Stratfor ou un exemple du combat du monde de l’entreprise contre les milieux activistes (par Steve Horn)

Le texte qui suit est une tra­duc­tion d’une enquête en deux par­ties, ini­tia­le­ment publiée en anglais, en 2013, sur le site de Mint Press News (pre­mière par­tie : https://www.mintpressnews.com/divide-and-conquer-unpacking-stratfors-rise-to-power/165933/, deuxième par­tie : https://www.mintpressnews.com/stratfor-strategies-how-to-win-the-media-war-against-grassroots-activists/166078/). Pour aller plus loin, nous vous conseillons de lire le livre La socié­té ingou­ver­nable (La Fabrique, 2018) de Gré­goire Cha­mayou qui rap­porte éga­le­ment le conte­nu de cette enquête et qui va bien au-delà.


Première partie : la naissance des stratégies de la société de renseignement privée pour l’emporter sur le terrain des relations publiques — au plus offrant.

Le jour de Noël de l’année 2011, le col­lec­tif d’hack­ti­vistes Ano­ny­mous per­tur­ba la tran­quilli­té d’une socié­té de sécu­ri­té qui, jusque-là, opé­rait dans l’ombre, en toute discrétion.

La socié­té en ques­tion, Stra­te­gic Fore­cas­ting Inc., basée à Aus­tin (Texas), spé­cia­li­sée dans la col­lecte de ren­sei­gne­ments, est plus connue sous le nom de Strat­for. Par­mi ses clients, on retrouve quelques-unes des mul­ti­na­tio­nales les plus ren­tables de la pla­nète, comme l’A­me­ri­can Petro­leum Ins­ti­tute, Archer Daniels Mid­land, Dow Che­mi­cal, Duke Ener­gy, Nor­throp Grum­man, Intel et Coca-Cola.

Un col­lec­tif de hackers affi­lié aux Ano­ny­mous a ain­si réus­si à pira­ter le sys­tème de ges­tion de conte­nu du sys­tème infor­ma­tique de Strat­for, et à trans­mettre plus de 5,2 mil­lions d’emails avec leurs pièces jointes à Wiki­Leaks, qui bap­ti­sa la base de don­nées « Glo­bal Intel­li­gence Files » (par­fois tra­duit par « petits papiers du ren­sei­gne­ment mondial »).

Grâce à un infor­ma­teur, « Sabu », qui se fai­sait pas­ser pour un « cama­rade », les offi­ciers fédé­raux remon­tèrent en seule­ment trois mois jus­qu’à Jere­my Ham­mond, l’hack­ti­viste res­pon­sable du pira­tage, basé à Chicago.

En mars 2012, le FBI s’introduisit dans son appar­te­ment pour l’arrêter. Après plus d’un an pas­sé en déten­tion pro­vi­soire au Centre cor­rec­tion­nel de Man­hat­tan, Ham­mond finit par accep­ter une réso­lu­tion extra­ju­di­ciaire. Il recon­nut être cou­pable d’a­voir vio­lé le Com­pu­ter Fraud and Abuse Act (la loi sur la fraude et l’a­bus infor­ma­tique), et éco­pa de 10 ans de prison.

La stra­té­gie de rela­tions publiques de Strat­for a été éta­blie par l’entreprise Pagan Inter­na­tio­nal, dont Strat­for est issue.

Le but d’une cam­pagne de rela­tions publiques d’une entre­prise « doit consis­ter à sépa­rer les meneurs acti­vistes fana­tiques […] de la masse de leurs par­ti­sans : des gens conve­nables, impli­qués, qui sont prêts à nous juger sur la base de notre ouver­ture et de notre uti­li­té », énon­çait Pagan en 1982. Bien enten­du, les stra­ta­gèmes éla­bo­rés par la com­pa­gnie ne devaient jamais être connus du grand public.

Ham­mond — peut-être sans connaître tous les détails de ces stra­ta­gèmes — s’y réfère comme à la rai­son prin­ci­pale pour laquelle il a hacké Strat­for et envoyé les infor­ma­tions à WikiLeaks.

« Je crois au pou­voir de la véri­té. C’est pour­quoi je ne veux pas cacher ce que j’ai fait ou me déro­ber à mes propres actions, a‑t-il décla­ré dans un com­mu­ni­qué de presse annon­çant la réso­lu­tion extra­ju­di­ciaire. Je crois que les gens ont le droit de savoir ce que les gou­ver­ne­ments et les entre­prises font der­rière portes closes. »

Dans cette enquête, Mint Press ana­lyse la mon­tée au pou­voir de Strat­for, ain­si que sa phi­lo­so­phie du « divi­ser pour mieux régner », conçue afin de contre­car­rer cer­tains des plus grands mou­ve­ments de boy­cott contre des multinationales.

« Diviser pour mieux régner »

L’his­toire de Strat­for débute donc au sein d’une firme éphé­mère mais ayant eu une influence pro­fonde : Pagan International.

Suc­cinc­te­ment décrit, le modus ope­ran­di des pré­dé­ces­seurs de Strat­for se résume à un « divi­ser pour mieux régner » mili­taire, exer­cé au tra­vers du domaine des rela­tions publiques.

