L’Islande est un désastre écologique, contrairement à ce qu’affirme Arte (par Nicolas Casaux)

« Les îles du futur : Islande, un para­dis vert à la croi­sée des che­mins ». C’est le titre d’un docu­men­taire réa­li­sé par Daniel Mün­ter, sor­ti en 2015 et régu­liè­re­ment dif­fu­sé par la chaîne Arte, qui s’inscrit dans la longue série des docu­men­taires visant à pro­mou­voir le mythe d’une socié­té indus­trielle éco­lo­gique. Ma cri­tique sera brève. Il s’agit d’un men­songe gro­tesque. Le foyer islan­dais moyen émet bien plus[1] de CO2 (10,4 tCO2eq) que le foyer fran­çais moyen (7,4 tCO2eq). Et si c’est le cas, c’est parce que le cal­cul de ces émis­sions prend en compte les impor­ta­tions (pro­duits fabri­qués à l’étranger pour répondre à notre demande inté­rieure) et l’ensemble du cycle de vie (pro­duc­tion, fabri­ca­tion, trans­port, consom­ma­tion…). Les impor­ta­tions de biens de consom­ma­tion des Islan­dais, en rai­son de leur éloi­gne­ment géo­gra­phique, sont très émet­trices de gaz à effet de serre. Elles comptent pour 71 % de leurs émis­sions de CO2.

Oui, l’élec­tri­ci­té qu’utilisent les Islan­dais pro­vient prin­ci­pa­le­ment de la géo­ther­mie et des bar­rages. Mais non, ce n’est pas éco­lo­gique. D’abord parce que la construc­tion de l’infrastructure néces­saire à la pro­duc­tion d’électricité géo­ther­mique n’est pas éco­lo­gique. De même que les bar­rages nuisent par­ti­cu­liè­re­ment aux éco­sys­tèmes dans les­quels ils sont implan­tés (ce qui est très expli­ci­te­ment expo­sé dans le repor­tage dif­fu­sé par Arte). Ensuite parce que l’utilisation de cette élec­tri­ci­té pas vrai­ment « verte », qui ali­mente des appa­reils et des machines dont la pro­duc­tion et l’utilisation sont tout sauf éco­lo­giques, ne doit donc pas non plus être consi­dé­rée comme éco­lo­gique. En Islande comme ailleurs, et même plus qu’ailleurs, on uti­lise des smart­phones, des ordi­na­teurs, des télé­vi­sions, et toute la pano­plie des gad­gets élec­tro-infor­ma­tiques modernes. Gad­gets dont l’importation, en plus de la pro­duc­tion et de l’utilisation, n’est pas éco­lo­gique (l’impact envi­ron­ne­men­tal de l’industrie des trans­ports mari­times est désastreux).

Gad­gets qui, en outre, et au même titre que la high-tech en géné­ral, dépendent d’une orga­ni­sa­tion sociale intrin­sè­que­ment anti­dé­mo­cra­tique, celle de la civi­li­sa­tion indus­trielle, qui requiert une impor­tante stra­ti­fi­ca­tion sociale, notam­ment parce qu’elle néces­site une spé­cia­li­sa­tion très mar­quée (de l’ingénieur qui conçoit à l’ouvrier qui exécute).

D’ailleurs, si l’on se réfère à un autre indi­ca­teur (dont le cal­cul est plus que dis­cu­table, à cause de ce qu’il prend en compte, et sur­tout de ce qu’il ne prend pas en compte, c’est-à-dire qu’il s’a­git d’un indi­ca­teur qui sous-estime ce qu’il mesure), à savoir la fameuse « empreinte éco­lo­gique », on remarque que l’Islandais moyen uti­lise 6,84 gha (hec­tares glo­baux) contre 5,01 pour le Fran­çais moyen (une autre esti­ma­tion sug­gère que l’Is­lan­dais moyen uti­lise 12,7 gha, ce qui ferait de l’Is­lande un des pays les plus anti­éco­lo­giques du monde).

