Du nouveau maccarthysme en milieu « radical » (par Tomjo)

Nous repro­dui­sons ici un texte publié par Tom­jo sur le site de sa revue, Hors-Sol, en octobre 2019. Le titre (du nou­veau mac­car­thysme en milieu « radi­cal ») est un ajout. De même que les quelques images.


Du coup

Lille, 2014 – 2019 :

Insultes, rumeurs et calom­nies consé­cu­tives aux débats sur la PMA
Post-scrip­tum à mon pas­sage en milieu ridicule

Par Tom­jo
Lille, octobre 2019

« Le Par­ti n’a jamais tort, dit Rou­ba­chov. Toi et moi, nous pou­vons nous trom­per. Mais pas le Par­ti. Le Par­ti, cama­rade, est quelque chose de plus grand que toi et moi, et que mille autres comme toi et moi. Le Par­ti, c’est l’in­car­na­tion de l’i­dée révo­lu­tion­naire dans l’His­toire. L’His­toire ne connaît ni scru­pules ni hési­ta­tions. Inerte et infaillible, elle coule vers son but. A chaque courbe de son cours, elle dépose la boue qu’elle char­rie et les cadavres des noyés. L’His­toire connaît son che­min. Elle ne com­met pas d’er­reurs. Qui­conque n’a pas une foi abso­lue dans l’His­toire n’a pas sa place dans les rangs du Parti. »

Arthur Koest­ler, Le zéro et l’in­fi­ni, 1940.

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Mises bout à bout, les peti­tesses des indi­vi­dus révèlent un milieu, ses fins et ses moyens. Voi­ci quelques épi­sodes de mon pas­sage dans ce qui s’autodésigne noble­ment comme le « milieu radi­cal ». S’il s’a­git bien d’un « milieu », par sa struc­ture lâche et ses juges offi­cieux, il fonc­tionne néan­moins comme un par­ti – sup­po­sé­ment « liber­taire », mais un par­ti quand même. S’il se pré­tend « radi­cal », c’est pour son verbe haut, son esthé­tique et ses pos­tures détèr, son goût du coup de poing. Rare­ment pour ses idées. Le terme qui convient est donc « extré­miste ». Quant aux idées, disons « libé­rales-liber­taires ». Les insultes et menaces que l’on m’a adres­sées depuis le débat sur l’ou­ver­ture de la PMA aux les­biennes et aux femmes seules à par­tir de 2014 en consti­tuent une illustration.

Si je publie ce témoi­gnage aujourd’hui, c’est en rai­son du calen­drier. Il me plaît de rap­pe­ler aux « radi­caux » que la PMA est sur le point d’être votée par une assem­blée « Répu­blique En Marche », sur pro­po­si­tion d’Em­ma­nuel Macron, le même qui a ébor­gné gilets jaunes et K‑ways noirs tous les same­dis de l’année écou­lée. Ce retour de la PMA dans l’es­pace public me valant une nou­velle salve d’in­sultes et de calom­nies depuis cet été, des tags « Tom­jo gros mas­cu », une BD sur le net, une inter­dic­tion de par­ti­ci­per à une conférence.

Ce témoi­gnage, cha­cun l’en­ten­dra à sa guise, mais les pires sourds, désor­mais, ne pour­ront faire comme si je n’avais rien dit, ni por­té les faits à la connais­sance de tout un chacun.

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Quand on arrive en ville…

J’entre en milieu radi­cal lil­lois en 2006, au moment du CPE. J’ar­rive d’A­miens, un peu seul dans cette grande ville et mes ques­tions. Je souffre, confu­sé­ment, de cirer les bancs de l’U­ni­ver­si­té. Ils m’en­voient droit vers un bon diplôme, un bon tra­vail, une bonne voi­ture, un bon ménage, une bonne réus­site sociale attes­tée par l’a­chat de bre­loques ; bref, vers un ennui pro­fond – qui de sur­croît pré­ci­pite la date de péremp­tion de l’Hu­ma­ni­té par les mar­chan­dises qui le com­pensent. Les années 90 m’a­vaient empor­té de leur ambiance punk fin-de-siècle, plus éner­vées par l’ab­sence de pers­pec­tives et le refus de par­ve­nir que par la gagne. Nir­va­na, Pixies, Thié­faine, Mano Solo en furent la bande sonore, Fight Club, Trains­po­ting, The Big Lebows­ki, Ame­ri­can Beau­ty la mise en images. Au milieu des assem­blées et des blo­cages de cette année 2006, je ren­contre une bande de cyclistes qui s’a­musent, de nuit, à détour­ner ou détruire des pan­neaux publi­ci­taires. Leur truc m’en­thou­siasme tout de suite : il existe sur cette Terre des gens qui sortent des rails du bon­heur que me tra­çaient jusque-là famille, école, publi­ci­tés et poli­ti­ciens. Je trouve des gens et des mots avec les­quels for­mu­ler mes ques­tions, à défaut de tou­jours y répondre. J’adhère à une asso­cia­tion de jeunes éco­los, liber­taires sur les bords, qui refusent et cri­tiquent plus géné­ra­le­ment le nihi­lisme de la socié­té indus­trielle. C’est le moment de mes pre­mières manifs anti­nu­cléaires en Alle­magne, des manifs anti-OGM en Lozère, et des camps d’é­té entre éco­los che­ve­lus. On est entre 2006 et 2010.

Cette effer­ves­cence me libère la parole. Je soigne ma dépres­sion par l’ex­pres­sion, du moins par écrit. Je pro­pose des articles à La Brique, un jeune jour­nal de cri­tique sociale, puis à d’autres comme CQFD, la revue Z, etc. Je découvre mes pre­miers squats, où s’in­vente une vie la plus éloi­gnée pos­sible de l’u­sine ou du bureau, « sec­tion squat-tout nik-tout » puis­qu’il n’y a rien à gar­der de ce monde. Je navigue quelques années entre éco­los rigo­los et anar­chistes en rup­ture. J’a­vale le cata­logue des édi­tions de l’En­cy­clo­pé­die des nui­sances, des situa­tion­nistes deve­nus anti-indus­triels ; c’est avec leurs écrits que je me trouve le mieux accom­pa­gné. Des anars, je regrette par­fois l’inconséquence sur cette nou­velle donne qu’est le désastre éco­lo­gique (nou­velle par rap­port à la guerre d’Es­pagne). Des éco­los, je regrette le « citoyen­nisme », l’aliénation au Par­ti de l’État et à ses solu­tions (éner­gies renou­ve­lables, trans­ports « doux », ratio­na­li­sa­tion infor­ma­tique de la socié­té). Je ren­contre les Gre­no­blois de Pièces et main d’œuvre qui publient mon enquête, L’En­fer vert, un pro­jet pavé de bonnes inten­tions, sur leur site et dans leur col­lec­tion Néga­tif, à L’Échappée (2013). Une cri­tique de cet éco­lo­gisme qui m’exas­père à Lille.

Che­min fai­sant, et pour entrer dans le vif du sujet, j’ac­com­pagne le signa­taire d’un livre cri­tique de la tech­no­lo­gie PMA dans une tour­née de librai­ries. Il s’a­git de La Repro­duc­tion arti­fi­cielle de l’hu­main d’A­lexis Escu­de­ro, co-écrite avec Pièces et main d’œuvre, éga­le­ment publiée sur le site de PMO, puis aux édi­tions du Monde à l’en­vers. J’or­ga­nise une pré­sen­ta­tion du livre dans une librai­rie que je squatte et habite. Il ne m’a pas échap­pé que la France est secouée depuis deux ans par le mariage et la Manif pour tous. J’en­rage qu’au­cun débat n’existe autour des tech­no­lo­gies de repro­duc­tion. S’il y a des méchants, les gen­tils doivent faire front. Quand le bou­quin débarque sur les étals, il rap­pelle aux mili­tants contre la mar­chan­di­sa­tion du monde, à ceux qui mani­fes­taient contre les OGM dix ans plus tôt, que la PMA est une tech­nique de sélec­tion, de mar­chan­di­sa­tion et d’augmentation géné­tique de l’es­pèce humaine. Les indus­triels de la géné­tique sont en passe de faire avec les humains ce qu’ils ont fait avec le soja et les vaches Hol­stein. Aucune consi­dé­ra­tion sur qui peut bai­ser avec qui, ni qui peut se marier avec qui. Et pour cause : on s’en fout, tant que les gens prennent du plaisir…

Page 1 du livre : « Même si tous les mar­cheurs [de la Manif pour tous] ne sont pas homo­phobes, nombre de ceux qui pro­testent contre le mariage, l’adoption homo­sexuelle, la PMA ou la GPA défilent en fait contre l’homosexualité. » Nous n’en sommes pas. Le pro­cès en « homo­pho­bie », en « réac­tion » et en « fas­cisme » qui m’est fait, ain­si qu’à l’au­teur et aux édi­teurs, pour­rait s’ar­rê­ter là : page 1.

S’il fal­lait insis­ter, et appa­rem­ment il le faut, lisons la page 2 : « L’insémination pra­ti­quée à domi­cile avec le sperme d’un proche n’est pas la PMA. La pre­mière n’exige qu’un pot de yaourt et une seringue. Elle sou­lève essen­tiel­le­ment la ques­tion de l’accès aux ori­gines pour l’enfant : lui dire qui est son père ? La PMA en revanche, pra­ti­quée en labo­ra­toire, sou­met les couples à l’expertise médi­cale, trans­forme la pro­créa­tion en mar­chan­dise, place les embryons sous la coupe du bio­lo­giste et entraîne leur sélec­tion : l’eugénisme. C’est la PMA que réclame la gauche et la mou­vance LGBT. » Le livre est une attaque de la PMA, non du pot de yaourt uti­li­sé par cer­taines les­biennes. Le pro­cès en « homo­pho­bie » pour­rait se conclure ici : page 2.

Page 3, ce slo­gan en guise de reven­di­ca­tion, enfonce le clou : « Ni pour les homos, ni pour les hété­ros : la PMA pour personne ! »

Ce n’est pas com­pli­qué à com­prendre. Encore faut-il lire trois pages.

Le livre ne s’en prend jamais au fémi­nisme. Pas une fois. Comme cha­cun le sait et le rap­pelle, les mou­ve­ments fémi­nistes et homo­sexuels sont divers. Cer­tains sont de droite, d’autres libé­raux, de gauche, d’ex­trême gauche, éco­los ou liber­taires. C’est comme dans la vie. Or, le livre s’en prend exclu­si­ve­ment aux défen­seurs de la PMA qui viennent majo­ri­tai­re­ment des fémi­nismes dits de la « troi­sième vague », queer, cyborg et ultra-libé­raux. Le pro­blème est qu’ils noyautent, pro­ba­ble­ment sur un mal­en­ten­du, le dit « milieu radi­cal » où j’é­vo­lue nez au vent.

Le mau­vais pro­cès en « anti­fé­mi­nisme » aurait pu s’ar­rê­ter là. Il s’est pour­tant achar­né contre moi et mes proches. Par­fois vio­lem­ment, sou­vent comme une rumeur, presque tou­jours sous cou­vert de l’anonymat. En voi­ci un compte ren­du approximatif.

Le livre en question

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15 octobre 2014 – Course au point Godwin

Au début de l’affaire, j’ha­bite depuis un an dans un squat-librai­rie, L’In­sou­mise. Dans cette vieille bâtisse de briques du quar­tier Mou­lins, nous nous pro­po­sons d’animer un squat ouvert à la diver­si­té des gens et des opi­nions, le plus popu­laire et mixte pos­sible. On avait déjà orga­ni­sé des dizaines de dis­cus­sions et de pro­jec­tions, un bal du 1er mai, et accueilli des dizaines de col­lec­tifs, des frau­deurs, des inter­mit­tents, des Kurdes, des can­tines, etc. Un espace de vie, quoi, mal­gré le risque d’être réveillés un matin par les dingues du GIGN.

Quelques jours avant le débat sur la PMA, la librai­rie est qua­li­fiée d’« Insou­mi­so­gyne » (c’est un jeu de mots) dans un com­mu­ni­qué ano­nyme publié, et accep­té, par les admi­nis­tra­teurs du site de publi­ca­tion coopé­ra­tif Indy­me­dia Lille, le repaire numé­rique des anars à l’é­poque. C’est un site ano­nyme qui per­met toute dis­cré­tion vis-à-vis des flics, je ne connais pas l’i­den­ti­té de ses admi­nis­tra­teurs, et ne pour­rai jamais dis­cu­ter in real life de ce qui s’y déverse contre mes amis et moi. Cette librai­rie dans laquelle j’or­ga­nise la ren­contre avec Escu­de­ro serait com­plice de la « les­bo­pho­bie, l’ho­mo­pho­bie et la trans­pho­bie » de l’au­teur. Sur quoi nous serions toutes et tous des « anar­cho­pres­seurs » (nou­veau jeu de mots) ne valant pas mieux que des « fas­cistes ». Je vous ai annon­cé du verbe haut… Cette pre­mière inter­pel­la­tion a la déli­ca­tesse d’une bouse explo­sive sur le crâne d’un nouveau-né.

Le fas­cisme est, comme on sait, un mou­ve­ment poli­tique ita­lien tota­li­taire, natio­na­liste, par­ti­san d’un État fort et d’une éco­no­mie pla­ni­fiée. À mesure qu’il conquiert l’Éthiopie (1935) et se rap­proche du Par­ti natio­nal-socia­liste des tra­vailleurs alle­mands (NSDAP), il auto­rise les publi­ca­tions racistes et anti­sé­mites, et finit par adop­ter en 1938 plu­sieurs lois raciales dont un Mani­feste de la race. Par­mi les scien­ti­fiques signa­taires et les prin­ci­pales influences intel­lec­tuelles de ce Mani­feste anti­sé­mite, l’en­do­cri­no­logue eugé­niste Nico­la Pende défend une poli­tique nata­liste et « l’a­mé­lio­ra­tion rai­son­née de l’homme », après celle des semences agricoles.

Note aux « anti­fas­cistes » d’Indy­me­dia : nos argu­ments contre le trans­hu­ma­nisme et la PMA sont donc eux aus­si, par défi­ni­tion et en tous points, anti­fas­cistes. Mais je vous laisse la jouis­sance du Point God­win, aus­si appe­lé « Reduc­tio ad hit­le­rum ».

