« Le progrès, dans notre monde, sera le progrès vers plus de souffrance. »
— George Orwell, 1984 (1949).
« Je doute que l’âge de l’acier soit supérieur à l’âge de pierre. »
— Gandhi, La Jeune Inde (Librairie Stock, Delamain, Boutelleau & Cie, 1924).
« Sans cesse le progrès, roue au double engrenage, fait marcher quelque chose en écrasant quelqu’un. »
— Victor Hugo, Les Contemplations (1856).
« Progrès dont on demande : “Où va-t-il ? que veut-il ?” Qui brise la jeunesse en fleur ! qui donne, en somme, Une âme à la machine et la retire à l’homme ! »
— Victor Hugo, Melancholia (1856).
« Il est encore une erreur fort à la mode, de laquelle je veux me garder comme de l’enfer. — Je veux parler de l’idée du progrès. Ce fanal obscur, invention du philosophisme actuel, breveté sans garantie de la Nature ou de la Divinité, cette lanterne moderne jette des ténèbres sur tous les objets de la connaissance ; la liberté s’évanouit, le châtiment disparaît. Qui veut y voir clair dans l’histoire doit avant tout éteindre ce fanal perfide. Cette idée grotesque, qui a fleuri sur le terrain pourri de la fatuité moderne, a déchargé chacun de son devoir, délivré toute âme de sa responsabilité, dégagé la volonté de tous les liens que lui imposait l’amour du beau : et les races amoindries, si cette navrante folie dure longtemps, s’endormiront sur l’oreiller de la fatalité dans le sommeil radoteur de la décrépitude. Cette infatuation est le diagnostic d’une décadence déjà trop visible.
Demandez à tout bon Français qui lit tous les jours son journal dans son estaminet ce qu’il entend par progrès, il répondra que c’est la vapeur, l’électricité et l’éclairage au gaz, miracles inconnus aux Romains, et que ces découvertes témoignent pleinement de notre supériorité sur les anciens ; tant il s’est fait de ténèbres dans ce malheureux cerveau et tant les choses de l’ordre matériel et de l’ordre spirituel s’y sont si bizarrement confondues ! Le pauvre homme est tellement américanisé par ses philosophes zoocrates et industriels qu’il a perdu la notion des différences qui caractérisent les phénomènes du monde physique et du monde moral, du naturel et du surnaturel.
Si une nation entend aujourd’hui la question morale dans un sens plus délicat qu’on ne l’entendait dans le siècle précédent, il y a progrès ; cela est clair. Si un artiste produit cette année une œuvre qui témoigne de plus de savoir ou de force imaginative qu’il n’en a montré l’année dernière, il est certain qu’il a progressé. Si les denrées sont aujourd’hui de meilleure qualité et à meilleur marché qu’elles n’étaient hier, c’est dans l’ordre matériel un progrès incontestable. Mais où est, je vous prie, la garantie du progrès pour le lendemain ? Car les disciples des philosophes de la vapeur et des allumettes chimiques l’entendent ainsi : le progrès ne leur apparaît que sous la forme d’une série indéfinie. Où est cette garantie ? Elle n’existe, dis-je, que dans votre crédulité et votre fatuité.
Je laisse de côté la question de savoir si, délicatisant l’humanité en proportion des jouissances nouvelles qu’il lui apporte, le progrès indéfini ne serait pas sa plus ingénieuse et sa plus cruelle torture ; si, procédant par une opiniâtre négation de lui-même, il ne serait pas un mode de suicide incessamment renouvelé, et si, enfermé dans le cercle de feu de la logique divine, il ne ressemblerait pas au scorpion qui se perce lui-même avec sa terrible queue, cet éternel desideratum qui fait son éternel désespoir ? »
— Charles Baudelaire, Curiosités esthétiques, Exposition universelle (1855).
« Je me demande pourquoi le progrès ressemble tant à la destruction. »
— John Steinbeck, Voyage avec Charley (Viking, 1962).
« Le progrès désigne le fait de se rapprocher de là où l’on voudrait aller. Ainsi, lorsque vous vous êtes trompé de chemin, continuer à avancer ne constitue pas un progrès. Si vous êtes sur le mauvais chemin, le progrès implique de faire demi-tour afin de retrouver le bon ; dans ce cas, la personne qui fait volte-face en premier est la plus progressiste. »
― C.S. Lewis, The Case for Christianity (1952).
« Il ne faut pas remonter loin à travers leurs pères pour retrouver celui qui a abandonné la charrue et qui est parti vers ce qu’il considérait comme le progrès. Au fond de son cœur, ce qu’il entendait se dire par ce mot entièrement dépouillé de sens, c’était la joie, la joie de vivre. Il s’en allait vers la joie de vivre. Le progrès pour lui c’était la joie de vivre. Et quel progrès peut exister s’il n’est pas la joie de vivre ? […]
La joie, nous n’y croyons plus, mais nous croyons au progrès. Nous ne pensons plus à la joie ; nous pensons au progrès. Déjà, personne ne vous promet plus que le progrès vous donnera la joie. On ne vous pousse plus à la poursuivre. On vous pousse à poursuivre je ne sais quelle artificielle grandeur. »
— Jean Giono, Lettre aux paysans sur la pauvreté et la paix (1938).