En plus de cela, l’Is­lande ne gère pas elle-même ses déchets. Les papiers et plas­tiques sont expor­tés res­pec­ti­ve­ment vers la Hol­lande et la Suède (prin­ci­pa­le­ment). Les métaux sont éga­le­ment expor­tés. Là encore, l’é­loi­gne­ment géo­gra­phique de l’île implique que l’empreinte éco­lo­gique du trans­port mari­time de ses déchets est très élevée.

L’Islande pro­duit beau­coup d’aluminium (11ème nation du monde dans le domaine), dans des fon­de­ries pour les­quelles elle a construit des bar­rages dans des zones sau­vages aupa­ra­vant rela­ti­ve­ment pré­ser­vées. La bauxite uti­li­sée par cette indus­trie de l’aluminium pro­vient de Gui­née ou d’Australie (là encore, au niveau du trans­port, on retrouve des pro­ces­sus mani­fes­te­ment anti-éco­lo­giques), où son extrac­tion implique toutes sortes de dom­mages environnementaux.

Dans un article de cour­rier inter­na­tio­nal, en date de 2011, on apprend que :

« En 2008, l’Islande a pro­duit envi­ron 870 000 tonnes d’aluminium, dont la qua­si-tota­li­té était des­ti­née à l’étranger. Cette année-là, les expor­ta­tions du métal ont dépas­sé celles des pro­duits de la pêche pour la pre­mière fois dans l’histoire du pays. L’Islande ne pro­duit pas de bauxite. Les métal­lur­gistes importent le mine­rai d’aluminium des États-Unis, d’Irlande et d’Australie. Mais l’activité des hauts-four­neaux per­met au pays, riche en rivières, chutes d’eau, sources chaudes et vol­cans, d’exploiter ses propres res­sources natu­relles en four­nis­sant aux forges de l’énergie hydrau­lique ou géo­ther­mique à des prix com­pé­ti­tifs. […] Pour ser­vir la plus grande fon­de­rie, ouverte en 2007 dans l’est du pays, l’État a construit une série de bar­rages et un immense réser­voir qui, redoutent les éco­lo­gistes, accé­lé­re­ra l’érosion des terres et sera dom­ma­geable aux popu­la­tions locales de cer­vi­dés et d’oies à bec court (Anser bra­chy­rhyn­chus) [la mère de la chan­teuse Björk, l’une des figures de proue de l’opposition contre l’industrie de l’aluminium, avait fait une grève de la faim pour ten­ter de blo­quer le projet]. »

Sur la ban­de­role est écrit : « La fon­de­rie d’aluminium engendre des mal­for­ma­tions congé­ni­tales, des can­cers et des défor­ma­tions des os » / Straum­svík, Islande, 2007.

Des pol­lu­tions aux métaux lourds et au soufre sont obser­vées aux envi­rons des fon­de­ries. Et, dans cer­taines zones indus­trielles du pays, les niveaux de pol­lu­tions esti­més sont du même ordre que ceux des régions les plus pol­luées de l’Europe de l’Est.

Par ailleurs, les Islan­dais roulent, aus­si éton­nant que cela puisse paraître, en voi­ture. Leurs voi­tures (impor­tées, dont la pro­duc­tion et le trans­port ne sont pas éco­lo­giques) fonc­tionnent grâce au pétrole (impor­té, pas super éco­lo non plus). D’ailleurs, l’association de l’île qui compte le plus de membres est… un club de pas­sion­nés de 4x4.

Les Islan­dais importent éga­le­ment une bonne par­tie de ce qu’ils mangent. Cli­mat et envi­ron­ne­ment obligent. L’Islande importe effec­ti­ve­ment la grande majo­ri­té de sa consom­ma­tion de fruits et de légumes (près de 70%), un phé­no­mène qui ne fait et qui ne va faire que croître, étant don­né que la consom­ma­tion de fruits et légumes par indi­vi­du aug­mente, et que la popu­la­tion elle-même augmente.

Katrín Jakobsdót­tir, l’ac­tuelle pre­mière ministre de l’Is­lande, recon­nait d’ailleurs que « si tout le monde vivait comme les Islan­dais, il nous fau­drait au moins six pla­nètes, voire plus ».