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Début octobre 2014 – L’exclusion comme mode de régulation des conflits

Quelques jours avant le débat, et mal­gré les pre­mières dou­ceurs pro­fé­rées par voie numé­rique, je me rends à une soi­rée karao­ké orga­ni­sée par le centre LGBT dans le cadre d’un fes­ti­val fémi­niste, avec ate­liers sur les « conforts affec­tifs » et séances de taï­chi. C’est l’oc­ca­sion d’in­vi­ter quelques amis, par­don quelques ami-e‑s, et de dis­cu­ter de la PMA. Je n’en aurai pas le temps. Je me fais virer au seuil du lieu par Marie-Cécile, la com­mis­saire poli­tique[1]. D’a­près cette socio­logue du genre diplô­mée de sciences-po, ce n’est pas le moment de cri­ti­quer la PMA alors qu’il y a tant d’a­gres­sions homo­phobes. Le « contexte » ne se prête pas à la cri­tique. Au pire cela fait de moi un piètre stra­tège, mais pas un homo­phobe. Je suis tout de même exclu pour Défaut d’ap­pré­cia­tion des condi­tions his­to­riques – c’est ain­si que je l’en­tends. Je me sou­viens d’avoir rétor­qué à ladite com­mis­saire qu’un jour ou l’autre la PMA serait léga­li­sée ; que ce n’est pas la Manif pour tous qui fait l’his­toire mais la Sili­con Val­ley. C’est un rac­cour­ci, hein, mais j’a­vais rai­son. Après que Fran­çois Hol­lande a lan­cé l’i­dée (celui de la loi Tra­vail), le plus tech­no­crate et libé­ral des pré­si­dents de la Ve Répu­blique est en passe de léga­li­ser la PMA. J’en par­le­rai à la contex­to­logue au pro­chain ate­lier « conforts affec­tifs », après ses heures de cher­cheuse en « épis­té­mo­lo­gie fémi­niste du point de vue sur les théo­ries politiques ».

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27 octobre 2014 – La bêtise militante fait obstruction

Le grand soir est arri­vé. Quelques copains de L’In­sou­mise com­mencent à grin­cer des dents sous la pres­sion des calom­nia­teurs ano­nymes, et pro­ba­ble­ment de leurs potes. À mon arri­vée, un groupe com­plote au coin de la rue. Je les vois de loin en train de peau­fi­ner leur inter­ven­tion – qui parle ?, qui dis­tri­bue le tract ?, com­bien de temps on reste dans la salle ? Ils ont l’air grave des jours « d’ac­tion », appe­san­ti par l’i­dée qu’ils se font de leur inter­ven­tion, proche de l’af­faire d’État. J’ai bien com­pris ce qui allait se dérou­ler et j’ai envie de me mar­rer devant le ridi­cule de la situa­tion. Ils sont une petite dizaine, mili­tantes et mili­tants du Centre cultu­rel liber­taire (CCL) et du centre LGBT. Cer­tains sont encore des copains même si mes liens avec le CCL sont depuis quelques temps dis­ten­dus. Le CCL abrite depuis 1987 une biblio­thèque, une salle de concerts, et une salle de réunion pour les asso­cia­tions. Des punks, des anars, des végans, des fémi­nistes… J’y suis donc pas­sé sou­vent, mais j’en avais ras la capuche de leurs airs consti­pés, peine-à-jouir et fla­gel­lant, de leur liste de com­por­te­ments et de mots inter­dits longue comme le bras (sexistes, racistes, homo­phobes, vali­distes, trans­phobes, spé­cistes, etc) ; bref : comme disent les pom­peux, de leur ortho­praxie de curés. Un an plus tôt, avec La Brique, nous avions pro­gram­mé le concert d’un groupe potache, The Gen­darme, qui met­tait en scène des femmes potiches, des poli­ciers beaufs et des ton­fas détour­nés de leur usage nor­mal (inutile de faire un des­sin, vous connais­sez l’af­faire Théo). Ce troi­sième degré n’é­tait pas du goût des com­mis­saires artis­tiques (alias gar­diens du bon goût) qui ne voyaient là que des pro­pos « sexistes et homo­phobes » et le ren­for­ce­ment des « assi­gna­tions sociales ». Il aurait fal­lu leur expli­quer le rôle de la cari­ca­ture et du théâtre, mais ça aurait pris des plombes, genre réunion hyper ten­due avec tours de parole à double liste gen­rée et éta­lage de « res­sen­tis » : « Moi, tu vois, je trouve ça vache­ment violent ce que tu dis… » On a pré­fé­ré annu­ler le concert.

Au début de l’in­ter­ven­tion d’Es­cu­de­ro, le groupe de citoyens vigi­lants se pose devant l’au­di­toire et lit son tract avant d’in­vi­ter les gens à quit­ter la salle. Sans ren­con­trer un grand suc­cès. À les croire, l’au­teur de La Repro­duc­tion arti­fi­cielle de l’hu­main n’au­rait pas droit à la parole ni même de « pro­duire une cri­tique des tech­no­lo­gies de repro­duc­tion », étant sup­po­sé qu’il est « homme blanc cis hété­ro uni­ver­si­taire ». Avant d’é­crire, celui-ci aurait dû faire son auto­cri­tique à la sta­li­nienne en « interroge[ant] les pri­vi­lèges dont il béné­fi­cie ». Les cathos diraient : confes­ser ses péchés, faire œuvre de péni­tence et de contrition.

Les auteurs du tract ne cri­tiquent pas le livre qu’ils n’ont semble-t-il pas lu, ni à l’é­poque, ni depuis. Ils sont pour­tant bien édu­qués. Je recon­nais un his­to­rien des sciences de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, un infor­ma­ti­cien, plu­sieurs socio­logues, mais seule l’iden­ti­té de l’auteur leur suf­fit. Il ne serait per­mis de par­ler de la PMA-GPA qu’a­près – pre­nez une longue ins­pi­ra­tion – la « cri­tique des pri­vi­lèges blancs, mas­cu­lins, cis­genre, hété­ro­sexuels, valides, bour­geois, âgiste et d’autres qu’on oublie sûre­ment à cause de nos propres pri­vi­lèges ». Le lan­gage alam­bi­qué des radi­caux de labos nomme cela « démarche inter­sec­tion­nelle », soit le « croi­se­ment » de dif­fé­rentes « oppres­sions » et « pri­vi­lèges » iden­ti­taires jusque là ran­gés en silos. Cette façon de voir le réel vient des cam­pus amé­ri­cains, c’est vous dire si c’est chic et radi­cal. Plus exac­te­ment, c’est la juriste noire amé­ri­caine Kim­ber­lé Cren­shaw, prof à Colum­bia, qui inven­ta le terme en 1989 après sa thèse de droit à Har­vard. Le terme a quit­té les cam­pus pour se retrou­ver chez les can­di­dats démo­crates Hil­la­ry Clin­ton et, dans une moindre mesure, Ber­nie San­ders, lors des pri­maires en 2016[2]. Notre « milieu » a donc ceci de « radi­cal » qu’il a au moins deux ans d’a­vance sur le Par­ti démocrate.

Selon les socio­logues post­mo­dernes, la valeur d’un mes­sage se mesure à l’aune de son émet­teur (ici, son pro­fil, son « iden­ti­té »). Rien ne sert d’ap­prendre à lire, à com­prendre, dis­tin­guer, com­pa­rer, hié­rar­chi­ser les idées. Rien ne sert de faire preuve d’intel­li­gence, ain­si que l’a­voue le post-scrip­tum du tract : « ce texte est per­fec­tible mais nous consi­dé­rons que nous avons pas­sé déjà suf­fi­sam­ment de temps à contrer les pro­blèmes cau­sés par ce livre, son auteur et ce débat. » La lec­ture et la pen­sée sont choses négli­geables. L’iden­ti­té du locu­teur suf­fit à le décla­rer cou­pable ou innocent.

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8 novembre 2014 – Insultes en quelques cases

L’au­teure de BD Mawy, qui me reste incon­nue à ce jour, rend compte sur son blog de la soi­rée à L’In­sou­mise dans une bande des­si­née inti­tu­lée « Anar­couilles 7 »[3]. Mawy est une auteure et mili­tante LGBT++ dont le tra­vail consiste, comme l’in­dique le nom de la bédé, à tra­quer les com­por­te­ments non « safes » et oppres­seurs à l’in­té­rieur de son bocal. Rien n’in­dique, dans ses pro­duc­tions, qu’elle se confronte à autre chose qu’à son milieu, genre des gilets jaunes mal édu­qués qui scandent, après les leçons de la Com­mis­sion « Slo­gans bien­veillants » : « Les insultes, dans ton cul ! Les insultes, dans ton cul ! »

Dans sa bédé, je reçois entre autres épi­thètes bien­veillantes des « Alain Soral », « connards », « dégueu­lis », « raclure de fond de bidet », aug­men­tés de la menace de voir mes « tes­ti­cules audes­sus de [sa] che­mi­née. » Je ne prends pas la menace de mon émas­cu­la­tion au tra­gique. Com­ment se sou­cier de quel­qu’un qui ne lit pas la pre­mière page d’un livre avant de le conchier, et qui peine à ali­gner un sujet, un verbe et un com­plé­ment afin d’articuler un argu­ment sous la forme d’une phrase. Pour toute cri­tique lit­té­raire, Mawy cite quelques extraits de la qua­trième de cou­ver­ture de La Repro­duc­tion arti­fi­cielle de l’humain qu’elle ponc­tue de « ! ! ! », « Mais wow ! », « What what what ! », « Super classe… », et de traits d’i­ro­nie tels que « Pas fun­ky ». Au contraire, selon Mawy, la revue post-fémi­niste Timult serait une « super revue ».

Deux mois plus tôt, la super revue fémi­niste et inter­sec­tion­nelle gre­no­bloise se deman­dait si Fri­gide Bar­jot, lea­deuse de la Manif pour tous, ne serait pas « membre de PMO ? ». La revue défen­dait la PMA et les mères por­teuses (GPA) face aux « glis­se­ments vers des posi­tions homo­phobes, anti-fémi­nistes et réac­tion­naires » de PMO et Escu­de­ro, ain­si que, bien­veillance oblige, leurs idées « mépri­santes et blessantes ».

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9 novembre 2014 – Complotiste comme un antisémite

L’au­teur du site d’in­for­ma­tion confi­den­tiel Guer­rier nomade publie lui aus­si son compte ren­du de la soi­rée[4]. Je croise le mec de temps en temps, ancien gau­chiste deve­nu mili­tant des droits des chô­meurs et des ani­maux. Lui est res­té jus­qu’au bout de la soi­rée à L’In­sou­mise, et semble avoir lu le début du livre. Appa­rem­ment sans bien le com­prendre, car selon lui, « Escu­de­ro croit à des lois de la nature qui s’imposent à l’homme. L’émancipation selon lui ne consis­te­rait pas à s’en affran­chir mais à s’y confor­mer. Pour illus­trer son pro­pos il dit plu­sieurs fois  »je ne serai jamais enceinte. » La phrase peut faire son effet devant une assem­blée cis­genre du Rota­ry mais elle est fausse. » En effet, comme l’es­père l’au­teur du compte-ren­du, l’hu­ma­ni­té fera peut-être un jour des bébés dans des machines, des uté­rus arti­fi­ciels, sans corps, sans sexe et sans « nature », ce concept néces­sai­re­ment réac­tion­naire pour les trans­hu­ma­nistes. Mais à ce stade, les cri­tiques de la PMA ne sont encore que des « réac­tion­naires », juste bons à ani­mer des soi­rées de cha­ri­té. Passe encore.

Ça se gâte ensuite. D’a­près notre guer­rier, les « tech­no­cri­tiques » que nous sommes voient des trans­hu­ma­nistes par­tout, tout comme les « anti­sé­mites » voient par­tout des Juifs : « les néo-lud­dites collent l’étoile  »trans­hu­ma­niste » sur des tas de gens pour mieux dénon­cer un com­plot ima­gi­naire. » Nous voi­là deve­nus com­plo­tistes et anti­sé­mites en quatre lignes. Encore un peu et nous serons cou­pables d’a­voir rem­pli des trains. Pour finir nous sommes trai­tés d’« anti-huma­nistes ». Fau­drait savoir. Quelques lignes plus haut nous étions cou­pables de défendre la nature contre la machine. Mais qu’im­porte, le « milieu radi­cal » est connu pour se payer de mots. Des salades et des nuages de mots. Un pseu­do-pédan­tisme de demi-cultivés.

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19 novembre 2014 – Parole aux opposantes

La petite équipe venue à L’In­sou­mise le 27 octobre avec son tract était emme­née par Aude Vidal, la seule « pri­vi­lé­giée » à avoir lu le bou­quin. Je connais Aude depuis presque dix ans, nous nous sommes côtoyés à Chiche !, une orga­ni­sa­tion de jeu­nesse éco­lo. Aude a beau­coup tra­vaillé, béné­vo­le­ment, pour des revues, pas­sant par Eco­Rev’, proche des Verts, avant de fon­der L’An 02, une autre revue éco­lo, de pas­ser par CQFD, jour­nal anar mar­seillais, et Pan­thère Pre­mière, revue entiè­re­ment réa­li­sée par des femmes et située à « l’intersection entre ce qui est ren­voyé à l’intime […] et les phé­no­mènes qui cherchent à faire sys­tème. » Ce qui sem­blait cohé­rent tant Aude se plai­gnait des rap­ports de pou­voir dans ces milieux, notam­ment ceux exer­cés par les hommes – ce qu’elle me confiait chaque fois qu’on se voyait, et tar­ti­nait sur son blog. Je l’ai tou­jours vue cla­quer la porte des groupes mili­tants et des revues en allé­guant du même grief. Plus tard, elle quit­te­ra La Brique avec fra­cas (au sens propre) à cause d’un édi­to qui selon elle, et peut-être à rai­son, par ses réflexes insur­rec­tion­nels faciles et gra­tuits, était « mar­tial et viri­liste » et « sen­tait la bite ». Ce qu’elle vécut comme une « agres­sion sexiste » – je ne fais que relater.

