alt en dehors-Modifier

Les naturiens, précurseurs d’une critique de la civilisation (par Nicolas Casaux)

Bien peu, même par­mi les anar­chistes contem­po­rains, ont enten­du par­ler des anar­chistes natu­riens. Et pour­tant, les membres de ce cou­rant liber­taire — aus­si appe­lé natu­ria­nisme — né aux alen­tours de 1894, étaient autant de « pré­cur­seurs de la décrois­sance » — d’où la publi­ca­tion d’une com­pi­la­tion de leurs écrits, intro­duite par Fran­çois Jar­rige, dans la col­lec­tion « les pré­cur­seurs de la décrois­sance » des Édi­tions du Pas­sa­ger Clan­des­tin —, de pré­cur­seurs du mou­ve­ment écologiste.

En 2018, les édi­tions du Sandre ont publié un fac-simi­lé des 4 numé­ros du jour­nal Le Natu­rien de 1898, prin­ci­pal jour­nal d’époque du natu­ria­nisme, ain­si que du numé­ro unique de L’Ordre natu­rel, intro­duits par une pré­face inti­tu­lée L’écologie en 1898 de Tan­guy L’Aminot (Le Natu­rien, 36 pages grand for­mat).

Le livre en question

Dans sa pré­face, Tan­guy L’Aminot décrit les ori­gines du natu­ria­nisme, cette « réac­tion très pro­fonde de quelques ouvriers qui, en cette fin du XIXème siècle, étaient excé­dés du sort qui leur était fait par le monde indus­triel et qui ne croyaient plus aux pro­messes d’un len­de­main qui chante faites par les syn­di­cats et nombre de mili­tants révolutionnaires ».

Par­ti­sans d’un retour « à l’état natu­rel », les natu­riens sont en quelque sorte les ancêtres des anar­cho­pri­mi­ti­vistes de notre temps. S’ils idéa­lisent for­te­ment la vie avant et hors de la civi­li­sa­tion, ils per­çoivent très luci­de­ment les nom­breux pro­blèmes qui la gan­grènent intrin­sè­que­ment, qui font qu’elle est vouée à détruire le monde natu­rel et à s’autodétruire dans le pro­ces­sus, et pour­fendent alors le mythe du Progrès.

Dans le pre­mier numé­ro du Natu­rien, en date du 1er mars 1898, Émile Gra­velle, une des prin­ci­pales figures du natu­ria­nisme avec Hen­ri Zis­ly, fus­tige la catas­trophe bio­lo­gique que consti­tue l’agriculture : « C’est le désastre qui s’est pré­ci­sé­ment pro­duit dès que la char­rue éven­tra le réseau de racines pro­tec­teur en met­tant à nu la terre, dont la matière friable délayée plu­sieurs fois par an par les ondées, la fonte des neiges, se liqué­fie et, comme tous les ter­rains sont en pente s’écoule au ruis­seau, à la rivière et au fleuve qui la jette à la mer » ; regrette « l’abondance des pro­duits végé­taux et ani­maux, aux époques où nombre de mon­tagnes et col­lines n’avaient été sté­ri­li­sées par le déboi­se­ment, où le ter­ri­toire n’était occu­pé par les cités et l’immense réseau des voies fer­rées et des routes natio­nales et autres » ; et dénonce « la civi­li­sa­tion, son arti­fi­ciel et ses effets cor­rup­teurs, […] sa hié­rar­chie, ses inté­rêts, ses divi­sions, ses luttes, ses labeurs impo­sés et ses industries ».

Dans ce même numé­ro, Alfred Mar­né dénonce les « riches civi­li­sés, […] leur « Pro­grès », […] leur atmo­sphère » qui « n’est plus que d’acide car­bo­nique » — inquié­tude pré­coce vis-à-vis du dérè­gle­ment cli­ma­tique induit par les émis­sions de car­bone de la civi­li­sa­tion. Hen­ri Beau­lieu se moque du votard, de l’électeur : « tel le loca­taire, qui renou­velle son bail pour trois, six ou neuf ans, notre sin­cère imbé­cile renou­vel­le­ra pour cinq ans son escla­vage et sa misère ».

