Un message des Zapatistes pour cette nouvelle année : « Nous choisissons la vie ! »

url de l’article ori­gi­nal : http://enlacezapatista.ezln.org.mx/2016/01/01/palabras-del-ezln-en-el-22-aniversario-del-inicio-de-la-guerra-contra-el-olvido/


Paroles de l’EZLN en ce 22ème anniversaire du commencement de la guerre contre l’oubli

1er janvier 2016

Bonne soi­rée, bon­jour com­pañe­ro et com­pañe­ra bases de sou­tien de l’Armée Zapa­tiste de Libe­ra­tion Natio­nale (EZLN), compañero/as mili­ciens et mili­ciennes, rebelles, res­pon­sables régio­naux et locaux, auto­ri­tés des trois niveaux de gou­ver­ne­ment auto­nome, compañero/as pro­mo­teurs des dif­fé­rentes zones de tra­vail, com­pañe­ros et com­pañe­ras du sixième (appel) inter­na­tio­nal et à tous ceux présents.

Com­pañe­ras et com­pañe­ros, nous sommes ici pour célé­brer aujourd’hui le 22ème anni­ver­saire du com­men­ce­ment de la guerre contre l’oubli.

Depuis plus de 500 ans, nous avons endu­ré la guerre que les puis­sants de dif­fé­rentes nations, de dif­fé­rentes langues, cou­leurs et croyances, ont mené contre nous afin de nous annihiler.

Ils vou­laient nous tuer, que ce soit en tuant nos corps ou en tuant nos idées.

Mais nous résistons.

En tant que peuples ori­gi­nels, en tant que gar­diens de la terre-mère, nous résistons.

Pas seule­ment ici et pas seule­ment notre cou­leur, qui est la cou­leur de la terre.

De tous les coins de la terre qui ont souf­fert dans le pas­sé et qui souffrent tou­jours main­te­nant, il y a eu et il y a tou­jours des peuples rebelles et dignes qui ont résis­té, qui résistent contre la mort impo­sée d’en haut.

Le 1er jan­vier 1994, il y a 22 ans, nous avons ren­du public notre “¡Ya Bas­ta!”, “Assez !” que nous avions pré­pa­ré dans un digne silence pen­dant une décennie.

L’Ar­mée zapa­tiste de libé­ra­tion natio­nale (espa­gnol : Ejér­ci­to Zapa­tis­ta de Libe­ra­ción Nacio­nal, EZLN) est un groupe révo­lu­tion­naire insur­gé basé au Chia­pas, l’un des États dont les habi­tants sont par­mi les plus pauvres du Mexique.

En rédui­sant au silence notre dou­leur, nous pré­pa­rions son cri.

Notre parole, à cette époque, vint du feu.

Afin de réveiller ceux qui dormaient.

De faire se lever les morts.

Pour faire reve­nir à la rai­son ceux qui s’étaient confor­més et qui avaient abandonné.

Pour se rebel­ler contre l’histoire.

Pour la for­cer à dire ce qu’elle avait réduit au silence.

Pour révé­ler l’histoire de l’exploitation, des meurtres, des dépos­ses­sions, du manque de res­pect en oubliant que cela se cachait der­rière l’histoire d’en haut.

Cette his­toire de musées, de sta­tues, de livres et de monu­ments au mensonge.

Avec la mort de notre peuple, avec notre sang, nous avons stu­pé­fié un monde rési­gné à la défaite.

Ce ne fut pas seule­ment des mots. Le sang de nos com­pañe­ros tom­bés dans ces 22 années fut ajou­té au sang de ceux des années pré­cé­dentes, des décen­nies et des siècles.

Nous avons alors dû choisir et nous avons choisi la vie.

C’est pour­quoi, alors et main­te­nant, afin de vivre, nous mourrons.

Notre parole d’alors était aus­si simple que notre sang repei­gnant les murs des rues des villes où ils nous manquent de res­pect aujourd’hui comme alors.