À la publi­ca­tion de La Repro­duc­tion arti­fi­cielle, elle ne tarit pas de cri­tiques à son encontre, le jugeant « anti­fé­mi­niste », « réac », « essen­tia­liste », « machiste », voire enga­gé sur un ter­rain glis­sant vers l’ex­trême droite « voi­sine[5] » — selon les lois de la gra­vi­té, pro­ba­ble­ment. L’é­di­tion du livre serait par ailleurs bâclée et mal fou­tue. Ce qui ne l’empêche nul­le­ment de publier trois ans plus tard, chez ce même édi­teur, Égo­lo­gie, une cri­tique de l’in­di­vi­dua­lisme éco­lo, et en 2020 une cri­tique du reve­nu uni­ver­sel. – Non il ne s’agit pas d’une auto­cri­tique, ni même d’un aveu incons­cient. Mal­heu­reu­se­ment pour vous, ama­teurs de retour­ne­ments scé­na­ris­tiques, toutes ses cri­tiques les plus véhé­mentes ont dis­pa­ru du forum de dis­cus­sion « Seen­this » où elle sévis­sait à outrance. Le Minis­tère de la véri­té a effa­cé ses traces non cor­rectes. On sup­pose que cela fai­sait par­tie du mar­ché plus ou moins tacite avec les édi­teurs du Monde à l’Envers, qui ne sont pas fiers ni ran­cu­niers. À moins qu’ils n’aient leurs rai­sons de faire amende hono­rable envers le « milieu ». On sup­pose éga­le­ment que ces innom­brables dia­tribes sont pré­cieu­se­ment sto­ckées dans quelque mémoire d’ordinateur, n’attendant qu’une occa­sion pro­pice pour reparaître.

Quelques jours après le pre­mier débat, Aude m’en pro­pose un nou­veau à L’In­sou­mise, qu’elle intro­dui­rait avec Aude Vincent, contri­bu­trice de la revue Offen­sive liber­taire et sociale et auteure d’un livre contre le « publi­sexisme ». Elles avaient co-signé un article dans L’An 02 : « Pour une cri­tique éman­ci­pa­trice de la PMA ». Il devait s’agir, dans ce nou­veau débat, de dis­tin­guer insé­mi­na­tion arti­sa­nale et PMA, d’in­ter­dire les cri­tères raciaux sur les cata­logues de gamètes et la détec­tion pré-implan­ta­toire (l’eu­gé­nisme), bref : d’emballer le busi­ness des banques de sperme et d’o­vo­cytes dans une couche d’é­thique. Comme si les eugé­nistes et la libre entre­prise allaient man­quer une occa­sion de faire du pro­fit et de la sélec­tion d’embryons. Mais gros­so modo, en défen­dant l’in­sé­mi­na­tion arti­sa­nale contre la repro­duc­tion arti­fi­cielle, les deux Aude rejoignent Escu­de­ro (page 2). Alors pour­quoi tant de hargne et de calom­nies ? Logique de dis­tinc­tion ? De ter­ri­toire ? Sen­ti­ment de pro­prié­té exclu­sive sur le sujet, au moins dans le milieu anar­cho-éco­lo, et fureur de voir d’autres s’en empa­rer ? Jalou­sie devant un livre qu’elles auraient aimé écrire ? Vidal s’é­tait fait écon­duire trois ans plus tôt par PMO quand elle leur avait pro­po­sé ses ser­vices d’é­cri­ture, lors d’un salon du livre liber­taire orga­ni­sé par la librai­rie lyon­naise La Gryphe.

La rai­son « de fond » (s’il faut en trou­ver une à tout prix) serait que le livre d’Es­cu­de­ro expé­die – même s’il en défend la pos­si­bi­li­té – la ques­tion du droit des couples homo­sexuels à adop­ter ou à pra­ti­quer l’in­sé­mi­na­tion du pot de yaourt. Ce n’est pas l’ob­jet de son livre. Mais il n’empêche per­sonne d’en publier un à ce pro­pos. Reste que dans un milieu affli­gé d’un taux alar­mant de cré­ti­nisme mili­tant, il n’était que trop facile et ten­tant, pour Aude Vidal et consorts, de l’assimiler à la Manif pour tous. Aujourd’­hui encore, la seule lec­ture de Vidal suf­fit à bien des rédac­teurs pour qua­li­fier la cri­tique de la PMA d’« homo­phobe », comme vient de le faire le site d’in­for­ma­tion éco­lo­giste Repor­terre[6].

J’ac­cepte néan­moins cette soi­rée à L’In­sou­mise dont le rôle est jus­te­ment de faire en sorte que des gens se ren­contrent, dis­cutent, s’ac­cordent, ou non. La salle est pleine comme un œuf, les auteurs du pre­mier tract sont pré­sents, la mine ren­fro­gnée comme il se doit. J’en garde le sou­ve­nir d’un de ces « débats » typiques du milieu où il s’a­git de par­ler avec le moins de convic­tion pos­sible de crainte d’ap­pa­raître comme auto­ri­taire. J’ai sur­tout la mémoire de Jean-Benoît, cis-hété­ro-blanc à lunettes, diplô­mé de Sciences-po, thé­sard en socio­lo­gie du mas­cu­li­nisme et aus­si « liber­taire » que son centre cultu­rel, me repro­chant de par­ler à la place des incon­tour­nables « pre­miers concer­nés ». Comme si la PMA n’en­ga­geait pas l’en­semble de l’hu­ma­ni­té à venir, sa mar­chan­di­sa­tion dès son stade embryon­naire, son orga­ni­sa­tion géné­ti­co-sociale. Faut-il encore leur lire Le Meilleur des mondes et leur pro­je­ter Bien­ve­nue à Gat­ta­ca ?

Je ne parle pour­tant jamais qu’en mon nom, j’or­ga­nise cette soi­rée pour que des gens comme lui puissent s’ex­pri­mer, quand bien même ils n’ont rien d’autre à me dire que « tais-toi ! ». Éton­nants liber­taires, qui, pour la troi­sième fois, inter­viennent pour inter­dire la discussion.

À Lyon, lors d’un salon d’é­di­tions liber­taires, d’autres iront jus­qu’à bous­cu­ler, inter­dire un débat et la vente du livre. Le 22 novembre 2014, des mili­tants anar­chistes agressent le stand du Monde à l’en­vers, dénon­çant son « idéo­lo­gie nau­séa­bonde » (comme on le dit des nos­tal­giques du Troi­sième Reich). Un mois plus tard, une tri­bune « Contre la cen­sure et l’intimidation dans les espaces d’expression liber­taire[7] » dénonce ces « com­por­te­ments auto­ri­taires emprun­tés à la pire tra­di­tion sta­li­nienne ». Tri­bune que je signe. L’his­to­rienne anar­chiste Anne Stei­ner, à l’i­ni­tia­tive du texte, explique com­ment l’hys­té­rie col­lec­tive se nour­rit de « comptes-ren­dus de comptes-ren­dus de comptes-ren­dus.[8] » De glis­se­ments en pentes glis­santes, d’i­dées voi­sines en récu­pé­ra­tions, voi­là la recette de la rumeur : PMO, Escu­de­ro, La Décrois­sance, la Manif pour tous, tous seraient des « défen­seurs de la famille tra­di­tion­nelle9 ». À la sor­tie du salon lyon­nais, un témoin entend les cen­seurs s’a­vouer que « Ça serait quand même bien de pou­voir lui répondre sur le fond. » Ça serait bien, oui, mais leur forme tra­hit l’absence de fond, leur vacui­té bruyante, alors n’en par­lons plus.

Cet été 2019, le jour­nal La Décrois­sance a publié un dos­sier sur « la grande confu­sion » ali­men­tée par les mou­ve­ments libé­raux et post­mo­dernes entre Enfant/Adulte, Humain/Animal, Masculin/Féminin, Humain/Machine, etc. Le dos­sier est dis­cu­table, c’est-à-dire qu’il ne demande qu’à être dis­cu­té. Aude Vidal, elle, publie aujourd’­hui un livre chez Syl­lepse, une mai­son d’é­di­tion cryp­to-trots­kyste, contre les « dérives libé­rales » des « nou­veaux fémi­nismes radi­caux » (queer, déco­lo­niaux, non-binaires, etc)[9], elle n’en défend pas moins ses repré­sen­tants les plus extré­mistes quand ils appellent à brû­ler La Décrois­sance et à « per­tur­ber [leurs] confé­rences[10] ». C’est-à-dire qu’elle dénonce tour à tour ce qu’elle fait et fait ce qu’elle dénonce, au gré de ses manœuvres tor­tueuses pour publier à tout prix. A‑t-elle oublié les pages « Débat » du men­suel éco­lo­giste dans les­quelles elle a pour­tant don­né par deux fois son point de vue en 2012 et 2018 ? Depuis 2014, cette « tech­no­cri­tique » se trouve tou­jours du côté des calom­nia­teurs, des par­ti­sans de l’au­to­da­fé et des ultras du cyber-fémi­nisme quand bien même elle s’en défen­drait dans son pro­chain bou­quin. Bon, il ne fau­drait pas non plus se tordre les méninges à expli­quer un mys­tère d’une banale bana­li­tude.

Aude bouffe à tous les râte­liers tant que c’est bon pour le film qu’elle se fait et dont elle est l’héroïne. Elle fait car­rière dans l’éco-féminisme (rayon autrices), et elle revien­dra pré­ci­pi­tam­ment s’asseoir à la table de La Décrois­sance pour peu qu’on lui ouvre assez la porte pour y glis­ser le pied, comme elle s’est fait publier par Le Monde à l’Envers, mal­gré les pou­belles qu’elle a ver­sées des­sus, ou par L’Échappée. Vous vou­lez avoir la paix avec elle ? Publiez-la et vous êtes tran­quille pour un moment. Et puis il faut bien que les librai­ries et les mai­sons d’édition « alter­na­tives » aient des bou­quins à vendre. Aude est tout à fait capable d’entasser des lieux com­muns, des ersatz de consom­ma­tion intel­lec­tuelle à des­ti­na­tion du « milieu ».

Free Speech = liber­té d’ex­pres­sion / Col­lege = Uni­ver­si­té (milieu uni­ver­si­taire) // Aux États-Unis (et au Cana­da, et dans les pays anglo-saxons en géné­ral), on observe un phé­no­mène simi­laire. Ou, plu­tôt, le phé­no­mène vient de là-bas. Il y est qua­si­ment impos­sible de cri­ti­quer l’i­déo­lo­gie queer. Der­rick Jen­sen, par exemple, qui a publié des dizaines de livres en appe­lant à détruire la civi­li­sa­tion, s’est fait reje­ter par sa mai­son d’é­di­tion après lui avoir pro­po­sé un livre cri­tique de l’i­déo­lo­gie queer. Il figure désor­mais sur une liste noire de ceux qui sont inter­dits de prise de parole. Ses confé­rences ou inter­ven­tions, peu importe leur sujet (même s’il s’a­gis­sait pour lui de dis­cu­ter de la des­truc­tion de la nature), sont régu­liè­re­ment et auto­ma­ti­que­ment annu­lées, déprogrammées.

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7 février 2015 – Insulte par la bande

La Brique est un jour­nal lil­lois de cri­tique sociale, du genre anar-auto­nome, dans lequel j’é­cris depuis 2008. Quand il décide de s’in­té­res­ser à la PMA, j’en suis déjà par­ti depuis quelques semaines, aga­cé par un cer­tain pen­chant post­mo­derne pour la décons­truc­tion. Pour cari­ca­tu­rer, La Brique tro­quait ses pré­ten­tions radi­cales contre celles de la gauche bour­dieu­sienne (nous y revien­drons). Le jour­nal était le fruit de quatre-cinq potes qui s’é­taient ren­con­trés dans un squat, étu­diants en rup­ture et chô­meurs pro­fes­sion­nels, il deve­nait peu à peu un jour­nal de thé­sards en sciences humaines ren­con­trés dans des col­loques – ce qui n’est pas une tare en soi : « y’en a des biens », comme dirait le phi­lo­sophe et poète Didier Super.

Par feinte poli­tesse, les bri­queux Law­rence et Diol­to, res­pec­ti­ve­ment libraire et thé­sard en science-po récem­ment débar­qués dans le jour­nal, m’in­ter­viewent lon­gue­ment avant d’é­crire leur papier. Rien de mes pro­pos ne sera publié. L’ar­ticle remâche les récri­mi­na­tions des deux Aude. Au pas­sage, on me fait com­prendre que je fais désor­mais par­tie de leurs « anciens amis », puisque dans la « lignée » de Pièces et main d’œuvre. Peut-être aus­si parce que, comme l’au­teur de La Repro­duc­tion arti­fi­cielle de l’hu­main, je suis moi-même « un homme, blanc, hété­ro­sexuel, et valide », un « mec pri­vi­lé­gié » qui n’a pas suf­fi­sam­ment décons­truit sa posi­tion de « gar­dien de l’u­ni­ver­sa­lisme » – oui, parce que « uni­ver­sa­liste » est deve­nu une insulte. J’é­vo­quais les ten­dances post­mo­dernes, en voi­ci une illus­tra­tion, appor­tée par deux hommes blancs hété­ro­sexuels et valides. Aurait-il fal­lu que l’au­teur de La Repro­duc­tion arti­fi­cielle soit une trans­sexuelle han­di­ca­pée voi­lée et habi­tante d’un « quar­tier popu­laire » pour avoir la légi­ti­mi­té d’é­crire à pro­pos de la PMA ? Oui.

Je m’é­tais déjà fait insul­ter et calom­nier sans que ça n’é­meuve qui que ce soit dans mon ancien jour­nal. L’in­dé­cence en milieu bien­veillant aurait pu faire l’ob­jet d’un article. Mais La Brique pré­fé­ra illus­trer son papier d’un des­sin de la même Mawy qui m’a­vait pré­cé­dem­ment insul­té et mena­cé. Com­ment a‑t-elle débar­qué là, pré­ci­sé­ment à ce moment-là ? Elle nous en donne l’ex­pli­ca­tion sur son blog : selon elle, ce sont les ani­ma­teurs du jour­nal qui sont venus la cher­cher – et non l’in­verse – tant ils avaient « kif­fé Anar­couilles 7 », la bédé qui me menace expli­ci­te­ment. Je com­prends mieux désor­mais les sima­grées de la fausse inter­view : comme chez le mar­chand de voi­tures d’oc­caz, le boni­ment rodé cache le vice qui ne tar­de­ra pas à se déclarer.