Ce n’est pas un hasard. Deux des cofon­da­teurs de Pagan débu­tèrent leur car­rière en tra­vaillant sous cou­ver­ture pour l’ar­mée états-unienne. Les rela­tions publiques [NdT : expres­sion syno­nyme de « pro­pa­gande », inven­tée par Edward Ber­nays, le neveu de Freud, voir cette série docu­men­taire d’Adam Cur­tis] ont d’ailleurs d’abord été employées dans des opé­ra­tions de psy­cho­lo­gie mili­taire, ou psy-ops. « Divi­ser pour mieux régner » est un des prin­cipes énon­cés dans le U.S. Coun­te­rin­sur­gen­cy Field Manual (« Manuel pra­tique de contre-insur­rec­tion des États-Unis »).

Pagan Inter­na­tio­nal fut bap­ti­sé en réfé­rence à Rafael D. Pagan Junior, qui rejoi­gnit l’U.S Army en 1951 et pas­sa deux décen­nies dans les hautes sphères des ser­vices de ren­sei­gne­ment mili­taires. Il s’en ser­vit comme pas­se­relle vers le monde des rela­tions publiques d’entreprises.

« Ancien offi­cier du ren­sei­gne­ment à l’ar­mée, le résident de Poto­mac a infor­mé les pré­si­dents Ken­ne­dy et John­son sur les capa­ci­tés mili­taires et éco­no­miques du bloc Sovié­tique. Il a éga­le­ment ren­sei­gné les pré­si­dents Nixon, Rea­gan et Bush sur les poli­tiques de déve­lop­pe­ment socio-éco­no­mique du Tiers-Monde », explique en 1993 sa nécro­lo­gie dans le Washing­ton Times.

Après avoir quit­té le Penta­gone, Pagan décro­cha trois postes de rela­tions publiques dans des entre­prises cher­chant des mar­chés pour écou­ler leurs pro­duits dans les pays en développement.

Tou­jours selon sa nécro­lo­gie, « Pagan com­men­ça en 1970 sa car­rière inter­na­tio­nale comme cadre supé­rieur dans le déve­lop­pe­ment de nou­velles affaires pour trois firmes mul­ti­na­tio­nales majeures, Inter­na­tio­nal Nickel of Cana­da (deve­nu Inco), Castle & Cooke (Dole) et Nest­lé. Il était spé­cia­li­sé dans la réso­lu­tion de conflits pour les firmes mul­ti­na­tio­nales cher­chant à inves­tir et opé­rer dans les pays du Tiers-Monde. »

Pagan mar­chait dans les traces d’Ed­ward Ber­nays, le père des rela­tions publiques modernes, qui se char­gea entre autres choses de la stra­té­gie de com­mu­ni­ca­tion de la Uni­ted Fruit Com­pa­ny, qui col­la­bo­ra avec le gou­ver­ne­ment amé­ri­cain pour fomen­ter un Coup d’État au Hon­du­ras en 1954. Pagan tra­vailla éga­le­ment dans les rela­tions publiques pour Castle & Cooke au Honduras.

L’ex­pé­rience acquise dans la « répu­blique bana­nière » hon­du­rienne, sous l’é­gide de la dic­ta­ture mili­taire d’ex­trême-droite mise en place par les États-Unis et proche du milieu des entre­prises, lui ser­vit pour l’é­tape sui­vante de sa car­rière : prendre en charge les rela­tions publiques du géant mul­ti­na­tio­nal Nestlé.

La stratégie mise en application pour Nestlé

S’adressant à ses col­lègues de l’in­dus­trie des rela­tions publiques lors du Conseil des affaires publiques (Public Affairs Coun­cil) d’a­vril 1982, Pagan révé­la la colonne ver­té­brale de cette stra­té­gie qui est encore celle de Stratfor.

Pagan Inter­na­tio­nal émer­gea des cendres de la cam­pagne contro­ver­sée de rela­tions publiques de Nest­lé qui s’ap­puyait sur un orga­nisme appe­lé le « Centre de coor­di­na­tion pour la nutri­tion de Nest­lé ». L’entreprise était codi­ri­gée par Pagan et Jack Mongoven.

Mon­go­ven fut d’a­bord repor­ter pour The Chi­ca­go Tri­bune puis rédac­teur en chef chez Pio­neer News­pa­pers, avant de deve­nir porte-parole du Minis­tère états-unien de la san­té, de l’é­du­ca­tion et du bien-être, puis du Comi­té natio­nal républicain.

Le Centre de coor­di­na­tion pour la nutri­tion de Nest­lé fut créé en 1980. Il ser­vait à une cam­pagne majeure de rela­tions publiques conçue pour se pré­mu­nir de plaintes et d’un éven­tuel boy­cott inter­na­tio­nal. Les cri­tiques envers Nest­lé étaient prin­ci­pa­le­ment menées par le groupe bri­tan­nique War on Want (« Guerre contre le besoin »), qui publia en 1974 une enquête bap­ti­sée « Le tueur de bébés », visant à dénon­cer la cam­pagne de mar­ke­ting de la socié­té autour du lait en poudre pour bébés ven­du dans les pays en voie de développement.

Nest­lé avait déci­dé que les pays en voie de déve­lop­pe­ment consti­tue­raient un bon mar­ché pour écou­ler son lait en poudre, mal­gré le fait que cela inter­rompe le pro­ces­sus de lac­ta­tion chez la femme et mal­gré les pro­blèmes de san­té que cela induisait.

« Les femmes qui ont été inci­tées à uti­li­ser [le] pro­duit au lieu du lait mater­nel n’ont sou­vent pas d’autre choix que de diluer la poudre dans de l’eau pol­luée, cau­sant diar­rhées, déshy­dra­ta­tion et mort par­mi […] les nour­ris­sons », expliquent John Stau­ber et Shel­don Ramp­ton dans leur livre Toxic Sludge Is Good for You ! Lies, Damn Lies and the Public Rela­tions Indus­try (« La vase toxique est bonne pour vous ! Men­songe, fou­tus men­songes et le sec­teur des rela­tions publiques »).

