L’écobusiness de Darwin, leur évolution et la nôtre

L’écobusiness de Darwin, leur évolution et la nôtre

Un matin de décembre 2012, Bor­deaux se réveillait avec une nou­velle pus­tule sur sa rive droite. Dar­win, un « éco­sys­tème éco­lo », une « ruche dédiée aux acti­vi­tés éco­créa­tives » dans une « démarche de déve­lop­pe­ment durable », un « labo­ra­toire de la ville du XXIe siècle », s’était ins­tal­lé au sein de la métro­pole fran­çaise la plus en vogue, dans une caserne mili­taire désaf­fec­tée esti­mée à 2 mil­lions d’euros que la Com­mu­nau­té urbaine bra­da pour deux tiers de sa valeur à Phi­lippe Barre, riche héri­tier de la grande distribution.

Juteuse affaire immo­bi­lière maquillée par des publi­ci­taires en une étrange pro­messe de rédemp­tion éco­lo­gique, Dar­win n’est qu’un décor en trompe‑l’œil, qui peine à cacher les contra­dic­tions sur les­quelles il est édi­fié. Ses hérauts avaient d’ailleurs jugé néces­saire de prendre les devants en publiant sur leur site une longue page bour­rée de jus­ti­fi­ca­tions creuses : « Dar­win, face aux pré­ju­gés ». À notre tour de tirer les choses au clair.

Écos­pé­cu­la­tion et publi­ci­té durable

Alain Jup­pé, un des plus fer­vents pro­tec­teurs de Dar­win, nous met sur la voie : « Ce ne sont pas sim­ple­ment de doux rêveurs, ce sont des entre­pre­neurs qui inves­tissent leur argent. » Ain­si Phi­lippe Las­salle Saint-Jean. Cet agro-indus­triel qui a flai­ré les belles recettes pro­mises par le bio est l’un des barons de Dar­win. Saviez-vous que le res­tau­rant et l’épicerie de Dar­win sont tenus par ce membre du Medef, pré­sident du Club d’entreprises de la rive droite (CE2R), membre asso­cié de la Chambre de com­merce et d’industrie de Bor­deaux, entre autres res­pon­sa­bi­li­tés ? Dar­win lui donne l’occasion d’écouler à prix d’or de la bouffe en série sous label éco­lo. Ain­si, le visi­teur ren­contre dès l’entrée ce « lieu rem­pli du charme de la récup »… qui n’est autre qu’un super­mar­ché. Ses allures de squat camouflent avec peine les rayon­nages bio d’un Leclerc : tou­chant hom­mage, sans doute, aux ori­gines fami­liales de Phi­lippe Barre, inves­tis­seur en chef.

Saviez-vous que les patrons de Dar­win, Phi­lippe Barre et Jean-Marc Gan­cille, sont les piliers his­to­riques d’Inoxia (filiale d’Evolution, alias Dar­win), une agence de publi­ci­té au chiffre d’affaires annuel à six zéros ? Enga­gée dans le déve­lop­pe­ment durable, spé­cia­li­sée dans « la tran­si­tion éco­lo­gique de la socié­té », Inoxia se charge de ver­dir l’enseigne de pro­jets éco­lo­gi­que­ment et socia­le­ment nocifs. Elle compte de fameux béton­neurs par­mi ses clients (dont Bouygues Immo­bi­lier) et diverses chaînes com­mer­ciales. Sans oublier Eur­at­lan­tique, cette gigan­tesque opé­ra­tion d’aménagement urbain qui remo­dèle 730 hec­tares au sud de la métro­pole de Bor­deaux pour le plus grand pro­fit des tech­no­crates et des spé­cu­la­teurs… Arché­type du green­wa­shing, Dar­win se gave en don­nant une allure « durable » à la liqui­da­tion du monde. 