« Mais dans les forêts du centre de l’Inde et dans de nombreux endroits ruraux, une immense bataille prend place. Des millions de personnes sont expulsées de leurs terres par des entreprises minières, par des barrages, par des compagnies de construction d’infrastructures. Il s’agit d’êtres humains qui n’ont pas été cooptés par la culture de la consommation, par les notions occidentales de civilisation et de progrès. Et qui se battent pour leurs terres et leurs existences, qui refusent d’être spoliés pour que quelqu’un, quelque part, loin, puisse “progresser” à leurs dépens. […] Leur lutte est une lutte pour l’imagination, pour la redéfinition du sens de la civilisation, du bonheur, de l’épanouissement. […] Voilà pourquoi nous devons nous intéresser de près à ceux dont l’imaginaire est différent, à ceux dont l’imaginaire se situe en dehors du capitalisme, et même du communisme. Très bientôt, nous devrons admettre que ceux-là […], qui connaissent encore les secrets d’une existence soutenable, ne sont pas des reliques de notre passé, mais les guides vers notre futur. »
— Arundhati Roy, entretien avec Arun Gupta, The Guardian, 30 novembre 2011.
RÉACTIONNAIRE VS. PROGRESSISTE
Le mot « réactionnaire » serait apparu durant la révolution française comme un antonyme de « révolutionnaire ». Le terme désigne, au début du Directoire, en 1795, « les royalistes qui considèrent les institutions monarchiques supérieures à celles produites par la Révolution et contestent du même coup le régime républicain ».
Aujourd’hui, il est utilisé à tort et à travers par toutes sortes de gens, de gens de gauche, surtout, s’estimant « progressistes », afin de discréditer des individus ou des courants de pensée qui critiquent les temps présents et aspirent à restaurer certaines dispositions sociales ou politiques de quelque époque ou société antérieure. Le site du CNRTL définit le terme comme suit : « Opposé au changement ou qui cherche à restaurer le passé. » Ce qui est encore plus vague. Quoi qu’il en soit, sont désormais rangés en vrac dans la catégorie « réactionnaire » aussi bien Éric Zemmour et Marine Le Pen que des anarchoprimitivistes, des décroissants, des critiques de la technologie, etc.
On s’étonne d’ailleurs que le mouvement climat, cherchant à restaurer le taux de concentration de carbone dans l’atmosphère à son niveau préindustriel, ne soit pas lui aussi qualifié de réactionnaire. Il s’agit après tout d’une volonté de revenir en arrière (qui plus est à l’ère préindustrielle !), quand l’idéologie progressiste nous sommes de toujours aller de l’avant — demain étant nécessairement meilleur qu’aujourd’hui.
C’est-à-dire qu’au point où nous en sommes rendus du développement du désastre appelé « Progrès », il est assez étonnant (mais pas tant que ça en réalité) que les « progressistes » continuent de l’être, le progrès ayant été défini, dans la sphère politique grand public, comme ce projet de développement et d’expansion des « forces productives », de l’industrie, du système marchand, du machinisme, de la technologie, et le tout ayant pour effet — difficile de le nier aujourd’hui — de détruire le monde, d’incarcérer toujours plus intimement l’être humain, rendu toujours plus impuissant, toujours plus dépossédé de tout pouvoir sur la marche de ce fameux progrès qu’on n’arrête pas, dans un monde-machine omnicidaire.
Tous ceux qui, en leur temps, s’opposaient d’une manière ou d’une autre à la progression de ce désastre, étaient qualifiés de « réactionnaires ». Seulement toutes ces manières différentes de s’opposer à l’avancée dudit désastre ne se valaient pas. Ranger les luddites et les anarchistes naturiens dans le même sac, « réactionnaire », que des royalistes ou des féodalistes était absurde. Tout comme il est idiot, aujourd’hui, de dénigrer par principe tous ceux qui critiquent le présent et ne considèrent pas le passé comme un monolithe d’abjections.
Étant donné le merdier dans lequel on se trouve et son empirement constant, la religion du « progrès » devrait être discréditée depuis longtemps.
Tout ça pour dire que les progressistes ne sont pas toujours ceux qu’on croit, de même que les réactionnaires. Tout dépend de ce qu’on considère comme souhaitable, de notre définition du progrès, tout dépend de nos aspirations sociales, de nos visées, de nos objectifs sociaux et écologiques.
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Le mensonge du progrès
Il y a plus ou moins longtemps, en fonction des endroits du monde, la guerre ne rythmait pas l’existence de l’humanité[1]. Les inégalités étaient inexistantes ou très limitées. Nous vivions en groupes à taille humaine, relativement restreints. Certains s’adonnant davantage à la collecte, d’autres à la chasse, et d’autres à différentes formes d’horticulture, puis, également, d’élevage, et la plupart reposant sur un mélange de plusieurs de ces moyens de subsistance. La taille relativement restreinte de ces groupes humains garantissait une existence communautaire, c’est-à-dire solidaire. Les problèmes dentaires comme les caries étaient encore inconnus, nos mâchoires s’ajustaient parfaitement bord à bord. Nos os étaient bien plus solides et notre microbiome bien plus équilibré qu’aujourd’hui[2]. Notre espérance de vie atteignait 60 à 70 ans, ce qui nous offrait déjà une vie tout à fait décente[3]. Les rivières étaient propres, l’air était pur, les sols étaient sains. Les forêts abondaient, ainsi que les prairies naturelles. Et ce durant des centaines de milliers d’années. Et puis, en quelques décennies, ou siècles, ou millénaires tout au plus, selon les endroits, tout a changé. Il y a eu le progrès.