Le com­por­te­ment de Nest­lé pro­vo­qua un tol­lé mon­dial et finit par semer les graines d’un boy­cott par plus de 700 églises et groupes activistes.

Mon­go­ven et Pagan — sous les aus­pices du Centre de coor­di­na­tion pour la nutri­tion de Nest­lé qui par­ta­geait des bureaux avec l’Ins­ti­tut du Tabac, d’a­près les docu­ments de la Biblio­thèque d’archives de Tobac­co Lega­cy — déci­dèrent que la meilleure parade au mou­ve­ment social qui pre­nait forme consti­tuait à le divi­ser pour mieux le contrôler.

Une de leurs pre­mières prio­ri­tés fut d’é­car­ter de la cam­pagne anti-Nest­lé cer­tains de ses plus fer­vents sup­por­ters : les enseignants.

« Une par­tie du sou­tien le plus impor­tant du boy­cott venait des pro­fes­seurs, repré­sen­tés par l’As­so­cia­tion Natio­nale des Pro­fes­seurs. Le CCNN cher­cha donc à s’as­su­rer le sou­tien de la Fédé­ra­tion Amé­ri­caine des Pro­fes­seurs, un syn­di­cat rival plus petit et plus conser­va­teur », écrivent Stau­ber et Rampton.

Nest­lé gagna aus­si un allié au sein d’un autre oppo­sant ins­ti­tu­tion­nel : les églises.

« Pour contrer les églises impli­quées dans le boy­cott, ils avaient besoin de trou­ver une église puis­sante pou­vant prendre leur par­ti, expliquent Stau­ber et Ramp­ton. Les Métho­distes Unis sou­te­naient le boy­cott, mais suite à des négo­cia­tions et à quelques conces­sions som­maires, Nest­lé par­vint pro­gres­si­ve­ment à les gagner. »

Afin de faire amende hono­rable, Nest­lé col­la­bo­ra avec la Com­mis­sion d’au­dit des pré­pa­ra­tions pour nour­ris­sons (Infant For­mu­la Audit Com­mis­sion) pour s’as­su­rer que ses pra­tiques de mar­ke­ting mon­dial étaient com­pa­tibles avec les règles de l’Or­ga­ni­sa­tion mon­diale de la san­té. Cette com­mis­sion était pré­si­dée par Edmund Mus­kie, un ancien séna­teur amé­ri­cain et secré­taire d’É­tat sous la pré­si­dence de Jim­my Carter.

Le pro­blème, c’est que c’est Nest­lé qui créa la com­mis­sion, qui la finan­ça et tira toutes les ficelles. Ceux qui étaient au cou­rant de cela ne furent guère sur­pris des conclu­sions de ladite com­mis­sion, selon les­quelles « l’en­tre­prise n’a pas indé­cem­ment écou­lé la pré­pa­ra­tion pour bébés dans les hôpi­taux du Tiers Monde », ain­si que le rap­por­ta le Los Angeles Times.

La com­mis­sion d’au­dit de Mus­kie — ou plus hon­nê­te­ment, celle de Nest­lé — est main­te­nant per­çue comme un « modèle » pour les entre­prises cher­chant à désa­mor­cer des pro­blèmes de com­mu­ni­ca­tion, comme l’explique un article du Jour­nal for Busi­ness Stra­te­gy de 1986.

Pour son suc­cès à la tête de ce qu’il décri­ra plus tard comme « un sys­tème d’a­lerte réac­tif et pré­cis concer­nant les pro­blèmes et ten­dances de l’en­tre­prise, [doté] de capa­ci­tés d’a­na­lyse », Pagan reçut la pres­ti­gieuse Médaille du Sil­ver Anvil de la « Socié­té amé­ri­caine des rela­tions publiques » (Public Rela­tions Socie­ty of Ame­ri­ca). D’autres indus­tries sui­virent des stra­té­gies simi­laires, comme l’in­dus­trie du gaz de schiste avec la cam­pagne « Ener­gy in Depth » (« Éner­gie en Pro­fon­deur »), et l’industrie de l’éducation indus­trielle pri­vée avec sa réforme « Stand for Chil­dren » (« Debout pour les enfants »).

Naissance de Pagan International

Forts d’une vic­toire majeure contre des groupes d’in­fluence natio­naux et ayant beau­coup appris de la « guerre », Pagan et Mon­go­ven sau­tèrent du juteux train Nest­lé et fon­dèrent leur propre entre­prise en 1985 : Pagan International.

Dans un com­mu­ni­qué de presse dif­fu­sé pour son lan­ce­ment en 1985, Pagan annon­çait : « La forte influence qu’ont aujourd’hui le public et les enjeux sociaux sur les acti­vi­tés com­mer­ciales a engen­dré un besoin pour les entre­prises d’é­va­luer soi­gneu­se­ment les poli­tiques natio­nales et inter­na­tio­nales ayant un impact sur les affaires. »

Ce com­mu­ni­qué de presse van­tait en outre la « base de don­nées socio­po­li­tiques de busi­ness inter­na­tio­nal » qui avait été déve­lop­pée durant leur com­bat aux côtés de Nest­lé, qui se réfé­rait en fait à leur éphé­mère base de don­nées et bul­le­tin d’in­for­ma­tion inti­tu­lée « Baro­mètre Inter­na­tio­nal », qui pré­fi­gu­rait la base de don­nées et le bul­le­tin d’information que Strat­for allait pro­po­ser un peu plus d’une décen­nie plus tard.