Inoxia se pro­longe donc avec Dar­win sui­vant une recette qui rap­porte : un habillage vert sur mesure pour cou­vrir l’habituel fonds de com­merce du mer­chan­di­sing le plus créa­tif. En la matière, Dar­win ajoute la spé­cu­la­tion immo­bi­lière à la gabe­gie publi­ci­taire. Mais « on n’est pas dans l’hyper-spéculation », fan­fa­ron­nait Phi­lippe Barre en 2015. Belle façon d’admettre qu’il s’agit de spé­cu­la­tion ordi­naire. Car Dar­win ne cesse de s’étendre, au gré des oppor­tu­ni­tés, for­cé­ment pris dans la logique du sys­tème capi­ta­liste où il nage comme un pois­son dans l’eau…

Dar­win : desi­gn ten­dance, façon café groo­vy de Cali­for­nie, où les éco­ci­toyens modèles peuvent pas­ser du bon temps (payant), l’é­co-conscience tran­quille. Rien de tout cela n’est véri­ta­ble­ment éco­lo­gique. Rien de tout cela ne par­ti­cipe à rendre la civi­li­sa­tion indus­trielle plus éco­lo­gique, bien évidemment.

Un éco­ba­ra­tin de margoulins

For­més dans les meilleures écoles de com­mu­ni­ca­tion et de com­merce, les dar­wi­niens, éco­ba­ra­ti­neurs de talent, réa­lisent à Bor­deaux le grand œuvre de l’alchimie éco­no­mique post-désastre : trans­mu­ter des entre­pre­neurs ultra­li­bé­raux en mili­tants éco­lo. Chaque inves­tis­se­ment immo­bi­lier de Dar­win est habillé d’une bonne cause. Lorsqu’ils rachètent la guin­guette Chez Alriq, il s’agit de sau­ver de la faillite une entre­prise fami­liale. Quand ils inves­tissent dans Les Chan­tiers de la Garonne, c’est pour fon­der un « lieu alter­na­tif ». Quand Dar­win colo­nise Cenon, c’est évi­dem­ment pour déve­lop­per « l’agriculture urbaine ». Quand ils déposent un per­mis de construire à Saint-Vincent-de-Paul, c’est bien sûr pour fon­der un « vil­lage en tran­si­tion » et refour­guer du bio indus­triel. Etc. Et la Gironde ne suf­fit plus aux appé­tits de nos éco-indus­triels : les friches que Dar­win cherche à rache­ter sur l’île du Ramier à Tou­louse sont pro­mises à un « tiers-lieu » consa­cré à la vie étu­diante… L’essentiel, disent les mar­gou­lins de Dar­win, c’est de « racon­ter une his­toire ras­sem­bleuse, [de] faire rêver ». Le degré de véri­té d’une telle his­toire importe peu. Ils plongent le « public » dans un fatras de contra­dic­tions, dans une phra­séo­lo­gie attrape-tout, où cha­cun trou­ve­ra ce qu’il veut entendre.

Dar­win cultive ain­si l’art de faire pas­ser le tech­no­ca­pi­ta­lisme avec de la vase­line éco­lo­gique. Lorsque leur expan­sion est mena­cée par d’autres chas­seurs de friches, les dar­wi­niens ins­tru­men­ta­lisent des asso­cia­tions qu’ils envoient squat­ter en pre­mière ligne et en appellent à la « socié­té civile » avec comi­té de sou­tien et péti­tion. Dénués de scru­pules, ces mil­lion­naires excellent dans la pos­ture de vic­times en pro­met­tant « un urba­nisme dif­fé­rent, fou­traque et alter­na­tif », qu’on leur refu­se­rait, et menacent même de mon­ter une ZAD pour faire cou­ler du béton, leur béton… Squat­tez, signez, sou­te­nez, indi­gnez-vous ! La crois­sance du patri­moine immo­bi­lier Dar­win est aus­si votre affaire ! Ses béné­fi­ciaires vous remer­cient bien !

