A propos des médias « indépendants/alternatifs/libres », de l’écologie d’État et de l’insoumission docile

Bas­ta Mag, Repor­terre, Kai­zen, les Coli­bris, Demain le film, Jean-Luc Mélen­chon… : si ceux-là ne sont pas tous direc­te­ment liés, sauf par le pro­gres­sisme poli­ti­que­ment cor­rect dont ils font montre, aux yeux de beau­coup, ils repré­sentent le poten­tiel de chan­ge­ment en vue d’un monde meilleur. Ceux qui suivent nos publi­ca­tions com­prennent sans doute pour­quoi nous sommes loin de par­ta­ger ce point de vue, qui relève des pro­fondes illu­sions et de la confu­sion dis­til­lées par la socié­té du spec­tacle. Bien que ce sujet soit plu­tôt secon­daire au vu de la catas­trophe éco­lo­gique et sociale en cours, il nous paraît néan­moins impor­tant de l’ex­po­ser le plus clai­re­ment pos­sible. Nous ne pen­sons pas pei­gner la girafe en lui consa­crant quelques articles, sur les cen­taines que nous avons publiés.

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Nous par­tons de la pré­misse selon laquelle l’ordre éta­bli est un désastre, autant sociale qu’é­co­lo­gique, et qu’il est néces­saire de le ren­ver­ser. Cet ordre pour­rait être décrit comme une cor­po­ra­to­cra­tie — « un conglo­mé­rat de mar­chés finan­ciers et de cor­po­ra­tions, qui domine le monde », selon la for­mule de Charles Der­ber (pro­fes­seur de socio­lo­gie à l’U­ni­ver­si­té de Bos­ton) — qui « unit les pou­voirs éco­no­miques, poli­tiques et idéo­lo­giques ».

La culture qui engendre cette cor­po­ra­to­cra­tie n’est pas nou­velle, ses racines remontent aux ori­gines de la civi­li­sa­tion. Par sou­ci de conci­sion, nous nous conten­te­rons de rap­pe­ler que les groupes d’in­té­rêts finan­ciers les plus puis­sants de notre temps régnaient déjà au début du XXème siècle (cf. la famille Rocke­fel­ler et la Stan­dard Oil Com­pa­ny, BP et la Anglo-Per­sian Oil Com­pa­ny, la Royal Dutch Shell Com­pa­ny, la famille Roth­schild, etc.) ; qu’ils ont façon­né, tout au long de son his­toire, et qu’ils façonnent encore la socié­té indus­trielle mon­dia­li­sée que nous connais­sons aujourd’hui.

Nous par­lons donc du ren­ver­se­ment d’un ordre sécu­laire, au mini­mum — Napo­léon Bona­parte créa la Pré­fec­ture de police de Paris en 1800, la police était alors un ins­tru­ment au ser­vice de l’Em­pire fran­çais ; aujourd’­hui, elle est l’ins­tru­ment de l’Em­pire cor­po­ra­tiste. Ce qui implique de per­ce­voir pour ce qu’elle est toute la culture qu’il a pro­duite entre temps.

Nous par­tons de la pré­misse selon laquelle cette cor­po­ra­to­cra­tie influence ou contrôle tout, des paro­dies de démo­cra­tie™ à la nour­ri­ture™ que l’on mange ; de la musique™ radio­dif­fu­sée aux émis­sions télé­vi­sées ; de la presse™ grand public aux pro­grammes uni­ver­si­taires ; de la nature des dif­fé­rents métiers au fait qu’il soit consi­dé­ré comme nor­mal de devoir tra­vailler (cf. l’i­déo­lo­gie du tra­vail).

Nous par­tons éga­le­ment de la pré­misse selon laquelle l’i­dée de pro­grès est une mys­ti­fi­ca­tion consti­tu­tive de la culture domi­nante — la cor­po­ra­to­cra­tie. Ain­si que le for­mule Kirk­pa­trick Sale : « Le pro­grès est le mythe qui nous assure que ‘en avant toute’ n’a jamais tort. L’écologie est la dis­ci­pline qui nous enseigne que c’est un désastre ». Appa­rue lors de la révo­lu­tion scien­ti­fique méca­niste du XVIIème siècle, « l’i­dée de Pro­grès » est peu à peu deve­nue la seule phi­lo­so­phie de l’his­toire de la moder­ni­té. Elle se carac­té­rise par une croyance aveugle et contre toute évi­dence selon laquelle le concept d’his­toire serait natu­rel, et consis­te­rait en une pro­gres­sion linéaire vers plus d’é­ga­li­té, de jus­tice et de bon­heur — à l’aide d’un pro­grès tech­no­lo­gique, éga­le­ment linéaire, qui ten­drait à amé­lio­rer indé­fi­ni­ment la condi­tion humaine.

Ceux que la culture offi­cielle n’a pas har­na­chés de ses œillères hyp­no­tiques com­prennent que ce pro­grès est une illu­sion. Les hautes tech­no­lo­gies, pour prendre un exemple, en plus de dépendre de la divi­sion du tra­vail et du savoir, d’une ges­tion anti­dé­mo­cra­tique des « res­sources natu­relles » mon­diales, n’ont rien à voir avec le bon­heur et tout à voir avec le désastre éco­lo­gique et social en cours. Des pra­tiques extrac­ti­vistes hau­te­ment des­truc­trices de l’en­vi­ron­ne­ment à l’a­lié­na­tion dans le vir­tuel, de la com­plexi­té inhu­maine (qui dépasse l’en­ten­de­ment) de la socié­té indus­trielle aux mon­tagnes de déchets élec­tro­niques toxiques qui pol­luent la Terre, leur déve­lop­pe­ment implique toutes sortes de ter­ribles nuisances.