Depuis, les bri­queux de cette époque ont sou­te­nu leurs thèses de sciences sociales et mon­té leur mai­son d’é­di­tion, Les Étaques, pour y publier leurs pro­duc­tions et celles de leurs amis socio­logues de ten­dance quar­tié­riste. Tel Julien Tal­pin[11], cher­cheur au CNRS à Lille et col­la­bo­ra­teur béné­vole de l’an­cien ban­quier spé­cia­li­sé en tra­ding algo­rith­mique Mar­wan Muham­mad[12]. Celui-là même dont l’is­la­miste Tariq Rama­dan dit qu’il est sa « relève ». Tal­pin est aus­si l’im­por­ta­teur en France de la boîte à outils citoyenne et anglo-saxonne dite « Méthode Alins­ky ». Ladite méthode s’est fait connaître le 23 juin der­nier quand l’Al­liance citoyenne de Gre­noble impo­sa le port du bur­ki­ni, dans une pis­cine muni­ci­pale. Ce sym­bole de « pudeur » que les isla­mistes en Occi­dent et en Orient exigent des bai­gneuses, comme ils exigent le port du voile, sous peine de n’être, sui­vant leur rude lan­gage, que des putes ou des salopes.

For­mée à la Méthode Alins­ky par Julien Tal­pin et son Ins­ti­tut Alins­ky, la diri­geante de l’Al­liance citoyenne et mili­tante isla­miste, Taous Ham­mou­ti, consi­dère que Char­lie Heb­do l’a bien cher­ché, pleure la mort du frère musul­man et ancien pré­sident égyp­tien Moham­med Mor­si, sou­tient les frères Tariq et Hani Rama­dan (notam­ment quand ce der­nier est expul­sé de France en rai­son de ses décla­ra­tions en faveur de la lapi­da­tion des femmes adul­tères), sou­tient le dic­ta­teur turc et isla­miste Erdo­gan[13]. Voyez-vous, pour les mili­tants post­mo­dernes, les « quar­tiers » se défi­nissent désor­mais par les ori­gines eth­no-reli­gieuses de leurs habi­tants. Que des isla­mistes – qu’on clas­se­rait à l’extrême-droite s’ils étaient cathos-fran­çais – soient poin­tés du doigt par des libres pen­seurs, anti­sexistes et anti-clé­ri­caux, le réflexe isla­mo-gau­chiste réclame de gla­pir au « racisme ».

Reve­nons à nos mou­tons. Au sein de La Brique, le ménage est fait. L’or­ga­ni­sa­teur du débat local contre la PMA, par ailleurs auteur d’une enquête sur le rôle des éco­lo­gistes dans la tech­no­pole lil­loise (L’En­fer vert), ne nui­ra plus à la répu­ta­tion du jour­nal. De toute façon, L’En­fer vert n’est jamais entré dans le cadre bour­di­vin-mar­xiste de La Brique qui n’a men­tion­né sa sor­tie que par une brève. Pas plus qu’il n’entre dans celui des Étaques aujourd’­hui qui, vingt-cinq ans après leur édi­fi­ca­tion, se posi­tionnent Contre Eur­alille et la « bifur­ca­tion ter­tiaire » de la « métro­pole »[14]. Soit je suis infré­quen­table, et il est impos­sible de citer la seule enquête publiée à pro­pos de l’é­poque pré­sente, L’En­fer vert ; soit je ne parle pas assez de la « gen­tri­fi­ca­tion » des « quar­tiers popu­laires », et les Étaques pré­fèrent rabâ­cher le sem­pi­ter­nel « Droit à la ville » quand je trouve absurde de récla­mer tout « Droit à la technopole ».

Bref, la place est libre pour des col­la­bo­ra­teurs moins « cli­vants » et Aude Vidal peut se radi­ner à la rédac­tion de La Brique – du moins après ses heures de bou­lot comme char­gée de com’ pour la cam­pagne régio­nale d’Eu­rope Éco­lo­gie – Les Verts de 2015. Ce dont elle ne dira rien, pré­fé­rant la sous-cri­tique cultu­relle de l’é­go­lo­gie, des petits gestes et de l’in­di­vi­dua­lisme mili­tant, plu­tôt que la cri­tique concrète de ses employeurs. Cha­cun sauve la face et les appa­rences, La Brique-EELV, et Aude peut conti­nuer à faire l’an­guille chez les éco­los, les anars, les fémi­nistes, les trots­kystes, etc.

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11 mai 2015 – Diffamation

Deux nanas et un mec du Centre Cultu­rel Liber­taire et du centre LGBT, à qui je n’ai jamais par­lé et dont j’ai déjà oublié les pré­noms, viennent jouer les « lan­ceurs d’a­lerte » alors que j’in­ter­viens au ciné­ma le Kino après un docu­men­taire sur Edward Snow­den. Je serais « contre l’a­vor­te­ment », accusent-ils devant la salle et ma com­pagne enceinte jus­qu’aux dents. Sans argu­ment, sans preuve. Et pour cause : ni moi ni mes cama­rades de PMO ni Escu­de­ro n’a­vons jamais dit un mot là-dessus.

Au contraire même, nous sommes plu­tôt du genre anti-nata­liste, comme les fémi­nistes qui, début XXème, refu­saient de mettre au monde de la chair à caserne (indus­trielle ou mili­taire). Cette rumeur, qui vient d’un groupe « anti-mas­cu­li­niste » gre­no­blois et fait de nous par symé­trie des « mas­cu­li­nistes », abou­tit, de sup­pu­ta­tion en sup­pu­ta­tion, à cette conclu­sion lumi­neuse : ils sont contre l’ar­ti­fi­ciel, donc pour la nature, donc contre l’a­vor­te­ment, CQFD. Les « anti-mas­cu­li­nistes », comme d’autres avec eux, n’ont pas com­pris que notre attaque de la PMA est poli­tique. Nulle part il est écrit que nous don­nons une valeur morale et de sur­croît supé­rieure à la nature, ni qu’elle est ou bonne ou mau­vaise en soi. Nous refu­sons qu’elle dis­pa­raisse et soit mar­chan­di­sée, c’est tout (si vous n’ai­mez pas le mot « nature », pre­nez celui des tech­no­crates, « bio­di­ver­si­té »). Il n’a par ailleurs jamais été écrit que le genre n’exis­tait pas, ni que la dif­fé­rence bio­lo­gique des sexes sup­po­sait une hié­rar­chie entre eux.

En quit­tant la salle, ma com­pagne est témoin de la scène du debrief des lan­ceurs d’a­lerte. Elle les entend s’a­vouer que : « La pro­chaine fois, fau­drait quand même qu’on ait des arguments. »

Un peu plus tard, début juin, je croise ces fameux « anti-mas­cus » gre­no­blois dans un débat orga­ni­sé par la CNT, rue des Vignolles à Paris. Cinq ou six per­sonnes de noir vêtues, selon l’u­ni­forme « radi­cal », dis­tri­buent reli­gieu­se­ment un tract juste avant mon inter­ven­tion pour aver­tir l’au­di­toire de ma proxi­mi­té avec des gens connus pour leur « mas­cu­li­nisme ». L’au­di­toire lit le tract, le plie en deux, puis en quatre, le range dans sa poche et attend que je com­mence. Les « anti­mas­cus » se placent au fond de la salle, espèrent un esclandre, quittent la salle, repartent en métro. Quant à moi, je finis ma pré­sen­ta­tion, je prends une bière au frais, je la des­cends, puis j’en prends une deuxième.

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Juin 2015 – Puisque « le privé est politique »

Trois semaines après l’al­ter­ca­tion du Kino, ma com­pagne accouche. « C’est un mec, blond, aux yeux bleus, il n’y a plus qu’à espé­rer qu’il soit pédé », me lance une vague connais­sance, diplô­mée de science-po et fémi­niste, en guise de féli­ci­ta­tions. Mon fils n’a qu’un mois mais est déjà cata­lo­gué blanc hété­ro cis-genre, en plus d’être le fils d’un mec « pas clair sur le fémi­nisme ». Pour être sûre de cocher au moins une case domi­née, elle aurait aus­si bien pu lui sou­hai­ter d’être né borgne et han­di­ca­pé après un accou­che­ment per­tur­bé par des complications.

Pour reprendre Arthur Koest­ler, cité en exergue, à pro­pos des sta­li­niens de son époque : « Nous res­sem­blions aux grands Inqui­si­teurs parce que nous per­sé­cu­tions les germes du mal non seule­ment dans les actes des hommes mais aus­si dans leurs pen­sées. Nous n’ad­met­tions l’exis­tence d’au­cun sec­teur pri­vé, pas même dans le cer­veau d’un indi­vi­du. » L’i­déal res­tant de pré­ve­nir tout dévia­tion­nisme idéo­lo­gique dès le berceau.

Quant à ma com­pagne, met­teuse en scène avec qui j’é­cris par­fois, elle a le tort impar­don­nable d’a­voir eu un enfant avec un « mas­cu­li­niste », dont il paraî­trait qu’il est contre l’a­vor­te­ment – il paraî­trait est le condi­tion­nel d’il paraît, c’est-à-dire qu’il paraît qu’il paraît, ou encore qu’il paraît au car­ré. Bref… Cer­taines fémi­nistes s’é­loignent d’elle aus­si et sup­putent qu’elle s’est fait « retour­ner le cer­veau par Tom­jo ». Étrange concep­tion du fémi­nisme qui nie la pos­si­bi­li­té pour une femme de dis­po­ser de son libre-arbitre. Peut-être devrait-elle laver l’in­jure en mon­tant une pièce cou­ra­geuse sur les mens­trua­tions, les sor­cières ou les canons de beau­té pour méri­ter le tam­pon « féministe ».

Toutes ces allé­ga­tions d’an­ti­fé­mi­nisme découlent, de proche en proche, d’autres sup­pu­ta­tions d’an­ti­fé­mi­nisme. Par capil­la­ri­té. Les indices s’agrègent au condi­tion­nel, finis­sant par éta­blir un fais­ceau de pré­somp­tions, comme disent les juristes, et conduire à une sen­tence. La méca­nique de la rumeur col­lec­tive fait son office et le poids des « on dit » finit par convaincre ceux qui n’a­vaient pas d’avis.

Pas­sé l’orage déclen­ché par le bou­quin d’Escudero, l’af­faire se tasse. Plus per­sonne ne veut en entendre par­ler, ce serait remuer la merde au sein du « milieu ». Les ques­tions sou­le­vées par le livre ne sont tou­jours pas dis­cu­tées. Pour­tant, le pou­voir pour­suit sa poli­tique de mar­chan­di­sa­tion du vivant et de sélec­tion eugéniste.

En 2015, l’An­gle­terre auto­rise la pro­duc­tion d’en­fants à trois ADN, c’est-à-dire pro­duits à par­tir du « maté­riel géné­tique » de trois « parents ». Les Pays-Bas (2016) puis l’An­gle­terre (2018) auto­risent la fécon­da­tion d’embryons humains géné­ti­que­ment modi­fiés à des fins de recherche. En 2017, le bre­vet des « ciseaux à ADN » CRISPR-CAS9 est dépo­sé. Cette tech­nique per­met d’« édi­ter » du génome pour pro­duire des êtres vivants en dehors de toute réa­li­té géné­tique. En 2018, un méde­cin chi­nois fait naître des jumelles géné­ti­que­ment modi­fiées grâce à la tech­no­lo­gie CRISPR et confirme qu’un autre bébé OGM est en ges­ta­tion. Un cher­cheur amé­ri­cain s’in­quiète dans la MIT Review que le méde­cin chi­nois ait modi­fié leurs capa­ci­tés cog­ni­tives – le rêve des trans­hu­ma­nistes et des fas­cistes ita­liens. En 2019, le Japon auto­rise la fécon­da­tion d’embryons ani­maux-humains (un cer­veau humain dans un crâne de sou­ris par exemple – soit l’in­verse de mes calomniateurs).

Cet automne 2019, l’As­sem­blée macron­noise vote sa loi de bioé­thique, un package d’au­to­ri­sa­tions qui vise à mettre la France au niveau d’États plus « avan­cés » en la matière pour ne pas perdre en « com­pé­ti­ti­vi­té ». Étant enten­du que des « mar­chés se déve­loppent, des pra­tiques pros­pèrent dans d’autres pays et que les fron­tières s’effacent ». La loi donne désor­mais accès à la repro­duc­tion arti­fi­cielle à toutes les femmes, fer­tiles ou infer­tiles ; elle auto­rise l’autoconservation des ovo­cytes en vue de futurs « pro­jets paren­taux », la recherche sur la fabri­ca­tion de gamètes arti­fi­ciels et la pro­duc­tion d’embryons trans­gé­niques, la créa­tion de chi­mères humain-ani­mal (rêve anti­spé­ciste), l’utilisation de l’intelligence arti­fi­cielle dans les diag­nos­tics, les tech­niques de « neu­ro-modu­la­tion […] visant à modi­fier l’activité céré­brale de sujets sains en vue d’améliorer leurs capa­ci­tés céré­brales, d’augmenter la concen­tra­tion, le bien-être, le som­meil, les per­cep­tions ou d’améliorer leur humeur. »

Ain­si, ce n’é­tait pas le « bon moment », en 2014, de cri­ti­quer la PMA. Il était urgent d’at­tendre et d’er­go­ter sur la bonne et la mau­vaise PMA. Et sur­tout de ne pas « col­ler l’é­toile trans­hu­ma­niste » aux per­sé­cu­tés de la Recherche publique. Tout ce qui pré­cède reste donc, pen­dant cinq ans, un non-sujet pour le « milieu radi­cal », tou­jours en retard d’un métro sur le cours des choses.

Désor­mais, les regards se détournent à mon approche. Ma pré­sence paraît aus­si lourde qu’un cadavre. Le bal­let des corps s’é­loi­gnant à mon arri­vée est presque comique : ris­que­rais-je de salir la répu­ta­tion d’un lieu ou d’un indi­vi­du par ma seule pré­sence ? Je peux gar­der des amis, mais faut pas que ça se voie. J’en­tends par­fois que « Tom, il s’est esseu­lé », « Je pen­sais que Tom s’é­tait calmé ».

Le temps passe. Et avec lui, espère-t-on, les idées, comme il en est des cou­leurs. Même s’il a reje­té l’un des siens, le trou­peau aime plus que tout s’attrouper. On attend que je « lâche l’af­faire », que je fasse mon auto­cri­tique, que je me range du côté de la force ou que je me taise à jamais. Au détour d’un article sur le trans­hu­ma­nisme ou les villes flot­tantes, j’évoque encore la PMA, mais jamais je ne réponds aux insultes et à la bêtise. Je prends les coups. Je ne les rends pas. Je n’ai jamais tagué un local asso­cia­tif, ni insul­té ou mena­cé qui que ce soit, encore moins ano­ny­me­ment der­rière un cla­vier – je n’y ai même jamais son­gé. Je prends note de mes excom­mu­ni­ca­tions, tou­jours offi­cieuses, jamais argu­men­tées. Désor­mais, peu de mes anciens amis conti­nuent de me lire, et encore moins de me par­ler après m’a­voir lu en secret.