Et cela continue :

L’étendard de notre lutte fut nos 11 demandes : terre, tra­vail, nour­ri­ture, san­té, édu­ca­tion, loge­ment décent, indé­pen­dance, démo­cra­tie, liber­té, jus­tice et paix.

Ces demandes consti­tuèrent ce qui nous fit nous révol­ter en armes car ce sont ces choses dont nous, le peuple ori­gi­nel et la vaste majo­ri­té du peuple de ce pays et du monde entier, avons besoin.

De cette manière, nous avons com­men­cé notre lutte contre l’exploitation, contre la mar­gi­na­li­sa­tion, l’humiliation, le manque de res­pect, l’oubli et toutes les injus­tices que nous avons vécu et qui furent cau­sées par le mau­vais sys­tème (colo­nial).

Parce que nous ne sommes utiles aux riches et aux puis­sants que comme leurs esclaves afin qu’ils deviennent de plus en plus riches et que nous deve­nions de plus en plus pauvres.

Après avoir vécu pen­dant si long­temps sous cette domi­na­tion et pillage per­pé­tuel nous avons dit :

ASSEZ ! ICI S’ARRÊTE NOTRE PATIENCE !

Et nous avons vu que nous n’avions pas d’autre choix que de prendre les armes pour tuer ou pour mou­rir pour une juste cause.

Mais nous ne fûmes pas seuls.

Nous ne le sommes pas non plus maintenant.

Au Mexique et dans le monde, la digni­té est des­cen­due dans les rues et a deman­dé un espace pour la parole.

Nous com­prîmes.

Dès ce moment, nous avons chan­gé la forme de notre lutte. Nous étions et sommes tou­jours une oreille atten­tive et ouverte sur le monde, parce que depuis le départ nous savions qu’une lutte juste du peuple est pour la vie et non pas pour la mort.

Mais nous avons nos armes à nos côtés, nous ne nous en sommes pas débar­ras­sés, elles seront avec nous jusqu’à la fin.

Parce que nous voyons que là où notre oreille fut un cœur ouvert, le diri­geant a uti­li­sé sa parole men­son­gère ain­si que son cœur fourbe et ambi­tieux contre nous.

Nous avons vu que la guerre d’en haut continuait.

Leur plan et objec­tif furent et est tou­jours de nous faire la guerre jusqu’à ce qu’ils puissent nous exter­mi­ner. C’est pour­quoi au lieu de répondre à nos justes demandes, ils pré­pa­rèrent et pré­parent, firent et font la guerre avec leurs armes modernes, entraînent et financent les esca­drons para­mi­li­taires, donnent et dis­tri­buent des miettes de leur butin pre­nant avan­tage de la pau­vre­té et de l’ignorance de certains.

Ces diri­geants d’en haut sont stu­pides. Ils pensent que ceux qui étaient d’accord pour écou­ter seraient aus­si d’accord pour se vendre, se rendre et abandonner.

Ils ont eu tort alors.

Ils ont tort maintenant.

Parce que, nous, les Zapa­tistes savons très bien que nous ne sommes pas des men­diants ou des bons-à-rien qui espèrent que tout va sim­ple­ment s’arranger de soi-même.

Nous sommes un peuple qui a de la digni­té, de la déter­mi­na­tion et la conscience de com­battre pour la véri­table liber­té et la jus­tice pour tous et ce quelque soit la cou­leur, la race, le genre, la croyance, le calen­drier ou la géographie.

C’est pourquoi notre lutte n’est pas locale, régionale ni même nationale. Elle est universelle.

Parce que les injustices, les crimes, les dépossessions, le manque de respect et l’exploitation sont universels.

Mais aus­si telle est la rébel­lion, la rage, la digni­té et le désir pro­fond de tou­jours faire mieux.

C’est pour­quoi nous avons com­pris qu’il était néces­saire de bâtir notre vie nous-mêmes, avec autonomie.