Bien sûr, les par­ti­sans du pro­grès assu­re­ront que tout ceci peut être répa­ré grâce à plus de tech­no­lo­gie, et à des amé­lio­ra­tions tech­niques. Ce refrain sécu­laire a tou­jours accom­pa­gné et accom­pagne tou­jours les dégâts engen­drés par le pro­grès. Des siècles d’a­mé­lio­ra­tions tech­no­lo­giques plus tard, nous en sommes ren­dus à aujourd’­hui, où l’on apprend, dans une étude publiée ce lun­di 13 février 2017 dans la revue scien­ti­fique Nature Eco­lo­gy & Evo­lu­tion, que « l’un des habi­tats les plus inac­ces­sibles au monde […], les fosses marines, sont par­mi les lieux les plus conta­mi­nés au monde par les pol­luants orga­niques per­sis­tants » ; où l’on a appris, l’an der­nier, dans une autre étude, que « les humains ont pro­duit assez de plas­tique depuis la Seconde Guerre mon­diale pour recou­vrir toute la Terre de film ali­men­taire » ; et dans une autre étude encore que « la pro­duc­tion mon­diale de maté­riaux plas­tiques a été mul­ti­pliée par 20 au cours des der­nières 50 années, dépas­sant 300 mil­lions de tonnes en 2015. La demande croit expo­nen­tiel­le­ment et la pro­duc­tion devrait qua­dru­pler d’ici 2050 et « qu’en consé­quence, 275 mil­lions de tonnes de déchets plas­tiques ont été géné­rées par les pays côtiers du monde, dont entre 4.7 et 12.7 mil­lions de tonnes finissent dans les océans, un scé­na­rio cen­sé aug­men­ter de l’ordre d’une magni­tude d’ici 2025 » — cette der­nière étude nous révé­lait éga­le­ment que « les ‘plas­tiques bio­dé­gra­dables’ ne se dégradent pas d’eux-mêmes dans des condi­tions natu­relles, et ne repré­sentent donc à prio­ri pas une solu­tion pour la réduc­tion des déchets marins ».

Aujourd’­hui où les « res­sources » de la pla­nète, renou­ve­lables comme non-renou­ve­lables, sont impi­toya­ble­ment sur­ex­ploi­tées ; où les forêts du monde, dont il n’en res­te­rait que deux, sont dans un état cala­mi­teux (les vraies forêts, pas les plan­ta­tions ou mono­cul­tures modernes), et qui ne cesse d’empirer. Où la plu­part des éco­sys­tèmes ori­gi­nels ont été modi­fiés (détruits, ou détra­qués), d’une façon ou d’une autre (25% des fleuves n’atteignent plus l’océan ; depuis moins de 60 ans, 90% des grands pois­sons, 70% des oiseaux marins et, plus géné­ra­le­ment, 52% des ani­maux sau­vages, ont dis­pa­ru ; depuis moins de 40 ans, le nombre d’animaux marins, dans l’ensemble, a été divi­sé par deux). Où les scien­ti­fiques estiment que nous vivons la sixième extinc­tion de masse sachant que les déclins en popu­la­tions ani­males et végé­tales ne datent pas d’hier, et qu’une dimi­nu­tion par rap­port à il y a 60 ou 70 ans masque en réa­li­té des pertes bien pires encore, cf. l’amnésie éco­lo­gique. Où on estime que d’ici 2048 les océans n’abriteront plus aucun pois­son. Où d’autres pro­jec­tions estiment que d’ici 2050, il y aura plus de plas­tiques que de pois­sons dans les océans. Où on estime éga­le­ment que d’ici à 2050, la qua­si-tota­li­té des oiseaux marins auront ingé­ré du plas­tique. Où tous les biomes de la pla­nète ont été conta­mi­nés par dif­fé­rents pro­duits chi­miques toxiques de syn­thèse (cf. l’empoisonnement uni­ver­sel que décrit Fabrice Nico­li­no). Où l’air que nous res­pi­rons est désor­mais clas­sé can­cé­ri­gène par l’OMS. Où les espèces ani­males et végé­tales dis­pa­raissent (sont tuées) au rythme de 200 par jour (esti­ma­tion de l’ONU). Et où les dérè­gle­ments cli­ma­tiques aux­quels la pla­nète est d’ores et déjà condam­née pro­mettent d’effroyables conséquences.

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L’illu­sion la plus cru­ciale et la plus média­ti­sée du pro­gres­sisme de notre temps est évi­dem­ment le mythe des éner­gies renou­ve­lables cen­sées four­nir une nou­velle source d’éner­gie propre-verte-et-durable à injec­ter dans le réseau mon­dial de la socié­té indus­trielle, dont toutes les indus­tries sont par ailleurs pol­luantes, mais qui n’in­siste pas là-des­sus, étran­ge­ment que nous ana­ly­sons dans un récent article : L’écologie™ du spec­tacle et ses illu­sions vertes (espoir, « pro­grès » & éner­gies « renou­ve­lables »).

Dans une des nom­breuses tra­duc­tions publiées sur notre site, inti­tu­lée « Notre manie d’espérer est une malé­dic­tion », Chris Hedges écrit, à pro­pos de l’i­déo­lo­gie du pro­grès, que :

« La croyance naïve selon laquelle l’histoire est linéaire, et le pro­grès tech­nique tou­jours accom­pa­gné d’un pro­grès moral, est une forme d’aveuglement col­lec­tif. Cette croyance com­pro­met notre capa­ci­té d’action radi­cale et nous berce d’une illu­sion de sécu­ri­té. Ceux qui s’accrochent au mythe du pro­grès humain, qui pensent que le monde se dirige inévi­ta­ble­ment vers un état mora­le­ment et maté­riel­le­ment supé­rieur, sont les cap­tifs du pou­voir. Seuls ceux qui acceptent la pos­si­bi­li­té tout à fait réelle d’une dys­to­pie, de la mon­tée impi­toyable d’un tota­li­ta­risme ins­ti­tu­tion­nel, ren­for­cé par le plus ter­ri­fiant des dis­po­si­tifs de sécu­ri­té et de sur­veillance de l’histoire de l’humanité, sont sus­cep­tibles d’effectuer les sacri­fices néces­saires à la révolte.

L’aspiration au posi­ti­visme, omni­pré­sente dans notre culture capi­ta­liste, ignore la nature humaine et son his­toire. Cepen­dant, ten­ter de s’y oppo­ser, énon­cer l’évidence, à savoir que les choses empirent, et empi­re­ront peut-être bien plus encore pro­chai­ne­ment, c’est se voir exclure du cercle de la pen­sée magique qui carac­té­rise la culture états-unienne et la grande majo­ri­té de la culture occi­den­tale. La gauche est tout aus­si infec­tée par cette manie d’espérer que la droite. Cette manie obs­cur­cit la réa­li­té, au moment même où le capi­ta­lisme mon­dial se dés­in­tègre, et avec lui l’ensemble des éco­sys­tèmes, nous condam­nant poten­tiel­le­ment tous.