Dans le numé­ro 2, en date du 1er avril 1898, Hono­ré Bigot entre­prend « de tra­cer […] le tableau des résul­tats qu’a pro­duits la civi­li­sa­tion en astrei­gnant l’homme au tra­vail for­cé, et l’exposé suc­ces­sif des faits déter­mi­nés par les consé­quences des orga­ni­sa­tions hié­rar­chiques anté­rieures qui ont enfan­té les gou­ver­ne­ments sous les­quels les peuples courbent conti­nuel­le­ment l’échine, et sont de par ces orga­ni­sa­tions auto­ri­taires obli­gés de pei­ner et souf­frir, afin que trônes et autels conti­nuent à exer­cer leur supré­ma­tie usurpée […]. »

Et si les natu­riens vivaient effec­ti­ve­ment à une époque où le pro­lé­ta­riat des socié­tés indus­trielles endu­rait des condi­tions d’existence autre­ment plus ter­ribles que celles que connaissent actuel­le­ment les classes popu­laires (du moins, les classes popu­laires des pays dits développés/industrialisés), leur expo­sé du carac­tère auto­ri­taire, hié­rar­chique et inique de la civi­li­sa­tion n’en demeure pas moins per­ti­nent, et reste plus que jamais d’actualité.

Dans le numé­ro 3, en date du 1er mai 1898, Emile Gra­velle écrit « Aux civi­li­sés, liber­taires ou auto­ri­taires », que « ce qui serait admis­sible de la part des civi­li­sés auto­ri­taires, conscients de la néces­si­té de l’esclavage et de la contrainte pour l’exécution de tout l’Artificiel éta­bli sous le nom de « Pro­grès », devient incom­pré­hen­sible chez ceux qui se pro­clament liber­taires et qui doivent, pour la valeur de ce titre, aban­don­ner et com­battre les pré­ju­gés, les men­songes et les super­che­ries qui étayent la Civilisation ».

Leurs pers­pec­tives étaient exces­sives, man­quaient de nuances, et repo­saient en par­tie sur des chi­mères (ils fan­tas­maient un état de nature par­fai­te­ment idyl­lique). Cepen­dant, ils dénon­çaient très jus­te­ment la plu­part des pro­blèmes socio-éco­lo­giques aux­quels nous fai­sons tou­jours face aujourd’hui (la défo­res­ta­tion, les ravages en tous genres des milieux natu­rels, les pol­lu­tions, l’as­ser­vis­se­ment des êtres humains dans des orga­ni­sa­tion sociales auto­ri­taires et alié­nantes, l’ex­ploi­ta­tion de groupes humains par d’autres groupes humains, le sexisme, le capi­ta­lisme, et bien d’autres maux qui sont encore aujourd’­hui, et peut-être plus que jamais, d’ac­tua­li­té). Leur réac­tion vis-à-vis de ces pro­blèmes, une sorte de retour à la nature, une expé­ri­men­ta­tion de « milieux libres », rap­pelle les actuels éco­vil­lages et autres éco­ha­meaux où se retirent les cita­dins en mal de ver­dure et de liber­té. À l’ins­tar de beau­coup de membres du mou­ve­ment éco­lo­giste grand public, ils prô­naient — un peu naï­ve­ment — le retrait plu­tôt que l’af­fron­te­ment, et prê­chaient le végé­ta­lisme ou le végé­ta­risme avant l’heure.

Le très beau livre publié par les édi­tions du Sandre nous four­nit un bon aper­çu de leur perspective.

Enfin, notons que le rap­peur Virus a récem­ment publié un court album dans lequel il reprend — et adapte à sa guise — les poèmes du recueil inti­tu­lé Les Soli­loques du pauvre de Gabriel Ran­don dit Jehan-ric­tus (1867–1933), qui fai­sait par­tie de ces anar­chistes naturiens.

Nico­las Casaux


Quelques extraits de textes de naturiens :

« Les maux phy­siques : épi­dé­mies, infir­mi­tés et dif­for­mi­tés sont l’œuvre de la Civilisation.

Le mot civi­li­sa­tion désigne l’é­tat d’une race sor­tie des condi­tions pure­ment natu­relles et dont le sys­tème d’existence, dit en socié­té, est basé sur la créa­tion de l’artificiel.

L’ar­ti­fi­ciel com­porte la construc­tion et l’ag­glo­mé­ra­tion d’é­di­fices for­mant cités ; l’é­ta­blis­se­ment de voies de com­mu­ni­ca­tion néces­si­tant les ser­vices de voi­rie et d’hy­giène ; la manu­fac­ture des matières chi­miques pour l’in­dus­trie ; la confec­tion des objets d’a­meu­ble­ment et vête­ments, etc., etc.