« Ce sys­tème per­met [à l’entreprise Pagan Inter­na­tio­nal] de conseiller ses clients sur les ten­dances et mou­ve­ments natio­naux et inter­na­tio­naux qui peuvent affec­ter néga­ti­ve­ment les entre­prises, expli­quait le com­mu­ni­qué de presse. Ce qui leur four­nit la pos­si­bi­li­té de s’impliquer dans le débat public et ain­si de défi­nir, en amont, les para­mètres de la dis­cus­sion, plu­tôt que de sim­ple­ment réagir à des cam­pagnes lan­cées contre elles par des acti­vistes ou d’autres groupes. »

Durant sa brève exis­tence, Pagan Inter­na­tio­nal comp­ta, par­mi ses clients, Dow Che­mi­cal, Novar­tis, Che­vron et le gou­ver­ne­ment de Puer­to Rico. Elle fut aus­si enga­gée par la Royal Dutch Shell afin de contre­car­rer une opé­ra­tion de boy­cott inter­na­tio­nal orga­ni­sée en rai­son de sa col­la­bo­ra­tion avec le régime d’a­par­theid en Afrique du Sud.

Des mili­tants exi­geaient que Shell cesse de faire affaire avec l’A­frique du Sud tant que l’a­par­theid conti­nue­rait, et mena­çaient d’organiser un boy­cott si la com­pa­gnie refu­sait d’ob­tem­pé­rer. Shell déci­da de conti­nuer à opé­rer comme si de rien n’était.

Le boy­cott qui en résul­ta ser­vit d’op­por­tu­ni­té com­mer­ciale pour Pagan Inter­na­tio­nal, qui prit en main le pro­blème et, de même qu’avec Nest­lé, cher­cha à divi­ser le mou­ve­ment de boy­cott pour mieux le contrô­ler. Pour ce faire, Shell adop­ta une stra­té­gie concoc­tée par Pagan et Man­go­ven, expo­sée dans un docu­ment de 268 pages, aujourd’­hui célèbre, inti­tu­lé « La stra­té­gie de Nep­tune ».

Docu­ment dont l’existence fut divul­guée dans la presse en 1987, cau­sant un grand embar­ras à la fois pour Shell et Pagan Inter­na­tio­nal. À l’image de la com­mis­sion d’au­dit Mus­kie, la « stra­té­gie de Nep­tune » de Pagan consis­tait à créer un groupe de façade pour l’industrie, appe­lé la « Coa­li­tion pour l’A­frique du Sud » (Coa­li­tion on Sou­thern Afri­ca) — qui par­ta­geait des bureaux et une ligne télé­pho­nique avec Pagan — afin d’attirer les sou­tiens du boy­cott au sein d’un mou­ve­ment plus large qui se conten­te­rait d’exi­gences plus minimes.

« Pagan […] pro­po­sa à Shell de “déve­lop­per une équipe d’in­ter­ven­tion” com­po­sée de Sud-Afri­cains, de diri­geants ecclé­sias­tiques, d’ac­ti­vistes et de cadres états-uniens qui rédi­ge­raient une décla­ra­tion concer­nant le rôle de l’en­tre­prise dans la pré­pa­ra­tion des Noirs sud-afri­cains à la vie après l’a­par­theid, peut-on lire dans un papier de 1987 appa­rais­sant dans l’In­ter-Press Ser­vice. Pagan iden­ti­fia des acti­vistes noirs et des diri­geants ecclé­sias­tiques clés afin de mener son plan à terme. »

Dans sa « stra­té­gie de Nep­tune », Pagan pro­po­sait une méthode qui se rap­pro­chait d’un sché­ma fami­lier : iso­ler puis coop­ter les « meneurs acti­vistes fanatiques ».

« La pla­ni­fi­ca­tion pos­ta­par­theid devrait détour­ner l’at­ten­tion et les efforts des groupes anti­apar­theid du boy­cott et de l’ef­fort de dés­in­ves­tis­se­ment, et les redi­ri­ger dans des voies pro­duc­tives », expli­quait le document.

Ces « voies pro­duc­tives », selon Pagan, sont toutes celles qui assurent à Shell de conti­nuer à pro­duire des marges de pro­fit éle­vées. Après avoir subi des attaques de la part d’églises pen­dant le boy­cott de Nest­lé, Pagan se ren­dit compte que le fac­teur déci­sif s’ar­ti­cu­lait autour du sou­tien des églises à Shell tan­dis que la com­pa­gnie fai­sait des affaires avec l’A­frique du Sud de l’apartheid.

« Les membres mobi­li­sés des com­mu­nau­tés reli­gieuses four­nissent une “masse cri­tique” d’o­pi­nion publique et de poids éco­no­mique qui ne doit pas être pris à la légère, écri­vit Pagan. S’ils rejoignent le boy­cott et militent en faveur du dés­in­ves­tis­se­ment, cela crée­ra un pro­blème radi­ca­le­ment dif­fé­rent et bien plus coû­teux que celui que nous avons actuellement. »

La répu­ta­tion de Pagan Inter­na­tio­nal se dégra­da suite à la révé­la­tion au grand public du « Pro­jet Nep­tune ». L’en­tre­prise per­dit les 800 000 dol­lars de reve­nu que lui rap­por­taient ses contrats avec Shell. Pagan per­dit aus­si d’autres clients cru­ciaux suite à la divul­ga­tion de l’affaire.