Ainsi que Robert Sapolsky le formule dans son livre Why Zebras Don’t Get Ulcers ? (non traduit, « Pourquoi les zèbres n’ont pas d’ulcères ? ») : « L’agriculture est une invention humaine assez récente et, à bien des égards, ce fut l’une des idées les plus stupides de tous les temps. Les chasseurs-cueilleurs pouvaient subsister grâce à des milliers d’aliments sauvages. L’agriculture a changé tout cela, créant une dépendance accablante à quelques dizaines d’aliments domestiqués, nous rendant vulnérables aux famines, aux invasions de sauterelles et aux épidémies de mildiou. L’agriculture a permis l’accumulation de ressources produites en surabondance et, inévitablement, l’accumulation inéquitable ; ainsi la société fut stratifiée et divisée en classes, et la pauvreté finalement inventée. »
Bien qu’il s’agisse d’une simplification — l’agriculture n’a pas immédiatement donné naissance à l’accumulation, à la propriété privée, à l’État, qui a pris son essor plusieurs milliers d’années après l’adoption de différentes formes d’agriculture par différents groupes humains — le schéma qu’il décrit demeure suffisamment juste.
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Il y a moins de 200 ans, l’archipel des Tokelau, situé au sud de l’océan Pacifique, grosso modo entre l’Australie et Hawaï, où des humains vivaient depuis plus de 1 000 ans, fut colonisé par des missionnaires chrétiens (catholiques et protestants). Jusque-là, ses habitants — de langue et culture polynésiennes — tiraient leur subsistance, entre autres, du poisson, de la noix de coco, de la banane, du taro, de l’arbre à pain et de la papaye. Ils étaient — évidemment — entièrement autosuffisants.
Les conclusions d’une expédition états-unienne ayant étudié sa population en 1841 sont reproduites dans un livre de 1992 intitulé Migration and Health in a Small Society : the Case of Tokelau (en français : « Migration et santé dans une petite société : le cas des Tokelau ») :
« Cette expédition conclut que les habitants qui y vivaient étaient beaux et en bonne santé. Ils semblaient prospérer grâce à leur “maigre régime” de poissons et de noix de coco, puisqu’aucune trace d’agriculture n’y était visible. Les gens des deux sexes étaient tatoués avec des formes géométriques, de tortues et de poissons. Les nombreux rapports et journaux de l’expédition donnent l’impression d’un peuple admirable, aimable (quoique prudent), paisible, ordonné et ingénieux. »
Seulement, au cours du XXème siècle, le mode de vie des habitants des atolls des Tokelau, devenus un État autonome de la Nouvelle-Zélande, changea drastiquement. Leur petit archipel fut intégré à la société industrielle planétaire par le biais du transport maritime et de l’installation d’un générateur au fuel sur l’île principale. Avec « l’adoption par les habitants des Tokelau d’un régime alimentaire plus occidental, la qualité de leur dentition déclina de manière dramatique. La nourriture riche en fibre, les noix de coco et les fruits à pain, fut graduellement remplacée par le sucre raffiné et la farine blanche, et en conséquence, dans la catégorie des 15–19 ans, l’incidence des caries dentaires fut multipliée par 8 (de 0–1 dent à 8 dents), tandis qu’elle quadruplait dans la catégorie des 35–44 ans (de 4 dents à 17 dents), et ce, en à peine 35 ans. »
Un reportage d’Arte sur les Tokelau nous apprend que, depuis quelques années, l’archipel possède sa propre centrale solaire. Pour cette raison, le reportage prétend que « les Tokelau sont devenues le premier territoire autonome grâce uniquement à l’énergie solaire ». Autonome ? Autonome en quoi ? Vis-à-vis de quoi ? Les panneaux solaires n’ont pas été fabriqués sur l’île. Ni les câbles, ni les batteries, etc. Et depuis que l’électricité solaire abonde dans l’archipel, tous les habitants possèdent, dans leurs maisons, des télévisions à écrans plats, des smartphones, des tablettes, des congélateurs et ont accès à internet. « Conséquence : les gens regardent plus la télévision, et pas seulement les enfants ; auparavant les générateurs étaient coupés le soir, à présent, les postes restent allumés presque tout le temps. » Ni les télévisions, ni les smartphones, ni les tablettes, ni les congélateurs, ni les routeurs Wi-Fi, etc., ne sont produits sur l’archipel. Et bien entendu, pour acheter tout ça, il faut de l’argent, un compte en banque, etc.
En outre, si leur alimentation ne dépendait autrefois que des ressources dont ils disposaient localement, elle dépend aujourd’hui de tout un tas de produits importés — ils cuisaient auparavant leurs plats dans des feuilles de bananier, aujourd’hui, progrès oblige, ils cuisent leurs plats dans des feuilles d’aluminium qui, elles, ne poussent pas dans les arbres ; ils importent également du riz, des sodas, de l’alcool et bien d’autres choses encore. « Désormais on ne peut plus se passer du papier aluminium dans la cuisine des mers du Sud ; autrefois, on enroulait les aliments dans des feuilles de bananier », nous apprend le documentaire d’Arte.