Le théo­ri­cien du XIXe siècle Louis-Auguste Blan­qui, contrai­re­ment à presque tous ses contem­po­rains, écar­ta la croyance, chère à Karl Marx, selon laquelle l’histoire est une pro­gres­sion linéaire vers l’égalité et une meilleure mora­li­té. Il nous avait aver­ti du fait que ce posi­ti­visme absurde était un men­songe col­por­té par les oppres­seurs : « Toutes les atro­ci­tés du vain­queur, la longue série de ses atten­tats sont froi­de­ment trans­for­mées en évo­lu­tion régu­lière, iné­luc­table, comme celle de la nature.[….] Mais l’engrenage des choses humaines n’est point fatal comme celui de l’univers. Il est modi­fiable à toute minute ». Il avait pres­sen­ti que les avan­cées scien­ti­fiques et tech­no­lo­giques, plu­tôt que d’être les pré­sages du pro­grès, pou­vaient être « une arme ter­rible entre les mains du Capi­tal contre le Tra­vail et la Pen­sée ». Et à une époque où bien peu le fai­saient, il dénon­çait le sac­cage du monde natu­rel. « La hache abat, per­sonne ne replante. On se sou­cie peu que l’avenir ait la fièvre ». »

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Qui dit ren­ver­se­ment dit sub­ver­sion : « Qui est de nature à trou­bler ou à ren­ver­ser l’ordre social ou poli­tique ».

Alors en quoi des médias comme Bas­ta Mag et Repor­terre qui font bien sou­vent l’a­po­lo­gie d’un simple ver­dis­se­ment de la socié­té indus­trielle, qui encou­ragent le déve­lop­pe­ment des illu­sions vertes (même s’il est arri­vé à Repor­terre d’en émettre une timide cri­tique, ce qui n’est pas sans expo­ser une cer­taine inco­hé­rence au niveau de l’a­na­lyse) ; qui se pré­sentent comme « indé­pen­dants » bien qu’ils soient, entre autres, par­tiel­le­ment finan­cés par la « réserve par­le­men­taire » seraient-ils subversifs ?

Repor­terre qui a récem­ment relayé un article du maga­zine Kai­zen (fon­dé, entre autres, par Cyril Dion, co-fon­da­teur du Mou­ve­ment Coli­bris, et « ins­pi­ré par la phi­lo­so­phie de Pierre Rabhi ») inti­tu­lé « Petit manuel des bonnes pra­tiques éco­los sur Inter­net », qui va jus­qu’à nous expli­quer que pour adop­ter un com­por­te­ment modèle, il faut « Faire le choix d’une police [de carac­tères] éco­lo », et « Opter pour une signa­ture sobre ». Repor­terre (« le quo­ti­dien de l’é­co­lo­gie ») qui vient éga­le­ment de publier un article inti­tu­lé « Au Bhou­tan, le bon­heur brut est serein mal­gré les nuages », chan­tant les louanges de ce petit pays qui aurait « un bilan car­bone néga­tif », sans men­tion­ner une seule fois les nom­breux bar­rages (qui lui servent à s’a­li­men­ter en hydro­élec­tri­ci­té « verte » et à gagner de l’argent en en ven­dant une bonne par­tie à l’Inde) et leurs consé­quences éco­lo­giques désas­treuses (ce qui est le lot de tous les bar­rages), à pro­pos des­quels Yeshei Dor­ji, pho­to­graphe et blo­gueur, nous rap­porte, dans un article publié sur le site de Glo­bal Voices, que :

« La plu­part de nos rivières, foi­son­nantes de vie, sont empri­son­nées dans des bar­rages qui déplacent humains et ani­maux ain­si que des formes de vie aqua­tiques rares et même inconnues.

Cer­tains bar­rages pla­ni­fiés et en construc­tion sont des­ti­nés à créer d’é­normes rete­nues d’eau qui modi­fie­ront les condi­tions météo­ro­lo­giques et cau­se­ront des trem­ble­ments de terre, parce qu’ils sont situés dans des zones sis­mi­que­ment actives.

Il y a un dan­ger clair et pré­sent qu’un désastre envi­ron­ne­men­tal se pro­duise à un moment.

Des condi­tions d’exé­cu­tion défa­vo­rables et inéqui­tables des pro­jets ont cau­sé la faillite de nom­breuses entre­prises bhou­ta­naises. Même la vente de légumes a été usur­pée par les sous-trai­tants indiens, ce qui prive les Bhou­ta­nais de mon­ter leurs petites entreprises.

Des cen­taines d’en­fants nés hors mariage de mères bhou­ta­naises mais de pères indiens, ouvriers sur les cen­trales, vaga­bondent dans les rues, sans ins­crip­tion a l’é­tat civil et sans droit à l’é­du­ca­tion. Comme nos lois sexistes ne recon­naissent pas les mères bhou­ta­naises comme des citoyennes dignes de ce nom, leurs enfants ne sont pas recon­nus comme des citoyens natu­rels du Bhoutan ».

Repor­terre qui publie pour la Saint-Valen­tin un article encou­ra­geant ses lec­teurs à ache­ter des fleurs bio™, plu­tôt que des fleurs indus­trielles. Une très bonne illus­tra­tion du cos­mé­tisme « la foi en ce que des ajus­te­ments rela­ti­ve­ment super­fi­ciels de nos acti­vi­tés vont assu­rer la main­te­nance du Nou­veau Monde et per­pé­tuer l’âge de l’exubérance » dont parle William Cat­ton. La publi­ca­tion de cet article expose bien le côté ges­tion des nui­sances plu­tôt que sup­pres­sion des pro­blèmes dont relève leur ligne édi­to­riale. Au lieu de dire clai­re­ment que la Saint-Valen­tin est une escro­que­rie qui pousse à la consom­ma­tion, ils conseillent d’a­che­ter des fleurs bio. Nous n’a­vons pas besoin d’une indus­trie flo­rale bio­lo­gique, nous n’a­vons pas besoin d’une indus­trie flo­rale tout court. Le bio en tant que label inven­té par et pour la socié­té indus­trielle n’est d’au­cune aide dans la lutte contre la cor­po­ra­to­cra­tie ; il ne cor­res­pond pas du tout à des pra­tiques réel­le­ment res­pec­tueuses de l’environnement.

Repor­terre qui, en cette période élec­to­rale, couvre l’é­co­lo­gie poli­ti­cienne du par­ti « vert » (EELV), du par­ti socia­liste, et de Jean-Luc Mélen­chon, comme si la poli­tique ins­ti­tu­tion­nelle avait d’autres objec­tifs que de faire diver­sion et de désa­mor­cer des colères légi­times et utiles. Comme si les ins­ti­tu­tions créées par et pour la cor­po­ra­to­cra­tie pou­vaient faire autre chose que ce pour quoi elles furent conçues.