Sous les menaces majeures, le har­cè­le­ment mili­taire et para­mi­li­taire et les pro­vo­ca­tions constantes du mau­vais gou­ver­ne­ment, nous avons com­men­cé à for­mer notre propre sys­tème de gou­ver­nance, notre auto­no­mie, avec notre propre sys­tème d’éducation, notre propre sys­tème de san­té, notre propre com­mu­ni­ca­tion, notre façon de nous occu­per et de tra­vailler avec notre terre-mère, notre propre poli­tique en tant que peuple et notre propre idéo­lo­gie sur le com­ment nous vou­lons vivre en com­mu­nau­tés, avec une autre culture.

Là où d’autres espèrent que ceux d’en haut vont résoudre les pro­blèmes de ceux d’en bas, nous les Zapa­tistes, avons com­men­cé à construire notre liber­té comme elle est semée, construite, là où elle pousse, c’est à dire, d’ici, d’en bas…

Mais le mau­vais gou­ver­ne­ment essaie de détruire et de mettre fin à notre lutte et notre résis­tance avec une guerre qui change en inten­si­té comme elle change de poli­tique men­son­gère, avec ses mau­vaises idées, ses men­songes, uti­li­sant les médias pour les pro­pa­ger et en don­nant des miettes aux com­mu­nau­tés indi­gènes où les zapa­tistes vivent afin de les divi­ser et d’acheter la conscience des gens à très bon mar­ché, met­tant ain­si en place leur plan de contre-insurrection.

Mais la guerre qui vient d’en haut, com­pañe­ras et com­pañe­ros, frères et sœurs, est tou­jours la même : elle n’amène que mort et destruction.

Les idées et les dra­peaux peuvent bien chan­ger selon qui est en charge, mais les guerres d’en haut détruisent tou­jours, tuent tou­jours, ne sèment jamais rien d’autre que la ter­reur et le désespoir.

Au milieu de cette guerre, nous avons dû mar­cher vers ce que nous voulions.

Nous ne pou­vions pas nous assoir et attendre la com­pré­hen­sion de ceux qui ne com­prennent même pas qu’ils ne com­prennent pas.

Nous ne pou­vions pas nous assoir et attendre que le cri­mi­nel d’en haut se répu­die lui-même et qu’il change son his­toire, en se repen­tant, et devienne une bonne personne.

Nous ne pou­vions pas nous assoir et attendre qu’une très grande liste de pro­messes, qui seront oubliées quelques minutes après avoir été faites, ne se réa­lisent jamais.

Nous ne pou­vions pas attendre que l’autre, dif­fé­rent, mais avec la même dou­leur et la même colère, nous regarde, et qu’en nous regar­dant, il voit.

Nous ne savions pas com­ment faire.

Il n’y avait pas de livre, pas de manuel ou de doc­trine qui nous ont dit que faire afin de résis­ter et simul­ta­né­ment, de construire quelque chose de nou­veau, de meilleur.

Peut-être pas par­fait bien sûr, peut-être dif­fé­rent, mais tou­jours à nous, à notre peuple, les femmes, les hommes, les enfants, les anciens qui, dans leur cœur col­lec­tif, couvrent le dra­peau noir avec une étoile rouge à cinq branches et les lettres qui leur donnent non seule­ment un nom, mais aus­si un but, une des­ti­née : EZLN.

Alors nous avons recher­ché dans notre his­toire ances­trale, dans notre cœur col­lec­tif et au tra­vers des hoquets, des fai­blesses et des erreurs, nous avons construit ce que nous sommes et ce qui non seule­ment nous fait conti­nuer à vivre et à résis­ter, mais aus­si nous élève digni­fiés et rebelles.

Pen­dant ces 22 années de lutte et de résis­tance, de rébel­lion, nous avons conti­nué à construire une autre forme de vie, nous nous sommes gou­ver­nés nous-mêmes en tant que peuple, que col­lec­tif que nous sommes, en accord avec les sept prin­cipes de diri­ger en obéis­sant, construi­sant un nou­veau sys­tème et une autre forme de vie en tant que peuples originels.

Un sys­tème où le peuple com­mande et le gou­ver­ne­ment obéit.