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Printemps 2018 – Les mauvais jours n’en finissent pas (#1)

En 2016, j’a­vais lan­cé avec mes copains de L’In­sou­mise un fes­ti­val dans le quar­tier Mou­lins inti­tu­lé « Les Mau­vais jours fini­ront ». Quelques asso­cia­tions du quar­tier et un syn­di­cat d’o­ri­gine liber­taire, la CNT, se regrou­paient face au fes­ti­val muni­ci­pal des­ti­né à allé­cher de futurs et hypo­thé­tiques habi­tants fri­qués : « Bien­ve­nue à Moulins ».

Deux ans plus tard, en 2018, j’ap­prends que je ne suis plus le bien­ve­nu au salon du livre orga­ni­sé pen­dant le fes­ti­val. Qui me reproche quoi ? J’en appren­drai davan­tage lors d’une réunion au local du syn­di­cat, déco­ré des tra­di­tion­nels pos­ters cla­mant que « Le monde n’est pas une mar­chan­dise ». L’am­biance est pesante, comme tou­jours au sujet du « fémi­nisme » ou des « luttes LGBT ». À mon arri­vée, tout le monde feint de ne pas être vrai­ment au cou­rant de ce qu’on me reproche et s’empresse de m’as­su­rer que l’a­na­thème n’est le fait que d’une per­sonne dont j’i­gnore tou­jours l’i­den­ti­té. Nous l’at­ten­dons. Elle ne vient pas. La per­sonne ayant levé le lièvre de mon « homo­pho­bie » ne s’est pas dépla­cée pour argu­men­ter. Ma place au salon du livre est conser­vée. En sursis.

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4 février 2019 – Les mauvais jours n’en finissent pas (#2)

Alors que la ville de Lille célèbre l’an­née du Mexique, je pro­pose aux « Mau­vais jours » de célé­brer le cen­te­naire de la mort de Zapa­ta sur la friche Saint-Sau­veur. Je ne suis pas tou­jours le mec le plus per­ti­nent, certes, mais j’i­ma­gine que ma pro­po­si­tion, envoyée à un syn­di­cat liber­taire, de com­mé­mo­rer un révo­lu­tion­naire pay­san, et par là-même de défendre un parc plu­tôt que la béton­ni­sa­tion d’une friche, devrait rece­voir un écho. Je reçois pour toute réponse, mais en lou­ce­dé, ce mail d’une cer­taine Marie-Gon­trande, que je ne connais pas :

« Sinon, par rap­port à Tom-Jo et Hors-Sol : per­so les deux me révulsent pro­fon­dé­ment. Que ce soient les com­por­te­ments de l’un ou le conte­nu des textes de l’autre. J’ai pas du tout envie de voir un anti­fé­mi­niste de base asso­cié au fes­toche, ou pire, de devoir me col­ti­ner sa face pen­dant. On pour­ra en repar­ler à l’oc­caz mais voi­là moi ça me gênerait. »

Cette fois mon exclu­sion porte une signa­ture. Sans réponse de la part des orga­ni­sa­teurs, je dois com­prendre qu’ils se sont ran­gés der­rière l’a­vis, non moti­vé, de cette Marie-Gon­trande. En plus de mes « textes », ce sont désor­mais mes « com­por­te­ments » qui sont « anti­fé­mi­nistes de base ». Que me reproche la dame ain­si révul­sée ? J’i­ma­gine la plus sor­dide des rumeurs, mais je dois conti­nuer à subir cette para­noïa sans pou­voir réagir – je rap­pelle que j’ai reçu ce mail en « off ». Je pose tout de même la ques­tion à des potes de la CNT, comme ça, entre deux Jupis. Mais rien. Per­sonne n’est au cou­rant, les regards feignent l’é­ton­ne­ment avant de plon­ger vers le sol. Un mail scan­da­li­sé, outra­gé, indi­gné, que dis-je, offus­qué, suf­fit à m’ex­clure d’un fes­ti­val que j’ai contri­bué à créer. J’y pen­se­rai la pro­chaine fois qu’une gueule ne me revient pas, c’est moins fati­gant que de s’évertuer à écrire des textes rai­son­nés. Quelques mots-clés et une indi­gna­tion bien pesée suffisent.

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Aparté

Ça me rap­pelle cette his­toire d’un des­si­na­teur de la scène punk accu­sé de viol en 2008. Huit ans après une cou­che­rie de fin de soi­rée, dans l’ivrognerie par­ta­gée, la fille s’es­time vic­time d’un viol. Le mot est lâché. Une bro­chure cir­cule dans les squats et salles de concert et finit en ligne (Indy­me­dia, Paris-luttes.infos, Info­kiosques). Sans remettre en cause le récit de la nana, le mec deve­nu le « punk vio­leur » estime quant à lui qu’il ne s’agissait pas d’un viol. Mon his­toire ne mérite pas un pro­cès au pénal, et la qua­li­fi­ca­tion de viol n’est pas ici mon pro­pos. Je m’in­té­resse aux cou­tumes du « milieu radical ».

Le mec se fait donc virer des salles de concert qu’il fré­quente (le CCL par exemple). Il se fait agres­ser, pré­sen­té par­tout comme un « pré­da­teur sexuel ». L’af­faire prend de l’am­pleur quand il signe l’af­fiche d’un fes­ti­val anti­fas­ciste à Lyon en 2013. Plu­sieurs com­mu­ni­qués s’en prennent alors au « vio­leur » et à ses « com­plices » qui repro­dui­raient les « pro­jets de socié­té prô­nés par les fas­cismes » — tou­jours cette finesse d’a­na­lyse. L’ac­cu­sa­tion de viol est enté­ri­née, sans que jamais la ver­sion de mon­sieur ne soit confron­tée à celle de madame. Aucun des sites pré­cé­dem­ment cités n’a accep­té de publier sa réponse. C’est de toute façon inutile, selon les « anarkaféministes » :

« Nous ne cau­tion­nons pas la jus­tice bour­geoise et patriar­cale et c’est pour cette rai­son que la parole de la vic­time nous suf­fit ! […] La parole de la vic­time n’a jamais à être remise en question. »

Mais la « vic­time » n’a que sa parole, huit ans après les faits, pour éta­blir sa qua­li­té de vic­time. Et si tous les « plans cul » un peu éthy­liques et foi­reux peuvent se trans­for­mer, à plus ou moins longue échéance et sans confron­ta­tion avec les faits, en « affaires de viols », ô com­bien crous­tillantes pour les bignoles du milieu et pour la « vic­time » qui se rend si inté­res­sante, la fête va tour­ner au goû­ter de bonne famille sous la sur­veillance des chaperons.

La copine de l’ac­cu­sé doit prendre la parole pour stop­per l’a­char­ne­ment collectif :

« Quelques mois après que le scan­dale ait écla­té, j’ai com­men­cé à rece­voir, de temps en temps, des mes­sages ano­nymes ordu­riers sur mon site, m’ac­cu­sant d’a­voir des rela­tions avec un VIOLEUR, me deman­dant quel effet ça fai­sait de cou­cher avec un VIOLEUR. […] Je vous laisse ima­gi­ner l’hor­reur psy­cho­lo­gique de se trou­ver dans une telle situa­tion, dans ce tor­rent de merde, quand le ver­nis du mili­tan­tisme ne couvre plus la volon­té de nuire… »

On sait com­bien Inter­net, les réseaux sociaux, et leur ano­ny­mat, favo­risent les lyn­chages publics. Mais le « milieu radi­cal », plu­tôt que de s’en éloi­gner et d’en faire la cri­tique, s’en délecte et se joint aux lyn­cheurs. Bien que des calom­nies col­por­tées sur Twit­ter puissent détruire quel­qu’un, le « milieu radi­cal » lui inter­dit de se défendre. Ce serait faire le jeu de la jus­tice bour­geoise et du patriar­cat qui, depuis des siècles et des siècles, etc, vous connais­sez la chanson.

Cette affaire révèle le mode de pen­sée « radi­cal », la mau­vaise jouis­sance et l’état d’esprit para­to­ta­li­taire qui règne dans le milieu. Des sché­mas pré-éta­blis s’a­battent sur les faits. Des cases abs­traites enferment et mutilent les indi­vi­dus réels. Une his­toire mil­lé­naire (ou sup­po­sée telle) d’op­pres­sion sert à acca­bler des per­sonnes, pri­vées ensuite de tout droit de se défendre ; sans que la réa­li­té ne puisse, ni n’ait le droit, d’in­ter­fé­rer. Il faut bien le dire, les « liber­tés for­melles » ont du bon et à côté de la « jus­tice bour­geoise », la « jus­tice » anar­co-fémi­niste du milieu est tout au plus une sorte de bar­ba­rie régres­sive et brouillonne.

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8 mars 2019 – Sur la friche

Jour­née des droits des femmes. Je sors d’une heure d’embouteillages pen­dant laquelle les jour­na­listes de France Inter et les ministres macron­niens m’ont bour­ré le crâne avec leurs « femmes qui ont réus­si » dans la science et dans la tech depuis que Marie Curie a décou­vert le radium.

Lors de l’al­ter­ca­tion dont je m’ap­prête à vous nar­rer les meilleurs moments, je suis déjà enga­gé depuis quelques temps contre l’ur­ba­ni­sa­tion de la friche Saint-Sau­veur, vingt-trois hec­tares ven­dus à la pro­mo­tion immo­bi­lière pour y construire un quar­tier de la créa­tion et du desi­gn : des bureaux, des loge­ments, des com­merces, et leurs 9 000 voi­tures sup­plé­men­taires par jour. Comme je l’ai déjà dit, j’ai un petit gar­çon. Et comme d’autres enfants que je ren­contre chez des amis, à la crèche, à l’é­cole, il souffre de pro­blèmes res­pi­ra­toires. Rien qu’en 2018, les méde­cins lui ont pres­crit cinq fois des anti­bio­tiques. Toutes ces grues avec leurs pro­messes de « pics de pol­lu­tion » me dégoûtent. Nous avons créé une asso­cia­tion, contes­té le pro­jet devant le tri­bu­nal admi­nis­tra­tif, occu­pé le lieu, et retar­dé l’un des plus gros pro­jets immo­bi­liers de ces der­nières décen­nies à Lille.

J’in­siste un peu, non pour m’au­to-décer­ner quelque tro­phée, mais pour faire la leçon à cel­leux dont l’ac­ti­vi­té mili­tante se résume à mili­ter en milieu militant.

Ce jour-là, j’ar­rive sur la friche Saint-Sau­veur avec mon cama­rade d’Hors-sol, notre « super revue ». Deux mecs en uni­formes de zadistes, sweats à capuche et godillots, se pointent et me demandent (je la fais courte) :

— C’est toi Tomjo ?
— Heu, ouais…
— C’est toi qui es contre les transsexuels ?
— Vous devez par­ler des transhumanistes ?
— Euh…
— …
— T’es un mec cis-genre hété­ro, alors tu fermes ta gueule au sujet de la PMA. Tu laisses par­ler les gens concer­nés (il doit pen­ser aux lesbiennes).
— Vous savez ce que je dis à pro­pos de la PMA ?
— (L’un) Non mais mes potes m’ont racon­té, et je leur fais confiance parce que c’est des gens que j’aime, ça suffit.
— (L’autre) Moi j’ai lu Hors-sol, et vous vous fou­tez des han­di­ca­pés, vous vou­lez pas qu’ils aient des pro­thèses, vous êtes validistes !
— Je n’ai jamais dit un truc pareil.
— Ouais bah fau­drait que je relise mais bon…

L’un n’a rien lu mais sait ce que je pense, l’autre a lu mais ne se sou­vient plus. Les deux exigent pour­tant que je me taise, me trai­tant au pas­sage de fas­ciste et d’ho­mo­phobe. Com­ment réagir ? Je me suis long­temps posé la ques­tion, je me la pose encore. Sur l’ins­tant, j’ai bien essayé d’ar­gu­men­ter, un peu, mais la bêtise asso­ciée à la méchan­ce­té m’use assez vite. Leur mettre sur la gueule ? Ce serait s’attirer la vio­lence du trou­peau qui ne s’en tenait qu’aux mots pour l’ins­tant. Une tarte aux pha­langes aurait tôt fait de me rendre cou­pable de « viri­lisme », ce qui à leurs yeux aggra­ve­rait mon cas.

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26 juin 2019 – Le Retour de Mawy

Mawy, sou­ve­nez-vous, c’est cette auteure de bédé sans gram­maire ni talent qui m’a­vait insul­té et mena­cé cinq ans plus tôt. À l’oc­ca­sion d’un compte ren­du de la Gay Pride, elle prend à par­tie je-ne-sais-qui dont elle dit qu’il est un « Tom­jo pédé, un bon gros mas­cu ». Pour les non-ini­tiés des sub­ti­li­tés du « milieu radi­cal », un « mas­cu » est un mili­tant de la cause des hommes, du pou­voir des hommes, du pri­vi­lège mas­cu­lin. Je n’ai jamais tenu de tels pro­pos, et je ne les ai d’ailleurs jamais pen­sés. La cri­tique de la PMA s’at­taque à la sélec­tion des embryons et au com­merce de maté­riel humain. Quel rap­port avec le pou­voir des hommes ? Nous n’en sau­rons guère plus. À moins que le pré­sent témoi­gnage n’in­cite la bédéiste, après cinq ans, à dévoi­ler le fond de sa pen­sée (s’il y a un fond, et s’il y a une pensée).

