À propos de « La face cachée des énergies vertes » (par Nicolas Casaux)

La vidéo ci-avant est un petit mon­tage réa­li­sé à par­tir du docu­men­taire La face cachée des éner­gies vertes. Mais avant d’en venir au docu­men­taire lui-même, deux choses concer­nant cet extrait :

1. « Puri­fient l’air en Europe » : quelle for­mule absurde, en soi, rou­ler en voi­ture élec­trique ou ins­tal­ler des éoliennes ou des pan­neaux solaires ne puri­fie évi­dem­ment pas l’air en Europe (sachant qu’on res­pire tous dans la même atmo­sphère, si leur pro­duc­tion et trans­port, etc., pol­luent l’air ailleurs, c’est pour nous aussi).

2. « Il n’y a pas de pro­duits qui soient zéro impact zéro CO2 100% éco­lo », « tout a tou­jours un impact » (Bihouix), sous-enten­du : un impact néga­tif sur le monde. C’est exact, dans la civi­li­sa­tion indus­trielle, tout a tou­jours un impact néga­tif sur le monde. Toutes les indus­tries pol­luent, toutes, toutes ont des effets délé­tères sur la bio­sphère. C’est pour cette rai­son que même si l’on trou­vait une source d’énergie et notam­ment d’électricité abon­dante et réel­le­ment non-pol­luante, n’ayant aucun impact néga­tif sur l’environnement [ça n’existera jamais, mais admet­tons], le pro­blème éco­lo­gique de la civi­li­sa­tion serait très loin d’être réglé. Cela pour­rait même le faire empi­rer : cette éner­gie serait mas­si­ve­ment uti­li­sée dans divers pro­ces­sus, pour diverses choses tou­jours nui­sibles pour le monde natu­rel. Mais en dehors de la civi­li­sa­tion, nombre de cultures, de peuples savent (savaient, pour ceux que la civi­li­sa­tion a détruits) vivre, pro­duire des den­rées ali­men­taires, se diver­tir, etc., sans nuire au monde. Au contraire, le sys­tème tech­no­lo­gique, issu du capi­ta­lisme et de l’État, est fon­ciè­re­ment incom­pa­tible avec la nature et la liber­té humaine.

Le prin­ci­pal mérite de ce docu­men­taire (à voir ou télé­char­ger en sui­vant ce lien) coréa­li­sé par Guillaume Pitron et Jean Louis Pérez, pro­duit par JL Mil­lan et JL Pérez (Grand angle Pro­duc­tions), et ins­pi­ré du livre de Pitron inti­tu­lé La Guerre des métaux rares, est d’exposer des réa­li­tés évi­dentes et pour­tant lar­ge­ment occul­tées par les médias de masse (et les éco-célé­bri­tés, les éco-ministres, etc.) concer­nant les tech­no­lo­gies de pro­duc­tion d’éner­gies pré­ten­du­ment « vertes », « propres » ou « renou­ve­lables », et les tech­no­lo­gies dites « vertes » plus géné­ra­le­ment. À savoir que la fabri­ca­tion indus­trielle de tous ces appa­reils — pan­neaux solaires, éoliennes, voi­tures élec­triques, etc. — implique elle-même diverses pra­tiques pol­luantes, nui­sibles pour le monde natu­rel — extrac­tions minières de cuivre, de gra­phite, de lithium, trans­ports et trai­te­ments de ces matières pre­mières, etc.

Le pro­blème, c’est que la pers­pec­tive qu’il adopte est celle de tech­no­crates dési­reux de gérer au mieux la civi­li­sa­tion indus­trielle. C’est-à-dire que ses réa­li­sa­teurs et inter­ve­nants se fichent pas mal du fait que la fabri­ca­tion de quoi que ce soit en usine, et plus lar­ge­ment que tout tra­vail, dans la civi­li­sa­tion indus­trielle, repose sur l’entr’exploitation géné­ra­li­sée des êtres humains entre eux, et plus par­ti­cu­liè­re­ment sur l’exploitation du plus grand nombre par le petit nombre que per­mettent aus­si bien les États pré­ten­du­ment démo­cra­tiques que ceux qui ne s’embarrassent pas d’une telle prétention.