Et nous voyons, depuis notre cœur simple, que ceci cor­res­pond à la manière la plus saine, parce qu’elle est née et gran­dit du peuple lui-même. C’est le peuple qui donne ses opi­nions, dis­cute, pense, ana­lyse, fait des pro­po­si­tions et décide ce qui est le mieux pour tout le monde, sui­vant en cela l’exemple de nos ancêtres.

Comme nous l’expliquerons plus en détail plus tard, nous voyons bien que la négli­gence et la pau­vre­té règnent dans les com­mu­nau­tés par­ti­dis­ta (les sui­veurs de par­tis poli­tiques) ; elles sont gérées par la fai­néan­tise et le crime, bri­sant la vie com­mu­nau­taire, déchi­rée fata­le­ment et irrémédiablement.

Se vendre au mau­vais gou­ver­ne­ment n’a non seule­ment pas réso­lu leurs pro­blèmes de base, mais leur a don­né encore plus d’horreurs à gérer. Là où avant il y avait la faim et la pau­vre­té, il y avait main­te­nant la faim, la pau­vre­té et le déses­poir. Les com­mu­nau­tés par­ti­dis­ta sont deve­nues des foules de men­diants qui ne tra­vaillent pas, qui ne font qu’attendre le pro­chain pro­gramme d’aide du gou­ver­ne­ment (mexi­cain), c’est à dire, la pro­chaine sai­son électorale.

Ceci ne figure bien sûr pas dans quelque rap­port d’état fédé­ral ou de gou­ver­ne­ment muni­ci­pal que ce soit, mais c’est la véri­té de ter­rain et peut se voir dans les com­mu­nau­tés par­ti­dis­ta : celles des pay­sans fer­miers qui ne savent plus com­ment tra­vailler la terre, vivant dans des blocs de ciment avec des toits en tôles d’aluminium, vides parce qu’on ne peut pas man­ger le ciment ni le métal, des com­mu­nau­tés qui n’existent que pour rece­voir l’aumône, les miettes du gouvernement.

Peut-être que dans nos com­mu­nau­tés il n’y a pas de mai­sons en ciment ou de télé­vi­sions numé­riques ou des camions tous neufs, mais nos gens savent très bien com­ment tra­vailler la terre. La nour­ri­ture est sur toutes les tables, les habits qu’ils portent, les médi­ca­ments qu’ils uti­lisent, la connais­sance qu’ils acquièrent, la vie qu’ils mènent sont LES LEURS, ain­si que leur connais­sance et le pro­duit de leur tra­vail. Cela ne pro­vient de per­sonne d’autre.

Nous pou­vons dire ceci sans honte aucune : Les com­mu­nau­tés zapa­tistes ne sont pas seule­ment mieux qu’elles ne l’étaient il y a 22 ans, mais leur qua­li­té de vie est bien meilleure que dans celles qui se sont ven­dues aux par­tis poli­tiques de toutes cou­leurs et rayures possibles.

Avant, afin de savoir si quelqu’un était zapa­tiste, il suf­fi­sait de cher­cher un grand mou­choir rouge ou une cagoule noire.

Main­te­nant, il suf­fit de voir s’ils tra­vaillent la terre, s’ils s’occupent de leurs cultures. S’ils étu­dient les sciences et la tech­no­lo­gie, s’ils res­pectent les femmes que nous sommes, si leur regard est direct et clair, s’ils savent que c’est le col­lec­tif qui dirige. S’ils voient le tra­vail du gou­ver­ne­ment auto­nome zapa­tiste en rébel­lion comme un ser­vice et non pas comme un busi­ness ; si vous leur deman­dez quelque chose qu’ils ne savent pas, ils vous répondent : “je ne sais pas… encore…” Si lorsque quelqu’un se moque d’eux en disant que les Zapa­tistes n’existent plus ou qu’ils sont peu nom­breux, ils répondent : “ne vous inquié­tez pas, nous serons plus nom­breux, cela pren­dra un peu de temps, mais nous serons bien plus nom­breux” ; si leurs regards observent loin dans les calen­driers et les géo­gra­phies ; s’ils savent que demain se plante aujourd’hui.