L’exé­cu­tion de ces divers tra­vaux néces­si­tant l’ef­fort, les plus habiles socié­taires, ceux qui s’é­taient empa­rés de la terre — source de toutes choses — esqui­vèrent l’ef­fort pour l’im­po­ser aux naïfs, aux dés­in­té­res­sés qui s’é­taient lais­sé dépouiller de leur droit légi­time aux dons de la Nature. C’est pour­quoi nous voyons depuis des siècles des êtres humains asser­vis aux fonc­tions les plus hos­tiles à l’or­ga­nisme ; les tra­vaux de labours et de ter­ras­se­ment expo­sant les bronches à l’ac­tion des matières chi­miques du sol se vola­ti­li­sant à l’air et occa­sion­nant l’o­tite des labou­reurs et le typhus des ter­ras­siers ; le forage des mines plon­geant l’in­di­vi­du dans une atmo­sphère char­gée des acides sou­ter­rains ; la mani­pu­la­tion de ces acides dans les usines intoxi­quant l’ou­vrier par les voies res­pi­ra­toires ou les pores de l’é­pi­derme ; l’ac­com­plis­se­ment d’autres tra­vaux impo­sant l’ex­po­si­tion pro­lon­gée de l’in­di­vi­du à l’ef­fet direct du froid, de la pluie ou de la cha­leur, toute situa­tion anor­male déter­mi­nant la per­tur­ba­tion des sys­tèmes san­guins, bilieux ou ner­veux, et occa­sion­nant les affec­tions et mala­dies diverses. Ajou­tons à cela les acci­dents, chutes, contu­sions, frac­tures, luxa­tions, lésions internes ou externes sur­ve­nues dans l’exer­cice des pro­fes­sions ; l’ha­bi­ta­tion insa­lubre, l’a­li­men­ta­tion fre­la­tée, et nous connaî­trons la source du rachi­tisme, de la scro­fule, de l’a­né­mie, enfin de tout ce qui a concou­ru à la déca­dence phy­sique de l’Hu­ma­ni­té. Au lieu de dire ingé­nu­ment d’un être qu’il est dis­gra­cié de la Nature, il serait plus exact de recon­naître qu’il est atro­phié par la Civilisation. […] 

Par la des­truc­tion des forêts, l’Hu­ma­ni­té a rom­pu l’Har­mo­nie de la Nature. Elle s’est expo­sée à l’ac­tion directe des élé­ments, y a expo­sé les ani­maux et les plantes dont elle fait sa nour­ri­ture et tous ont connu la mala­die. La petite végé­ta­tion pri­vée de son abri, les arbres, est sou­vent détruite par le froid, la grêle, ou les ardeurs du soleil, et l’homme connaît la disette. Dès lors, mena­cé par la mala­die et la famine il a cher­ché et trou­vé… des pal­lia­tifs, qui eux-mêmes sont des dan­gers nou­veaux. En déboi­sant il a opé­ré l’ex­tinc­tion de la faune et de la flore ori­gi­naires, et il a dû culti­ver ; il a tari les sources et cours d’eau ; il a dû construire canaux et aque­ducs, il a bâti des cités, agglo­mé­ré les habi­ta­tions et les détri­tus, a connu l’é­pi­dé­mie et aus­si la méde­cine. Son sys­tème d’exis­tence est deve­nu l’an­ti­thèse de sa consti­tu­tion phy­sique, ses sens s’affaiblissent, mais pour les yeux éteints, il a fait des lunettes, des béquilles pour les jambes flé­chis­santes ; des pilules pour son ané­mie, du bro­mure pour sa scro­fule. Obli­gé d’al­ler cher­cher au loin ce qu’il a détruit chez lui, il fran­chit l’O­céan ou fait nau­frage ; lance sur des voies fer­rées des loco­mo­tives qui déraillent, tam­ponnent, écra­bouillent, cou­pant bras et jambes qu’il rem­place avan­ta­geu­se­ment par un pilon ou un crochet.