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7 Août 2019 – Exclusion officielleuse (genre d’exclusion officielle mais non assumée)

L’é­di­teur de La Repro­duc­tion arti­fi­cielle de l’Hu­main (RAH) a éga­le­ment publié l’un de mes textes, Au Nord de l’é­co­no­mie. Il reçoit l’in­vi­ta­tion d’un cer­tain Tho­mas, secré­taire régio­nal de la CNT, que je pense n’a­voir jamais croi­sé, à par­ti­ci­per à un salon liber­taire orga­ni­sé à Amiens. Chez moi. L’é­di­teur me pro­pose, en tant que régio­nal de l’é­tape, d’y expo­ser mon livre sur l’au­to­ma­ti­sa­tion et l’in­tel­li­gence arti­fi­cielle au tra­vail, un sujet de pre­mière impor­tance pour un syn­di­cat de tra­vailleurs. Le secré­taire syn­di­cal donne d’a­bord son accord avant de reve­nir sur sa déci­sion et d’annoncer à mon éditeur :

« Après concer­ta­tion avec mes cama­rades nous for­mu­lons cette réponse : En rai­son d’un pas­sif pro­blé­ma­tique sur lequel il n’est jamais reve­nu pour s’ex­cu­ser (ou ne serait-ce que se ques­tion­ner sur ceux-ci) lors d’un évé­ne­ment qu’il avait co-orga­ni­sé il y a plu­sieurs années, et de désac­cord de fond comme de forme dans ses prises de posi­tions, nous pré­fé­rons décli­ner votre proposition. »

Le syn­di­cat CNT est donc d’ac­cord pour invi­ter l’é­di­teur de la RAH, mais pas moi. La logique échappe à l’en­ten­de­ment. La « forme » comme le « fond » d’un « pas­sif pro­blé­ma­tique » néces­si­te­raient ain­si que je me « ques­tionne » voire que je « m’ex­cuse » ? Je demande à en savoir plus : de quoi parle-t-on ? Je n’ai tou­jours pas reçu de réponse. Mon inter­ven­tion sera fina­le­ment rem­pla­cée par une énième confé­rence patri­mo­niale sur les anar­chistes pen­dant la guerre d’Es­pagne (il y a quatre-vingts ans).

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Août 2019 – Dégradation du Beffroi de Saint-Sauveur

Dans cette lutte contre la den­si­fi­ca­tion urbaine et les pol­lu­tions à Saint-Sau­veur, j’ai orga­ni­sé avec des amis « Elnor­pad­ca­do », le pre­mier contre-fes­ti­val à Lille3000, qui est la suite de « Lille 2004, capi­tale euro­péenne de la culture ». Un livre était paru en 2005, La Fête est finie, j’ai moi-même rédi­gé plu­sieurs articles, confé­rence et bro­chures, les condi­tions étaient réunies pour par­ta­ger d’autres ima­gi­naires que celui du diver­tis­se­ment dominant.

Pour l’oc­ca­sion, et mus par notre incli­na­tion au raf­fi­ne­ment et au bon goût, nous éri­geons, dans un esprit potache et liber­taire, un doigt d’hon­neur haut de cinq mètres et tour­né vers le Bef­froi de la mai­rie. Nous l’ap­pe­lons le Bef­froi de Saint-Sau­veur. Le jour de son inau­gu­ra­tion, je lis un dis­cours sur la sym­bo­lique des bef­frois à l’é­poque des com­munes médié­vales, une sym­bo­lique de paix, de fra­ter­ni­té, de soli­da­ri­té et d’au­to­no­mie face aux sei­gneurs. Je m’é­tais creu­sé la tête pour appor­ter quelques réfé­rences his­to­riques qui nour­ri­raient intel­lec­tuel­le­ment notre lutte en faveur d’une autre ville.

Quelques semaines plus tard, alors que je rentre de vacances, j’ap­prends que notre bef­froi a été tagué plu­sieurs fois « Tom­jo gros mas­cu », repre­nant la rumeur pro­pa­gée par Mawy et d’autres « lan­ceurs d’a­lerte ». Les tags ont été effa­cés, puis réécrits, et encore effa­cés par de très chics cama­rades qui n’ont pas eu besoin de connaître le fond de l’his­toire pour consi­dé­rer ces tags comme calomnieux.

Même répé­tée qua­rante fois, l’in­sulte ne sera jamais un argu­ment, à peine un bor­bo­rygme. J’ai presque de la peine pour ses auteurs. Non que leur vide intel­lec­tuel m’in­quiète, des ins­ti­tuts spé­cia­li­sés accueillent ce genre de public, mais parce que nous sommes col­lec­ti­ve­ment dému­nis pour y faire face. Si je repré­sente, moi Tom­jo, l’es­sence du mal domi­nant (du mâââle), un enne­mi à salir, à com­battre, voire à abattre, la vie des com­mis­saires poli­tiques modernes semble bien déses­pé­rante, pour ne pas dire déses­pé­rée. À la grande époque du Par­ti com­mu­niste, les sta­li­niens avaient le bloc capi­ta­liste contre eux, un rival un peu consé­quent, et puis en interne leurs « révi­sion­nistes », « liqui­da­teurs du par­ti pro­lé­ta­rien », « gau­chistes décom­po­sés », « capi­tu­lards », « col­la­bo­ra­teurs de classe », « sociaux-traîtres » ou encore « sabo­teurs infil­trés à la solde de l’im­pé­ria­lisme ». La bataille avait de l’en­ver­gure, une cer­taine gran­deur his­to­rique. Main­te­nant, ils ont « Tom­jo gros mascu ».

Du coup, de ce qui pré­cède, nous retien­drons que je suis successivement :

  • Anar­cho­pres­seur
  • Miso­gyne
  • Homo­phobe — Lesbophobe
  • Trans­phobe — Fasciste
  • Alain Soral
  • Connard
  • Dégueu­lis
  • Raclure de fond de bidet
  • Pas fun­ky
  • Pro­mis à l’émasculation
  • Réac­tion­naire
  • Digne des antisémites
  • Com­plo­tiste
  • Anti-huma­niste
  • Gar­dien de l’u­ni­ver­sa­lisme (atten­tion : contra­dic­tion avec l’in­sulte précédente)
  • Mec pri­vi­lé­gié
  • Mas­cu­li­niste
  • Oppo­sé à l’avortement
  • Pas clair sur le féminisme
  • Cli­vant
  • Révul­sant
  • Anti­fé­mi­niste de base
  • Cis-genre
  • Vali­diste
  • Pro­blé­ma­tique
  • Bon gros mascu
  • Gros mas­cu

Certes, ces outrances sont d’une vio­lence stu­pide, autant que d’une stu­pi­di­té vio­lente, mais elles ont sur­tout le défaut d’u­ser les mots, de leur faire perdre leur sens et leur charge. Quels mots nous res­te­rait-il, si, par aven­ture, un authen­tique par­ti « fas­ciste », « réac­tion­naire », « homo­phobe », etc., pre­nait le pou­voir ? À quoi bon gal­vau­der des réfé­rences his­to­riques qui, même si l’his­toire ne repasse pas les plats, peuvent nous aider à pen­ser le présent ?

Autre chose d’un peu péri­phé­rique attire l’at­ten­tion : le mili­tant du « milieu radi­cal » a ceci de sus­pect qu’il est indi­gné et pesant dans ses attaques, insen­sible à l’hu­mour, à l’implicite et au troi­sième degré, inca­pable de lire une lit­té­ra­ture pam­phlé­taire maniant l’i­ro­nie, la déri­sion et l’au­to­dé­ri­sion, ni de faire la dis­tinc­tion entre un fait et un com­men­taire. Une blague sur les femmes insé­mi­nées comme des vaches, une autre sur les tau­reaux qui ne font pas la vais­selle, et vous voi­là sus­pec­té des pires vile­nies. J’ai tou­jours pen­sé que cette affec­ta­tion de sérieux et le manque d’hu­mour révé­laient une pro­pen­sion à la bêtise et à la bru­ta­li­té. Mon his­toire le vérifie.

Confor­mé­ment aux ordures énu­mé­rées plus haut, com­bien de fois a‑t-il été deman­dé aux gens de se taire ? En ce qui me concerne, huit fois. Et je n’ai pas men­tion­né les tags sur les librai­ries (à Mon­treuil par exemple) ni les attaques per­pé­trées par d’autres branches post­mo­dernes, les néo­ra­cistes à la librai­rie Mille Bâbords à Mar­seille en 2016, ou les anti-spé­cistes aux Ren­contres anar­chistes inter­na­tio­nales de Saint-Imier en 2012. Cela tra­duit une frac­ture nou­velle dans les milieux contes­ta­taires dont je ne peux don­ner ici que quelques aperçus.

J’ai été lycéen, étu­diant, spor­tif, bar­man, ser­veur, ani­ma­teur, sai­son­nier, prof, parent d’é­lève, je ne me sou­viens pas d’avoir été confron­té dans ces milieux à autant de bru­ta­li­té (mis à part dans cer­taines cui­sines de bras­se­ries). Mal­gré son idéo­lo­gie de la bien­veillance, son obses­sion pour les « res­sen­tis », ses luttes contre-toutes-les-domi­na­tions, le Par­ti des « bien­veillants » se vautre dans les com­por­te­ments qu’il cri­tique par ailleurs. Son contre-monde est sou­vent pire que le monde qu’il com­bat. Mais je n’en attends ni excuses ni bien­veillance, je lui laisse ses réflexes niai­seux et ses pos­tures victimaires.

Essayons plu­tôt de com­prendre. « Le par­ti se ren­force en s’é­pu­rant », sou­te­nait Lénine dans Que faire ?. Épuration/purification du groupe : le phi­lo­sophe René Girard en a fait la des­crip­tion dans La Vio­lence et le sacré, une théo­rie du bouc émis­saire. Selon lui, le sacri­fice du bouc émis­saire per­met à une com­mu­nau­té, close par défi­ni­tion, comme un « milieu » ou un par­ti, d’ex­té­rio­ri­ser la vio­lence intes­tine due à la concur­rence entre ses membres, à leurs dési­rs inas­sou­vis, et de reje­ter sur la vic­time émis­saire leurs propres fautes et culpa­bi­li­tés. Jus­qu’à la pro­chaine fois.

Le méca­nisme est vieux comme l’An­cien Tes­ta­ment. Si tel est le cas ici (hypo­thèse), le « milieu » doit savoir que, selon Girard, accor­der tant d’at­ten­tion au bouc émis­saire, « c’est déjà lui recon­naître ou lui accor­der un pres­tige que l’on ne pos­sède pas, ce qui revient à consta­ter sa propre insuf­fi­sance d’être.[15] » Je vous laisse juge.

Au-delà, il s’agit pour les lyn­cheurs d’imposer la loi du milieu. Leur loi. De mon­trer qu’ils dis­posent de cette peine de mort sym­bo­lique, l’exclusion, et qu’ils sont près à l’utiliser, y com­pris de façon injuste et capri­cieuse, pour mon­trer leur pou­voir. « Égor­ger un pou­let pour en effrayer cent », dit un pro­verbe chi­nois. Il n’y a aucun doute que s’ils en avaient le pou­voir, ces fana­tiques de la Bien­veillance égor­ge­raient les mal­veillants dans mon genre. Non pas de façon sym­bo­lique, mais bien réel­le­ment, comme leurs devan­ciers com­mu­nistes qui fusillèrent et mas­sa­crèrent d’un bout à l’autre « le camp socialiste ».

Ten­tons une autre approche, socio­lo­gique. La cor­po­ra­tion des étu­diants et des enseignants/chercheurs en sciences sociales a réa­li­sé une OPA sur le « milieu radi­cal ». Je pense l’a­voir dit plu­sieurs fois, la majo­ri­té des offenses furent le fait d’u­ni­ver­si­taires, de pro­fil socio-sciences po, bibe­ron­nés à Bour­dieu – je le sais, j’ai été cou­lé dans le même moule. Ce milieu a impo­sé ses élé­ments de lan­gage et donc sa manière de com­prendre le monde et d’a­gir des­sus. Par l’en­tre­mise de sa nov­langue, la cri­tique de l’ap­pro­pria­tion mar­chande et du capi­ta­lisme, des pou­voirs consti­tués et réels de l’État, de sa bureau­cra­tie, de sa méde­cine, de sa science, a dis­pa­ru. Elle a été rem­pla­cée par une sous-cri­tique « cultu­relle », décons­trui­sant tour à tour les « vio­lences sym­bo­liques », les « goûts », les « habi­tus » et les « dominations ».

Ain­si, les domi­na­tions et les pri­vi­lèges, tou­jours au plu­riel car infi­nis, sans oublier les repré­sen­ta­tions, stig­ma­ti­sa­tions et autres tares psy­cho­lo­giques en — phobes, néces­sitent conscien­ti­sa­tion et décons­truc­tion dans le cadre d’un groupe de parole en non-mixi­té, lequel appel­le­ra à la plus grande bien­veillance à l’é­gard des mino­ri­tés, ou leur per­met­tra, empo­werment aidant, de gagner en pou­voir et visi­bi­li­té. Après le racisme, le sexisme, le vali­disme, le spé­cisme, l’â­gisme, l’hé­té­ro-cis­sexisme, même les rap­ports de classes, jusque-là étu­diés sous leur angle maté­riel (et non uni­que­ment sub­jec­tif), dans les rap­ports de pro­duc­tion (pos­sé­dants / exploi­tés), ont été pas­sés à la mou­li­nette cultu­ra­liste : il ne s’a­git plus d’a­bo­lir les classes mais le clas­sisme, le mépris de classe.

Par­don si je suis un peu pâteux, mais, vu le ter­rain, j’ai des excuses.

Or, si la « domi­na­tion » sup­plante l’« exploi­ta­tion », une classe n’ex­torque plus la plus-value créée par une autre, et la hié­rar­chie n’est plus cri­ti­quée en tant que telle : les indi­vi­dus sont désor­mais en concur­rence à l’in­té­rieur de leur « champ » (Bour­dieu). C’est ain­si qu’il faut com­prendre l’en­goue­ment pour l’empo­werment, que l’u­ni­vers mana­gé­rial appelle coa­ching. Fin de la conflic­tua­li­té avec le pou­voir, repli sur soi et son milieu, jus­qu’à étouf­fe­ment. Il en résulte un milieu « radi­cal » auto-cen­tré, obsé­dé par ses propres repré­sen­ta­tions et les rap­ports inter-indi­vi­duels en son sein, sans autre arme pour s’é­man­ci­per que le déve­lop­pe­ment per­son­nel (et le taïchi).

Dif­fi­cile de ne pas pen­ser au « milieu radi­cal », et d’en attra­per des sueurs froides, lors­qu’on lit cette phrase de Bour­dieu qui fait office de pro­gramme politique :

« Seul un véri­table tra­vail de contre-dres­sage, impli­quant la répé­ti­tion des exer­cices, peut, à la façon de l’en­traî­ne­ment de l’ath­lète, trans­for­mer dura­ble­ment les habi­tus » (Médi­ta­tions pas­ca­liennes, 2003).