Dar­win ren­ta­bi­lise ses locaux en louant des bureaux à des entre­prises. Mais atten­tion ! des entre­prises triées sur le volet : « On sélec­tionne les occu­pants, il faut qu’ils aient la fibre coopé­ra­tive et éco­lo. Un gars qui fait de la ges­tion de patri­moine n’a rien à faire ici », pré­tend Barre. On trouve pour­tant des pro­mo­teurs immo­bi­liers spé­cia­li­sés dans le « conseil d’affaires et dans le conseil de ges­tion », comme Novaxia, sans comp­ter la néces­saire ges­tion des affaires immo­bi­lières de Dar­win soi-même. À se deman­der pour­quoi, sui­vant l’éthique prô­née par Barre, Dar­win loge encore à Dar­win… Une anec­dote illus­tre­ra au mieux la saine morale des dar­wi­niens. Par­tis dra­guer dans les milieux radi­caux en 2016, Barre et Gan­cille avaient ral­lié quelques zadistes qui s’opposaient à un pro­jet de golf immo­bi­lier à Villenave‑d’Ornon afin de sau­ver les der­nières terres agri­coles et une zone natu­relle clas­sée aux portes de Bor­deaux. Belle prise « alter­na­tive » ! En récom­pense de leur com­pro­mis­sion, les­dits zadistes dis­po­sèrent de quelques minutes de parole dans une salle oppor­tu­né­ment vidée durant la pause de midi. Plus tard, des rabat-joie révé­lèrent que Dar­win héber­geait la socié­té Over­drive, maître d’œuvre de ce même pro­jet immo­bi­lier, à ce jour le plus éco­lo­gi­que­ment des­truc­teur de la métro­pole… Réac­tion éhon­tée du baron Gan­cille : « Com­ment pen­sez-vous qu’on puisse suivre les pro­jets des presque 300 orga­ni­sa­tions qui sont héber­gées chez nous ? Pen­sez-vous qu’on puisse déci­der des choix de cha­cun de nos loca­taires ? Et selon les cri­tères édic­tés par qui ? » Bref, busi­ness is busi­ness. À ce jour, Over­drive est tou­jours logée à Dar­win, un bailleur fina­le­ment pas plus regar­dant que d’autres.

Par­mi ces quelque 300 entre­prises loca­taires à Dar­win, busi­ness deve­lop­pers et experts en mar­ke­ting côtoient une arma­da de pro­mo­teurs du numé­rique et du com­merce en ligne. Dar­win pré­tend avoir créé plus de 1000  emplois, mais garde le silence sur le fait que ces indi­vi­dus qui œuvrent à l’automatisation du tra­vail humain en réduisent des mil­liers d’autres à l’inutilité. Ce n’est pas un hasard si Dar­win a accueilli cha­leu­reu­se­ment les Bor­deaux Fin­tech (« tech­no­lo­gies de la finance » en nov­langue), un évé­ne­ment natio­nal de véné­ra­tion des tech­no­lo­gies numé­riques appli­quées à la spé­cu­la­tion finan­cière où l’on ven­dait sans honte, par exemple, des algo­rithmes capables d’évaluer à dis­tance et en moins de quinze secondes la sol­va­bi­li­té d’un emprun­teur. Vou­lez-vous du « lien social » ? Dar­win en tisse au kilomètre.

