Un monde de plus en plus vert (par Nicolas Casaux)

Vous serez tous très heu­reux d’apprendre que le sec­teur minier est de plus en plus vert. En effet, de plus en plus d’entreprises minières recourent à des cen­trales de pro­duc­tion d’énergie dite « renou­ve­lable » ou « verte » ou « propre » pour ali­men­ter — une par­tie — de leurs exploi­ta­tions. Car si les immenses camions et engins miniers ne fonc­tionnent pas encore tous à l’électricité, « le plus grand véhi­cule élec­trique du monde est un camion à benne [un camion minier] de 290 tonnes ». Kon­bi­ni nous rap­porte que :

« Ce camion, nom­mé Fuel Cell Elec­tric Vehicle (FCEV), pos­sède une capa­ci­té de sto­ckage de 1 000 kWh, soit treize fois la capa­ci­té d’une Tes­la Model 3. Équi­pé ori­gi­nel­le­ment d’un moteur die­sel, il est en cours de conver­sion par Bal­lard avec l’aide de Williams Advan­ced Engi­nee­ring, qui a notam­ment four­ni les bat­te­ries pour les courses de For­mule E

Il dis­po­se­ra d’une moto­ri­sa­tion hybride grâce à neuf piles à com­bus­tible à hydro­gène cou­plée à une bat­te­rie lithium-ion. Il sera donc aus­si le plus gros véhi­cule à hydro­gène au monde. Une autre des par­ti­cu­la­ri­tés de ce monstre est qu’un dis­po­si­tif de régé­né­ra­tion des bat­te­ries au frei­nage a été mis en place, per­met­tant au camion de conser­ver de la bat­te­rie durant les des­centes et de s’économiser sur des ter­rains difficiles. »

En effet, fort heu­reu­se­ment, cha­ri­ta­ble­ment, géné­reu­se­ment, « l’industrie minière plé­bis­cite les camions élec­triques géants ». Ain­si qu’un article publié sur le site Rene­wables Now (lit­té­ra­le­ment : Les renou­ve­lables main­te­nant, un site dédié à l’in­dus­trie des éner­gies dites renou­ve­lables) nous l’apprend :

« Un des prin­ci­paux avan­tages des éner­gies renou­ve­lables, c’est qu’elles peuvent répondre aux besoins éner­gé­tiques d’exploitations minières situées dans des régions iso­lées, où le coût de construc­tion des infra­struc­tures néces­saires pour rac­cor­der la mine au réseau élec­trique ou pour construire une cen­trale élec­trique clas­sique serait très impor­tant. En dis­po­sant d’une source d’éner­gie renou­ve­lable hors réseau, une exploi­ta­tion minière peut satis­faire tous ses besoins éner­gé­tiques à par­tir de sources vertes et réa­li­ser des éco­no­mies impor­tantes sur le prix de l’électricité. »

Autre­ment dit, les éner­gies renou­ve­lables, c’est super. Même dans les régions encore pré­ser­vées des ravages de la civi­li­sa­tion, on peut ins­tal­ler une cen­trale pho­to­vol­taïque ou éolo­vol­taïque, et hop, on peut ouvrir une mine. N’est-ce pas formidable ?!

« Voyez par exemple le pro­jet de la socié­té auri­fère cana­dienne B2Gold de déve­lop­per et d’ins­tal­ler l’un des plus grands sys­tèmes d’éner­gie pho­to­vol­taïque et à bat­te­rie hors réseau du monde à sa mine de Feko­la au Mali. Ce pro­jet de 38 mil­lions de dol­lars US consis­te­ra en une cen­trale solaire de 30 MW avec un sto­ckage par bat­te­rie de 13,5 MWh, qui sera inté­grée à la cen­trale élec­trique exis­tante qui fonc­tionne au HFO [au fioul lourd, HFO = Hea­vy-Fue­led Oil]. »

Remar­quez, au pas­sage, le cercle émi­nem­ment ver­tueux que tout ceci induit, véri­table sym­biose entre indus­trie des éner­gies renou­ve­lables et indus­trie minière :

« Il est donc très clair que les indus­tries de l’ex­ploi­ta­tion minière et de la pro­duc­tion d’énergies renou­ve­lables auront, et doivent avoir, une rela­tion sym­bio­tique forte à l’a­ve­nir. L’in­dus­trie des éner­gies renou­ve­lables, qui doit nous per­mettre d’avancer en direc­tion de la neu­tra­li­té car­bone, repose sur l’extraction de métaux et mine­rais. En retour, l’in­dus­trie minière s’ap­puie­ra de plus en plus sur les éner­gies renou­ve­lables afin de faire en sorte que son image d’industrie sale s’estompe au pro­fit de l’image d’une indus­trie propre, en vue de conser­ver et ren­for­cer l’ap­pé­tit des investisseurs. »