Nous recon­nais­sons bien évi­dem­ment qu’il y a encore beau­coup à faire, nous devons nous orga­ni­ser mieux et nous orga­ni­ser plus.

C’est pour­quoi nous devons faire un encore plus grand effort pour nous pré­pa­rer à por­ter plus effi­ca­ce­ment et plus exten­si­ve­ment le bou­lot de nous gou­ver­ner nous-mêmes, parce qu’au pire, le sys­tème capi­ta­liste va reve­nir nous chercher.

Nous devons savoir com­ment le confron­ter. Nous avons déjà 32 ans d’expérience dans la lutte de rébel­lion et la résistance.

Et nous sommes deve­nus ce que nous sommes.

Nous sommes l’Armée Zapatiste de Libération Nationale.

C’est ce que nous sommes bien qu’ils ne nous nomment pas.

C’est ce que nous sommes même s’ils nous oublient par le silence et la calomnie.

C’est ce que nous sommes bien qu’ils ne nous voient pas.

C’est ce que nous sommes par nos pas, notre che­min, dans notre ori­gine et dans notre destinée.

Nous regar­dons ce que nous étions aupa­ra­vant et ce qui est maintenant.

Une nuit san­glante, pire qu’avant si c’est pos­sible, s’étend au monde.

Le diri­geant n’est pas seule­ment pro­gram­mé pour conti­nuer à exploi­ter, à répri­mer, à mal­trai­ter et à dépos­sé­der, mais il est déter­mi­né à détruire le monde entier si ce fai­sant il peut en tirer un pro­fit quel­conque, de l’argent, un salaire.

Il est clair que le pire est à venir pour nous tous.

Les mul­ti­mil­lion­naires de quelques pays conti­nuent leur objec­tif de piller les res­sources natu­relles du monde entier, tout ce qui nous donne la vie comme l’eau, la terre, les forêts, les mon­tagnes, les rivières, l’air et tout ce qu’il y a sous le sol : l’or, le pétrole, le gaz, l’uranium, l’ambre, le soufre, le car­bone et autres miné­raux et minerais.

Ils ne consi­dèrent pas la terre comme une source de vie, mais comme un busi­ness par lequel ils peuvent tout trans­for­mer en com­mo­di­tés et donc en argent, et en fai­sant cela ils vont tota­le­ment nous détruire tous.

Le mal et ceux qui le portent ont un nom, une his­toire, une ori­gine, un calen­drier, une géo­gra­phie : c’est le sys­tème capitaliste.

Aucune impor­tance de quelle cou­leur ils le peignent, quel nom ils lui donnent, de quelle reli­gion ils le déguisent, quel dra­peau ils lèvent… C’est le sys­tème capitaliste.

C’est l’exploitation de l’humanité entière et de la tota­li­té du monde que nous habitons.

C’est le manque de res­pect et le déni­gre­ment pour tout ce qui est dif­fé­rent et ce qui ne se vend pas, n’abandonne pas, ne se laisse pas corrompre.

C’est le sys­tème qui per­sé­cute, incar­cère, assassine.

Il vole.

A la tête de ce sys­tème, il y a des figures qui émergent, se repro­duisent, gran­dissent et meurent : les sau­veurs, les lea­ders, les cau­dillos, les can­di­dats, les gou­ver­ne­ments (d’état), les par­tis poli­tiques qui offrent leurs solu­tions toutes prêtes.

Ils offrent des recettes, comme une autre com­mo­di­té, pour résoudre les problèmes.

Peut-être qu’il y a encore quelqu’un quelque part qui croit tou­jours que d’en haut, là où les pro­blèmes sont créés, vien­dront aus­si les solutions.

Peut-être y a‑t-il quelqu’un qui croit en des sau­veurs locaux, régio­naux, natio­naux, mondiaux.