En 1990, Pagan mis défi­ni­ti­ve­ment la clé sous la porte et se décla­ra en faillite, ouvrant la voie pour la créa­tion de la com­pa­gnie qui devait plus tard fusion­ner pour deve­nir Strat­for : Mon­go­ven, Bis­coe & Duchin (MBD).

Deuxième partie : Comment remporter la guerre médiatique contre les activistes : la méthode Stratfor

Rafael Pagan — qui mou­rut en 1993 — ne fut pas invi­té à être membre de la socié­té de Mon­go­ven, son ancien asso­cié, la MBD : Mon­go­ven, Bis­coe & Duchin. Sa tac­tique de conquête et de divi­sion des mou­ve­ments acti­vistes consis­tant à iso­ler les « lea­ders acti­vistes fana­tiques » sur­vé­cu néan­moins à tra­vers son ancien par­te­naire en affaires, Jack Mongoven.

Mon­go­ven fit équipe avec Alvin Bis­coe et Ronald Duchin pour créer MBD en 1988. Tan­dis que « Bis­coe appa­rais­sait comme ayant été un par­te­naire plu­tôt silen­cieux chez MBD », selon l’ONG Cen­ter for Media and Demo­cra­cy (Centre pour les médias et la démo­cra­tie), Mon­go­ven et Duchin jouèrent le rôle de figures publiques de pre­mier plan pour la compagnie.

Duchin, comme Pagan, venait du milieu mili­taire. Diplô­mé de l’École de guerre de l’ar­mée des États-Unis et « l’un des membres ori­gi­nels de [l’ar­mée] DELTA » — qui fai­sait par­tie de l’Unité de com­man­de­ment uni­fié des opé­ra­tions spé­ciales qui tua Ous­sa­ma Ben Laden — Duchin occu­pa les fonc­tions d’as­sis­tant spé­cial pour le secré­taire d’É­tat à la Défense et de porte-parole des Vete­rans for Forei­gn Wars (orga­ni­sa­tion de vété­rans) avant de rejoindre Pagan.

Duchin ser­vit comme diri­geant de la sec­tion infor­ma­tion du Penta­gone durant l’opération Eagle Claw (Serre d’aigle), une mis­sion ratée de Jim­my Car­ter en 1980, visant à employer les forces spé­ciales pour cap­tu­rer des otages rete­nus en Iran.

The Atlan­tic qua­li­fia l’opération de « Desert One Debacle » (« Fias­co désert un »), dans laquelle Duchin ser­vit de source confi­den­tielle prin­ci­pale — ce que révèle un mail des « Glo­bal Intel­li­gence Files » (fuite de docu­ments confi­den­tiels de Strat­for) annon­çant la mort de Duchin en 2010. L’opération Eagle Claw se ter­mi­na par la mort de huit sol­dats éta­su­niens, fit quatre bles­sés, cau­sa la des­truc­tion d’un héli­co­ptère et rui­na la répu­ta­tion du pré­sident Car­ter. La mis­sion, ratée et meur­trière, pré­ci­pi­ta la créa­tion de l’U.S. Spe­cial Ope­ra­tions (Forces d’opérations spé­ciales de l’ar­mée américaine).

Évi­tant lar­ge­ment le feu des pro­jec­teurs tant qu’il tra­vaillait chez Pagan comme vice-pré­sident en charge de la stra­té­gie et de la ges­tion des crises — le cer­veau de l’o­pé­ra­tion —, Duchin devint célèbre par­mi les obser­va­teurs cri­tiques du milieu des rela­tions publiques au cours de sa direc­tion de la com­pa­gnie MBD. Pen­dant les 15 ans d’exis­tence de MBD, la com­pa­gnie comp­tait comme client les grands noms du tabac, l’in­dus­trie chi­mique, les grands noms de l’a­gro-ali­men­taire et pro­ba­ble­ment bien d’autres indus­tries jamais iden­ti­fiées du fait de la nature opaque des agis­se­ments de la firme.

MBD tra­vailla pour l’industrie du tabac dans l’objectif d’entraver le moindre effort de régu­la­tion à son encontre. En 1993, Phil­lip Mor­ris paya Jack Mon­go­ven 85 000 dol­lars pour son habi­le­té à col­lec­ter des renseignements.

Le groupe « Get Govern­ment Off Our Back » (« Que le Gou­ver­ne­ment nous lâche les basques »), façade de l’entreprise de tabac RJ Rey­nolds créée par MBD en 1994 pour la somme de 14 000 dol­lars par mois, illustre par­fai­te­ment le type de tra­vail pour lequel MBD était enga­gée par l’in­dus­trie du tabac.

