S’inquiéter de ce que l’école sert à manger aux enfants, à la cantine, réclamer moins de viande et davantage de haricots, plutôt que s’inquiéter de ce à quoi l’école sert, de ce qu’elle est (un outil de reproduction des inégalités sociales, une cause majeure de la perpétuation du désastre social et écologique, un instrument de propagande au service de l’État, du capitalisme, de la domination). Aspirer à ce que les multinationales et les riches soient davantage taxés au lieu d’aspirer à ce qu’il n’y ait plus de riches et plus de multinationales (plus de capitalisme). Espérer que Macron ou X dirigeant prenne des mesures pour améliorer la situation ci et là au lieu d’aspirer à ce qu’il n’y ait plus de dirigeants…
Tant que les rares qui trouvent à redire à la présente situation et souhaitent changer les choses se contenteront de vouloir superficiellement aménager la catastrophe en cours, elle continuera. Le problème, ce n’est pas ce que les enfants mangent à l’école (bœuf ou brocolis), c’est l’école. Pas les mauvaises décisions de tel ou tel dirigeant/président/organisme international, mais l’existence de dirigeants/présidents/organismes internationaux. Etc.
C’est toute l’importance d’une analyse et d’une critique radicales. Comprendre l’étendue des problèmes actuels, avoir conscience de leur profondeur, ne pas accepter la définition terriblement partielle/superficielle des problèmes sociaux/écologiques véhiculée par les médias de masse, les intellectuels, les gouvernants, etc.
Tant qu’on ne s’attaquera pas au fond du problème, le désastre continuera. C’est bien de pousser pour que Macron interdise l’exploitation minière des fonds marins. C’est encore plus important d’avoir pour objectif de démanteler les structures sociales démesurées, autoritaires, dont d’innombrables problèmes jailliront toujours, nécessairement.
Le problème n’est jamais tel ou tel aspect ou détail du désastre social et écologique actuel. Mais le fait de vivre dans des organisations sociales et gigantesques, démesurées, dans lesquelles le pouvoir est nécessairement centralisé, et où l’individu se trouve largement dépossédé de tout pouvoir significatif sur le cours des choses, qui lui échappe totalement (et qui échappe finalement à tout le monde, même aux principaux dirigeants, chefs d’État et d’entreprise).
Les ONG écologistes, qui d’un certain point de vue font un travail important en militant pour que telle ou telle nuisance soit évitée ou arrêtée, passent néanmoins leur temps à courir derrière le rouleau-compresseur du désastre techno-industriel pour tenter de limiter ou colmater les dégâts toujours plus nombreux qu’il génère nécessairement. Une course sans espoir.
Dans le livre qu’elle vient de publier, Greta Thunberg réunit de multiples et éminents contributeurs (Naomi Klein, George Monbiot, Bill McKibben, Kate Raworth, David Wallace-Wells, Margaret Atwood, etc.) qui ont ça de commun de s’accorder tous pour passer à côté de nos problèmes les plus fondamentaux. Les principaux problèmes évoqués sont le réchauffement climatique, la sixième extinction de masse et diverses pollutions et dégradations du monde naturel, l’utilisation des combustibles fossiles, les inégalités économiques, les excès du « consumérisme ».
La démesure des organisations sociales (la « question de taille »), l’État en tant que système de domination et de dépossession, les implications sociales et écologiques de la technologie (la stratification sociale, la division hiérarchique du travail, l’autoritarisme, la centralisation du pouvoir qu’elle requiert) ne sont jamais évoqués. Le capitalisme est mentionné quatre fois en 470 pages. Et si Jason Hickel le considère comme un problème — mais en le réduisant à « la croissance perpétuelle du PIB » —, Naomi Oreskes dénonce, elle, « le capitalisme, tel qu’il est actuellement mis en œuvre » (un autre capitalisme est possible ! Bio et équitable !).
Les contributeurs proposent à peu près tous un même horizon, un même objectif à atteindre, une sorte de civilisation techno-industrielle basse consommation, durable, basée sur un système marchand affranchi de la croissance, avec des « emplois verts » (le travail c’est la liberté), etc. Une décroissance des mauvaises industries, une croissance des bonnes industries. Le développement des énergies dites propres, renouvelables ou vertes (mais n’étant rien de tout ça en réalité) est particulièrement encouragé :
« Les mouvements sociaux et politiques peuvent s’associer au développement technologique afin d’accélérer l’indispensable transition énergétique. Les outils de base existent : le monde sait créer de l’électricité grâce au solaire et à l’éolien, stocker l’énergie dans des batteries ou de l’hydrogène, et créer des transports non polluants. »
« Le design et la technologie ont bien sûr un rôle à jouer dans la transition écologique : comme l’a montré l’AIE, l’“amélioration du rendement des matériaux” peut contribuer à réduire la demande de produits industriels et l’énergie nécessaire pour les fabriquer. »
« D’ici 2030, l’industrie éolienne offshore pourrait générer plus de 200 gigawatts d’électricité à l’échelle mondiale. Il existe aussi une technologie en développement visant à exploiter l’énergie des vagues et des courants, ainsi qu’à créer des panneaux solaires flottants. »
« Nous possédons des technologies prometteuses […]. Nous avons également la capacité d’investir davantage dans ces technologies […]. »
Parmi les principales choses à faire listées à la fin du livre, on trouve « investir dans l’énergie solaire et éolienne » et « investir dans la science, la recherche et la technologie », car si « la technologie seule ne nous sauvera pas […]. Néanmoins, nous en avons désespérément besoin […]. »
(Le livre illustre bien ce fait que la plupart de ceux qui dénoncent le « technosolutionnisme » sont des technosolutionnistes qui ne s’assument pas comme tels. C’est simplement qu’il y a différents degrés dans le technosolutionnisme.)