Ain­si, c’est en se chan­geant soi, ses repré­sen­ta­tions, son mode de vie, qu’on change le monde. Alors que pour la tra­di­tion mar­xiste, ou en tout cas socia­liste, il s’a­gis­sait de pro­cé­der à l’exact inverse. Le pos­tu­lat est pour le moins effrayant. Il rigi­di­fie les pos­tures morales et fait de cha­cun un petit flic, un petit juge, un petit curé, comme dans une com­mu­nau­té pro­tes­tante et puri­taine de Nou­velle-Angle­terre (Salem) ou de la Drenthe[16]. Pous­sé au maxi­mum, ce pos­tu­lat entraîne un contrôle total de tous sur tous et sur tout : les com­por­te­ments, les pro­pos, les pen­sées, les arrières-pen­sées, et – idéa­le­ment – l’inconscient coupable.

Lisez l’ar­ticle de Dylan Riley « Pierre Bour­dieu, l’u­ni­ver­si­taire qui se rêvait en mili­tant » sur la revue en ligne Période pour com­prendre com­ment Bour­dieu pro­jette sa per­pé­tuelle « réflexi­vi­té » de socio­logue sur le reste de la socié­té[17]. L’ef­fet bocal trouve ici son expli­ca­tion : Riley parle de « radi­ca­lisme inté­rieur ». Et qui a les armes intel­lec­tuelles suf­fi­santes pour « trans­for­mer dura­ble­ment les habi­tus » d’une popu­la­tion incons­ciente d’elle-même tant elle est « embourbé[e] dans les eaux du sens com­mun et de l’ac­cep­tion cou­rante », sinon les socio­logues bour­di­vins qui, pour Riley, endossent le rôle de l’« avant-garde » que jouaient les « révo­lu­tion­naires pro­fes­sion­nels » au temps de Lénine.

Il n’est pas de sujet plus pro­pice aux ana­thèmes et aux exclu­sions que les « domi­na­tions de genre ». En com­pa­rai­son, les déchets nucléaires, la sixième grande extinc­tion des espèces ou l’avènement de l’eu­gé­nisme comptent pour du beurre. Certes, « il ne fau­drait pas hié­rar­chi­ser les luttes », mais le sexisme est sys­té­ma­ti­que­ment le sujet le plus lourd et le plus explo­sif quand il figure à l’ordre du jour. Et cha­cun sera bien ins­pi­ré, dans ce cas, de peser ses mots au gramme près. Il devient inter­dit de dis­cu­ter des contri­bu­tions d’un « cer­tain fémi­nisme », même avec tous les guille­mets pos­sibles et la voix la plus liquo­reuse, à la per­pé­tua­tion d’un monde de mar­chan­dises. On le voit avec l’é­lar­gis­se­ment de l’ac­cès à la PMA et la GPA comme sur d’autres sujets plus tri­viaux tel que, pour prendre le plus récent, le foot fémi­nin, subi­te­ment paré de toutes les ver­tus éman­ci­pa­trices (empo­werment).

Ce mou­ve­ment va du « milieu radi­cal » aux stu­dios de France Inter en pas­sant par les bureaux du minis­tère de Mar­lène Schiap­pa et bien évi­dem­ment… l’U­ni­ver­si­té. Les deux thèmes de recherche que sou­tient la branche Sciences humaines et sociales (SHS) du CNRS, l’INSHS, sont les « huma­ni­tés numé­riques » et les « études de genre », avec un accent par­ti­cu­lier por­té aux « rela­tions entre intel­li­gence arti­fi­cielle et SHS »[18]. Le dis­cours domi­nant, celui pro­duit par la Recherche d’État, est donc tech­no-fémi­niste. À l’au­dio­vi­suel d’État ensuite d’en faire la pro­pa­gande, en invi­tant ou en embau­chant ses plus brillants élé­ments, par exemple sur les ondes de France Culture, qu’on sur­nom­me­ra Radio Spé­cia­listes[19].

Les autres reje­tons de la Recherche d’État pour­ront valo­ri­ser leurs savoir-faire auprès de l’in­dus­trie cultu­relle et le monde des start-up. Que je sache, per­sonne dans cette com­mu­nau­té scien­ti­fique ne s’est ému, ni à Lille ni ailleurs, quand la plus haute ins­tance des Sciences sociales (l’INSHS), qui « depuis 80 ans [bâtit] de nou­veaux mondes », est venue orga­ni­ser ses trois jours d’Inno­va­tive SHS, ici cette année, pour « favo­ri­ser le trans­fert » des socio­logues vers le monde de l’in­dus­trie et des start-up : logi­ciels, applis, jeux vidéo, smart city, « rela­tions ava­tar-humain »[20].

Les scien­ti­fiques de l’Homme et de la Socié­té, par ailleurs si prompts à la « réflexi­vi­té », n’ont pas jugé utile d’ap­pré­cier la part réelle de leur science par­ti­cu­lière dans la domi­na­tion du Capi­tal sur les hommes et la socié­té. La seule ques­tion légi­time pour la gauche bour­di­vine, main­te­nant qu’elle a admis sa place spé­ci­fique, est la part sta­tis­tique de femmes et de « raci­sés » dans la nou­velle éco­no­mie, et leur visi­bi­li­té dans le monde du spec­tacle. C’est-à-dire aus­si – sur­tout – la visi­bi­li­té et la domi­na­tion des bour­di­vins dans le « champ uni­ver­si­taire », édi­to­rial, média­tique, etc. Notre socié­té tech­no­lo­gique, spec­ta­cu­laire et mar­chande, peut comp­ter sur eux pour appuyer sa domination.

Dans son enquête Pour­quoi les riches votent à gauche[21], l’A­mé­ri­cain Tho­mas Franck montre com­ment cette idéo­lo­gie a gagné le Par­ti démo­crate, celui des époux Oba­ma et d’Hil­la­ry Clin­ton. Cette vision de la poli­tique résulte de l’i­déo­lo­gie de la com­pé­tence propre à la socio­lo­gie des « pro­fes­sion­nals » qui ont pris la tête du par­ti libé­ral, les tech­no­crates, les uni­ver­si­taires, poli­tistes, conseillers finan­ciers, jour­na­listes, ingé­nieurs, hauts fonc­tion­naires, qu’on désigne en France comme les caté­go­ries intel­lec­tuelles supé­rieures, et dont Ivan Illich sou­tient qu’elles sont déten­trices du « pou­voir de pres­crire[22] ».

Pour ces com­pé­tents, l’ac­tion poli­tique se résume à ce que la « diver­si­té », désor­mais diplô­mée, accède aux postes hié­rar­chiques cor­res­pon­dant à leurs com­pé­tences. « Parce qu’il [Oba­ma] était lui-même le pro­duit de la grande méri­to­cra­tie amé­ri­caine d’a­près-guerre, il n’a jamais vrai­ment pu voir le monde autre­ment que du haut de l’é­chelle sociale sur laquelle il s’é­tait éle­vé », écrit T. Franck. Ces mili­tants de la cause méri­to­cra­tique cassent donc ce qui pou­vait encore carac­té­ri­ser « la gauche ». Non seule­ment ils ont lar­gué, tra­hi, les classes exploi­tées, récu­pé­rées par Donald Trump, mais ils ont accep­té la struc­ture hié­rar­chique de la socié­té, notam­ment la divi­sion entre tra­vail intel­lec­tuel et tra­vail manuel, et fina­le­ment le règne de la tech­no­cra­tie. Leur règne. Si la droite défend le pou­voir de l’argent, la gauche défend celui des com­pé­tents à haut reve­nu. Et, même si la for­mule est usée jus­qu’à la corde, la lutte des places a rem­pla­cé la lutte des classes.

La lutte contre les domi­na­tions et les dis­cri­mi­na­tions est donc l’ultime déchet du réfor­misme. Il réclame l’ac­cès de tous et toutes aux postes de pou­voir et aux mar­chan­dises, même les plus alié­nantes. Ce fémi­nisme de « mar­cheuse » n’invite pas les femmes ou les homos à chan­ger la socié­té, mais à y réus­sir. Red­di­tion contre laquelle, à une autre époque, l’é­co­fé­mi­niste Fran­çoise d’Eau­bonne, fon­da­trice du MLF et du Front homo­sexuel d’ac­tion révo­lu­tion­naire (FHAR), aurait répondu :

« Nous n’al­lons pas inté­grer la socié­té, nous allons la désintégrer ! »

Voi­là. C’est vite dit, mal dit – que d’autres fassent mieux.

Je ne doute pas que mon témoi­gnage, grif­fon­né à la hâte, ne laisse plein de trous et de mal­adresses sus­cep­tibles de ser­vir à des ergo­tages et dénis comme j’en ai tant connus depuis dix ans, mais je m’en fous. Je me fous du « milieu radi­cal » et de ses bubons. J’en suis sorti.

Heu­reu­se­ment, j’avais – j’ai – tous mes amis qui ne m’ont pas lâché durant ces années et avec qui je continue.

Face aux silences des lâches, que ceux qui sont capables d’un sur­saut moral et intel­lec­tuel prennent leurs responsabilités.

A la bouillie inter­sec­tion­nelle, oppo­sons la cri­tique concrète de la réa­li­té concrète. Sans quoi la pen­sée s’é­va­po­re­ra, empor­tant dans son brouillard tout espoir d’é­man­ci­pa­tion pour tous et toutes.

Insultes, menaces et calomnies :

hors-sol@herbesfolles.org


  1. Pré­noms chan­gés. N’oublions pas que ces rebelles sont tra­qués par la milice et la Ges­ta­po. Je ne gar­de­rai donc que les signa­tures publiques.
  2. The Atlan­tic, 9 mars 2016.
  3. koudavbine.blogspot.com/2014/11/anarcouilles‑7.html
  4. societedelinformation.wordpress.com
  5. Pour une cri­tique éman­ci­pa­trice de la PMA », L’An 02, 2014.
  6. « La PMA, un débat tou­jours en ges­ta­tion chez les éco­los », Repor­terre, 24 sept. 2019.
  7. Millebabords.org, 23 décembre 2014.
  8. http://www.millebabords.org/spip.php?article27231 9 « Pour une cri­tique… », op. cit.
  9. La Conju­ra­tion des ego, Syl­lepse, 2019.
  10. La Décrois­sance, ce jour­nal que nous n’a­chè­te­rons pas », Rebel­lyon, 27/7/19. Voir le compte Twit­ter d’Aude Vidal.
  11. Bâillon­ner les quar­tiers, Julien Tal­pin, à paraître en 2020.
  12. Quelle métho­do­lo­gie pour la  »Consul­ta­tion des musul­mans » ? », Libé­ra­tion, 4 oct. 2018.
  13. « L’is­la­miste Taous Ham­mou­ti porte plainte contre moi pour injure publique », Naëm Bes­tand­ji, naembestandji.fr, 23 sept. 2019.
  14. Contre Eur­alille, Anto­nio Del­fi­ni et Rafaël Sno­ri­guz­zi, 2019.
  15. Men­songe roman­tique et véri­té roma­nesque, Gras­set, 1961.
  16. Bleue comme une orange, Tomjo/PMO, 2019
  17. revueperiode.net/pierre-bourdieu-luniversitaire-qui-se-revait-en-militant/
  18. La lettre de l’INSHS, mars 2019.
  19. Com­bien de « Gilets jaunes » sont pas­sés sur les ondes de Radio France com­pa­ra­ti­ve­ment aux « spé­cia­listes des mou­ve­ment sociaux » et autres « socio­logues des mobi­li­sa­tions » ? À ce titre, Cyril Hanou­na rem­plit sans doute une bien meilleure « mis­sion de ser­vice public ».
  20. Lettre d’in­for­ma­tion de l’INSHS, mars 2019.
  21. Agone, 2018.
  22. Disa­bling pro­fes­sions, 1977.

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  1. Texte inté­res­sant ; je ne connais pas assez ces milieux fémi­nistes ou LBGT mili­tants pour me pro­non­cer sur la nature des faits.
    Mais cette absence de débat pos­sible montre bien à quel point le sys­tème capi­ta­liste a réus­si à brouiller les esprits et les cartes du jeu.
    Le matra­quage média­tique, la culture pub-zap-moi je, les egos tant pro­je­tés qu’ils deviennent exté­rieurs, indé­fi­nis, nous ren­voient à des com­por­te­ments de type reli­gieux ou sec­taires. Il n’y a plus de place pour le débat, l’a­na­lyse confron­tée ; c’est ali­gne­ment ou exclusion.
    Cela rend bien sur dif­fi­cile toute conver­gence des luttes ; divi­ser pour rêgner-un grand classique.

    Macron l’a bien com­pris qui nous balance dans le même temps, les migrants, la PMA et le voile !

  2. Texte très impor­tant qui décrit par­fai­te­ment com­ment, dans le pré­sent culte des éti­quettes, on s’at­tarde à pré­sent sur ces der­nières (copiées/collées) sans se sou­cier du fond des dis­cours, (pour­tant très inté­res­sant en l’occurrence).

    C’est pour cela que ceux qui se réclament des « anti-fa » sont par­fois les pires fas­cistes en empê­chant la parole (comme Etienne Chouard a pu en faire les frais).

    Moi-même j’ai déjà eu affaire à ce genre de com­por­te­ment de la part de gens connus comme « tenants de l’in­sou­mis­sion ». Déplorable.

    Je te sou­haite le meilleur et t’a­dresse tout mon sou­tien, Tomjo.

    Mer­ci au site Le Par­tage de dif­fu­ser ce texte.