Ce qui nous amène à l’illu­sion du réfor­misme, et à la meilleure illus­tra­tion de son absur­di­té et de son échec : le déve­lop­pe­ment durable. Il s’a­git de la pré­ten­tion, vieille de plus de 40 ans, selon laquelle tout le sys­tème indus­triel pour­rait être ren­du éco­lo­gique (dans le sens de  res­pec­tueux de l’en­vi­ron­ne­ment) à l’aide d’a­mé­lio­ra­tions tech­no­lo­giques ou tech­niques. Des mil­lions d’am­poules basse consom­ma­tion et de sacs en bio­plas­tique après, nous pou­vons consta­ter ce qui était cou­ru d’a­vance, à savoir que rien n’a chan­gé, que tout a empi­ré, et que tout empire.

Conduire une prius, ache­ter bio, équi­table ou res­pon­sable n’a­mé­liore pas l’é­tat éco­lo­gique du monde, au contraire. Cela ne fait que don­ner bonne conscience.

Il suf­fit d’y réflé­chir quelques ins­tants pour com­prendre. Toutes les indus­tries sont hau­te­ment des­truc­trices. L’in­dus­trie de la pêche ? Une catas­trophe. L’in­dus­trie de la high-tech ? Un désastre (d’Ag­bog­blo­shie, dans la ban­lieue d’Ac­cra, au Gha­na, à la col­line fumeuse de Manilles, aux Phi­lip­pines, en pas­sant par Guyiu en Chine, on en sait quelque chose). L’in­dus­trie du tex­tile ? Même chose. L’in­dus­trie de l’au­to­mo­bile ? L’in­dus­trie de l’ar­me­ment ? Pour­riez-vous citer une seule indus­trie qui ne soit pas une cala­mi­té écologique ?

Évi­dem­ment, cer­tains socia­listes ou com­mu­nistes de souche, qui ne per­çoivent pas que capi­ta­lisme, socia­lisme et com­mu­nisme sont « les enfants de la civi­li­sa­tion », ima­ginent, à l’aide d’une bonne dose de pen­sée magique, que des mines socia­listes seraient éco­lo­giques, qu’une indus­trie de la pêche socia­liste serait res­pec­tueuse des pois­sons, qu’il pour­rait y avoir un bon extrac­ti­visme, que la fumée des usines com­mu­nistes ne serait pas mau­vaise, et que la pol­lu­tion socia­liste serait sûre­ment moins toxique que la pol­lu­tion capitaliste.

Ce qui explique peut-être pour­quoi Jean-Luc Mélen­chon a autant de succès.

Lorsque l’on constate à quel point il embrasse le mythe du pro­grès, et les hautes tech­no­lo­gies (cf. son récent double dis­cours avec un « holo­gramme »), on com­prend qu’il n’est lui aus­si qu’une dis­trac­tion de plus. Comme pour beau­coup de poli­ti­ciens, ses mee­tings pré­sentent un carac­tère mes­sia­nique non négli­geable, comme lors­qu’A­lexis Cor­bière, porte-parole de la « France insou­mise » (mais appa­rem­ment sou­mise au pro­gres­sisme et au tech­no­lo­gisme), intro­duit le dis­cours de Mélen­chon du 5 février 2017 en expli­quant (plus ou moins) humo­ris­ti­que­ment que « Le monde est entré dans un nou­veau mil­lé­naire » et qu’il est « venu le temps des hologrammes ».

Durant ce dis­cours, il se moque ensuite des « pisses-bou­gons » (ça, c’est nous, entre autres) qui trouvent que son holo­gramme fait « trop show­bizz », et jus­ti­fie cela parce qu’il faut, selon lui « s’ap­puyer sur des tech­niques de notre temps, qui fassent rêver, qui fassent sou­rire ». Une belle apo­lo­gie de la socié­té du spec­tacle, et une des­crip­tion très juste d’une des prin­ci­pales méthodes de contrôle social employées par la cor­po­ra­to­cra­tie : faire rêver, pen­dant que le monde brûle. Il arti­cule éga­le­ment quelques tirades bis­cor­nues et pro-déve­lop­pe­ment comme : « Et puis c’est le défi d’un par­tage des richesses abso­lu­ment inouï, qui est non seule­ment scan­da­leux mora­le­ment, pour nous autres qui sont du camp de l’é­man­ci­pa­tion humaine, mais qui est une entrave à tout déve­lop­pe­ment coor­don­né de la pla­nète et des êtres humains qui y pul­lulent » ; et de nom­breuses harangues en forme de décla­ra­tions d’a­mour à la France (des droits de l’homme, de l’é­cole ce mer­veilleux outil d’ac­cul­tu­ra­tion et de pro­pa­gande d’a­bord monar­chiste, puis impé­ria­liste, et enfin éta­tiste  laïque, et d’autres pon­cifs qui sont autant de men­songes gro­tesques, qui passent sous silence la France impé­ria­liste, colo­niale et néo­co­lo­niale, une sorte de révi­sion­nisme his­to­rique posi­ti­viste qui ne garde que les pré­ten­tions les plus insi­dieuses). Quelle subversion ?

Mélen­chon qui fait l’a­po­lo­gie de l’in­dus­trie du jeu vidéo (« Il faut que cela devienne une indus­trie de pointe de la patrie »), et de cette catas­trophe pro­gram­mée qu’est l’é­cole numé­rique (« Il faut que nos jeunes à l’é­cole apprennent le voca­bu­laire de la tech­nique du numé­rique comme on a appris la gram­maire hier, parce que c’est la langue de demain. Il faut qu’ils apprennent les tech­niques qui per­mettent au numé­rique de fonc­tion­ner ».), ce qui est cri­mi­nel au vu des ravages de l’in­dus­tria­lisme, des impacts des nou­velles et des hautes tech­no­lo­gies, tant éco­lo­giques que psy­cho­lo­giques.

Mélen­chon qui célèbre éga­le­ment la conquête spa­tiale (« Si nous vou­lons conti­nuer à occu­per les orbites basses autour de la Terre… »), qui n’est que pol­lu­tion de l’es­pace et désastre écologique.