Chaque année, Dar­win fait peau neuve grâce à son fes­ti­val Cli­max, paran­gon du libé­ra­lisme cultu­rel, avec têtes d’affiche inter­na­tio­nales et musique tech­no pour une débauche de déci­bels, où nos éco­ca­pi­ta­listes font montre de leur indu­bi­table talent de pro­mo­teurs de spec­tacles. Bien évi­dem­ment tra­ves­ti en « éco­mo­bi­li­sa­tion incon­tour­nable de la ren­trée », Cli­max invite quelques pan­tins de l’écologie offi­cielle pour dire la messe. Vitrine de l’économie cir­cu­laire, Dar­win montre cette année l’exemple en recy­clant, outre le pré­re­trai­té José Bové, Nico­las Hulot et sa fon­da­tion, vieille cliente de l’agence de publi­ci­té Inoxia de Barre et géné­reu­se­ment spon­so­ri­sée par le nucléa­riste EDF. Sou­te­nus par le nui­sible groupe agro-indus­triel Sofi­pro­téol-Avril, nul doute que le désor­mais ministre d’État et ses employés trou­ve­ront le mot juste et l’indépendance requise pour dis­cou­rir sur l’alimentation, le thème du fes­ti­val de cette année. Grâce à Dar­win, les fleu­rons du can­cer indus­triel fran­çais s’adresseront direc­te­ment à vous !

Dar­win doit être par­tout, tout le temps, quand ça rap­porte, en fric ou en image de marque (c’est équi­valent). À Bor­deaux, Cli­max s’intègre dans l’opération de com­mu­ni­ca­tion cyni­que­ment nom­mée « Pay­sages » qui vise à célé­brer pen­dant quatre mois la ligne à grande vitesse Paris-Bor­deaux, laquelle a irré­mé­dia­ble­ment bala­fré la cam­pagne et trans­for­mé la ville en ban­lieue chic de Paris. Aux pre­mières loges des nui­sances, les rive­rains de la LGV peuvent témoi­gner de ce que les dar­wi­niens entendent par « sobrié­té éner­gé­tique, inclu­sion sociale, dépla­ce­ments doux, consom­ma­tion responsable ».

La construc­tion de la LGV.

« Able to adapt »… au désastre

Dar­win doit d’abord être jugé sur ses actes, à com­pa­rer ensuite aux dis­cours tenus par ses pro­mo­teurs afin de mesu­rer leur niveau de dupli­ci­té. Gan­cille lui-même nous y encou­rage : « Le mar­ke­ting bien uti­li­sé, c’est-à-dire quand il y a de la cohé­rence entre le fond et la forme, est utile. » Après cinq années d’un dif­fi­cile grand écart entre le « fond » et la « forme », Dar­win traîne déjà une belle série de cas­se­roles qui effi­lochent sa « fibre éco­lo » et révèlent sa véri­table nature. Le suc­cès de Dar­win repose sur le faux-sem­blant d’une vie col­lec­tive : ses concep­teurs nous vendent le sub­sti­tut d’une exis­tence poli­tique dont se trouve pri­vé chaque indi­vi­du noyé dans la masse de la conur­ba­tion bor­de­laise. Notre socié­té man­que­rait-elle de grands récits, de croyances, pour conti­nuer sa course mor­ti­fère ? Vous trou­ve­rez ce qu’il faut à Dar­win… On s’y abreuve de belles paroles, on débat un peu, on ritua­lise quelque « éco­geste », on « com­mu­nie » dans la per­pé­tuelle « tran­si­tion », etc., mais jamais la moindre déci­sion démo­cra­tique ne s’est prise à Dar­win ! Évi­dem­ment, car le bluff Dar­win ne vise que le pro­fit de quelques-uns. Les dar­wi­niens jettent le voile sur cette évi­dence en se gar­ga­ri­sant d’une « approche de bot­tom up », de « copro­duc­tion », « plus hori­zon­tale », pour mieux dis­si­mu­ler qui, des inves­tis­seurs ou des « usa­gers », aura le der­nier mot.

