Comment la pornographie façonne le mouvement transgenre (par Genevieve Gluck)

Tra­duc­tion d’un article de Gene­vieve Gluck paru le 16 août 2023, en anglais, à l’a­dresse sui­vante.


Être une femme a été trans­for­mé en une mar­chan­dise fétichisée.

Impos­sible d’i­gno­rer le rôle de la por­no­gra­phie dans l’es­sor du mou­ve­ment pour l’i­den­ti­té de genre. Por­no­gra­phie et iden­ti­té de genre ne sont que dif­fé­rents aspects de l’in­dus­trie du sexe. L’in­dus­trie de l’i­den­ti­té de genre vend le « sexe » en tant que nom — cen­sé per­mettre à un homme de « deve­nir » une femme (et vice ver­sa) par le biais d’o­pé­ra­tions chi­rur­gi­cales et d’hor­mones. L’in­dus­trie de la por­no­gra­phie, elle, vend le « sexe » en tant que verbe.

L’i­den­ti­té de genre réduit concep­tuel­le­ment les femmes à des sté­réo­types sexistes ou à un fan­tasme dans la tête d’un homme. Selon elle, être une femme — et dans une moindre mesure, un homme — c’est être une incar­na­tion de la pornographie.

Le trans­gen­risme et la por­no­gra­phie sont à ce point liés que l’homme à l’o­ri­gine de l’expression « iden­ti­té de genre », John Money, sou­te­nait qu’il fal­lait expo­ser les jeunes enfants à de la por­no­gra­phie expli­cite afin de les aider dans leur « tran­si­tion » — tout en affir­mant, dans le même temps et de manière quelque peu contra­dic­toire, que le sen­ti­ment d’être un mâle ou une femelle était inné et fixé dès le plus jeune âge. Pour Money, le concept de « rôle de genre » repo­sait en grande par­tie sur ce que les fémi­nistes appe­laient « sté­réo­types de rôles de sexe », mais aus­si sur les inter­ac­tions sexuelles elles-mêmes.

Money était un psy­cho­logue, sexo­logue et pro­fes­seur à l’u­ni­ver­si­té Johns Hop­kins, néo-zélan­dais et amé­ri­cain. Dans son livre de 1975 inti­tu­lé Sexual Signa­tures : On Being a Man or a Woman (Signa­tures sexuelles : être un homme ou une femme), il affirme que les « images sexuelles expli­cites » peuvent « et doivent être uti­li­sées dans le cadre de l’é­du­ca­tion sexuelle d’un enfant » et que le meilleur moment pour ce faire, c’est avant le début de la puber­té. « Les enfants pré­pu­bères sont intel­lec­tuel­le­ment capables de com­prendre la sexua­li­té », note Money. « Ils trou­ve­ront sans doute ces images éro­ti­que­ment sti­mu­lantes, mais une fois la nou­veau­té pas­sée, ils se cal­me­ront rapidement. »

Money a éga­le­ment recom­man­dé que les jeunes enfants regardent des adultes avoir des rap­ports sexuels et qu’il leur soit expli­qué qu’il s’a­git d’un « jeu auquel les adultes s’a­donnent ». En effet, « avec des conseils, l’ex­pé­rience peut être inté­grée à l’é­du­ca­tion sexuelle de l’en­fant et ser­vir à ren­for­cer sa propre iden­ti­té sexuelle ».

Cette remarque s’avère par­ti­cu­liè­re­ment trou­blante à la lumière des expé­riences notoires menées par Money sur les jumeaux Rei­mer, dans le cadre des­quelles il a ten­té d’é­le­ver Bruce Rei­mer sous les traits d’une fille appe­lée Bren­da. Afin de for­cer le jeune gar­çon à accep­ter qu’il était en fait une fille et non un gar­çon, Money a impo­sé à Bruce et à son frère Brian ce qu’il a appe­lé des « jeux de copu­la­tion ». Il en pro­fi­tait pour pho­to­gra­phier les enfants dans diverses posi­tions sexuelles.

L’his­toire de cette expé­rience de Money est racon­tée en détails dans un livre du jour­na­liste états-unien John Cola­pin­to, qui a été tra­duit en français.

Lorsque Money a écrit Sexual Signa­tures, la por­no­gra­phie n’a­vait pas encore été inté­grée dans les médias de masse. Aujourd’­hui, bien sûr, de la por­no­gra­phie repré­sen­tant presque tous les actes ima­gi­nables peut faci­le­ment être trou­vée en ligne au moyen d’une simple recherche, et est lar­ge­ment dis­po­nible, sans res­tric­tion d’âge.

Tan­dis que nous obser­vons la vision de Money se concré­ti­ser en temps réel, il semble de plus en plus évident que la por­no­gra­phie est liée à la notion de « tran­si­tion », mais selon des moda­li­tés qui tendent à dif­fé­rer entre les femmes tran­si­den­ti­fiées et les hommes transidentifiés.