Peut-être y a‑t-il ceux qui espèrent tou­jours que quelqu’un va faire ce que nous devons faire nous-même.

Ce serait bien n’est-ce pas ?

Tout serait si facile, si confor­table, ne deman­de­rait pas beau­coup d’efforts. Cela vou­drait dire de lever la main, rem­plir un papier, choi­sir un nom, mettre le papier dans l’urne, applau­dir, crier des slo­gans, s’affilier à un par­ti poli­tique et voter pour en virer un et le rem­pla­cer par un autre.

Peut-être, disons-nous, nous les Zapa­tistes, nous pen­sons, nous sommes ce que nous sommes.

Ce serait bien si les choses étaient comme ça, mais elles ne le sont pas.

Ce que nous avons appris en tant que Zapa­tistes, et sans que per­sonne ou quoi que ce soit ne nous le disent, sauf notre propre voie en tant qu’enseignant, est que per­sonne, abso­lu­ment per­sonne ne va venir nous sau­ver, nous aider, résoudre nos pro­blèmes, sou­la­ger notre dou­leur ou nous ame­ner la jus­tice dont nous avons besoin et que nous méritons.

Il n’y a que ce que nous fai­sons nous-mêmes, tout le monde dans son propre calen­drier et agen­da et géo­gra­phie, en nom col­lec­tif, de par la pen­sée et l’action de tout à cha­cun indi­vi­duel­le­ment et col­lec­ti­ve­ment, en accord avec sa propre ori­gine et des­ti­née, qui compte.

Nous avons aus­si appris en tant que Zapa­tistes que ceci n’est pos­sible qu’avec organisation.

Nous avons appris qu’il est bon qu’une per­sonne se mette en colère.

Mais si plu­sieurs per­sonnes, beau­coup de per­sonnes se mettent en colère, une lumière s’allume dans un coin du monde et sa lueur peut être vue, pour un moment, à tra­vers la sur­face entière de la terre.

Mais nous avons aus­si appris que si ces colères s’organisent entre elles… Ah ! Alors nous n’avons pas qu’un flash momen­ta­né qui illu­mine la sur­face de la terre.

Alors ce que nous avons est un mur­mure, comme une rumeur, une secousse qui com­mence gen­ti­ment et croît de plus en plus forte.

C’est comme si le monde allait don­ner nais­sance à un autre, un meilleur, plus juste, plus démo­cra­tique, plus libre, plus humain… ou huma­na… ou humanoa.

C’est pour­quoi aujourd’hui nous com­men­çons notre parole avec un mot d’un pas­sé déjà loin­tain, mais qui conti­nue d’être néces­saire, urgent, vital : Nous devons nous orga­ni­ser, nous pré­pa­rer à lut­ter pour chan­ger cette vie, pour créer un autre mode de vie, une autre manière de nous gou­ver­ner en tant que peuples et êtres humains.

Parce que si nous ne nous orga­ni­sons pas, nous serons tous réduits en esclavage.

On ne peut rien croire du capi­ta­lisme. Abso­lu­ment rien. Nous avons vécu sous ce sys­tème depuis des cen­taines d’années et nous avons souf­fert sous ses quatre roues : l’exploitation, la répres­sion, la dépos­ses­sion et le mépris. Main­te­nant, tout ce que nous avons est notre confiance en les uns les autres, en nous-mêmes. Et nous savons com­ment créer une nou­velle socié­té, un nou­veau sys­tème de gou­ver­ne­ment, la vie juste et digne que nous dési­rons tous.

Main­te­nant plus per­sonne n’est en sécu­ri­té de la tem­pête que l’hydre capi­ta­liste va déchaî­ner pour détruire nos vies, pas les autoch­tones, les fer­miers pay­sans, ouvriers, ensei­gnants, femmes au foyer, intel­lec­tuels ou tra­vailleurs en géné­ral, parce qu’il y a beau­coup de gens qui tra­vaillent pour sur­vivre leur vie quo­ti­dienne, cer­tains avec un patron, d’autres sans, mais tous ceux qui sont pris dans l’étreinte du capitalisme.