Enfin, lors­qu’il aura anéan­ti tout ce qui se pro­duit natu­rel­le­ment, l’eau, l’air, les plantes et les ani­maux, il sera contraint de se les pro­cu­rer arti­fi­ciel­le­ment, grâce à des moyens scien­ti­fiques et en tra­vaillant du matin au soir. Ce sera là un avan­tage évident. […] 

Le Pro­grès maté­riel est le fruit de l’esclavage.

Pri­vé de ses droits légi­times aux biens natu­rels et pla­cé dans l’o­bli­ga­tion de les acqué­rir en échange d’une somme de tra­vail déter­mi­née ou plu­tôt impo­sée, l’homme a dû faire choix de l’in­dus­trie la plus com­pa­tible avec ses facul­tés. Sa condi­tion d’exis­tence étant liée à la mesure de sa pro­duc­tion, il s’est atta­ché à l’é­tude d’un tra­vail unique, à acqué­rir le tour de main et n’a plus ensuite visé qu’un résul­tat, l’exé­cu­tion rapide. Dès lors sa fonc­tion est deve­nue méca­nique, ses mou­ve­ments uni­formes, sa pos­ture tou­jours la même. Cer­tains de ses muscles étant sou­mis à l’ac­ti­vi­té, tan­dis que d’autres gar­daient l’im­mo­bi­li­té com­plète, la vigueur se concen­trait dans les organes actifs au détri­ment des autres. L’équilibre des forces cor­po­relles était alors rompu. »

Émile Gra­velle, L’état natu­rel et la part du pro­lé­taire dans la civi­li­sa­tion, n°3, juillet-août 1897.

***

« Nous vou­lons sim­ple­ment la vie nor­male, c’est-à-dire l’exer­cice de la vie, la liber­té dans la nature inté­grale. Le salut n’est que dans l’a­bo­li­tion des villes, foyers per­ma­nents, inévi­tables, d’épidémies. »

Hen­ri Zis­ly, août 1899.

***

NOTRE BASE

« À l’É­tat Natu­rel, toutes les régions fer­tiles de la Terre pos­sèdent une flore et une faune ori­gi­naires, abon­dantes et variées ;

Et la sta­tis­tique ayant éta­bli le chiffre de super­fi­cie et de popu­la­tion des pays connus ;

Nous affir­mons :

Que la misère n’est pas l’ordre fatal ;

Que la seule pro­duc­tion natu­relle du sol éta­blit l’abondance ;

Que la san­té est la condi­tion assu­rée de la vie ;

Que les maux phy­siques (épi­dé­mies, infir­mi­tés et dif­for­mi­tés) sont l’œuvre de la civilisation ;

Que les fléaux dits natu­rels (ava­lanches, ébou­le­ments, inon­da­tions, séche­resse) sont la consé­quence des atteintes por­tées par l’homme à la Nature ;

Qu’il n’y a pas d’in­tem­pé­ries, mais des mou­ve­ments atmo­sphé­riques tous favorables ;

Que la science n’est que présomption ;

Que la créa­tion de l’ar­ti­fi­ciel a déter­mi­né le sen­ti­ment de propriété ;

Et la pro­prié­té les guerres fratricides ;

Que le com­merce ou spé­cu­la­tion sur l’ar­ti­fi­ciel a engen­dré l’in­té­rêt, dépra­vé l’in­di­vi­du et ouvert la lutte ;

Que le pro­grès maté­riel est le fruit de l’esclavage ;

Que la pros­ti­tu­tion n’existe pas dans l’É­tat Naturel ;

Qu’il n’y a ni bons ni mau­vais ins­tincts chez l’homme ;

Mais sim­ple­ment satis­fac­tion ou contra­rié­té des instincts ;

Que la pro­prié­té et le luxe étant abo­lis, le vice, le crime, le vol dis­pa­raissent avec eux ;

Que l’In­di­vi­du et l’Hu­ma­ni­té recherchent le bon­heur, c’est-à-dire l’Harmonie ;

Et que l’Har­mo­nie pour l’In­di­vi­du et l’Hu­ma­ni­té réside EN LA NATURE. »

Les Natu­riens propagandistes.

***

« Pour­quoi ces car­nages san­glants, ces mul­ti­tudes armées ? À quoi bon avoir été Han­ni­bal, Bona­parte ou Gal­li­fet, la gloire n’est-elle pas une vaine appa­rence, et si la Terre doit aus­si mou­rir, pour­quoi avoir un nom fameux si tout doit un jour être ignoré ?