Il est déso­lant de nous obser­ver, métro­po­li­tains natu­rel­le­ment angois­sés par la catas­trophe en cours, par­tir quê­ter un ersatz de bonne conscience auprès de ceux-là mêmes qui pro­voquent cette catas­trophe, l’entretiennent et s’en nour­rissent. Ne pen­sez-vous pas qu’il y aurait bien mieux à faire que s’attrouper dans la caserne de ces busi­ness angels ? Ils sont nos nou­veaux maîtres, digne relève de la vieille garde qui se retire en lais­sant un champ de ruines. Faux rebelles, ils accé­lèrent le refa­çon­nage du monde à la conve­nance d’une mino­ri­té et le les­si­vage de la conscience poli­tique des foules. Si cer­tains jugent encore que Dar­win, « c’est tou­jours mieux que rien », nous pen­sons au contraire que Dar­win annonce le pire avec son slo­gan pla­car­dé dans le doux dia­lecte des busi­ness schools : « Able to adapt ». S’adapter ? Mais adap­ter qui, et à quoi ?

Dar­win, agent de la ville totale

On trouve en effet, à Dar­win, les deux caté­go­ries en deve­nir qui peuplent une métro­pole : les accu­mu­lants (les habi­tés) et les accu­mu­lés (les habi­tants). Les pre­miers, spé­cu­la­teurs en chef ou jeunes requins des start-up, avant-garde ultra-connec­tée du capi­ta­lisme débri­dé, vivent au tra­vail soixante heures par semaine dans une atmo­sphère évi­dem­ment cool, tou­jours convi­viale, et vont pas­ser leur reste de temps dans des réserves. Les pauvres de tou­jours, les accu­mu­lés métro­po­li­tains, atteignent quant à eux au stade ultime de la dépos­ses­sion. Jusqu’à nos temps aug­men­tés, ils vivaient par­fois dans la péri­phé­rie des villes où ils fabri­quaient eux-mêmes leurs gîtes avec tout ce qu’ils pou­vaient récu­pé­rer. Dans ces bidon­villes de l’aube des temps modernes, ils régnaient : royau­té de misère mais royau­té tout de même. Sens du pro­grès aidant, ils ont main­te­nant à dis­po­si­tion des endroits pour eux, pen­sés, ratio­na­li­sés, inté­grés à la ville totale. Ils y ont per­du toute liber­té. Ils cuisent donc l’été dans des boîtes en plas­tique (les « tétro­dons ») où Dar­win daigne les loger et sont réduits à culti­ver des légumes « hors sol » ou sur des terres géné­reu­se­ment enri­chies en divers pol­luants par un siècle d’activité mili­taire. Et c’est Dar­win qui nous aide à pen­ser posi­ti­ve­ment ces condi­tions de « tétro­don­villes » modernes que pro­met une concen­tra­tion urbaine tou­jours plus inte­nable ; à tenir sa place dans une huma­ni­té à deux vitesses dont la métro­pole est l’incubateur.

S’adapter, c’est d’abord accep­ter son rôle de rouage dans le monde-machine. La « ville du XXIe siècle » en offre le pro­to­type et Dar­win s’impose comme il est dit en « véri­table labo­ra­toire ». Jamais avares de contra­dic­tions, ces maqui­gnons qua­li­fient de « mirage » la « smart city hyper­tech­no­lo­gique » tout en l’expérimentant chez eux sans le moindre scru­pule. Afin de mesu­rer fine­ment les com­por­te­ments de ses loca­taires, le bailleur Dar­win a déve­lop­pé une inter­face numé­rique « intel­li­gente » qui « per­met de res­ti­tuer en toute trans­pa­rence et en temps réel les impacts éco­lo­giques de la vie sur le site : consom­ma­tions de fluides, pro­duc­tions de déchets et taux de recy­clage, éco­no­mies d’eau […], consom­ma­tion ali­men­taire et part du bio/local […], émis­sions conso­li­dées de ges poste par poste… Cette vision glo­bale des impacts est ren­due pos­sible par un cou­plage de l’interface à la GTB (ordi­na­teur cen­tral du bâti­ment), à une infra­struc­ture de cap­teurs ». Même le nombre de cafés ven­dus est comp­ta­bi­li­sé chaque mois sur Inter­net. Un clic et vous voi­là relié à l’« ordi­na­teur cen­tral » de Big Dar­win. Les dar­wi­niens bana­lisent la sur­veillance élec­tro­nique des foules. Lors de leur fes­ti­val, ils contrôlent ain­si les allées et venues des par­ti­ci­pants – et sur­tout leur porte-mon­naie – en leur col­lant une puce élec­tro­nique. En 2016, ils avaient pous­sé le cynisme jusqu’à leur faire applau­dir, iden­ti­té élec­tro­nique au poi­gnet, une ode à la liber­té enton­née par le sénile Edgar Morin, sans doute venu à Dar­win pour « huma­ni­ser le trans­hu­ma­nisme », comme il en appe­lait dans un papier du Monde.