En d’autre termes, il n’y a pas de rédemption au sein du capitalisme.

Per­sonne ne va nous mener, nous devons nous mener nous-mêmes, pen­ser ensemble au com­ment nous allons résoudre chaque situation.

Parce que si nous pen­sons qu’il va y avoir quelqu’un qui va nous gui­der, et bien nous avons déjà vu com­ment ils nous mènent ces der­niers siècles pas­sés sous le sys­tème capi­ta­liste ; cela n’a pas mar­ché pour nous, les pauvres, pas du tout. Cela a mar­ché pour eux, oui, parce qu’ils sont juste là assis et attendent que l’argent leur tombe dans le bec.

Ils ont dit à tout le monde “votez pour moi”, “je vais me battre pour mettre fin à l’exploitation” et dès qu’ils s’installent der­rière le bur­lingue où ils peuvent engran­ger du fric sans rien faire, ils oublient auto­ma­ti­que­ment tout ce qu’ils ont dit et com­mencent à créer encore plus d’exploitation, pour vendre le peu qui reste des richesses de leurs pays. Ces ven­dus sont des hypo­crites para­sites et inutiles, des bons à rien.

Voi­là pour­quoi, com­pañe­ros et com­pañe­ras, la lutte n’est pas finie, on ne vient juste que de com­men­cer. On ne s’y est mis que seule­ment depuis 32 ans, 22 ans publiquement.

C’est pour­quoi nous devons mieux nous unir, mieux nous orga­ni­ser afin de construire notre bateau, note mai­son, c’est à dire notre auto­no­mie. C’est ce qui nous sau­ve­ra de la grande tem­pête capi­ta­liste qui pointe à l’horizon. Nous devons ren­for­cer nos dif­fé­rentes zones de tra­vail et nos tâches collectives.

Nous n’avons pas d’autre che­min pos­sible que celui de nous unir et de nous orga­ni­ser pour lut­ter et nous défendre de la grande menace qu’est le sys­tème capi­ta­liste. Parce que le capi­ta­lisme cri­mi­nel qui menace toute l’humanité ne res­pecte abso­lu­ment per­sonne : il va nous balayer toutes et tous indé­pen­dam­ment de notre race, reli­gion, ou par­ti poli­tique. Ceci nous a été démon­tré par bien des années de mau­vais gou­ver­ne­ment, de menaces, de per­sé­cu­tions, d’incarcérations, de tor­ture, de “dis­pa­ri­tions” et d’assassinats de gens des peuples des cam­pagnes et des villes du monde entier.

Voi­là pour­quoi nous disons, com­pañe­ros, com­pañe­ras, enfants, jeunes gens, que vous, la nou­velle géné­ra­tion, êtes le futur de notre peuple, de notre lutte et de notre his­toire ; mais vous devez com­prendre que vous avez à la fois une tâche et une obli­ga­tion : celles de suivre les traces de nos pre­miers com­pañe­ros, de nos anciens, de nos parents, grands-parents et de tous ceux qui ont com­men­cé cette lutte.

Ils ont déjà tra­cé un bout de che­min, main­te­nant c’est votre tra­vail de le suivre et de gar­der le cap. Mais nous ne pour­rons faire cela qu’en nous orga­ni­sant géné­ra­tion après géné­ra­tion, en com­pre­nant cette tâche à effec­tuer et en nous orga­ni­sant en consé­quence pour y par­ve­nir et en conti­nuant tout ceci jusqu’à la fin de notre lutte.

Vous, les jeunes, êtes une part très impor­tante de nos com­mu­nau­tés, c’est pour cela que vous devez par­ti­ci­per à tous les niveaux de tra­vail de notre orga­ni­sa­tion et dans tous les domaines de notre auto­no­mie. Lais­sons chaque géné­ra­tion conti­nuer de nous mener vers notre des­ti­née de démo­cra­tie, de liber­té et de jus­tice, tout comme nos pre­miers com­pañe­ros et com­pañe­ras nous enseignent maintenant.

