QUAND ON FAIT LA SOMME, pêle-mêle, des femmes battues, violées (en France, « 94 000 femmes majeures déclarent avoir été victimes de viol ou de tentative de viol sur une année »), tuées, qui ont peur lorsqu’elles prennent le métro, qu’elles marchent dans la rue la nuit ou qu’elles rentrent chez elles ; des enfants harcelés, battus, violés (« près de 130 000 filles et 35 000 garçons […] sont victimes de violences sexuelles, par an, en France »), de ceux qui ont peur chez eux, dans la rue ou à l’école ; de la « tragique banalité » de l’inceste aujourd’hui ; des clochards, SDF et autres laissés-pour-compte à dépérir dans ce qu’il reste d’espaces dits « publics » ; des dépressions, des troubles anxieux et des autres troubles psychiques ; des alcoolismes et des toxicomanies en tous genres ; de tous ceux (sept millions, juste en France) qui souffrent de cet « isolement social » épidémique propre à l’ère du « tout connecté » ; de ceux qui sont atteints d’une ou plusieurs des toujours plus nombreuses maladies de civilisation (cancers, maladies cardiovasculaires, obésité, maladies neurodégénératives type Parkinson, Alzheimer, etc., et aussi maladies infectieuses épidémiques type Covid-19) ; des inégalités (sociales, économiques, etc.) d’ores et déjà colossales, sans précédent et croissantes ; des vieux et des vieilles terrifiés à l’idée de finir dans une usine de retraitement pour ressources humaines usagées ; des vieux et des vieilles qui y croupissent ; de l’obligation faite aux humains d’aliéner leur temps de vie (principalement sous la forme du travail) à une vaste organisation machinale (inhumaine) ; des souffrances au travail ; de la dépossession généralisée, des impuissances individuelles face à la marche inexorable de la civilisation ; des fortunes qui se font grâce à l’exploitation des humains et de la terre ; des innombrables injustices que les lois, les institutions et les structures sociales engendrent (des riches et des puissants qui ne vont jamais en prison peu importe ce qu’ils font ; des pauvres qu’on harcèle, des manifestants qu’on tabasse) ; du progrès incessant des technologies de contrôle et de surveillance, de l’autoritarisme technologique de l’État et du capitalisme ; de l’anéantissement inexorable de ces choses qui portaient autrefois le nom de sociétés ou communautés humaines, de l’ethnocide planétaire qui approche de son terme au profit d’une unique monoculture ou civilisation mondiale ; des haines identitaires qui gangrènent cette grande conurbation mondiale en expansion illimitée de ses routes, voies ferrées, zones urbaines, parkings, supermarchés, etc. (« Les prochaines décennies devraient voir la construction de quelque 25 millions de kilomètres de nouvelles routes pavées, de milliers de barrages hydroélectriques supplémentaires et de centaines de milliers de nouveaux projets miniers, pétroliers et gaziers » ; « La surface des villes pourrait être multipliée par six d’ici 2100 » ; « Avec 72 réacteurs nucléaires en construction et 160 à l’état de projet, le développement du nucléaire se concentre pour les trois quarts dans les pays non membres de l’OCDE : Chine, Inde, Brésil, etc. ») ; de la bêtise que répandent les industries culturelles et du divertissement ainsi que les médias (télévision, etc.) ; des pollutions toujours plus nombreuses qui s’accumulent et s’agrègent en « effet cocktail » ou synergie, plastiques et métaux lourds et produits chimiques nocifs en tous genres dans les sols, les cours d’eau, les eaux souterraines, les mers, les océans et jusqu’aux fonds des abysses, déchets nucléaires sur et sous la terre (et aussi, un peu, au fond des mers), polluants atmosphériques multiples qui se concentrent inlassablement, « déchets spatiaux » qui s’entassent dans l’exosphère saturée de satellites servant notamment d’infrastructure à l’internet (en plus des innumérables câbles, data centers, ordinateurs, centrales de production d’électricité, etc.) ; des forêts qu’on rase et de tous les milieux ou habitats naturels que la civilisation pollue ou détruit sans relâche depuis des millénaires (« le plateau de Lœss, berceau de la civilisation chinoise, était recouvert d’arbres et de plantes jusqu’à l’avènement de la dynastie Han (206 av. J.