Le même documentaire nous révèle qu’aujourd’hui « le délit le plus fréquent est l’abus d’alcool chez les mineurs, ici l’âge légal pour en consommer est de 20 ans, mais en général, les jeunes commencent à boire dès 16 ans […] Au magasin du village, la bière est rationnée, il n’y a ni vin, ni alcool fort. » Le numéro 251 du magazine New Internationalist (un média à but non-lucratif, spécialisé dans les droits humains, la politique et la justice sociale et environnementale, qui existe depuis plus de 40 ans), en date de janvier 1994, nous informe, lui, que « l’alcoolisme est devenu commun sur l’archipel, de même que l’obésité ».
Et désormais, « quand le bateau ne passe pas, des produits vitaux [sic] viennent à manquer, comme les cannes à pêche, l’essence pour les hors-bords, le riz, sans oublier la bière des Samoa ». Produits qui, en réalité, et jusqu’à très récemment, n’avaient rien de vital pour les habitants.
Pire encore, comme si tout cela ne suffisait pas, pour ajouter au désastre qui frappe l’archipel, il se trouve que le poisson, une des principales ressources dont ils dépendaient autrefois, qui leur a permis de vivre en autosuffisance pendant des siècles, vient à manquer. Comme vous vous en doutez sûrement, il s’agit de la conséquence de la pêche industrielle qui s’est développée dans la région des Tokelau. Enfin, cerise sur le gâteau, la civilisation industrielle et son économie mondialisée, dont ils sont désormais entièrement dépendants, va, très certainement au cours de ce siècle, entraîner une élévation du niveau des océans qui submergera totalement leurs îles.
En résumé, une population qui vivait autrefois de la pêche et de la cueillette, qui était en très bonne santé, qui dépendait uniquement des ressources locales dont elle disposait, qui se passait très bien du plastique, des télévisions, des smartphones, d’internet, des feuilles d’aluminium, des congélateurs, du coca-cola, de l’alcool, des panneaux solaires photovoltaïques, etc., qui était réellement autonome, autosuffisante, a vu sa santé — physique et mentale — décliner au fur et à mesure qu’elle était rendue dépendante de toutes ces nuisances. Et la dépendance à la civilisation industrielle est appelée « autonomie » par les sectateurs du progrès technologique. Et leur plus importante ressource vitale est rapidement anéantie. Et leur archipel pourrait être engloutie au cours des prochaines décennies.
Ce schéma de destructions sociales, culturelles et écologiques n’a rien d’un cas isolé. Il s’est joué un peu partout sur Terre, et continue encore de se jouer. Certains — beaucoup, même, puisqu’il s’agit de la perspective dominante — y voient un « progrès ». Et parmi eux Steven Pinker, l’auteur préféré de Bill Gates.
Dans son livre La Part d’ange en nous, Pinker tente de montrer que la violence au sein des sociétés humaines a beaucoup et continuellement diminué au cours des derniers siècles. Pour cela, il définit la violence, mais aussi l’esclavage, de manière à ce que leurs définitions lui permettent d’appuyer l’idée qu’il tente de démontrer. Le salariat ne relève évidemment pas, selon lui, de l’esclavage. Ni d’une forme de violence imposée par une élite au reste de la population. Il se permet également de décrire la préhistoire comme une époque très violente en se basant sur une sélection d’éléments qu’il agence de manière à effectivement donner cette impression. Et pourtant, ainsi qu’une série documentaire récemment diffusée sur Arte l’expliquait très clairement, il est établi que la guerre est un phénomène relativement nouveau, né il y a quelques millénaires avec l’avènement de la civilisation[4], dont il est indissociable, et que la préhistoire était, selon l’ensemble des découvertes archéologiques, une époque plutôt pacifique[5].
Mais les faits importent peu pour cet écrivain adoré des médias de masse (son livre La Part d’ange en nous a été particulièrement promu et louangé par le New York Times, le Guardian, etc.). C’est d’ailleurs ce que montre un des meilleurs critiques des médias, Edward Herman, avec qui Noam Chomsky a co-écrit La fabrication du consentement, dans un livre intitulé Reality Denial : Steven Pinker’s Apologetics for Western-Imperial Violence (non traduit, malheureusement, « Déni de réalité : l’apologétique de Steven Pinker en faveur de la violence occidentale et impérialiste »), dans lequel il démolit méthodiquement les affabulations de Pinker (on espère de tout cœur, mais sans trop d’espoir, que les éditions Les Arènes, qui ont traduit le livre de Pinker, traduiront également le livre d’Edward Herman).
Steven Pinker fait partie de ceux qui, envers et contre tout, continuent de glorifier et de perpétuer le mythe du progrès, raison pour laquelle il est adoré des médias de masse et des ultrariches qui continuent, eux aussi, de vendre ce mythe sur lequel repose la (ou leur, ils en sont les principaux propriétaires) civilisation industrielle tout entière. Ce mythe qui suggère que la disparition de l’incroyable diversité culturelle qui sous-tendait une multitude de manières de vivre autosuffisantes, à taille humaine, saines, au profit de la formation d’une monoculture mondialisée, unifiée, standardisée, toujours plus high-tech, toujours plus aliénée, toujours plus malade, toujours plus destructrice, est une très bonne chose.
Et Pinker n’est pas seul. Loin de là. Devinez qui vante les mérites du livre du médecin suédois Hans Rosling intitulé Factfulness : Ten Reasons We’re Wrong About the World and Why Things Are Better Than You Think (non traduit, « La réalité des faits : Dix raisons pour lesquelles nous nous trompons et pourquoi en réalité les choses vont mieux que ce que vous croyez ») ? Bill Gates. Encore lui. Sur la couverture du livre d’Hans Rosling, on retrouve un mot du célèbre milliardaire expliquant que ce livre est « un des plus importants » qu’il a lus, « un guide indispensable pour bien comprendre le monde ». Tiens donc. Pourtant, la propagande d’Hans Rosling est encore plus absurde que celle de Pinker.
