta­listes sous le nom inven­té en 1824 par Saint-Simon : « l’in­dus­tria­lisme ». Puis, en 1837, Adolphe Blan­qui sera le pre­mier à par­ler de « révo­lu­tion indus­trielle », comme si on assis­tait à une phase déci­sive de la marche du pro­grès, une sorte de bond en avant !

On sait aujourd’­hui qu’il s’a­gis­sait en réa­li­té d’un for­mi­dable regrès, une baisse consi­dé­rable du sen­ti­ment de bon­heur. Les heures de tra­vail abru­tis­sant ne ces­sèrent par la suite d’aug­men­ter. Au bout de ce par­cours, il y aura un tel sen­ti­ment de mal-être que les « modernes » devien­dront d’é­normes consom­ma­teurs de sub­stances phar­ma­ceu­tiques pour « se sen­tir vaille que vaille « bien » » ou vont se jeter sur toutes les acti­vi­tés qui per­mettent de fuir le sen­ti­ment confus, indi­cible, que la vie est fina­le­ment absurde, en se ruant vers tout ce qui dis­trait et diverti.

Pour le seul bon­heur des com­mer­çants : un être mal­heu­reux est plus por­té à consom­mer, ache­ter n’im­porte quoi, qu’un être com­blé, épa­noui, heu­reux des petits riens qui font la richesse de la vie pauvre, volon­tai­re­ment sobre, car rem­plie de plé­ni­tude spi­ri­tuelle et de tran­quille et lente médi­ta­tion, ou de conver­sa­tions déten­dues au sein d’une vie convi­viale pleine de cha­leur humaine, de dou­ceur, d’a­mour, bref, le « temps de vivre », vrai­ment, dans une vie vil­la­geoise ou tri­bale où tout le monde se connait et vaque gen­ti­ment à ses occu­pa­tions trans­mises patiem­ment au fil des géné­ra­tions comme si le temps immo­bile appor­tait la sécu­ri­té en se conten­tant de trans­mettre des habi­tudes immémoriales.

Comme nous l’a dit à la Mai­son de l’A­mé­rique Latine, du Bou­le­vard Saint Ger­main à Paris, le sha­man Yano­ma­mi Davi Kopenawa :

« Nous, ce qu’on veut, c’est vivre comme avant et que rien ne change » !

Des pro­pos à faire ful­mi­ner de rage les apôtres de « l’His­toire » (mythe que se raconte les occi­den­taux !), les eth­no­logues anti-eth­nies Jean-Loup Amselle et Natha­lie Cuny (revue « Lignes » n° 34 et 35 et livre : « Langues à l’en­can » (2009)), dont l’in­jure favo­rite est le mot « essen­tia­liste » pour se moquer des « roman­tiques » qui pré­tendent aimer la vie « comme avant » ! C’est pour plaire à ce cou­rant que l’État a détruit trois musées natio­naux à Paris : le Musée de la Porte dorée des arts afri­cains et océa­niens, le musée des arts et cou­tumes pay­sannes ou « A.T.P. », et le musée de l’Homme où l’on pré­sen­tait les modes de vie immen­sé­ment variés des peuples tra­di­tion­nels du monde, en haut de la col­line du Trocadéro.

Pour avoir une idée de la mytho­lo­gie qui suinte de toutes les vitrines du nou­veau musée de l’Homme inau­gu­ré en octobre 2015, on lira de Wik­tor Stocz­kows­ki dans la revue « L’Homme » 1990, n° 116, p. 111–135 : « La pré­his­toire dans les manuels sco­laires, ou notre mythe des ori­gines ».

Thier­ry Sallantin

20 décembre 2015.


der­niers textes sur inter­net = Le musée de l’Homme ou la mise à mort du pas­sé.

Les racines his­to­riques de la catas­trophe cli­ma­tique qui se précise.

ce der­nier texte aus­si sous le titre : « Les peuples contre l’État : 6 000 ans d’é­vo­lu­tion tota­li­taire »

 

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