-C.), et fut en grande partie transformé en zone aride après la destruction à long terme de la végétation induite principalement par les activités humaines et secondairement par un changement climatique ») ; des divers produits toxiques en ‑cide qu’elle épand ; des océans qu’elle vide (« En 2050, les océans compteront plus de plastique que de poisson ») et, plus généralement, des animaux sauvages qu’elle décime (« entre 1970 et 2014, l’effectif des populations de vertébrés sauvages a décliné de 60% »), au même titre que les insectes (« les observations de terrain menées dans le monde entier depuis une vingtaine d’années démontrent de manière indiscutable une diminution nette du nombre total d’insectes ») ; des animaux mutants qu’elle cultive puis abat dans d’immenses camps de la mort ; des exploitations minières qui se multiplient comme les smartphones ; des nuisances desdits smartphones et des autres technologies écrans que certains chercheurs qualifient « d’héroïne électronique » ; du confinement des humains (bien antérieur au covid19) dans un univers entièrement fabriqué par leur soumission à la mégamachine, duquel même le ciel étoilé a été banni, et qui propage sur toute la planète sa pollution lumineuse à détraquer tous les équilibres (rythmes circadiens) et liquider tous les êtres vivants dépendants depuis des temps immémoriaux d’une nette alternance entre jour et nuit (les lucioles et les autres espèces lucifuges, par exemple) ; de l’apathie, de la résignation ou de l’acquiescement léthargique, comme sous hypnose, du plus grand nombre ; etc. (l’inventaire du désastre, à son image, est interminable, défie la description, je m’arrêterai ici) ; comment ne pas souhaiter que tout ceci s’arrête et le plus vite possible ?
Et comment ne pas voir que les bonnes âmes, écolos et autres gens de gauche — obnubilés par le taux de carbone atmosphérique et les conséquences potentielles que son augmentation pourrait avoir pour l’avenir de la civilisation, convaincus que les banques pourraient et devraient arrêter leurs mauvais investissements dans les énergies fossiles et investir dans le renouvelable et l’éthique pour nous tirer d’affaire (tirer d’affaire la civilisation), promoteurs d’une sobriété qui ferait notre salut (celui de la civilisation) si l’État voulait bien l’imposer, d’innovations technologiques prétendument vertes ou propres ou neutres en carbone (pour rendre durable la civilisation), de diverses réformes fiscales visant à rendre un peu plus juste l’imposition dans le système technocapitaliste, et d’autres balivernes du même tonneau —, comment ne pas saisir que ces gens sont au mieux des aveugles, au pire des idiots ?
Somme toute, face aux échecs flagrants du réformisme et de toutes les tentatives de maîtriser, contrôler humainement, et ne serait-ce que freiner la catastrophe appelée civilisation (tentatives qui ont immanquablement eu pour résultat, contrairement à ce qu’espéraient leurs auteurs, d’accompagner et d’assurer son développement, comme l’illustre dernièrement l’essor des industries des technologies — dont celles de production d’énergies — dites « vertes »), on est amené à penser que la manière la plus réaliste pour des humains de mettre un terme aux désastres sociaux et écologiques en cours, de libérer l’humanité de l’emprise de la machinerie sociotechnique dont elle s’est faite l’esclave, de supprimer les inégalités colossales qu’elle génère et d’endiguer son inexorable destruction de la nature, est sans doute qu’un petit nombre d’entre eux, un effectif minime en contraste de la population globale mais particulièrement déterminé, téméraire, décide de débrancher toutes les prises, sectionner tous les câbles, couper tous les fils, déboulonner tous les pylônes, tomber toutes les antennes, défoncer toutes les routes, bloquer tous les ports, effondrer tous les ponts, disloquer tous les rails (principalement dans les endroits nodaux du système sociotechnique).
(Compter sur la possibilité que la civilisation s’autodétruise de quelque manière au cours des décennies à venir (par exemple et entre autres prévisions issues du prolongement de tendances actuelles, en rendant infertiles ses ressources humaines d’ici 2045 en raison de son épandage massif de perturbateurs endocriniens partout), serait aussi présomptueux qu’indécent.)
Nicolas Casaux
J’en suis navré aussi, Nicolas, mais ma conviction est que le changement ne viendra plus de la base.