À ce pro­pos, un article a récem­ment été publié dans la pres­ti­gieuse revue scien­ti­fique Nature, inti­tu­lé « La pro­duc­tion d’éner­gie renou­ve­lable va exa­cer­ber les menaces que les exploi­ta­tions minières font peser sur la bio­di­ver­si­té ». S’il dénonce à juste titre les dom­mages envi­ron­ne­men­taux qu’implique le déve­lop­pe­ment des indus­tries de pro­duc­tion d’énergie dite « propre », « verte » ou « renou­ve­lable », il com­mence par une belle absur­di­té, qui illustre très bien le pro­blème de per­cep­tion dans lequel sont englués la plu­part des gens ayant été fruc­tueu­se­ment condi­tion­nés par l’idéologie dominante :

« La pro­duc­tion d’éner­gie renou­ve­lable est néces­saire pour endi­guer le chan­ge­ment cli­ma­tique et enrayer les pertes de bio­di­ver­si­té qui y sont associées. »

Néces­saire ! Comme si, afin de mettre un terme au réchauf­fe­ment cli­ma­tique, il était impé­ra­tif de construire des cen­trales pho­to­vol­taïques et de pro­duire de l’électricité. Comme si la pla­nète avait impé­ra­ti­ve­ment besoin que les humains pro­duisent de l’électricité afin de dimi­nuer son taux de car­bone atmo­sphé­rique ! Comme si la pro­duc­tion d’électricité pho­to- ou éolo­vol­taïque était une condi­tion sine qua non de la pré­ser­va­tion des baleines ! Quelle conne­rie. La pro­duc­tion d’électricité sert aux humain­dus­triels, à la civi­li­sa­tion indus­trielle. Si ces scien­ti­fiques consi­dèrent ce moindre mal (moindre par rap­port à faire encore plus con, à tout détruire encore plus vite) du déve­lop­pe­ment de nou­velles indus­tries faus­se­ment vertes comme le mini­mum vital, c’est qu’ils partent du prin­cipe, de l’axiome indis­cu­té, à l’ins­tar de la plu­part des civi­li­sés, selon lequel la pro­duc­tion d’électricité, la per­pé­tua­tion de l’essentiel du mode de vie tech­no-indus­triel moderne, est une néces­si­té fon­da­men­tale, et qu’ils occultent alors tout ques­tion­ne­ment sur si une telle chose peut-être, ou non, com­pa­tible avec la pros­pé­ri­té de la vie sur Terre et l’existence de socié­tés éga­li­taires, démo­cra­tiques, offrant aux humains des vies dési­rables. C’est qu’ils sont inca­pables d’envisager la seule solu­tion qui puisse être réel­le­ment bonne, posi­tive : arrê­ter la civi­li­sa­tion indus­trielle, c’est-à-dire arrê­ter de pro­duire de l’électricité et de l’énergie indus­trielles, et tout ce que cela implique.

(Dans un autre épi­sode, je vous par­le­rai peut-être du ver­dis­se­ment de l’ar­mée et de l’in­dus­trie de la guerre plus géné­ra­le­ment. Les réus­sites de l’é­co­lo­gisme sont innombrables.)

Nico­las Casaux

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  1. Bon­jour,

    C’est écœu­rant et ne laisse plus aucun doute sur le che­min pris ain­si que cette fuite en avant mor­ti­fère. Basta ! 

    Si, quand la fusion sera maî­tri­sée et que l’éner­gie sera pra­ti­que­ment sans borne, bon mar­ché, ratio­na­li­sée, cap­tée et dédiées essen­tiel­le­ment aux acti­vi­tés de la méga­ma­chine, soyez sûr d’une chose : plus aucune limite à la trans­for­ma­tion de chaque par­celle de cette pla­nète en mar­chan­dise dési­rable pour la repro­duc­tion de ce cycle annon­cé comme ver­tueux. Il n’en res­te­ra plus rien.

    Le « capi­ta­lo­cène » est cette chose la plus pour­rie qui soit et qui refa­çonne le monde : de la nature pri­maire jus­qu’à ton désir de nature en recons­trui­sant des ersatz de nature ou en la gérant/la met­tant sous cloche en te disant que c’est mieux que la nature.

    Que vienne la ruine au pré­sent, je l’ac­cueille­rai plus joyeu­se­ment et serei­ne­ment que les énièmes marottes et men­songes com­plexes du pro­grès bâtis­sant l’avenir.

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