« MBD a déve­lop­pé des pro­po­si­tions pour RJ Rey­nolds qui consistent à défendre des objec­tifs pro-taba­gisme au tra­vers d’organisations exté­rieures. Entre autres pro­jets, l’en­tre­prise enca­dra des asso­cia­tions de vété­rans pour qu’elles s’op­posent à la loi de régle­men­ta­tion du taba­gisme au tra­vail pro­po­sé par l’O­SHA (Admi­nis­tra­tion de la san­té et de la sécu­ri­té au tra­vail), explique une étude de 2007 publiée dans la Revue amé­ri­caine de san­té publique (Ame­ri­can Jour­nal of Public Health). Cela pour s’op­po­ser au nombre gran­dis­sant de pro­po­si­tions de loi fédé­rales et éta­tiques sur l’u­ti­li­sa­tion et la vente de tabac. »

Dans la veine de groupes d’au­jourd’­hui comme l’Americans For Pros­pe­ri­ty (Les Amé­ri­cains pour la pros­pé­ri­té) finan­cé par la fon­da­tion de la famille Koch, « Get Govern­ment Off Our Back » orga­ni­sa des ras­sem­ble­ments dans tout le pays en mai 1995 dans le cadre du « Regu­la­to­ry Revolt Month » (« Mois de révolte contre la régulation »).

« Get Govern­ment Off Our Back » s’accorda par­fai­te­ment au « Contrat avec l’A­mé­rique » (Contract with Ame­ri­ca) du Par­ti répu­bli­cain de 1994, qui gela de nou­velles régu­la­tions fédé­rales. Le texte du « Contrat » cor­res­pon­dait « qua­si­ment mot pour mot » au dis­cours de « Get Govern­ment Off Your Back », d’a­près l’é­tude de la Revue amé­ri­caine de san­té publique.

« Radicaux, Idéalistes, Réalistes, Opportunistes »

Outre sa clien­tèle, digne d’in­té­rêt, la for­mule de Duchin consis­tant à divi­ser pour mieux régner sur les mou­ve­ments mili­tants — une repro­duc­tion de ce qu’il avait appris en tra­vaillant sous le patro­nage de Rafael Pagan — a résis­té à l’é­preuve du temps. À ce jour, elle est tou­jours employée par Stratfor.

Dans la for­mule de Pagan, Duchin rem­pla­ça « meneurs acti­vistes fana­tiques » par « radi­caux ». Il créa une for­mule en trois étapes pour divi­ser et régner sur les mili­tants, for­mule qui repo­sait sur leur clas­se­ment en quatre sous-caté­go­ries, ain­si que l’ex­pose son dis­cours pro­non­cé en 1991 devant l’As­so­cia­tion natio­nale des éle­veurs de bétail (Natio­nal Cattleman’s Asso­cia­tion), inti­tu­lé « Qu’est-ce qu’un acti­viste ? Et com­ment se char­ger de lui/elle ? » :

Les « radi­caux », les « idéa­listes », les « réa­listes » et les « opportunistes ».

Les radi­caux « veulent chan­ger le sys­tème, ont des moti­va­tions socio­po­li­tiques sous-jacentes et voient les mul­ti­na­tio­nales comme intrin­sè­que­ment mal­fai­santes, expli­quait Duchin. Ils n’ont pas confiance […] dans la capa­ci­té des gou­ver­ne­ments fédé­raux, éta­tiques et locaux à les défendre et à pro­té­ger l’en­vi­ron­ne­ment. Ils croient plu­tôt que les indi­vi­dus et les groupes locaux devraient avoir un pou­voir direct sur l’in­dus­trie. […] Je défi­ni­rais leurs buts prin­ci­paux […] comme la jus­tice sociale et l’é­man­ci­pa­tion politique ».

Selon les ana­lyses de Duchin, il est plus simple de coop­ter les « idéalistes ».

« Les idéa­listes […] veulent un monde par­fait. […] Du fait de leur altruisme intrin­sèque, cepen­dant, […] [ils] ont un point faible, dit-il à l’as­sis­tance. Si on peut leur démon­trer que leur oppo­si­tion à une indus­trie ou à ses pro­duits entraîne un dom­mage pour d’autres et n’est pas éthi­que­ment jus­ti­fiable, alors ils seront obli­gés de chan­ger de position. »

Les deux caté­go­ries qui rejoignent le plus faci­le­ment le par­ti des entre­prises sont les « réa­listes » et les « oppor­tu­nistes ». Par défi­ni­tion, un « oppor­tu­niste » sai­sit l’op­por­tu­ni­té de se ral­lier aux puis­sants en vue d’un béné­fice pro­fes­sion­nel, expli­qua Duchin. Il recherche « de la visi­bi­li­té, du pou­voir, des troupes, voire, dans cer­tains cas, un emploi ».

Le « réa­liste », par contraste, est plus com­plexe, mais consti­tue la par­tie la plus impor­tante du puzzle, selon Duchin.

« [Les réa­listes sont capables de] s’ac­com­mo­der de com­pro­mis ; ils dési­rent tra­vailler à l’in­té­rieur du sys­tème ; ne sont pas inté­res­sés par un chan­ge­ment radi­cal ; sont prag­ma­tiques. Les réa­listes devraient tou­jours rece­voir la prio­ri­té maxi­male dans une stra­té­gie de ges­tion d’un pro­blème de poli­tiques publiques. »

Duchin éla­bo­ra une stra­té­gie en trois étapes pour « se char­ger » de ces quatre caté­go­ries de mili­tants. Pre­miè­re­ment, iso­ler les radi­caux. Deuxiè­me­ment, « culti­ver » les idéa­listes et les « édu­quer » afin d’en faire des réa­listes. Enfin, coop­ter les réa­listes afin qu’ils se rangent aux côtés de l’industrie.

« Si votre indus­trie par­vient à éta­blir ce type de rela­tions, les radi­caux per­dront leur cré­di­bi­li­té et vous pour­rez comp­ter sur les oppor­tu­nistes pour tirer pro­fit de la pro­po­si­tion poli­tique finale », sou­li­gna Duchin à la fin de son discours.