Je cite par exemple B. Charbonneau, qui en avait probablement un présentiment :
« Un beau jour, le pouvoir sera bien contraint de pratiquer l’écologie. Une prospective sans illusion peut mener à penser que, sauf catastrophe, le virage écologique ne sera pas le fait d’une opposition très minoritaire, dépourvue de moyens, mais de la bourgeoisie dirigeante, le jour où elle ne pourra faire autrement. Ce seront les divers responsables de la ruine de la terre qui organiseront le sauvetage du peu qui en restera, et qui après l’abondance géreront la pénurie et la survie. Car ceux-là n’ont aucun préjugé, ils ne croient pas plus au développement qu’à l’écologie ; ils ne croient qu’au pouvoir, qui est celui de faire ce qui ne peut être fait autrement. »
Il est un mot dans l’air du temps qui est en train d’être vidé de sa substance « vivante » en ce moment, c’est le mot résilience et ce n’est pas pour rien. Justement pour que du sabotage-escarmouche n’aie aucun impact sur le mouvement perpétuel et infernal de la mégamachine et n’aille pas au-delà (effet décourageant avant de déployer l’arsenal civilisateur de ces sociétés sur-vidéoprotégée): résilience de l’œuvre, pas des créateurs et encore moins des contempteurs potentiels. Le discours doit toujours être sauf et l’adhérence totale.
Quant à l’infertilité donc ce n’est pas un problème insurmontable, un simple détail technique. Je renvoie directement sur la procréation artificielle, Alexis Escudero en a fait les frais. Ce qui se faisait facilement et gratuitement se fera en « mieux » et payant sous le regard de la science et de ses sentinelles augmentées agrées… les générations futures qui se choisiront le sexe non-fonctionnel souhaité au gré de leurs envies du jour, se demanderont probablement comment on faisait avant s’ils auront encore des études de nécr.. biologie.
La démonstration semble implacable… imaginons un instant que cela se produise (le groupe déterminé réussit). La suite devrait ressembler furieusement à « Ravage » (Barjavel), non ? Sauf que les patrons du CAC40 se seront barricadés dans leurs forteresses ou envolés pour des cieux plus cléments… N’est-ce pas rajouter une immense souffrance (humaine) à la souffrance (humaine) dénoncée ici ? — et ce seraient sans doute les moins coupables qui dégusteraient le plus.
Ravage… Cela n’arrivera pas, et nous (la société dominante) travaillons âprement pour cela — garantir la source pour ces maux : l’énergie, voir l’approche d’Ivan Illich (https://sniadecki.wordpress.com/2018/08/05/illich-energie-social/) et parachever l’œuvre.
Soit ! La reproduction capitalistique continuera avec moins d’effectifs.
Qui passeront leur temps à se soumettre à la perfection de leur outil de puissance tant que le discours idéologique du progrès ne sera pas remis en cause ET rejeté.
Et ce, jusqu’à la portion congrue où seule la machine tranchera : celle-ci devenue suffisamment autonome, qualité que l’être humain s’est totalement refusé depuis sa désertion de son environnement au profit d’une gloire qui lui sera toujours extérieur, l’élément organique quel qu’il soit devra être transformé selon le mythe des Wachowski en une ressource plus utile sans conséquence délétères quant au fonctionnement des ou du nouveau « maître » des lieux.
De la souffrance ? Il n’en résultera que notre mort totale. Et c’est aujourd’hui qu’il faut trancher et ne pas se bercer d’optimisme, dans très peu d’années il sera trop tard.
Si ce n’est pas déjà le cas.
Si on pouvait revenir en arrière dans la chronologie de la civilisation, et choisir d’y rester et d’y figer la technologie, quel serait le moment où le degré de civilisation est acceptable ? Le néolithique ? Le moyen age ? L’ancien régime ? Le XVIIIe siècle ? Si on en croit Ivan Illich, c’est l’age ou l’on utilisait que des outils maniables, non des outils manipulables, et quand aucune institution n’existait. Une forge organisée en atelier pour équiper une armée est un peu un outil manipulable, aliénant ses travailleurs et rendant dangereux ses propriétaires. Alors donc le moment parfait doit se trouver bien avant l’antiquité. Et si l’on en croit le manifeste de notre bon vieux Ted ? Quelle est la société idéale ? Une société paysanne post-industrielle qui punirait un enfant pour avoir dessiné une roue, par peur du retour à la technologie ? Une société low tech ?
Commençons par débrancher la machine. On verra bien après.
tres pessimiste mais je realise que tout va de plus en plus de travers, moi qui vous lis au Quebec je trouve que vos textes sont tres centre sur la France ‚je n,ai pas tout les reperes eurocentre vu d,ici ‚mais j,essaie de comprendre et de coparer avec ici-maintenant .merci.