Pour­quoi tant d’ef­forts en Pyro­tech­nie, Méca­nique, Astro­no­mie ? Pour­quoi tant de fatigues et d’heures pas­sées à pen­cher son front pâli sur des livres pour y pui­ser une édu­ca­tion déna­tu­rée, si un jour, la Terre doit être gla­cée comme une tombe et rou­lée dans le Gouffre de l’oubli ?

Pour­quoi ces mines pro­fondes, tom­beaux sinistres, rôtis­se­ries de chair humaine, ces machines monstres, ces grandes usines, véri­tables abat­toirs, affreux bagnes dont chaque maille des chaînes sont autant de pointes de feu pour les for­çats qui y peinent ? Pour­quoi ces cathé­drales, ces pri­sons, ces palais, ces casernes, ces monas­tères, lieux dégoû­tants où s’é­talent des crimes hon­teux et des mœurs de nature bes­tiale, pro­duc­tion morale des Loyo­la, ain­si que les églises et tous ces édi­fices dont chaque assise est mar­quée de la mort d’un pro­lé­taire ? De même que ce répu­gnant appa­reil de Rigault, dis­sol­vant le mine­rai d’or et autres corps, qui décom­po­sés forment des toxiques, pour­quoi cet or, fila­ment de la cor­rup­tion, fouet bru­tal cin­glant la misère ? Pour­quoi ces parures, ces bijoux, ces pier­re­ries, pièges tou­jours ten­dus pour l’a­vi­lis­se­ment des consciences, tout ce luxe inutile for­gé de tant de dou­leurs et de misères, si un jour la four­naise que notre pla­nète ren­ferme dans ses flancs réduit la Terre en cendres et lais­sant ses cendres dans un tour­billon impé­tueux en toutes les direc­tions à tra­vers l’es­pace et qu’il ne reste plus une seule voix pour dire « Ici était Paris, là était Alexan­drie ». Par­tout la mort, la mort qui aura éten­du son lin­ceul venant d’en­se­ve­lir un monde dans ce vaste infi­ni ? Répon­dez savants ! Répon­dez diri­geants ! Répon­dez tyrans assassins !

D’au­jourd’­hui à l’é­poque où l’hu­ma­ni­té pous­se­ra son der­nier râle, cette race humaine ne doit pas conti­nuer à for­mer une aus­si ter­rible héca­tombe ; tout est à recom­men­cer sur de nou­veaux aspects, qu’elle s’é­lance sur le che­min qui conduit à une exis­tence natu­relle et dans les condi­tions d’af­fi­ni­tés où la force des temps a fait l’homme de nos jours, et là sera la planche de salut.

Quand un membre est gan­gré­né, on l’am­pute, la civi­li­sa­tion est pour­rie comme un vieux fumier, qu’on ne l’en­terre pas, elle empoi­son­ne­rait la Terre, il vau­drait mieux l’incinérer. »

Hono­ré Bigot, LA NOUVELLE HUMANITE, n°13, février 1897.

***

« Tan­dis que leur « Pro­grès » com­porte la loco­mo­tive, la bicy­clette, l’au­to­mo­bile, on ne marche plus ; le télé­graphe, le télé­phone, le pneu­ma­tique, plus besoin de se voir ; à leurs ali­ments, ils ajoutent du fer, de la chaux, du plâtre, de l’ar­se­nic, du soufre ; leur atmo­sphère n’est plus que d’a­cide car­bo­nique char­gé des éma­na­tions de toutes les mai­sons-labo­ra­toires que sont leurs demeures, et elle est satu­rée des atomes de toutes leurs déjec­tions pulvérisées.

Et, par la ver­tu de leur chi­mie et de leur méca­nique, s’ils deviennent scro­fu­leux, ané­miques, épilep­tiques, phti­siques, syphi­li­tiques, cancé­reux, nécro­sés, rachi­tiques, para­ly­tiques, culs-de-jatte, ban­croches, man­chots, aveugles et sourds, mais peu leur importe, ils se déclarent en « Progrès ».