Les deux prin­ci­pales cri­tiques que for­mulent Pitron et Pérez, ain­si que Bihouix et les nom­breux inter­ve­nants (Mon­te­bourg, etc.), c’est d’une part que les tech­no­lo­gies de pro­duc­tion d’éner­gies dites vertes et les tech­no­lo­gies dites vertes plus géné­ra­le­ment ne sont pas exac­te­ment vertes, et d’autre part que leur pro­duc­tion implique un extrac­ti­visme et des pol­lu­tions délo­ca­li­sées plu­tôt que locales. Non seule­ment ils n’ont rien à dire sur le sys­tème d’exploitation de l’humain par l’humain et de mar­chan­di­sa­tion de tout qu’on appelle capi­ta­lisme, mais en plus ils n’ont rien à dire sur l’usage de l’énergie faus­se­ment verte pro­duite, sur le déve­lop­pe­ment tech­no­lo­gique — la tech­no­lo­gie — et ses effets (sur les impli­ca­tions socio­po­li­tiques de la tech­no­lo­gie, l’antinomie entre démo­cra­tie et technologie).

S’ils déplorent le fait qu’en matière d’énergies et de tech­no­lo­gies dites « vertes », des patrons chi­nois l’aient empor­té sur des patrons fran­çais, autre­ment dit que ce soit des pro­los chi­nois et non pas fran­çais qui aient pré­sen­te­ment l’honneur de fabri­quer des pan­neaux solaires en usine ou de tra­vailler dans des mines, s’ils déplorent le manque à gagner en termes d’emplois, de tra­vail (de ser­vi­tude sala­riale) que cela repré­sente, ils se moquent éper­du­ment du fait que tout cela implique, en pre­mier lieu, qu’il y ait des patrons et des tra­vailleurs, une immense divi­sion hié­rar­chique du tra­vail, etc. Le capi­ta­lisme et l’É­tat — ces deux sys­tèmes imbri­qués de dépos­ses­sion, d’ex­ploi­ta­tion et d’a­lié­na­tion, qui se com­binent pour for­mer la tech­no­cra­tie mon­dia­li­sée — ne leur posent aucun pro­blème. À ce titre, ils rejoignent la plu­part des éco­lo­gistes, par­don, la plu­part des élec­tro­lo­gistes — de Gre­ta Thun­berg à Cyril Dion.

En outre, leur cri­tique de la non-ver­ti­tude des tech­no­lo­gies de pro­duc­tion d’énergie pré­ten­du­ment verte débouche sur un plai­doyer à la fois en faveur de l’innovation-technologique-qu’elle-pourrait-nous-sauver (plus de recy­clage, meilleur recy­clage, même si Phi­lippe Bihouix recon­nait qu’en l’état des choses, les terres rares, on ne sait pas les recy­cler, nou­velles tech­no­lo­gies, etc.), « il faut faire ce pari » (de l’innovation tech­no­ca­pi­ta­liste) nous dit Oli­vier Vidal, direc­teur de recherche au CNRS, et en faveur de quelque « sobrié­té », dimi­nu­tion ou ration­ne­ment pla­ni­fié et impo­sé par l’État dans la consom­ma­tion (sorte de décrois­sance, pure­ment maté­rielle, mais ils n’emploient pas le terme parce que Pitron ne l’aime pas).

C’est-à-dire que les tech­no­lo­gies dites « vertes » ça pol­lue, oui, certes, mais on s’améliore, elles pour­raient pol­luer moins à l’avenir (peut-être), ou du moins émettre moins de CO2 (peut-être) — et puis, ain­si que l’explique le docu­men­taire, toute acti­vi­té humaine pol­lue ou nuit for­cé­ment à l’environnement (« tant qu’il y aura des acti­vi­tés humaines, il y aura de la pol­lu­tion » nous dit le secré­taire adjoint de la socié­té chi­noise des terres rares, en assi­mi­lant, en bon civi­li­sé, acti­vi­té humaine et acti­vi­té indus­trielle), alors bon, un moindre mal comme objec­tif, une des­truc­ti­vi­té plus douce, un meurtre plus lent, c’est bien tout ce qu’on peut faire, contraints que nous sommes de conti­nuer avec le mode de vie tech­no-indus­triel, avec la civilisation.

On peut donc tou­jours recon­naître à Pitron & Co. le mérite — que n’ont pas les élec­tro­lo­gistes type Thun­berg, Dion, YAB & Co. — d’ad­mettre que de toute façon il n’existe pas vrai­ment de civi­li­sa­tion tech­no-indus­trielle capi­ta­liste sou­te­nable, bio, propre ou renou­ve­lable. Même si, au bout du compte, ils se retrouvent à encou­ra­ger à peu près la même chose qu’eux : inno­va­tion, tech­no­lo­gie, sobriété‑s’il-vous-plait.

Nico­las Casaux

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