Selon lui, l’humanité va de mieux en mieux. Pourquoi ? Parce que notre espérance de vie augmente. Ainsi que je le rappelle plus haut, l’espérance de vie de nos lointains ancêtres était déjà largement correcte, contrairement à ce que suggère la diabolisation du passé sur laquelle repose l’idéologie dominante du progrès. En outre, l’espérance de vie en bonne santé a tendance à stagner ou à diminuer, au même titre, d’ailleurs, que l’espérance de vie tout court dans certains pays ces dernières années (en France et aux USA, par exemple). L’augmentation de l’espérance de vie est réelle mais loin d’être aussi importante que beaucoup le croient. Et quoi qu’il en soit, ainsi que Sénèque le remarquait déjà en son temps : « Pas un ne se demande s’il vit bien, mais s’il aura longtemps à vivre. Cependant tout le monde est maître de bien vivre ; nul, de vivre longtemps. » C’est pourquoi : « L’essentiel est une bonne et non une longue vie. » La qualité plutôt que la quantité.
Les laudateurs du Progrès affirment, de même, que les choses vont de mieux en mieux grâce aux vaccins. Le système technocapitaliste qu’ils exaltent génère en effet, grâce à son arsenal médical (qui comprend les vaccins), et outre une augmentation de l’espérance de vie, une diminution de la prévalence de certaines maladies infectieuses (polio, variole, etc.). Il s’agit encore une fois de critères quantitatifs. La diminution de la prévalence de ces maladies et l’augmentation de l’espérance de vie ne nous disent rien de la qualité de la vie des hommes. Or, le prix à payer, pour l’arsenal médical du système technocapitaliste, pour l’existence du système technocapitaliste dans son ensemble, c’est la dépossession de tous les êtres humains. C’est l’obligation de vendre notre activité vivante en échange d’un salaire, d’aliéner notre temps de vie pour de l’argent. C’est notre réduction au statut de ressources humaines. C’est la délégation forcée (autrement dit, le vol) de notre aptitude à participer directement à — et décider nous-mêmes de — l’organisation de la société dans laquelle nous vivons ; délégation contrainte aussi appelée, dans un bel oxymore, démocratie représentative.
Si l’humanité va mieux, selon Hans Rosling, c’est aussi parce que la scolarisation augmente. Bien évidemment, aux yeux de ceux qui ont été formés par l’institution scolaire, l’augmentation de la scolarisation est une bonne chose. Derrière cette croyance, on retrouve une idée selon laquelle avant l’invention de l’école, l’éducation n’existait pas : l’humanité errait en quelque sorte dans l’inconscience. On retrouve aussi une ignorance ou une acceptation du fait que pour les dirigeants étatiques le « but principal, dans l’établissement d’un corps enseignant », a toujours été « d’avoir un moyen de diriger les opinions politiques et morales », ainsi que l’écrivait Napoléon Bonaparte, un des pères de l’institution scolaire telle qu’elle existe aujourd’hui en France. En 1898, Elwood P. Cubberley, doyen de L’école d’enseignement et éducation à l’Université de Stanford, affirmait que :
« Nos écoles sont, dans un sens, des usines, dans lesquelles les matériaux bruts – les enfants – doivent être façonnés en produits… Les caractéristiques de fabrication répondent aux exigences de la civilisation du 20ème siècle, et il appartient à l’école de produire des élèves selon ses besoins spécifiques. »
La scolarisation est un des principaux outils grâce auxquels la société industrielle se perpétue, et grâce auxquels l’élite fabrique les sujets dont elle a besoin. Ainsi que le formule l’anthropologue de Yale, James C. Scott[6] :
« Une fois en place, l’État (nation) moderne a entrepris d’homogénéiser sa population et les pratiques vernaculaires du peuple, jugées déviantes. Presque partout, l’État a procédé à la fabrication d’une nation : la France s’est mise à créer des Français, l’Italie des Italiens, etc. »
Si l’éducation est un processus indissociable de et intrinsèque à l’existence humaine, la scolarisation marque seulement le début d’une méthode nuisible, industrielle et antidémocratique d’éducation. Une méthode qui a permis l’avènement du désastre socioécologique que nous pouvons tous constater, et qui permet sa continuation.