La « méthode Duchin » arrive chez Stratfor

Alvin Bis­coe mou­rut en 1998 et Jack Mon­go­ven en 2000. Quelques années plus tard, MBD, main­te­nant réduite à Ronald Duchin et au fils de Jack, Bar­tho­lo­mew, ou « Bart », fusion­na avec Strat­for en 2003.

Un livre de John Stau­ber et Shel­don Ramp­ton, Trust Us, We’re Experts ! (« Faites-nous confiance, nous sommes experts ! »), explique que la docu­men­ta­tion pro­mo­tion­nelle de l’entreprise MBD van­tait les « dos­siers détaillés [por­tant sur] les forces de chan­ge­ment [qui] incluent géné­ra­le­ment des groupes mili­tants et d’in­té­rêt public, des églises, syn­di­cats et/ou uni­ver­si­taires » que déte­nait la compagnie.

« Un dos­sier typique inclut l’his­to­rique de l’or­ga­ni­sa­tion, des infor­ma­tions bio­gra­phiques sur ses membres cru­ciaux, ses sources de finan­ce­ment, ses struc­tures d’or­ga­ni­sa­tions et ses affi­lia­tions ain­si qu’une “carac­té­ri­sa­tion” de l’or­ga­ni­sa­tion visant à iden­ti­fier des manières poten­tielles de coop­ter ou mar­gi­na­li­ser l’in­fluence qu’elle détient au sein d’un débat de poli­tique publique », expliquent les auteurs.

Les « dos­siers détaillés » sur les « forces de chan­ge­ment » que déte­nait la com­pa­gnie MBD allaient deve­nir les « Glo­bal Intel­li­gence Files » après la fusion.

Ce qui appa­rait clai­re­ment, quand on par­court les docu­ments des « Glo­bal Intel­li­gence Files » obte­nus par Wiki­Leaks grâce au pira­tage de Strat­for réa­li­sé par Jere­my Ham­mond en décembre 2011, c’est que la fusion entre MBD et Strat­for s’avéra par­ti­cu­liè­re­ment juteuse.

La « méthode Duchin » est deve­nue un pilier de Strat­for, sous l’égide de Bart Mon­go­ven. Duchin est décé­dé en 2010.

Dans une pré­sen­ta­tion Power­Point de décembre 2010 à l’intention de la com­pa­gnie pétro­lière Sun­cor concer­nant la meilleure façon de « se char­ger » des mili­tants anti-sables bitu­mi­neux d’Al­ber­ta, Bart Mon­go­ven explique com­ment pro­cé­der en uti­li­sant expli­ci­te­ment le sys­tème concep­tuel des « radi­caux, idéa­listes, réa­listes et oppor­tu­nistes ». Il classe les dif­fé­rents groupes envi­ron­ne­men­taux s’op­po­sant aux sables bitu­mi­neux en fonc­tion de ces caté­go­ries et conclut la pré­sen­ta­tion en expli­quant com­ment Sun­cor peut les vaincre.

Dans une cor­res­pon­dance élec­tro­nique en date de jan­vier 2010, Bart Mon­go­ven décrit l’Ins­ti­tut Amé­ri­cain du Pétrole (Ame­ri­can Petro­leum Ins­ti­tute) comme son « plus gros client ». D’où son inté­rêt pour les ques­tions envi­ron­ne­men­tales et énergétiques.

Mon­go­ven semble aus­si s’être ren­du compte qu’il y avait quelque chose d’é­trange dans le sou­tien finan­cier appor­té par Che­sa­peake Ener­gy au Sier­ra Club, à en juger par des échanges de mails en novembre 2009. Il aura fal­lu aux « idéa­listes » de la mou­vance envi­ron­ne­men­tale deux ans et demi pour se rendre compte de la même chose, suite à la publi­ca­tion d’une enquête majeure dans le Time Maga­zine révé­lant la rela­tion moné­taire unis­sant l’une des plus grosses com­pa­gnie d’ex­ploi­ta­tion de gaz de schiste par frac­tu­ra­tion hydrau­lique des États-Unis avec l’un des groupes envi­ron­ne­men­taux les plus impor­tants du pays.

« La meilleure preuve d’une rela­tion finan­cière est une note dans le rap­port annuel de 2008 du Sier­ra Club ren­dant compte du sou­tien finan­cier de la Ame­ri­can Clean Skies Foun­da­tion cette année-là, écrit Mon­go­ven dans un mail des­ti­né au vice-pré­sident des com­mu­ni­ca­tions de l’As­so­cia­tion natio­nale des fabri­cants (NdT : La Natio­nal Asso­cia­tion of Manu­fac­tu­rers est une asso­cia­tion regrou­pant les entre­prises indus­trielles amé­ri­caines), Luke Popo­vich. Selon McClen­don, la Ame­ri­can Clean Skies Foun­da­tion a été créée par Che­sa­peake et d’autres en 2007. »

Bart Mon­go­ven a éga­le­ment uti­li­sé le para­digme des « réalistes/idéalistes » pour débattre de la pro­ba­bi­li­té qu’une légis­la­tion sur le chan­ge­ment cli­ma­tique soit votée dans un article publié en 2007 sur le site inter­net de Stratfor.