Sou­mis à l’i­ner­tie de son époque et à la puis­sance irré­sis­tible de la culture tech­no­lo­gique, des forces qui animent la civi­li­sa­tion indus­trielle et sac­cagent le monde, son plai­doyer est une célé­bra­tion de tout ce que la Science a de plus irré­flé­chie et de plus dan­ge­reux. La ques­tion de Car­los Ruiz Rafon, « enfin de compte, quel est le sens d’une science capable d’en­voyer un homme sur la lune, mais inca­pable de mettre un mor­ceau de pain sur la table de chaque être humain ? », plus que jamais d’ac­tua­li­té, demeure indiscutée.

Mélen­chon qui s’a­dresse, tout au long de sa pré­sen­ta­tion fan­to­ma­tique, à l’hu­bris et à l’or­gueil toxiques de ceux qu’une culture supré­ma­ciste a for­més, jus­qu’à s’ex­cla­mer que : « Nous sommes le deuxième ter­ri­toire mari­time du monde. Est-ce que ça n’est pas extra­or­di­naire ? » ou encore : « Est-ce que vous savez que vous être le 2e peuple au monde pour ce qui est de la contri­bu­tion indi­vi­duelle pat vos impôts à l’é­co­no­mie de l’es­pace ? C’est vous, les fran­çais » (quelle fier­té, n’est-ce pas ?!).

Mélen­chon qui, dans son dis­cours, encense la marche de l’his­toire et toutes les illu­sions les plus conven­tion­nelles de la socié­té du spec­tacle, sur les­quelles s’ap­puie l’i­dée de pro­grès  cette « erreur fort à la mode », ce « fanal obs­cur » qui a « fleu­ri sur le ter­rain pour­ri de la fatui­té moderne », ain­si que le for­mu­lait déjà Charles Bau­de­laire en son temps. L’é­du­ca­tion natio­nale est glo­ri­fiée (« le savoir est un inves­tis­se­ment »), ain­si que les pro­ces­sus d’embrigadement sys­té­ma­tique dont par­lait Lewis Mum­ford, qui sont l’es­sence du tota­li­ta­risme de la civi­li­sa­tion (« eh bien moi, je vous pro­pose de recom­men­cer le sys­tème du pré-recru­te­ment, nous pré-recru­te­rons des jeunes à 16/17 ans, nous leur ver­se­rons un salaire, et ils devront 10 ans de ser­vice à la patrie dans les écoles qui leur seront dési­gnées ensuite »), dont la fina­li­té est une ter­rible stan­dar­di­sa­tion, elle aus­si glo­ri­fiée (« alors ils auront la même cou­leur et la même allure que le peuple tout entier »).

Mélen­chon, ce chantre du pro­grès, qui en est encore à pro­cla­mer qu’il « n’y a pas d’autre limite que notre capa­ci­té à inves­tir, à inven­ter, à ins­tal­ler des machines », est un « con de tech­no­crate » ordi­naire, comme aurait dit Pierre Four­nier, qui nous pro­met, comme tous « ces cons de tech­no­crates », un « para­dis concen­tra­tion­naire qui […] ne ver­ra jamais le jour parce que leur igno­rance et leur mépris des contin­gences bio­lo­giques le tue­ront dans l’œuf. La seule vraie ques­tion qui se pose n’est pas de savoir s’il sera sup­por­table une fois né mais si, oui ou non, son avor­te­ment pro­vo­que­ra notre mort ».

Mélen­chon qui nous a d’ailleurs gra­ti­fié d’une belle rhé­to­rique de la pomme pour­rie après l’af­faire Théo (du nom du jeune qui s’est fait vio­ler par des poli­ciers), en affir­mant qu’il était pour « pur­ger la police de ses élé­ments mal­sains », se disant « per­sua­dé que la masse des poli­ciers répu­bli­cains est révul­sée par ce type de pra­tiques ». Et qui a aus­si affir­mé que « la police fran­çaise a un fon­de­ment répu­bli­cain très pro­fond » (encore une fois, la police a un fon­de­ment féo­dal, monar­chique, impé­riale, ou dic­ta­to­riale, et aujourd’­hui cor­po­ra­tiste ; elle a un fon­de­ment répu­bli­cain dans la mesure où répu­blique n’est pas néces­sai­re­ment syno­nyme de démo­cra­tie). Ceux qui sou­haitent lut­ter contre l’ordre éta­bli ne doivent pas se leur­rer quant au rôle de la police, qui est loin d’être un mys­tère. La police est une ins­ti­tu­tion d’État, qui défend l’ordre éta­bli et ses lois. Le sys­tème judi­ciaire tout entier pro­tège les pri­vi­lèges des riches et des puis­sants. L’obéissance aux lois n’implique pas la mora­li­té — cela peut d’ailleurs impli­quer l’immoralité. Le rôle de la police est et a tou­jours été de ser­vir les inté­rêts de la classe dominante.

Nous avons deman­dé à Faus­to Giu­dice ce qu’il pen­sait de Jean-Luc Mélenchon :

« Même en se dédou­blant, Mélen­chon reste ce qu’il est : un homme du pas­sé. Et le spec­tacle qu’il a offert le 5 février der­nier était bien celui d’un fan­tôme (impro­pre­ment qua­li­fié d’ho­lo­gramme) à deux dimen­sions. Ce n’est pas seule­ment la rhé­to­rique de Méluche qui appar­tient au pas­sé (celui de la IIIème Répu­blique), mais les notions qu’ex­priment ses mots : « la France », « la patrie », « l’É­tat », le « déve­lop­pe­ment » [pour ceux qui ne com­prennent pas en quoi la notion de déve­lop­pe­ment pose pro­blème, c’est par ici, NdA] et le reste à l’a­ve­nant. Bref, Méluche a tout faux : quand la seule posi­tion pos­sible est l’ho­ri­zon­ta­li­té, il est ver­ti­cal, quand la seule option viable est la décrois­sance, il est pour la crois­sance, quand le seul ter­rain de lutte pos­sible est le monde, il nous parle de « patrie ». Il a sa place au Musée de cire de Madame Tus­saud. Après avoir vu sa pres­ta­tion dédou­blée du 5 février, je me suis dit que Méluche n’est qu’un bol­cho-patrio­tard pro­duc­ti­viste, mar­ké­ti­sé par un Young Team qui fume trop de moquette bio. La ques­tion qui se pose est donc : est-ce que Super-Popeye va mettre du Bon Beurre Bio dans nos Zépi­nards géné­ti­que­ment modi­fiés ? ».