Hans Rosling affirme également que si l’humanité va de mieux en mieux, c’est parce que l’accès à l’électricité se propage. Comme nous l’avons vu dans le cas des Tokelau, et comme nous devrions le comprendre en observant notre époque, l’accès à l’électricité est davantage le signe de la disparition des cultures humaines autosuffisantes et démocratiques — ou, du moins, de ce qu’il restait de pratiques démocratiques — et de l’intégration de leurs populations à la société industrielle mondialisée, ce désastre socioécologique. La production industrielle d’électricité requiert une organisation sociale trop complexe et trop étendue pour être démocratique[7], et implique toujours de nombreuses nuisances et destructions pour le monde naturel. Dans l’objectif de parvenir à des sociétés humaines véritablement démocratiques, durables/soutenables et respectueuses du monde naturel, la production industrielle d’électricité et l’accès à l’électricité ne sont d’aucune aide, au contraire. Cette croyance selon laquelle l’accès à l’électricité est synonyme d’amélioration pour l’humanité repose elle aussi sur une perception très négative de notre passé. Comme si l’existence humaine, ces dernières centaines de milliers d’années, avait été pénible, désagréable, indésirable, jusqu’au début de la production industrielle d’électricité il y a environ un siècle. Aujourd’hui encore, quelques sociétés humaines souhaitant perpétuer leur mode de vie traditionnel, de subsistance, se battent contre l’industrialisation de l’existence qui se profile derrière l’accès à l’électricité. Ainsi des Arhuacos de Colombie, comme l’exprime Ati Quigua, une jeune autochtone de cette société des montagnes de la Sierra Nevada : « Nous nous battons pour ne pas avoir de routes et d’électricité — cette forme d’autodestruction qui est appelée développement, c’est précisément ce que nous essayons d’éviter. »
Mais il y a mieux. Dans son livre, Hans Rosling propose une liste de 16 indicateurs qui montrent que les choses vont de mieux en mieux, parmi lesquels on retrouve (et je n’invente rien) : l’augmentation du « nombre de nouveaux films réalisés par an » (11 000 nouveaux films en 2016 !) ; l’augmentation de la protection de la nature (« la part de la surface terrestre protégée au travers de parcs et autres réserves ») ; l’augmentation du « nombre de nouvelles chansons enregistrées par année » (6 210 002 en 2015 !) ; l’augmentation du « nombre d’articles scientifiques publiés par année » (2 550 000 en 2016 !) ; l’augmentation du rendement agricole à travers celle des « récoltes de céréales en milliers de kilogrammes par hectare » (4 en 2014 !) ; la propagation de la démocratie (la part de l’humanité qui vit en démocratie était apparemment de 1 % en 1816 contre 56 % en 2015) ; l’augmentation du « nombre d’espèces surveillées » (avec 87 967 espèces surveillées en 2017 !) ; l’augmentation du nombre d’individus qui possèdent un téléphone portable (0,0003 % de la population en 1980 contre 65 % de la population en 2017 !) ; l’augmentation du nombre de personnes qui utilisent internet (0 % en 1980 contre 48 % en 2017) ; et enfin, et surtout, l’augmentation du « nombre de guitares pour un million d’individus » (11 000 en 2014 !).
L’ironie étant, bien sûr, que plusieurs de ces indicateurs, loin de suggérer une amélioration de la condition humaine, témoignent au contraire de son abrutissement, de son asservissement toujours plus poussé au système technologique mondialisé. J’ai d’ailleurs été étonné qu’il ne mentionne pas l’augmentation du nombre de McDonald’s, de paires de chaussures Nike vendues par jour, d’heures passées à regarder des écrans, de télévisions par foyer (ou de foyers par télévision, c’est selon), de chaînes de télévision, etc. D’autre part, le recours à l’augmentation du nombre d’espèces surveillées comme un indicateur de l’amélioration de la situation force le respect. Il fallait y penser, et il fallait oser. Réussir à ne rien dire de l’extermination toujours plus étendue et rapide des espèces (anéanties à la cadence de 150 à 200 par jour selon l’ONU), mais suggérer que les choses vont de mieux en mieux parce que de plus en plus d’entre elles sont surveillées, c’est tout de même quelque chose.
En France, cocorico, nous avons, comme partout, notre part de zélateurs du progrès, dont un des plus à la mode, en ce moment, est le philosophe [sic] Michel Serres. Son livre — également très apprécié des médias de masse — C’était mieux avant ! colporte les mêmes âneries que ceux de Pinker et Rosling.
Ce qu’ils disent est simple : les conforts et les facilités qu’offre la société industrielle auraient amélioré l’existence humaine, la rendant plus désirable, plus agréable. Nous disons qu’il s’agit d’un mensonge grotesque, visant simplement à rationaliser le statu quo (il faut bien que les esclaves que nous sommes se satisfassent de leur sort, il faut bien nous persuader que tout cela n’est tout de même pas pour rien, que nous y gagnons).
Sur le plan écologique, le fait que la civilisation industrielle soit fondamentalement et incroyablement insoutenable, destructrice, qu’elle précipite un biocide planétaire qui finira immanquablement par entrainer sa propre autodestruction, devrait, à lui seul, suffire à le faire comprendre. Nous pourrions vous noyer sous les statistiques, produire des graphiques impressionnants pour chacune d’elles, mais contentons-nous de rappeler que la civilisation est en train de tout détruire. L’air, les eaux, le climat, les forêts, les prairies, les sols, les espèces vivantes, tout.
Sur le plan social, leur argumentaire repose sur les mystifications orwelliennes habituelles : nous vivrions actuellement en démocratie, la violence diminuerait, les conforts technologiques rendraient la vie meilleure, et ainsi de suite (la guerre c’est la paix, l’ignorance c’est la force…).