  3. Sou­tien à Tom­jo qui dépeint ici une triste réa­li­té du « milieu », tous ces gens seraient inca­pables de décrire la pen­sée de Tom­jo sur le sujet de la PMA.
    Ces gens qui se disent anti­fa et qui mettent tous les autres dans des cases sans même savoir pourquoi…

  4. Tom­jo, nous nous sommes croi­sés lors de dif­fé­rentes mani­fes­ta­tions dans dif­fé­rents endroits et nous avons des connais­sances com­munes. Si j’ai mili­té une ving­taine d’an­nées à la CNT-AIT et pen­dant quelques années à une coor­di­na­tion anti­nu­cléaire, depuis un bon moment je ne m’in­ves­tis plus dans aucune lutte. Ras le bol des auto­crates, des auto­ri­taires qui prônent l’au­to-orga­ni­sa­tion, la prise en charge de l’or­ga­ni­sa­tion de lutte par tous comme si leurs atti­tudes mépri­santes et auto­ri­taires le per­met­tait. Poin­ter leurs atti­tudes mépri­santes, leurs contra­dic­tions c’est inad­mis­sible pour ce genre de per­sonnes auto­cen­trés sur eux-mêmes. Comme tu peux le consta­ter briè­ve­ment, je suis assez  » LAS  » et dans ton texte « mac­car­thysme en milieu radi­cal » j’ai cru revivre cer­tains épi­sodes de mon impli­ca­tion dans la CNT en géné­ral. Aus­si je tiens à te témoi­gner mon estime dans les posi­tions que tu défends sur la PMA et la GPA mais éga­le­ment dans le cou­rage et la clair­voyance dont tu fais appa­rem­ment preuve face à la bêtise qui est de plus en plus arrogante.
    De plus j’ai consul­té ton texte sur mon écran d’or­di­na­teur et je ne suis pas très à l’aise afin de le pagi­ner et le tirer, aus­si donnes moi des indi­ca­tions sur la pos­si­bi­li­té de l’a­voir en ver­sion papier avec bien enten­du une contri­bu­tion finan­cière à t’en­voyer pour cela.
    contacte moi sur ma boite mail, à bien­tôt et salu­ta­tions ami­cales. Jacques

  5. L’anti-tech le plus radi­cal de mes ami·es m’a récem­ment conseillé ce site et le compte Face­book qui va avec, louant la radi­ca­li­té du pro­pos et sur­tout la patience de l’auteur, qui répond de manière argu­men­tée à chacun·e. J’aime bien cette idée mais j’ai été déçue en navi­guant sur le site et en y décou­vrant la énième repu­bli­ca­tion de « Alors du coup ». 

    C’est un texte que je n’avais pas pris la peine de lire dans un pre­mier temps, m’arrêtant après les pre­mières pages. Et puis, appre­nant qu’il était ques­tion de moi sur trois bonnes pages, il a fal­lu tout se fader et entrer dans ce texte-vidange, qui informe plus sur l’auteur, Tom­jo alias Tho­mas « J’aurais », que sur le milieu qu’il décrit, lequel serait étran­ge­ment homo­gène et tout occu­pé à offen­ser sa per­sonne. Jusqu’ici je n’ai répon­du qu’en pri­vé. Mais deux ans plus tard je suis tou­jours fati­guée de voir ce texte pris au sérieux et cette bro­chure a été sui­vie par des faits de har­cè­le­ment à mon encontre (https://blog.ecologie-politique.eu/post/Harcelement-moral-en-milieu-anti-tech). Deux ans, c’est long, mais pen­sons au pauvre Tho­mas qui a ron­gé son frein pen­dant cinq ans avant de déver­ser une bile lon­gue­ment accumulée.

    Mais il s’est pas­sé quoi ?

    À l’automne 2014, les débats sur la PMA pour toutes puis la sor­tie du livre La Repro­duc­tion arti­fi­cielle de l’humain ont don­né lieu à une gué­guerre mili­tante que Tho­mas J m’accuse d’avoir ini­tiée, pas moins. J’avais pris l’initiative de réunir des per­sonnes qui cri­ti­quaient l’organisation par Tho­mas d’une ren­contre autour du bou­quin au squat l’Insoumise à Lille. Nous avions inter­rom­pu la ren­contre qui ne fai­sait que com­men­cer, lu un texte et nous étions parti·es sans plus de dom­mages, lais­sant dans la moi­tié qui res­tait du public des fans du livre et des curieux plus ou moins convain­cus. Tho­mas, qui ne déco­lère pas depuis cet acte d’hostilité, ne cite pas le texte en ques­tion, pré­fé­rant sans doute épar­gner à ses lec­teurs la peine de se faire un avis. Je n’ai pas ce texte dans mes archives (il doit avoir les défauts habi­tuels d’un texte col­lec­tif) mais voi­ci ici ma cri­tique du bou­quin (https://blog.ecologie-politique.eu/post/La-Reproduction-artificielle) et là le texte écrit avec Aude Vincent sur la « PMA », vocable sous lequel sont ras­sem­blés l’insémination arti­fi­cielle avec don­neur et la fécon­da­tion in vitro, deux gestes au niveau de tech­ni­ci­té et aux impli­ca­tions très dif­fé­rentes. Contrai­re­ment aux cri­tiques mora­li­sa­trices, nous avions fait (sur­tout Aude) un vrai tra­vail de tech­no­cri­tique (https://blog.ecologie-politique.eu/post/Critique-emancipatrice-de-la-PMA). Ce mode d’ac­tion est loin, très loin, des actes qui ont accom­pa­gné le bou­quin cette année-là.

    Per­sonne n’est obli­gé d’être d’accord avec nous mais il fau­drait pou­voir argu­men­ter autre­ment que par des accu­sa­tions vagues de « manque de radi­ca­li­té ». Irène Per­ei­ra, dans Alter­na­tive liber­taire, écri­vait que même si l’IAD est médi­ca­le­ment low-tech, la banque de sperme et les dons ano­nymes sont une tech­nique sociale qui ins­tru­men­ta­lise autrui, qui est trop uti­li­ta­riste et libé­rale. Je l’entends bien et j’apprécie sa cohé­rence et sa constance mais, dans le monde où nous vivons, ça me semble un moindre mal pour com­pen­ser les droits très inégaux entre géni­teur et géni­trice. Ce désac­cord ne nous empêche pas de conti­nuer notre dia­logue, sur ce sujet et d’autres.

    Il n’est pas néces­saire que des diver­gences de vue et dix minutes d’interruption d’une ren­contre entraînent un tel défer­le­ment de haine. Le désac­cord devient un crime de lèse-majes­té quand on place son ego dans ses posi­tions poli­tiques. Et le débat porte en-des­sous de la cein­ture plu­tôt que dans l’échange d’arguments qui nous per­met­trait de pré­ci­ser nos idées ou de les faire évoluer. 

    Une très modeste « ethnographie »

    Pas­sons aux men­songes très concrets qui émaillent le texte. Par exemple Tho­mas explique avoir consen­ti fin 2014 à l’organisation d’une deuxième soi­rée à l’Insoumise avec Aude Vincent et moi. L’idée de cette soi­rée revient à un mili­tant de longue date du centre LGBT de la faire sur les lieux même de la pré­cé­dente, à l’Insoumise. Car ce lieu, ça n’était pas que Tho­mas, c’était aus­si un col­lec­tif sur la tête duquel il était pas­sé pour orga­ni­ser la pre­mière ren­contre. Les autres avaient mal vécu son tour de force et ont accueilli très favo­ra­ble­ment cette solu­tion, qui dépas­sait le conflit interne au squat et fai­sait faire pschittt à une guerre mise en scène entre lieux radi­caux. Ce n’est donc pas Tho­mas qui a accep­té, c’est le groupe qui ani­mait avec lui l’Insoumise, et j’ignore même s’il était d’accord. (La soi­rée en ques­tion était très chiante, avec assez de participant·es mais peu de répon­dant et encore moins de conflit, outre un mec qui regret­tait l’époque bénie où les femmes pou­vaient « contrô­ler leur corps » en s’avortant à l’aiguille à tricoter.)

    Autre arran­ge­ment avec la réa­li­té, cette fois dans le texte qui accom­pagne « Alors du coup » sur le site de PMO : Tho­mas est loin d’être un « jeune gars de milieu popu­laire arri­vé d’Amiens, décou­vrant (…) la grande ville » (https://www.piecesetmaindoeuvre.com/spip.php?page=resume&id_article=1197). Avant d’auto-définir sa classe sociale d’origine ou plus sim­ple­ment d’enfumer son monde (ses cama­rades de PMO inclus·es ?), Tho­mas se flat­tait d’avoir fré­quen­té la même boîte à bac de jésuites que Macron, la pépi­nière de la bour­geoi­sie amié­noise. On l’a aus­si vu, au prin­temps 2016, arri­ver à un ras­sem­ble­ment devant le com­mis­sa­riat de Lille Sud en SUV blanc tout neuf, cadeau de nais­sance offert par pôpa. C’est vrai que tout le monde dans les milieux radi­caux joue au pauvre, dress code récup entre autres… sauf les rares qui viennent de familles fau­chées. Tho­mas, lui, pré­fé­rait la pro­voc et j’avais trou­vé ça assez drôle et plus sain. Il a bien l’assurance, jusqu’à l’arrogance, que donne le fait d’être né dans une famille friquée.

    Les quelques « erreurs » que j’avais notées dans ma lec­ture de l’époque le flattent ou m’humilient, au choix. Pour celles qui me concernent, donc, je ne me suis jamais cachée d’avoir bos­sé six mois pour le groupe EELV au conseil régio­nal, pour mon pre­mier vrai bou­lot entre deux longues périodes de chô­mage (j’en ai par­lé sur mon blog à l’époque des faits). J’invite Tho­mas à faire la liste de ses employeurs à lui, puisqu’on en est là dans la chasse aux sor­cières… De même j’avais oublié être allée voir PMO à l’issue d’une de leurs pré­sen­ta­tions à Lyon fin 2011. Ce dont je me sou­viens bien, c’est de Yan­nick (la moi­tié de PMO) expli­quant en public qu’ils pré­fé­raient bos­ser à deux car ils ne vou­laient per­sonne « sur la ban­quette arrière ». Ça m’avait beau­coup par­lé, cette année-là j’en avais plus que marre du monde sur ma propre ban­quette arrière, je ne m’imagine donc pas leur deman­der une place sur la leur. Je veux bien croire qu’ils gar­daient un sou­ve­nir plus mar­quant que moi de l’inconnue qui était venue leur par­ler huit ans plus tôt mais plus pro­ba­ble­ment c’est une recons­truc­tion a pos­te­rio­ri. Quant à l’histoire que j’ai vécue à La Brique, elle est racon­tée d’une manière dégueu­lasse, encore une fois dans le but de m’humilier. J’ai subi un lyn­chage par le col­lec­tif de ce tri­mes­triel mili­tant ; des copains du Centre cultu­rel liber­taire ont ten­té une média­tion pour répa­ra­tion qui n’a rien don­né ; j’ai quit­té Lille trois mois plus tard et chacun·e peut se faire juge de cette his­toire en lisant le récit de pre­mière main (« Au pilo­ri » https://archive.org/details/AuPiloriJuin18) plu­tôt que le ragot de Tho­mas (aus­si peu objec­tif mais moins bien informé). 

    Tho­mas pré­sen­tait sa bro­chure comme une petite « eth­no­gra­phie » du milieu radi­cal lil­lois. Écrire cinq ans après les pre­miers faits, sur la base de ses sou­ve­nirs, un récit très sub­jec­tif pour se mettre en valeur aux dépens d’autres, ce n’est pas une « eth­no­gra­phie », ce n’est pas un tra­vail jour­na­lis­tique non plus, ou encore un texte de théo­rie poli­tique, c’est un règle­ment de comptes. On peut igno­rer les détails du conflit qui oppose Tho­mas au reste de son petit monde mais l’absence d’argumentaire poli­tique saute aux yeux du plus ingé­nu. Cette publi­ca­tion n’honore ni ce site ni les autres qui l’ont aus­si republié.

    Qui­quet, Rous­seau et moi

    La titraille et le cha­peau de ce texte, qui sont de l’éditeur de ce site, prennent pour­tant visi­ble­ment très au sérieux « Alors du coup ». Celles et ceux qui lisent les écrits de Tho­mas savent pour­tant qu’il a besoin de haïr pour écrire. Dans L’Enfer vert, son der­nier livre, son tra­vail d’enquête était concen­tré sur l’obscur Éric Qui­quet, un temps élu muni­ci­pal lil­lois. Puis ce fut San­drine Rous­seau, sur laquelle Tho­mas (il pos­sède pour­tant un très épais dos­sier sur le per­son­nage car il l’a obsé­dé pen­dant quelques années) n’a pas trou­vé l’automne der­nier assez de moti­va­tion de rédi­ger un vrai article. Alors même que Rous­seau avait (enfin !) fini par repré­sen­ter quelque chose poli­ti­que­ment, il a publié une ébauche de bio… après sa défaite à la pri­maire des écolos. 

    Et depuis, il y a moi, dont Tho­mas lit tout : mes comptes sur des médias sociaux, mon blog… depuis 2014 ou un peu après, rien n’échappe à sa saga­ci­té, c’est la même obses­sion que pour les deux autres en leur temps, je suis à mon tour le centre de son monde (j’avoue que je ne lui rends pas la pareille). Je ne sais pas si je dois me sen­tir flat­tée d’être la troi­sième de cette pauvre liste. Je ne me suis jamais pré­ten­due la plus radi­cale de la pièce : je viens de très loin poli­ti­que­ment (avant de décou­vrir autre chose dans l’association de jeunes sou­te­nue par les Verts puis EELV où j’ai ren­con­tré Tho­mas en 2008) et, pire, je garde mon côté réfor­miste comme une deuxième jambe de ma cri­tique radi­cale. On a le droit de ne pas me trou­ver for­mi­dable mais je veux bien qu’on cri­tique mes argu­ments, ça fera avan­cer tout le monde.

    Ce que cela nous dit

    Cer­taines des attaques de Tho­mas ne sont pas injustes, sur des traits du milieu qui me paraissent à moi aus­si ridi­cules : j’ai assez écrit des­sus avant lui et je pense avoir mieux argu­men­té et poin­té du doigt le libé­ra­lisme qui sous-tend beau­coup d’engagements, de cela on peut juger en lisant La Conju­ra­tion des ego (Syl­lepse, 2019). Mais une par­tie de ses moti­va­tions n’est pas dévoi­lée dans le texte et le « milieu ridi­cule » y est décrit comme mono­li­thique. Ce milieu est, à Lille comme ailleurs, tra­ver­sé de nom­breux conflits, notam­ment autour des ques­tions fémi­nistes. Ima­gi­nez que tout ça res­semble féro­ce­ment à la dyna­mique que vous connais­sez dans votre ville/campagne à vous : des idées plus ou moins bonnes cir­culent, des gens plus ou moins réglo et malins, de temps en temps un mar­tyr qui daube sur tout le monde depuis une bro­chure ou un blog. Rien de spé­cial, l’habituel nar­cis­sisme de la petite dif­fé­rence ren­du très amer par cinq ans à ne pas avoir eu le cou­rage de me dire son mépris en face.

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