Ne per­dons pas plus de temps à com­men­ter l’illu­mi­na­tion d’un adepte par­mi tant d’autres de la reli­gion du pro­grès. La France des insou­mis est tota­le­ment sou­mise au mythe du pro­grès, à l’é­ta­tisme, et à la majeure par­tie des alié­na­tions civi­li­sées. Une autre remarque que nous aurions pu for­mu­ler à pro­pos de Mélen­chon l’a été par René Rie­sel et Jaime Sem­prun, ori­gi­nel­le­ment à pro­pos du tra­vail d’Her­vé Kempf (fon­da­teur de Repor­terre) :

Sa ten­ta­tive cri­tique omet exem­plai­re­ment d’analyser ou de seule­ment men­tion­ner la com­po­sante la plus mas­sive et cer­tai­ne­ment la plus appa­rente des « rap­ports actuels de domi­na­tion », celle qu’un ving­tième siècle écra­sé par les « tota­li­ta­rismes de tran­si­tion », selon la for­mule de Mum­ford, a léguée au sui­vant : la bureaucratie.

Nous aurions effec­ti­ve­ment pu nous conten­ter de sou­li­gner que Mélen­chon est un par­ti­san « d’un état fort » tan­dis que notre ana­lyse poli­tique est proche de celles de beau­coup d’a­nar­chistes, et d’an­ti-indus­triels comme Jaime Sem­prun, qui com­pre­nait que :

« Les gémis­se­ments éco­lo­gistes de cette époque ne sont que des sophismes. Deman­der à l’É­tat aide et pro­tec­tion revient à admettre par avance toutes les ava­nies que cet État juge­ra néces­saire d’in­fli­ger, et une telle dépos­ses­sion est déjà la nui­sance majeure, celle qui fait tolé­rer toutes les autres ».

Cette éco­lo­gie d’État, on la retrouve dans le film docu­men­taire « Demain », réa­li­sé par une star du ciné­ma inter­na­tio­nal (Méla­nie Laurent) et par une figure de proue de l’éco­lo­gie™ en France (celle qui est média­ti­sée), Cyril Dion (co-fon­da­teur des Coli­bris). En plus d’a­voir obte­nu près de 440 000€ de finan­ce­ment par­ti­ci­pa­tif (crowd­fun­ding), ce film a été finan­cé par Akuo Ener­gy, le pre­mier pro­duc­teur indé­pen­dant fran­çais d’énergie renou­ve­lable, par l’AFD (l’A­gence Fran­çaise du Déve­lop­pe­ment, qui comme son nom l’in­dique pro­meut le déve­lop­pe­ment d’un peu tout, qui bétonne l’A­frique en y finan­çant la construc­tion des infra­struc­tures néces­saires au déploie­ment de la socié­té de consom­ma­tion indus­trielle, etc.), et par Bjorg Bon­ne­terre et Com­pa­gnie (un groupe agroa­li­men­taire fran­çais spé­cia­li­sé dans la pré­pa­ra­tion de pro­duits bio­lo­giques, filiale du groupe Royal Wes­sa­nen, une mul­ti­na­tio­nale dénon­cée par Domi­nique Guillet de Koko­pel­li). Sou­li­gnons éga­le­ment qu’il a été copro­duit en par­te­na­riat avec France Télé­vi­sions. Quelle subversion ?

Ce que tout cela nous indique devrait être clair, mais parce que l’é­poque tend à la confu­sion, pré­ci­sons : ce film a été sub­ven­tion­né par une entre­prise du sec­teur des soi-disant « renou­ve­lables », par une ins­ti­tu­tion finan­cière qui met en œuvre la poli­tique défi­nie par le gou­ver­ne­ment fran­çais, par l’in­dus­trie de l’a­groa­li­men­taire, et par la télé­vi­sion publique. S’il a été finan­cé par un orga­nisme comme l’AFD, c’est bien parce qu’il n’est qu’une vitrine de pro­mo­tion du déve­lop­pe­ment durable et de ses illu­sions vertes. Et s’il y a bien une illu­sion dont il faut que les milieux acti­vistes se libèrent, c’est la croyance selon laquelle la révo­lu­tion sera sub­ven­tion­née et/ou télévisée.

Par contre, les dis­cours pseu­do-poé­tiques creux qui ne disent rien et le disent mal sont appré­ciés, sub­ven­tion­nés et même dif­fu­sés dans le plus pres­ti­gieux jour­nal de France, le quo­ti­dien Le Monde, appar­te­nant au trio capi­ta­liste Ber­gé-Niel-Pigasse, comme le prouve la publi­ca­tion de ce boni­ment de Cyril Dion (qui oscille entre angé­lisme, hypo­cri­sie et stu­pi­di­té). On peut y lire de belles pro­messes d’un ave­nir qui pour­rait être superbe si seule­ment nos diri­geants accep­taient de mettre en place une « éco­no­mie sym­bio­tique » qui consiste en un indus­tria­lisme vert, comme vous pou­vez le voir ici, et qui s’ins­crit dans l’oxy­more du déve­lop­pe­ment durable. On y trouve éga­le­ment la confu­sion d’un dis­cours qui essaie de plaire à tout le monde, ne désigne aucun enne­mi, aucune cause aux pro­blèmes qu’il énonce, qui parle de « renon­cer au ser­vage du tra­vail moderne, à un cer­tain confor­misme » puis enchaine sur une rhé­to­rique de la créa­tion d’emploi : « Selon les cal­culs que nous avons faits pour le film ‘Demain’, nous pour­rions, au bas mot, créer 1,5 mil­lion d’emplois » ; et où l’on trouve aus­si « toutes les fausses pistes habi­tuelles (régle­men­ter, taxer, com­pen­ser, redis­tri­buer, banque éthique…) pour évi­ter de par­ler de l’a­sy­mé­trie racine entre ceux qui créent la mon­naie sans rien foutre, et ceux qui creusent », ain­si que l’ex­prime un ami économiste.

Dans un dis­cours de 2004 à pro­pos de l’ONG-isa­tion de la résis­tance, l’au­teure et mili­tante indienne Arund­ha­ti Roy expo­sait en quoi les méca­nismes de finan­ce­ment expli­quaient (et impli­quaient) l’i­nef­fi­ca­ci­té des grandes ONG, et leur inap­ti­tude à engen­drer un véri­table chan­ge­ment. Elle ter­mi­nait en rap­pe­lant une dure réa­li­té : « La vraie résis­tance a de vrais coûts. Et aucun salaire. »

***

Non, la sub­ver­sion, nous la per­ce­vons dif­fi­ci­le­ment chez ces médias — Bas­ta Mag et Repor­terre  qui se pro­clament « libres », « indé­pen­dants » ou « alter­na­tifs », mais qui sont en par­tie finan­cés par la réserve par­le­men­taire, par le minis­tère de la Culture, par la région Ile-de-France, et par le minis­tère de l’Écologie (en ce qui concerne Repor­terre). Et dont les publi­ca­tions s’ins­crivent le plus sou­vent (à quelques excep­tions près) dans une poli­tique presque aus­si confor­miste que celle des grands médias, qui consiste à pré­sen­ter les voies ins­ti­tu­tion­nelles comme légi­times, et à même de faire adve­nir un véri­table chan­ge­ment, ain­si qu’à encou­ra­ger le déve­lop­pe­ment durable par­fois sous d’autres appellations.