Malheureusement, nous ne vivons pas en démocratie[8]. Ce qu’écrivait B. Traven — l’auteur préféré d’Einstein — à propos de la liberté, est également vrai de la démocratie, les deux étant intrinsèquement liées : « Quand je vois une gigantesque statue de la liberté à l’entrée du port d’un grand pays, je n’ai pas besoin qu’on m’explique ce qu’il y a derrière. Si on se sent obligé de hurler : Nous sommes un peuple d’hommes libres !, c’est uniquement pour dissimuler le fait que la liberté est déjà fichue ou qu’elle a été tellement rognée par des centaines de milliers de lois, décrets, ordonnances, directives, règlements et coups de matraque qu’il ne reste plus, pour la revendiquer, que les vociférations, les fanfares et les déesses qui la représentent. »
La violence ne diminue pas, au contraire, elle revêt simplement des formes moins spectaculaires, mais ne cesse de s’étendre et d’envahir de nouveaux domaines de l’existence au sein de la civilisation industrielle. Pour faire simple, aujourd’hui, tout ce qui la constitue est le produit d’une ou plusieurs formes de violence — il suffit de considérer les objets que l’on utilise au quotidien pour le comprendre, tous sont fabriqués en usine grâce à l’exploitation d’autres êtres humains et à l’aide de matériaux arrachés à la planète d’une manière ou d’une autre, la plupart finiront par être des déchets qui nuiront au monde naturel, etc.
La technologie ne rend pas la vie meilleure, ainsi que le remarquaient Orwell : « La finalité ultime du progrès mécanique est donc d’aboutir à un monde entièrement automatisé — c’est-à-dire, peut-être, un monde peuplé d’automates. […] Mécanisez le monde à outrance, et partout où vous irez vous buterez sur une machine qui vous barrera toute possibilité de travail — c’est-à-dire de vie. […] Le progrès mécanique tend ainsi à laisser insatisfait le besoin d’effort et de création présent en l’homme. Il rend inutile, voire impossible, l’activité de l’œil et de la main. […] l’aboutissement logique du progrès mécanique est de réduire l’être humain à quelque chose qui tiendrait du cerveau enfermé dans un bocal » ; et Jaime Semprun (qui était d’ailleurs un des traducteurs d’Orwell) dans son excellent livre L’Abîme se repeuple : « Parmi les choses que les gens n’ont pas envie d’entendre, qu’ils ne veulent pas voir alors même qu’elles s’étalent sous leurs yeux, il y a celles-ci : que tous ces perfectionnements techniques, qui leur ont si bien simplifié la vie qu’il n’y reste presque plus rien de vivant, agencent quelque chose qui n’est déjà plus une civilisation ; que la barbarie jaillit comme de source de cette vie simplifiée, mécanisée, sans esprit […]. »
(Par souci de concision, et parce que je l’ai déjà fait ailleurs[9], je ne m’étendrai pas plus ici sur le détail de la catastrophe en cours. Je me contenterai de souligner un des derniers accomplissements du merveilleux progrès : nous, êtres humains, chions désormais du plastique[10].)
Cela dit, si, dans l’ensemble, la perspective des Pinker, Gates, Rosling, etc., est un mensonge, il est important de noter que le passé n’est pas non plus à considérer en bloc comme un éden disparu. Avant la consolidation de la civilisation industrielle mondialisée, il a existé toutes sortes de sociétés, plus ou moins populeuses, plus ou moins autoritaires, plus ou moins démocratiques, plus ou moins viables — il a existé d’autres civilisations[11], également insoutenables (destructrices du monde naturel), comme toutes les civilisations.
Mais le fait est que les choses ne vont pas de mieux en mieux, que la civilisation industrielle ne rend pas l’humain plus libre, ni plus heureux. Sauf à recourir à une définition absurde de la liberté et à confondre le bonheur avec cet indicateur de l’aliénation et de l’industrialisation de la vie qu’est l’IDH. Le fait est qu’il a existé des sociétés humaines heureuses et véritablement soutenables, et qu’il n’en reste presque plus. Le fait est que la dépression, et l’éventail toujours plus vaste de troubles psychologiques dont elle fait partie, et toutes les maladies dites « de civilisation », désormais épidémiques, et toutes sortes de violences et d’injustices à l’égard des femmes, des non-Blancs, de nombreuses minorités, et des humains et des non-humains en général, et l’aliénation qui découle d’une absence de démocratie, d’une organisation sociale autoritaire, sont autant de caractéristiques de la civilisation industrielle.
La prétention du Progrès est un mensonge qui devient plus grotesque et plus abject chaque seconde, à mesure que les problèmes sociaux et écologiques empirent et que cette monoculture, qui n’a jamais eu d’avenir, s’en rapproche inexorablement.
Nicolas Casaux
***
P.S. : Le dernier livre de Steven Pinker, Enlightenment Now, qui paraîtra en novembre aux éditions Les Arènes sous le titre « Le Triomphe des lumières », raconte, encore une fois, « que nous, êtres humains, ne nous sommes jamais aussi bien portés ». Et croyez-le ou pas mais, sur sa couverture, on retrouve une citation élogieuse de… notre cher Bill Gates, encore lui, qui affirme qu’il s’agit de son « nouveau livre préféré de tous les temps ». Les cons.