Cela dit, de bonnes choses sont encouragées, comme le réensauvagement et la restauration de la nature, ou encore une meilleure distribution des richesses (mais à côté de platitudes nébuleuses telles que « la justice climatique »). La démocratie est également défendue (« il n’existe pas meilleur outil que la démocratie pour résoudre cette crise »), mais la « démocratie » telle qu’elle existerait aujourd’hui en France, au Royaume-Uni, en Suède, etc. C’est-à-dire que ce n’est pas la « démocratie » qui est ainsi défendue, mais le régime politique des pays occidentaux, qui est loin d’être réellement démocratique, qui s’apparente plutôt à une sorte d’oligarchie ou aristocratie élective.
Somme toute, on retrouve dans ce livre toutes les contradictions et les incohérences du mouvement climat. Vouloir sauver la nature ET la civilisation techno-industrielle ET la démocratie (qui n’en est pas vraiment une) ET conserver les principales composantes du capitalisme (travail, argent, marchandise, valeur). Une évaluation incroyablement naïve des forces en présence. Rien sur le problème de la technologie. Rien ou presque sur l’imposture des « démocraties » modernes. Mais des propositions et des horizons qui paraitront rassurants pour beaucoup. Des mensonges agréables.
On retrouve même une contribution d’Erica Chenoweth, éminente universitaire d’Harvard, très appréciée des plus prestigieux médias de masse (New York Times, Guardian, etc.), connue pour sa thèse (qui a donné naissance à une prétendue « règle des 3,5 % ») selon laquelle la non-violence serait plus efficace que n’importe quelle autre méthode de lutte. Mais de lutte pour quoi ? Pour Chenoweth, la démocratie capitaliste des États-Unis d’Amérique constitue le nec plus ultra en matière de sociétés humaines. Que des mouvements qui se prétendent plus ou moins anticapitalistes ou anarchistes se base sur ses travaux semble assez absurde.
Bref, encore un ouvrage qui aidera assez peu à la constitution d’un véritable mouvement écologiste en faveur de la nature et de la liberté.
Nicolas Casaux
Je vous lis depuis longtemps avec plaisir et curiosité, merci de m’avoir fait comprendre pas mal de choses.…
Comment se fait il que vous continuez à mettre une majuscule à macron????.….les majuscules sont réservées aux noms propres uniquement.…pas aux noms sales.
Ah bien vu le nom sale!!! La politique hélas amplifie et suit les logiques de domination économique. De là à vouloir bouder cette monstruosité comme si on avait la moindre chance de s’en affranchir, je reste assez sceptique. Greta n’est pas mon idole, elle est sans doute ça et là instrumentalisée, je pense quand même que elle reste sincère et n’a pas peur de mettre les mains dans le cambouis. Ici sur « Le partage » on fustige le véganisme, sous pretexte que effectivement il y a des multinationales qui envisagent de faire leur beurre la dessus, mais celà concerne surtout les bobos en occident.Un rapide coup d’oeil sur les ressources agricoles mondiales et le besoin de reboiser et d’accorder plus de place à la vie sauvage conduisent inévitablement à envisager l’arrèt de toute exploitation des animaux. N’en déplaise à ceux qui sont heureux avec quelques petit bétail sur leur lopin de terre dans une province peu convoitée.Leur exemple n’est pas généralisable avec 8 milliard d’humains, et leur mauvaix paturages peu rentables seraient mieux employés à replanter des forêts, reboisement artificiel certes, mais que l’on a quelques moyens d’optimiser en observant le biotope locale. Après je crois moi aussi qu’il y a toutes sorte d’abérations dans le mode de penser des mouvements pour le climat, qu’il y existe même un entrisme forcené d’intérèts économiques des plus cyniques. Mais la encore, il s’agit de mettre les mains dans la graisse et de démèler le vrai du faux, chercher de nouvelles solutions qui tiennent compte du vivant, plutôt que de se laisser imposer des solutions industrielles brutales. Trouver des correspondance entre les problèmes, infléchir ça et là les positions des unes et des autres, c’est le seul moyen dont nous disposons et c’est tout autre chose qu’une diabolisation systématique de toutes les initiatives.
Que de naïveté ! Le fait qu’elle prône le végétalisme et soit instrumentalisée et soutenue par l’agro-business ne vous évoque donc absolument rien ? Vous êtes vraiment l’idiot utile du marxo-véganisme aussi. Les ressources seront privatisées et votre steak de soja sera à l’avenant, dîtes adieu à votre autonomie en sacrifiant celle des autres, suppôt de Schwab qui souhaite le grand reset.
Bonjour,
Sur un site alternatif, je viens de voir passer une interview pour présenter un livre qui semble assez critique sur le fait que l’écologie des ultra-riches reste très loin de celle des autres et où il ne faudra plus se leurrer à l’avenir — tout ce qui est effectivement médiatisé positivement par cette clique hors-sol et corrompue jusqu’à la moëlle, leurs soldats et leurs spin doctors doit être remis en cause par pure salubrité mentale ou être déclaré illégitime sur ces questions.
Je ne « connais » pas son auteur Édouard Morena, mais quelqu’un l’a lu : « Fin du monde et petits fours » ?
Oui, lu, « Fin du monde et petits fours », c’est un bon livre, même si Morena passe à côté de choses qu’il a sous les yeux. C’est un partisan de l’écosocialisme. Écosocialisme qui constitue in fine une variante du capitalisme vert. Capitalisme vert que Morena critique. Enfin bref, il souligne beaucoup de choses importantes dans son livre, mais est à côté de la plaque sur beaucoup de choses aussi.
Merci Nicolas.