« Les réa­listes sou­te­nant un régime fédé­ral puis­sant sont ame­nés à pen­ser qu’avec la plu­part des indus­triels appe­lant à agir face au chan­ge­ment cli­ma­tique, tout va pour le mieux, écri­vait Mon­go­ven. Les idéa­listes, quant à eux, font valoir que puis­qu’ils sont dans une posi­tion de force, les indus­triels ne pour­raient pas grand-chose contre un pré­sident et un Congrès démo­crates, aus­si les temps sont-ils en faveur des envi­ron­ne­men­ta­listes. Les idéa­listes font valoir qu’ils ne sont pas allés aus­si loin pour faire pas­ser une demi-mesure, en par­ti­cu­lier une mesure qui ne contien­drait pas un seuil d’é­mis­sion de car­bone exigeant. »

Mais com­ment se char­ger au mieux des « radi­caux » comme Julian Assange, fon­da­teur et diri­geant de Wiki­Leaks, et du lan­ceur d’a­lerte Brad­ley Man­ning, qui four­nit à Wiki­Leaks les câbles diplo­ma­tiques du Dépar­te­ment d’É­tat des États-Unis, les rap­ports de guerre d’I­rak et d’Af­gha­nis­tan, ain­si que la fameuse vidéo des « meurtres col­la­té­raux » ? Bart Mon­go­ven pro­pose une solu­tion simple pour les « iso­ler », ain­si que le sug­gère la for­mule de Duchin.

« Je suis d’a­vis d’u­ti­li­ser n’im­porte quelle accu­sa­tion men­son­gère pour déga­ger [Assange] et ses ser­veurs du pay­sage. Et je don­ne­rais à man­ger la tête de con de ce sol­dat [Brad­ley Man­ning] à la pre­mière meute de chiens errants que je trou­ve­rais, écrit Mon­go­ven dans un échange de mail révé­lé dans les Glo­bal Intel­li­gence Files. Ou peut-être lui faire subir ce que les Ira­niens font subir à nos indi­ca­teurs, là-bas. »

Bien sûr, l’u­ti­li­sa­tion « d’ac­cu­sa­tions men­son­gères » est une tech­nique sou­vent uti­li­sée par le gou­ver­ne­ment amé­ri­cain contre des mili­tants radi­caux, ain­si que nous l’a appris le Pro­gramme de contre-espion­nage du FBI (COINTELPRO) des années 60, de même que des affaires plus récentes liées au mou­ve­ment Occu­py à Cle­ve­land et Chicago.

« L’équivalent d’armes dans le domaine de l’économie de l’information »

Quelques jours à peine après les attaques du 11 sep­tembre 2001 contre le World Trade Cen­ter et le Penta­gone, l’Aus­tin Chro­nicle publiait un article sur Strat­for posant en titre cette ques­tion rhé­to­rique : « La connais­sance est-elle pouvoir ? »

La réponse, en bref : oui.

« Ce que pro­duit Strat­for, c’est l’é­qui­valent d’armes dans le domaine de l’é­co­no­mie de l’in­for­ma­tion : de la connais­sance sur le monde pou­vant chan­ger le monde, rapi­de­ment et irré­vo­ca­ble­ment, écrit Michael Erard pour le Chro­nicle. Aus­si, si Strat­for a du suc­cès, c’est parce que tou­jours plus d’in­di­vi­dus et d’en­tre­prises veulent avoir accès à de l’in­for­ma­tion les aidant à dis­sé­quer un monde instable — et sont prêts à payer beau­coup d’argent pour ça. »

Sur ce sujet, Stau­ber le rejoint en ce qui concerne la méta­phore des « armes » et la méta­phore de la « guerre » de Duchin :

« Les entre­prises livrent une guerre contre les mili­tants pour s’as­su­rer que leurs acti­vi­tés, leur puis­sance, leurs pro­fits et leur indé­pen­dance ne soit ni réduits ni signi­fi­ca­ti­ve­ment alté­rés. Les acti­vistes sont contraints de ten­ter de pro­vo­quer des chan­ge­ments sociaux fon­da­men­taux dans un envi­ron­ne­ment où les inté­rêts des entre­prises sont domi­nants à la fois poli­ti­que­ment et au tra­vers des médias qu’elles possèdent. »

Stau­ber estime que les acti­vistes ont beau­coup de retard et qu’ils n’ar­rivent pas à suivre la cadence des Pagan, MBD, Strat­for et autres :

« Les employés de chez Pagan/MBD/Stratfor ont une approche beau­coup plus sophis­ti­quée du chan­ge­ment social que celle des mili­tants aux­quels ils s’op­posent. Ils ont des res­sources illi­mi­tées à leur dis­po­si­tion, et leur but est rela­ti­ve­ment simple : s’as­su­rer qu’au bout du compte les mili­tants échouent à obte­nir des réformes fon­da­men­tales. Duchin et Mon­go­ven étaient impi­toyables. Je pense qu’ils s’a­mu­saient sou­vent de la naï­ve­té, de l’é­go­tisme, des frasques et des échecs des mili­tants qu’ils trom­paient et défai­saient quo­ti­dien­ne­ment. Au bout du compte, c’est une guerre, et les meilleurs guer­riers rem­por­te­ront la victoire. »

Une chose est cer­taine : l’hé­ri­tage de Duchin sur­vit dans sa « méthode ».

« Sa méthode en trois étapes est brillante et a sans doute prou­vé sa capa­ci­té à empê­cher les réformes démo­cra­tiques dont nous avons besoin, note Stau­ber, nous rame­nant où nous avons com­men­cé en 1982, à la remarque de Pagan concer­nant l’isolement des “meneurs acti­vistes fanatiques”. »

Steve Horn


Tra­duc­tion collective

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