Nous ne la voyons cer­tai­ne­ment pas chez ces éco-célé­bri­tés qui cherchent à faire bonne figure dans les grands médias et auprès des auto­ri­tés, dont le tra­vail consiste éga­le­ment à pro­mou­voir les illu­sions vertes du déve­lop­pe­ment durable, et fina­le­ment à encou­ra­ger la conti­nua­tion de la civi­li­sa­tion industrielle.

Nous la voyons chez ceux qui osent remettre en ques­tion les men­songes actuels et his­to­riques de la culture domi­nante ; ceux qui, comme Howard Zinn com­prennent que « réin­ter­ro­ger notre his­toire, ce n’est pas seule­ment se pen­cher sur le pas­sé, mais aus­si s’intéresser au pré­sent et ten­ter de l’envisager du point de vue de ceux qui ont été délais­sés par les bien­faits de la soi-disant civi­li­sa­tion ».

Nous la voyons chez de rares jour­na­listes comme John Pil­ger et Cory Mor­ning­star.

Nous la voyons dans les ZAD, et chez cer­tains groupes peu média­ti­sés comme le col­lec­tif gre­no­blois Pièces et Main d’Oeuvre (PMO), l’as­so­cia­tion Tech­no­lo­gos, et le cou­rant anti-indus­triel plus géné­ra­le­ment, qui main­tiennent en vie une cri­tique sociale digne de ce nom, et avec elle des pistes pour par­ve­nir à des socié­tés démo­cra­tiques et écologiques.

Nous la voyons dans cer­tains actes de sabo­tage, dans cer­tains actes de révolte, à l’ins­tar du black bloc, qui n’a rien à voir avec le caillas­sage bar­bare et insen­sé que les médias dépeignent. Dans cer­tains ouvrages artis­tiques, dans le rap comme dans la pein­ture.

Nous la voyons dans des actes du quo­ti­dien qui n’o­béissent pas aux dik­tats de la culture mar­chande, patriar­cale et supré­ma­ciste. Chez ces indi­vi­dus qui, à leur manière et avec leurs moyens, par­ti­cipent à une sorte d’al­pha­bé­ti­sa­tion mili­tante — à l’ins­tar des confé­rences ges­ti­cu­lées de la SCOP Le Pavé —, conçue comme un moyen de lut­ter contre l’op­pres­sion, et contre la colo­ni­sa­tion.

Col­lec­tif Le Partage

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  1. Quelle ana­lyse foi­son­nante, per­cu­tante et d’une jus­tesse remar­quable. Je pense que JLM est un de ces Jaco­bins bien plus proche de Robes­pierre que de Roux et Var­let et des sec­tions com­mu­nales. Et pour conser­ver le pou­voir et les pri­vi­lèges des fonc­tions d’É­tat, JLM écra­se­ra encore les sec­tions, du moins il essaie­ra. Et comme l’a­vait ana­ly­sé Pierre Kro­pot­kine La grande révo­lu­tion fran­çaise 1789–93 : (Kro­pot­kine 1909) : Les reven­di­ca­tions sociales et l’esprit de com­mune, l’écrasement des sec­tions popu­laires… Que j’ai inté­gré, avec ma propre ana­lyse, dans ce billet de blog ► https://jbl1960blog.wordpress.com/2017/02/08/des-clics-pour-le-declic/ J’a­voue, décou­vrir les liens de Repor­terre, ici. Je les ai mis en lien ici, car il avait relayé la contes­ta­tion contre le DAPL alors que Trump pré­ten­dait que per­sonne ne s’en plai­gnait ► https://jbl1960blog.wordpress.com/2017/02/14/les-nations-primordiales-damerique-ne-sont-pas-des-immigrants/ Alors, j’a­voue avoir une vision proche de celle de Lan­dauer et dite « anar­cho-indi­gé­niste ». Loin donc du bruit et de la fureur du monde. Votre ana­lyse sur l’a­vè­ne­ment du Numé­rique est très juste et d’ailleurs, le rejoint celle faite par Zénon dans son der­nier texte, Tan­gente : sor­tir du piège de la toile d’a­rai­gnée mon­diale, que vous pou­vez retrou­ver dans la page de mon tout petit blog ; Les Chro­niques de Zénon. Cepen­dant, je ne crois pas que les Fran­çais prêts à stop­per le bou­zin et à boy­cot­ter la pré­si­den­tielle… Qu’im­porte, nous ne mesu­rons pas com­bien la résis­tance est enclen­chée. Voyez que même le mou­ve­ment Zapa­tiste envi­sage de pré­sen­ter une femme indi­gène par­ti­ci­per à la Pré­si­den­tielle de 2018… Nous avons du che­min à faire. Mais beau­coup avons déjà pris la tan­gente. JBL1960

  2. Encore un très bon article, merci.

    « les par­ti­sans du pro­grès assu­re­ront que tout ceci peut être répa­ré grâce à plus de tech­no­lo­gie, et à des amé­lio­ra­tions techniques. »

    Les médias mentent constam­ment et plus ils sont puis­sants, plus ils publient, plus ils mentent.
    Par exemple le cas des puri­fi­ca­teurs d’air, pour avoir un air pur on pro­duit des puri­fi­ca­teurs qui pour être déve­lop­pés, construits, pro­duits, jetés… vont géné­rer plus de pol­lu­tion que l’air qu’il vont dépolluer.
    Si cette exemple est com­pré­hen­sible elle s’ap­plique à un bon nombre de choses moins évi­dentes à dis­cer­ner au pre­mier abord comme par exemple les véhi­cules élec­triques, les pan­neaux solaires, le végétarisme…la majo­ri­té des gens s’at­tarde à la der­nière étape d’un pro­ces­sus pour se for­ger une opi­nion, de cette étape, pour eux il n’y a n’y d’a­vant, n’y d’a­près, ain­si la voi­ture élec­trique ne pol­lue pas, le végé­ta­risme ne fait pas de mal aux ani­maux et l’on nour­rit plus de monde moins cher, en san­té avec des céréales (3 affir­ma­tions com­plè­te­men­te­ment fausses) et la dépol­lu­tion répare et amé­liore l’en­vi­ron­ne­ment (c’est du delire mais ça passe) etc etc ce n’est pas avec ce genre de dis­cours que le peuple avale allè­gre­ment et qui devient véri­té qu’on va sau­ver quoique ce soit.