On le voit, les dar­wi­niens recyclent à tour de bras les élé­ments du lan­gage éco­lo-citoyen, voire « éco­lo-radi­cal ». Mais le seul aspect du sys­tème actuel qu’ils se gardent bien de contes­ter s’avère des plus déci­sifs : l’invasion tech­no­lo­gique indé­fi­nie dont ils sont les chantres infa­ti­gables. Ils ont beau bran­dir quelques gris-gris à la mode (sobrié­té, low tech, etc.), ils pro­jettent bien d’établir un « labo­ra­toire digi­tal pour le ter­ri­toire » visant à « uti­li­ser le numé­rique comme moyen, comme source d’efficacité, comme enri­chis­se­ment de nos ate­liers de fabri­ca­tion clas­sique ». Dans la caserne, ce sera l’affaire du lieu­te­nant Auré­lien Gau­che­rand, ancien busi­ness ana­lyst char­gé à la fois (ce qui en dit long) de la « vie asso­cia­tive » et de « l’innovation digi­tale ». Au-delà de la nature par­fai­te­ment insou­te­nable de la pro­duc­tion numé­rique (qu’ils aillent donc s’installer près d’un sous-trai­tant d’Apple en Chine, où sont fabri­qués leurs gad­gets), c’est la nature cen­tra­li­sa­trice de ce tech­no-pou­voir que nous devons contes­ter. À l’ère du big data, qui amasse les don­nées détient ce pou­voir que maté­ria­lisent les objets connec­tés, puces, cap­teurs qui pul­lulent à Dar­win. Ce pou­voir, qui s’infiltre et se mêle tou­jours plus inti­me­ment à nos exis­tences, s’oppose à toute éco­lo­gie véri­table. En pré­pa­rant la « ville de demain », Dar­win coule ses usa­gers dans le béton du milieu tech­ni­cien. Et ceux-là s’y pré­ci­pitent, croyant y trou­ver une issue éco­lo­gique. Cette année encore, afin de faire tour­ner leur Cli­max, des béné­voles affluent par cen­taines pour s’« éco-mobi­li­ser » : tou­jours ça d’éco-nomisé en charges sala­riales, se disent nos heu­reux comptables…

Les dar­wi­niens sont blancs comme neige, ils incarnent néces­sai­re­ment le Bien. Qui se risque désor­mais à cri­ti­quer Dar­win, à se mettre en tra­vers de sa crois­sance, passe pour un dan­ge­reux irres­pon­sable, un réac­tion­naire aveugle devant l’« urgence éco­lo­gique », ou un irréa­liste qui manque sim­ple­ment de « prag­ma­tisme ». « Pirates », « hackers », ils peuvent donc tout se per­mettre et le reven­diquent : « Gagner du temps (et de l’argent) sans plus attendre sur les auto­ri­sa­tions et les sub­ven­tions. Déci­der de faire, sans per­mis si néces­saire. » Tout est per­mis, plus de comptes à rendre à la socié­té, car la socié­té c’est eux. Pupilles de l’idéologie liber­ta­rienne, ils incarnent le renou­veau éco­lo­gique du capi­ta­lisme que pré­di­sait Ber­nard Charbonneau :

