De grands mensonges verts exposés à la télé. Encore. Après le reportage de Guillaume Pitron, La face cachée des énergies vertes (2020), coproduit par Arte, voilà qu’M6 nous propose La face noire des énergies vertes — gros effort de créativité. Un reportage qui a ses défauts (nombreux), bien entendu, mais néanmoins le mérite de mettre en lumière quelques vérités dans un vaste océan de bêtises et de mensonges médiatiques : non, les énergies dites « vertes » ou « propres » ne sont ni l’un ni l’autre. La fabrication des panneaux solaires photovoltaïques et des éoliennes, par exemple, implique de lourdes dégradations environnementales. Même chose pour l’installation de ces équipements de production d’énergie (déforestation pour implanter une centrale solaire, etc.). Oui, ces nouvelles technologies sont un business florissant, un secteur en plein essor du capitalisme industriel.
Au passage : le documentaire nous montre une mine de silice, en Chine, dans laquelle des femmes sont exploitées. Avec la silice, on obtient le silicium, ingrédient majeur des panneaux solaires photovoltaïques. Or, on ne compte plus le nombre de gros malins fiers de leur savoir qui soutiennent que les panneaux solaires, c’est un super truc à fabriquer vu que du silicium, il y en a plein partout. On remplirait des encyclopédies avec tout ce qu’une telle affirmation occulte, qui la rend totalement absurde, et même indécente, irresponsable. D’abord que le silicium n’existe pas à l’état naturel, qu’il faut l’extraire du quartz ou de la silice. Qu’il faut l’extraire dans des mines (et que les mines c’est pas vraiment le truc le plus écolo). Et des gens pour travailler dans ces mines. Et un système social en mesure de contraindre ces gens de travailler dans ces mines. Il faut aussi un tas d’autres minerais, d’autres matières premières. Qu’il faut traiter (le traitement de la silice pour faire du silicium, par exemple est très énergivore), transporter, re-traiter, etc. Il faut aussi extraire les matériaux pour construire tout le câblage, et au préalable les matériaux pour construire les machines pour extraire les matériaux pour construire les panneaux solaires et le câblage. Etc. La liste est longue des implications matérielles et sociales de la fabrication de panneaux solaires photovoltaïques ou d’éoliennes. Tout ça pour produire de l’énergie pour alimenter d’autres appareils, d’autres machines, qu’il faut également produire, etc., belote, rebelote, quinte flush royale. Si vous aimez les panneaux solaires photovoltaïques, si vous pensez qu’il est super génial de recourir à ces appareils parce que du silicium il y en a plein partout, n’hésitez pas : filez les aider dans les mines de silice ou de quartz ! Vous pourrez ainsi vous targuer de posséder un « emploi vert » — soit la consécration de l’idéal civilisé/capitaliste/progressiste.
Mais revenons-en au documentaire. Ses lacunes sont les lacunes habituelles des reportages produits par et pour la télé. On n’y discute pas une seconde de la moralité et de la nature du capitalisme, de la soutenabilité des dynamiques qui le constituent. On ne dit rien de l’État non plus, bien entendu. On ne dit rien des autres industries qui composent la civilisation industrielle — autres que celles qui visent à produire de l’énergie. Pourtant, toutes sont plus écologiquement nuisibles les unes que les autres (les champs agro-industriels, sous les éoliennes, sont un fameux désastre) ! On fait même l’apologie d’industries hautement nuisibles — le nucléaire et les barrages —, au motif qu’elles produiraient de l’énergie « décarbonée » (faux dans les deux cas, notamment en ce qui concerne les barrages[1], qui émettent beaucoup de GES ; si le nucléaire en émet peu, il en émet quand même ; et nonobstant les émissions de gaz à effet de serre, les industries des barrages et du nucléaire impliquent nombre de destructions et dégradations écologiques majeures). Et outre que ces industries sont, comme les autres, des produits des systèmes de domination que sont l’État et le capitalisme, on occulte tranquillement que ces industries, comme les autres, ne servent qu’à produire de l’énergie pour alimenter des appareils, des machines, qu’il a fallu construire, qui sont autant de futurs déchets, etc. On occulte, autrement dit, le plus important.
« Technologie verte » est un oxymore. Dans la civilisation industrielle, rien n’est vert, rien n’est propre. Rien n’est renouvelable — sauf le mensonge, le profit, l’exploitation, la domination, la destruction, mais dans une certaine mesure seulement : on ne peut avoir une destruction infinie sur une planète finie (d’où la volonté de métastaser sur Mars).
Pour parvenir à des sociétés soutenables, une seule voie : la décroissance (mais radicale, certains emploient désormais ce terme en association avec l’idée d’une civilisation techno-industrielle verte, reposant sur un étrange mélange de hautes et de basses technologies, sur des fantasmes de réformes du capitalisme et de l’État : une chimère, légèrement moins absurde que les autres, mais encore bien trop), la détechnologisation du monde, la désindustrialisation, la désurbanisation, la décivilisation.
Pour voir ou télécharger ce reportage d’M6 : https://drive.google.com/file/d/1Jf-BkP2GQ6mXvzvLOqe0G6uoJQnxTMk5/view?usp=sharing
Nicolas Casaux