    Le pro­grès à notre échelle détruit la pla­nete, il y a ceux qui l’ont com­pris, ceux qui ne le com­prennent pas et ceux qui ne veulent pas le savoir et ces der­niers forment cer­tai­ne­ment le groupe le plus dan­ge­reux car ils sont sou­vent puis­sants et bien infor­mé sur la réelle situa­tion, leurs opi­nions est simple, jouir des res­sources et après moi le déluge. 

    Celui qui n’est pas fru­gale est un irres­pon­sable en plus de n’être pas cré­dible (pro­fit, consom­ma­tion, déve­lop­pe­ment… c’est pol­luer), des médias comme https://partage-le.com/ doivent donc ne pas se déve­lop­per exces­si­ve­ment, ne doivent pas trop publier pour res­ter cré­dible, c’est une arme à double tran­chant mais une condi­tion pour évi­ter les dérives qui arrive inévi­ta­ble­ment avec la crois­sance d’une compagnie.

    1. Je par­tage l’ad­mi­ra­tion pour cet article qui nous ouvre les yeux sur les mani­pu­la­tions des opi­nions par des médias dis­tri­buant de la bonne conscience.
      Par contre je me per­mets de réagir à votre com­men­taire Gus lorsque vous affir­mez concer­nant le végé­ta­risme qu’il est basé sur de fausses idées. D’a­bord le végé­ta­risme est une pra­tique qui peut avoir plu­sieurs moti­va­tions selon les per­sonnes. Mais je vais reprendre vos contre-arguments :

      1. le végé­ta­risme ne fait pas de mal aux animaux
      Oui c’est un fait, et vous ne pou­vez pas le nier, les ani­maux éprouvent autant de souf­france que nous, cela a été prou­vé par toutes les recherches sur le sujet. Donc tuer moins d’a­ni­maux implique for­cé­ment moins de souf­frances. La mort heu­reuse n’existe pas. L’hu­ma­ni­té a exploi­té les ani­maux pen­dant des dizaines de mil­liers d’an­nées, il se peut même que cette consom­ma­tion ani­male ait par­ti­ci­pé à l’é­vo­lu­tion des homi­ni­dés. Mais nous savons que nous pou­vons désor­mais se pas­ser de l’a­li­men­ta­tion ani­male avec quelques pré­cau­tions. Alors il est peut être temps de les en remer­cier et lais­ser vivre en paix sur cette terre qui leur appar­tient autant qu’elle nous appartient. 

      2. on nour­rit plus de monde moins cher,
      Cer­tains végé­ta­riens uti­lisent cet argu­ment mal­adroi­te­ment. Il est sûr que si tout le monde devient végé­ta­rien sous un régime capi­ta­liste cela ne chan­ge­ra rien au pro­blème. On sait tous qu’on peut déjà nour­rir toute l’hu­ma­ni­té avec ce que nous pro­dui­sons. Mais vu la crois­sance démo­gra­phique, la crois­sance de consom­ma­tion de viande, la pol­lu­tion que cela engendre, il nous fau­dra bien­tôt 3 pla­nètes pour sup­por­ter ce rythme. Mais comme le dit l’ar­ticle, on n’est pas de ceux qui sou­haitent colo­ni­ser d’autres pla­nètes alors qu’on n’ar­rive même pas à s’oc­cu­per cor­rec­te­ment de la notre. 

      3. en san­té avec des céréales
      Ceci est très réduc­teur et mépri­sant pour les cen­taines de mil­lions d’hu­main qui n’ont pas autre chose dont riz et le blé consti­tue l’a­li­ment de base. Certes cela ne suf­fit pas pour etre en bonne san­té mais dans toutes les cultures du monde il y a foi­son de plats végé­ta­riens qui suf­fisent à être en bonne san­té. En occi­dent on peut lar­ge­ment se pas­ser de viande et les sub­sti­tuer par des pro­téines végé­tales. Il est évident tou­te­fois qu’on ne peut pas deman­der cet effort à des popu­la­tion qui sur­vivent et n’ont pas les moyens ni le luxe de choi­sir ce qu’elle peuvent mettre sur l’assiette. 

      J’es­père ne pas pas­ser pour un végé­ta­rien « extré­miste », j’es­saie juste de rec­ti­fier la remarque que vous avez faite sur le sujet.

  3. Un article de salu­bri­té publique de la part du site Le Par­tage ! Encore un ! je relaie , his­toie que ça se sache … j’ai tité la résis­tance molle sur les brindherbes.

    Oui, la résis­tance molle, parce qu’ils sont prêts à tout nous faire gober pour main­te­nir une hié­rar­chie coûte que coûte et nous main­te­nir en état ser­vile, et nous faire cou­rir après le pre­mier lièvre qui nous détour­ne­ra d’une Connais­sance pro­fonde de l’état de ce monde. L’espoir est un piège encore plus puis­sant que la peur. Alors voi­ci un bon moyen de déco­der un piège sup­plé­men­taire de ce qui se déroule sous nos yeux …. en sou­hai­tant que les gens sachent prendre le temps néces­saire à la lec­ture sans céder aux sirènes de la bou­li­mie d’informations et de quête de sen­sa­tion­nel. Le sen­sa­tion­nel est déjà là, il faut juste savoir en dis­cer­ner la sub­ti­li­té et prendre la patience d’assembler le puzzle.

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[...] la folie des associations dites écologistes que j’ai étrillées ici durement [principalement Greenpeace, le WWF, FNE - France Nature Environnement, et la FNH - Fondation Nicolas Hulot, NdE], mais de manière argumentée, c’est qu’elles tiennent officiellement le même discours. Leur baratin, car c’en est un, consiste à pleurnicher chaque matin sur la destruction de la planète, avant d’aller s’attabler le midi avec l’industrie, dont le rôle mortifère est central, puis d’aller converser avec ces chefs politiques impuissants, pervers et manipulateurs qui ne pensent qu’à leur carrière avant de signer les autorisations du désastre en cours.