« Un beau jour, le pou­voir sera bien contraint de pra­ti­quer l’écologie. Une pros­pec­tive sans illu­sion peut mener à pen­ser que, sauf catas­trophe, le virage éco­lo­gique ne sera pas le fait d’une oppo­si­tion très mino­ri­taire, dépour­vue de moyens, mais de la bour­geoi­sie diri­geante, le jour où elle ne pour­ra faire autre­ment. Ce seront les divers res­pon­sables de la ruine de la terre qui orga­ni­se­ront le sau­ve­tage du peu qui en res­te­ra, et qui après l’abondance gére­ront la pénu­rie et la sur­vie. Car ceux-là n’ont aucun pré­ju­gé, ils ne croient pas plus au déve­lop­pe­ment qu’à l’écologie ; ils ne croient qu’au pou­voir, qui est celui de faire ce qui ne peut être fait autre­ment. »

Jup­pé, lors d’une visite à Darwin.

Que la vraie fête commence

Ces tech­no­bour­geois n’ont à offrir que l’adaptation au désastre qu’ils causent. Dar­win nous donne à voir par anti­ci­pa­tion cette éco­lo­gie de caserne qui se réa­li­se­ra au béné­fice d’une petite mino­ri­té et au détri­ment de la liber­té de tous. Mais il n’y a pas de fata­li­té : qui refuse de s’adapter à leur monde pour­ra s’attaquer à la source du désastre, afin de les faire tom­ber, eux et leur sys­tème. Seule la sor­tie du capi­ta­lisme tech­no­lo­gique inter­rom­pra une logique tota­li­taire où nos vies sont réduites aux ter­mi­naux de quelque ordi­na­teur cen­tral. Voi­là bien un pro­jet à hau­teur d’homme, autre­ment plus enthou­sias­mant que deve­nir cet éco­ci­toyen pucé, tech­no­so­cia­li­sé et ultra­con­nec­té façon­né par Darwin.

Com­men­çons par déser­ter l’illusion tech­no­to­ta­li­taire des publi­ci­taires et des spé­cu­la­teurs de Dar­win et d’ailleurs, ces­sons de croire en ces offres com­mer­ciales maquillées en pro­phé­ties « éco­res­pon­sables ». Nous, simples humains, n’avons jamais eu besoin des experts en mar­ke­ting ni de leurs illu­sions vir­tuelles pour nous édu­quer, nous ras­sem­bler et déci­der de l’avenir à don­ner aux lieux où nous vivons.

Hors de nos consciences qu’ils veulent régenter !

Hors de nos villes qu’ils pré­tendent réinventer !

Refu­sons de dan­ser au rythme de leur musique et repre­nons, avec notre liber­té, le cours de cette aven­ture humaine qui nous attend toujours.

Des oppo­sants à l’incarcération technologique
Bor­deaux, le 7 sep­tembre 2017


Source : https://lesamisdebartleby.wordpress.com/2017/09/09/lecobusiness-de-darwin-leur-evolution-et-la-notre/

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  1. Bra­vo pour votre luci­di­té… et la qua­li­té du verbe !

    Il y a peu, j’é­cri­vais dans un com­men­taire pos­té sur un autre site, que le plus redou­table dans le sys­tème capi­ta­liste, est sa capa­ci­té à TOUT récupérer…

    on en a une nou­velle démons­tra­tion avec l’écologie… 

    rai­son pour laquelle je pense que ce sys­tème sera sans doute impos­sible à ren­ver­ser et qu’il fini­ra par som­brer, nous entraî­nant mal­gré nous avec lui…

  2. Ter­rible, cette pho­to de la LGV.
    Et celle d’A­lain Jup­pé buvant dans une eco­cup une bière bio à Dar­win, accom­pa­gné de la tech­no­fu­rieuse Vir­gi­nie Cal­mels, vaut tous les discours !
    Mer­ci de par­ta­ger ce pam­phlet, et d’a­voir croi­sé le fer contre ce pauvre Gan­cille, si vite désarmé…

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