Com­pañe­ros et com­pañe­ras, tous, nous sommes sûrs qu’un jour vous par­vien­drez à ce que nous vou­lons : tout pour cha­cun et rien pour nous, c’est à dire notre liber­té. Aujourd’hui, notre lutte est d’avancer pas à pas. Nos armes de lutte sont notre résis­tance, notre rébel­lion et notre parole hon­nête, qu’aucune mon­tagne ni fron­tière ne peuvent blo­quer. Elles vont atteindre les oreilles et les cœurs des frères et des sœurs par­tout dans le monde !

Chaque jour qui passe, il y a plus de gens qui com­prennent que la cause de notre lutte contre la grave situa­tion d’injustice que nous vivons est le sys­tème capi­ta­liste dans notre pays et dans le monde entier.

Nous savons éga­le­ment qu’au tra­vers de notre lutte il y a eu et il y aura des menaces, de la répres­sion, des per­sé­cu­tions, de la dépos­ses­sion, des contra­dic­tions et de la moque­rie des trois niveaux du mau­vais gou­ver­ne­ment. Mais nous devons savoir que le mau­vais gou­ver­ne­ment nous hait parce que nous sommes sur la bonne voie, s’il com­men­çait à nous applau­dir alors nous sau­rions que nous avons dévié de notre lutte.

Nous ne devons pas oublier que nous sommes les héri­tiers de plus de 500 ans de lutte et de résis­tance, le sang de nos ancêtres coulent dans nos veines, ce sont eux qui nous ont don­né l’exemple de la lutte et de la rébel­lion, le rôle de gar­dien de notre terre-mère, de laquelle nous sommes nés, sur laquelle nous vivons et à laquelle nous retournerons.

Com­pañe­ros et com­pañe­ras Zapatistas

Com­pañe­ros et com­pañe­ras, com­pañe­roas de la Sixième :

Frères et sœurs :

Ce sont nos pre­miers mots en ce tout début de nou­velle année.

Plus de paroles et de pen­sées vien­dront vers vous.

Petit à petit nous vous mon­tre­rons une fois de plus notre regard, notre cœur collectif.

Pour l’heure nous ter­mi­ne­rons en vous disant que pour res­pec­ter le sang et l’honneur de nos com­pañe­ros, il n’est pas suf­fi­sant de se sou­ve­nir, d’être en deuil, de pleu­rer, de prier, nous devons plu­tôt conti­nuer de tra­vailler aux tâches qu’ils nous ont lais­sé, de créer en pra­tique le chan­ge­ment que nous vou­lons tous.

Il n’est pas temps main­te­nant de battre en retraite, d’être décou­ra­gés ou fati­gués ; nous devons être encore plus fermes dans notre lutte, pour main­te­nir la parole et l’exemple que nos pre­miers com­pañe­ros nous ont lais­sés : n’abandonnez pas, ne vous lais­sez pas ache­ter, ne pliez pas !

C’est pour­quoi, com­pañe­ros et com­pañe­ras, ce jour impor­tant est le temps pour nous de réaf­fir­mer notre volon­té dans la lutte, d’aller de l’avant quoi qu’il en coûte et quoi qu’il arrive, sans lais­ser le sys­tème capi­ta­liste détruire ce que nous avons gagné et le peu que nous avons été capables de construire en tra­vaillant pen­dant ces 22 années : notre liberté !

DÉMOCRATIE !

LIBERTÉ !

JUSTICE !

Depuis les mon­tagnes du sud-est mexicain

Pour le comi­té clan­des­tin révo­lu­tion­naire indi­gène – Com­man­de­ment Géné­ral de l’Armée Zapa­tiste de Libé­ra­tion Nationale

Sub­co­man­dante Insur­gente Moisés

Sub­co­man­dante Insur­gente Galeano.

Mexique, le 1er Jan­vier 2016.


Tra­duc­tion : — Résis­tance 71

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