Beau­coup ne voient pas la pos­si­bi­li­té de faire l’en­sai­si­ne­ment de la terre ; cepen­dant aucun des vau­tours ter­riens ne pos­sède un contrat de pos­ses­sion du sol signé par la nature, et dans ce cas il faut bien croire que la pro­prié­té indi­vi­duelle n’est pas indé­fec­tible, et vu dans quelle putré­fac­tion se trouve la socié­té actuelle, une trans­for­ma­tion est inévi­table, néces­saire ; quand les peuples auront bri­sé leurs chaînes, que toute la plou­to­cra­tie aura dis­pa­ru, oh alors, popu­lace, pro­lé­taires, plé­béiens, ceux de la glèbe, vaga­bonds ou parias, quand vous sor­ti­rez de vos basses-fosses, de vos géhennes, de vos tom­beaux, aban­don­nez les villes aux chauves-sou­ris et aux lézards, les machines à la rouille, les mines à l’éboulement.

Lais­sez l’herbe enva­hir les routes, les lignes de che­mins de fer, les rues, les bou­le­vards, et la vie repa­raî­tra de toute part, les col­lines rever­di­ront, les monts seront reboi­sés, la terre refleu­rie, et à l’ombre des grands arbres, hommes et femmes, vieillards et enfants, nous irons dan­ser en rond. »

Alfred Mar­né, Le Natu­rien, n°1, 1er mars 1898.

***

« À ceux qui par­le­ront de révo­lu­tion tout en décla­rant vou­loir conser­ver l’Ar­ti­fi­ciel super­flu, nous dirons ceci : Vous êtes conser­va­teurs d’élé­ments de ser­vi­tude, vous serez donc tou­jours esclaves ; vous pen­sez vous empa­rer de la pro­duc­tion maté­rielle pour vous l’ap­pro­prier, eh bien cette pro­duc­tion maté­rielle qui fait la force de vos oppres­seurs est bien garan­tie contre vos convoi­tises ; tant qu’elle exis­te­ra, vos révoltes seront répri­mées et vos ruées seront autant de sacri­fices inutiles. »

E.Gravelle, Le Natu­rien n°4, 1er juin 1898.

Pour aller plus loin :
et aus­si :
Print Friendly, PDF & Email
Total
245
Shares
3 comments
  1. Les lud­dites sont un autre exemple d’ou­vriers qui étaient las de ne ser­vir qu’à faire tour­ner des machines. Déjà au milieu du XIXème siècle bri­tan­nique, le pro­lé­ta­riat se sou­le­vait contre les machines, et pas seule­ment contre le patronat !

  2. Mer­ci à Nico­las Casaux de me faire décou­vrir ce cou­rant libertaire.
    J’habite en Bre­tagne et beau­coup s’ inquiètent des consé­quences du récent échouage du navire Grande Ame­ri­ca au large de La Rochelle.
    Suite à une demande de l’association Robin des Bois, le Secré­taire géné­ral de la mer a com­mu­ni­qué la liste des matières dan­ge­reuses et non dan­ge­reuses embar­quées sur ce navire.
    C’est tout sim­ple­ment ahurissant…!
    Les matières dangereuses :
    1050 t par­mi les­quelles 20t d’acide chlor­hy­drique, 85t d’hydrogénosulfure de sodium, 82t d’acide sul­fu­rique, 62t de résine en solu­tion, 16t de white-spi­rit, 15t d’allume-feux, etc.…
    Les matières dites non dan­ge­reuses (au sens IMDG),
    plu­sieurs mil­liers de tonnes : en conte­neurs, du papier (62conteneurs), de la nour­ri­ture (45 conte­neurs), de l’acier (24 conte­neurs), des pro­duits chi­miques ( 23 conte­neurs), de l’engrais (18 conte­neurs), et 2100 véhi­cules (VL, cam­ping-car, engins de chantiers…).
    Quant aux soutes du navire, elles conte­naient : 190 t de gasoil de marine, 2200t de fuel inter­mé­diaire et 70 000 l d’huile.
    A l’approche de l’été, cela pro­met de belles baignades…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Articles connexes
Lire

Covid19, stratégie du choc et accélération de la mutation du système technocapitaliste (par Pièces et main d’oeuvre)

Sans conteste, l’accélération est le maître mot de l’année qui vient de s’écouler. On en trouvera ici nombre d’occurrences, les plus variées qui soient, que nous avons relevées dans les domaines économique, technologique et scientifique, employées en substitut ou en renfort à celui d’innovation. Par exemple, l’accélération de l’innovation. On reconnaît là des mots de la crise à laquelle il faut s’adapter d’urgence – d’où l’accélération – ou périr. [...]