Notes
- https://www.monde-diplomatique.fr/2015/07/PATOU_MATHIS/53204 ↑
- https://partage-le.com/2017/09/une-breve-contre-histoire-du-progres-et-de-ses-effets-sur-la-sante-de-letre-humain/ ↑
- https://partage-le.com/2016/03/les-chasseurs-cueilleurs-beneficiaient-de-vies-longues-et-saines-rewild/ ↑
- https://partage-le.com/2018/08/aux-origines-des-civilisations-une-fiction-au-service-de-lelite-par-ana-minski/ ↑
- https://www.youtube.com/watch?v=144xKbgv8iI & https://www.youtube.com/watch?v=gLr_FDfZc_8 ↑
- https://partage-le.com/2015/01/la-standardisation-du-monde-james-c-scott/ ↑
- Cette question de la taille, cruciale, est entre autres discutée dans le livre Une question de taille d’Olivier Rey. ↑
- https://partage-le.com/2018/08/de-la-royaute-aux-democraties-modernes-un-continuum-antidemocratique-par-nicolas-casaux/ ↑
- Notamment ici : https://partage-le.com/2017/12/8414/ ↑
- https://www.lemonde.fr/pollution/article/2018/10/23/des-microplastiques-detectes-dans-les-excrements-humains_5373101_1652666.html ↑
- https://partage-le.com/2015/02/1084/ ↑
Bonjour Nicolas,
juste avant de lire cet article — en dégustant mon café matinal agrémenté d’une part de tatin — j’ai découvert le blog « avis de tempête, bulletin anarchiste pour la guerre sociale », partagé par une amie de Diaspora*.
Je tente de poser le lien ici pour les éventuels curieux.
Très bon article, comme souvent, qui fait réfléchir, comme toujours…
Même impression que dans d’autres billets néanmoins : une certaine idéalisation, dans le propos, des sociétés ou tribus de chasseurs-cueilleurs. Or ceux-ci ont aussi causé des ravages dans tous les écosystèmes terrestres au fur et à mesure de l’expansion d’Homo Sapiens. Je ne cache pas que je suis en train de lire « Sapiens » d’Harari 🙂 . Je cite : « Ne croyez pas les écolos qui prétendent que nos ancêtres vivaient en harmonie avec la nature. Bien avant la Révolution industrielle, Homo Sapiens dépassait tous les autres organismes pour avoir poussé le plus d’espèces animales et végétales à l’extinction. »
L’extinction de tous les grands marsupiaux d’Australie n’est pas le fait du climat ni de l’agriculture. C’était des chasseurs-cueilleurs. Idem dans toutes les îles du Pacifique, Madagascar, etc. Bon, je ne suis que dans la 1re partie (Révolution cognitive) du bouquin, je peux bien imaginer que ça ne fait que s’empirer par la suite (Révolution agricole puis industrielle). Mais je trouve que sans cesse idéaliser quelques tribus qui sembl(ai)ent vivre en autonomie et harmonie avec la nature est contre-productif, en ce sens que ça risque de masquer la tendance de fond : depuis qu’il s’est hissé au sommet de la pyramide alimentaire, Homo Sapiens a directement causé l’extinction de multiples espèces animales et végétales. Oui il y avait sans doute des tribus qui vivaient de façon « durable » comme aujourd’hui il y a des gens qui ont une empreinte écologique négligeable. Mais cela ne masque pas, ni aujourd’hui ni hier, la destruction de son environnement par l’homme. Encore une fois, bien d’accord évidemment que ce soit dans des proportions autrement plus inquiétantes aujourd’hui, mais tout simplement parce que les moyens à notre disposition sont plus puissants. Non ?
Non, voir cette tribune que j’ai coécrite : https://reporterre.net/Non-l-humanite-n-a-pas-toujours-detruit-l-environnement
et cet article que j’ai traduit : https://partage-le.com/2018/10/des-difficultes-a-percer-les-mysteres-de-lextinction-de-la-megafaune-par-gilbert-j-price-et-coll/
Harari simplifie, comme beaucoup, les réalités historiques, au point de les falsifier. Il est simplement faux d’affirmer que nos ancêtres détruisaient les écosystèmes où ils vivaient.
Merci pour les liens.
Harari simplifie sans doute beaucoup, j’entends bien que le climat a certainement joué un rôle, dans certaines régions / pour certaines espèces. Mais pour les plus récentes colonisations d’îles par des chasseurs-cueilleurs il y a peu d’incertitudes en ce qui concerne la mégafaune… Madagascar, multiples îles du Pacifique, Nouvelle-Zélande… ce sont quand même des réalités historiques. Difficile de nier que les chaînes alimentaires et écosystèmes y ont été bouleversés par Homo Sapiens avant la révolution agricole.
Ce n’est pas tomber dans le piège du pseudo côté intrinsèquement destructeur de l’humain que de dire ça. Pourquoi refuser de dire que parmi la diversité des sociétés pré-agricoles il y en a eu des destructrices ? Qui malheureusement ont laissé une empreinte plus grande — en ce qui concerne la mégafaune — que toutes les tribus qui vivaient de manière soutenable. Ça ne veut pas dire que ces tribus _voulaient_ exterminer certaines espèces… mais ça a pu être le résultat d’un déséquilibre entre le nouveau super-prédateur et une faune qui avait évolué indépendamment. Comme vous ne trouverez pas grand-monde aujourd’hui qui affirmera _vouloir_ que les ours polaires, rhinocéros, gorilles, etc, disparaissent.
Je ne trouve pas grand-chose d’intermédiaire entre l’idéalisation pure et dure du passé et l’excès inverse que vous dénoncez justement.
On ne refuse pas d’admettre qu’il est tout à fait possible que certaines ont pu être destructrices. Pas du tout. On dénonce simplement l’excès qui consiste à parler de « ravages dans tous les écosystèmes terrestres au fur et à mesure de l’expansion d’Homo Sapiens ». Pas tous. Et parler de réalité est mensonger. Tout ce que nous avons ce sont des spéculations sur la base de trouvailles ou d’absence de trouvailles archéologiques.
Also, recent article on the subject of megafauna extinction in Africa : https://www.archaeology.org/news/7163–181126-africa-megafauna-extinction