L’Islande est fina­le­ment un par­fait exemple d’une éco­no­mie inté­gra­le­ment pré­caire, tout sauf rési­liente, abso­lu­ment dépen­dante du com­merce mon­dia­li­sé. Le « man­ger local », s’il y a un jour été pos­sible, à une époque où ses habi­tants se nour­ris­saient des pro­duits de la mer, de l’élevage et des autres den­rées adap­tées au cli­mat islan­dais, est deve­nu impen­sable. Main­te­nant que, comme dans beau­coup d’endroits, les Islan­dais se sont habi­tués aux pro­duits d’importations tro­pi­caux (fruits, cacao, sucre, etc.), leur ali­men­ta­tion repose en grande par­tie sur l’agrobusiness inter­na­tio­nal. Leur dépen­dance à d’autres indus­tries par­ti­cu­liè­re­ment anti­éco­lo­giques (et anti­dé­mo­cra­tiques), comme toutes celles du domaine des high-tech, ain­si que leurs impor­ta­tions de com­bus­tibles fos­siles (pour leurs 4x4), finissent de faire de l’Islande un bel exemple de désastre envi­ron­ne­men­tal (et social).

La socié­té indus­trielle n’est pas viable et ne peut pas l’être. Elle ne peut pas être ren­due éco­lo­gique. Une socié­té éco­lo­gique (et démo­cra­tique) est néces­sai­re­ment une socié­té la plus auto­nome pos­sible et repo­sant sur des basses tech­no­lo­gies[2].

Nico­las Casaux

P.S. : Ces remarques à pro­pos de l’Islande et des Islan­dais sont aus­si valables pour la Suède et les Sué­dois, et pour le soi-disant modèle nor­dique en géné­ral. Qui est tout sauf un modèle. Ou alors un modèle néga­tif. Les pays du Nord incarnent pré­ci­sé­ment ce qui ne va pas dans la socié­té industrielle.


  1. https://english.hi.is/news/the_first_analysis_of_the_icelandic_consumption_based_carbon_footprint
  2. Voir : http://biosphere.ouvaton.org/vocabulaire/2769-techniques-dualisme-des-techniques

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    1. Parce que les émis­sions de CO2 d’un foyer dépendent en grande par­tie (70 % il me semble) de leur consom­ma­tion de biens. Si leurs habi­tudes de consom­ma­tion impliquent qu’ils achètent des objets impor­tés de très loin, leurs émis­sions de CO2 seront éle­vées. Je ne l’ai pas pré­ci­sé, effec­ti­ve­ment, je vais le faire.

  1. Mer­ci de cet éclairage.

    Sans chiffres à l’ap­pui pour étayer mon com­men­taire, je dirais que nous fai­sons face à des contra­dic­tions simi­laires en Nor­vège. Le « Green washing » bat son plein.

    Auriez-vous un source per­met­tant de com­pa­rer les CO2eq/habitant/pays.

  2. Comme sou­vent je trouve vos textes très per­ti­nent et intéressant.
    Tou­te­fois dans le cas de la Suède, et sauf erreur, il me semble qu’au moins au niveau de l’a­li­men­ta­tion des efforts sont fait pour être autonome.
    Des restes de la seconde guerre mon­diale, qui leur a appris, par la famine, que ne pas pro­duire de nour­ri­ture peut poser de gros problèmes…
    Dans les super­mar­chés on trouve donc beau­coup de pro­duit locaux (en tout cas qui y res­semble), et l’a­gri­cul­ture (qui n’est pas éco­lo­gique, on est d’ac­cord) y est « protégée ».
    Pour ce coté là, recherche d’au­to­no­mie ali­men­taire, on pour­rait s’ins­pi­rer de ce pays.

      1. Je peine à conce­voir une ali­men­ta­tion auto­nome à fort accent éco­lo­gique dans un pays du nord au XXI ème siècle, Lorialet.
        Comme on le sait — et Nico­las nous le rap­pelle ici — les végé­taux et les pro­duits trans­for­més ont pris une place impor­tante dans la consom­ma­tion (tous azimuts).
        La pro­duc­tion de viandes néces­site aus­si un capi­tal végé­tal, qui ne peut être entiè­re­ment four­ni par un pays froid.
        Faut pas res­ter assis sur des idées anciennes. Le monde bouge, le temps passe et cha­cun veut satis­faire ses dési­rs, les sué­dois ne sont pas en reste.

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