Pour les femmes, et les jeunes femmes en par­ti­cu­lier, la ten­dance à décla­rer une iden­ti­té d’homme ou non binaire peut être moti­vée par le désir d’é­chap­per à l’objectification. Plu­sieurs jeunes femmes ayant « détran­si­tion­né », ou ces­sé de s’i­den­ti­fier comme des hommes, ont sou­li­gné l’influence de la por­no­gra­phie dans leur confu­sion iden­ti­taire. [L’image des femmes que véhi­cule la por­no­gra­phie, notam­ment, et la socié­té en géné­ral, les avait dégoû­tées du fait d’être des femmes. Dans leur cas, l’influence de la por­no­gra­phie les amène à vou­loir fuir la condi­tion de femme. NdT] 

Pour les hommes, par contraste, la décla­ra­tion d’une iden­ti­té de femme sert sou­vent à dis­si­mu­ler un désir de vivre à plein temps un tra­ves­tis­se­ment sexuel et un féti­chisme de la modi­fi­ca­tion cor­po­relle. Dans les com­mu­nau­tés en ligne comme Red­dit, les hommes s’en­cou­ragent mutuel­le­ment à « cas­ser des œufs » [crack eggs, on pour­rait aus­si tra­duire par « en faire sor­tir de leurs coquilles », NdT], c’est-à-dire à en convaincre d’autres qu’ils sont et ont tou­jours été trans­genres. Par­mi les pré­ten­dus indi­ca­teurs de la tran­si­den­ti­té d’un homme ou d’un ado­les­cent les plus com­muns, on retrouve : regar­der du por­no trans­genre, être jaloux des femmes ou se mas­tur­ber en por­tant des vête­ments féminins.

Pour cer­tains, il y a aus­si une forte moti­va­tion finan­cière : on estime que les hommes qui « fémi­nisent » leur corps par la chi­rur­gie et les hor­mones peuvent gagner le double de ce que gagnent les actrices por­no­gra­phiques dans l’in­dus­trie, en rai­son de la hausse de la demande. En outre, une nou­velle ten­dance se des­sine : des hommes qui pré­tendent être des femmes vendent de manière indé­pen­dante leur por­no­gra­phie mai­son sur Only­Fans ou via les réseaux sociaux.

En 2018, Sophie Pez­zut­to — un homme qui s’i­den­ti­fie comme trans­genre —, étu­diant à l’université natio­nale aus­tra­lienne, s’est ren­du dans le Neva­da et en Cali­for­nie pour faire des recherches sur la por­no­gra­phie dans le cadre de son doc­to­rat en anthro­po­lo­gie. L’an­née sui­vante, sa recherche, inti­tu­lée « From Porn Per­for­mer to Porn­tro­pre­neur » (« Du por­no à l’entrepornariat ») a été publiée par l’Inter­na­tio­nal Jour­nal of Gen­der Stu­dies (Revue inter­na­tio­nale des études de genre). Pez­zut­to remarque que les recherches pour de la por­no­gra­phie trans­genre ont qua­dru­plé entre 2014 et 2017, et que « l’é­cra­sante majo­ri­té du por­no trans tourne autour des femmes trans » (c’est-à-dire des hommes qui « s’i­den­ti­fient comme » des femmes).

Pez­zut­to sou­ligne éga­le­ment que l’in­dus­trie du sexe per­met de finan­cer les chi­rur­gies esthé­tiques, en par­ti­cu­lier les implants mam­maires pour les hommes. « Un grand nombre d’acteurs inter­ro­gés sont entrés dans l’in­dus­trie, au moins en par­tie, pour finan­cer leur tran­si­tion. Le tra­vail du sexe était pour eux une voie lucra­tive et, en même temps, un moyen de se réa­li­ser, car il leur per­met­tait de finan­cer des opé­ra­tions chi­rur­gi­cales au coût pro­hi­bi­tif », remarque-t-il.

Selon les don­nées de 2022 four­nies par le site por­no­gra­phique Porn­hub, la por­no­gra­phie réper­to­riée dans la caté­go­rie « trans­genre » a vu sa popu­la­ri­té aug­men­ter de 75 % cette année-là, deve­nant la sep­tième caté­go­rie la plus popu­laire dans le monde et la troi­sième aux États-Unis. En 2017, Porn­hub avait publié des don­nées spé­ci­fiques sur la caté­go­rie « por­no trans­genre », révé­lant que l’au­dience des conte­nus de cette caté­go­rie avait explo­sé ces der­nières années, avec une aug­men­ta­tion notable à par­tir de 2015.

Les vidéos por­no­gra­phiques qui exhibent des hommes qui se « fémi­nisent » sont géné­ra­le­ment regar­dées par des hommes qui se consi­dèrent par ailleurs comme hété­ro­sexuels. Leur conte­nu peut être pré­sen­té comme met­tant en scène une femme dotée de la libi­do d’un homme, prête à s’en­ga­ger dans des pra­tiques que les femmes ne pour­raient pas entre­prendre ou trou­ve­raient phy­si­que­ment dif­fi­ciles, voire impossibles.

Andrea Long Chu, né Andrew, uni­ver­si­taire amé­ri­cain de renom, diplô­mé de l’u­ni­ver­si­té Duke depuis 2014, ayant affir­mé que la por­no­gra­phie avait moti­vé sa déci­sion de com­men­cer à s’i­den­ti­fier comme trans­genre, a été nom­mé cri­tique lit­té­raire par le maga­zine New York, en 2021. Il y a quelques mois, en 2023, son tra­vail lui a valu de rece­voir un prix Pulit­zer. Ce qui a sus­ci­té de vives répro­ba­tions sur les réseaux sociaux de la part des per­sonnes qui cri­tiquent l’i­déo­lo­gie de l’i­den­ti­té de genre

Chu a com­men­cé à écrire sur l’i­den­ti­té de genre en 2018, lorsque le maga­zine N+1 a publié son essai inti­tu­lé « On Liking Women » (« Sur l’amour des femmes »). Dans ce texte, Chu mélange le for­mat très popu­laire de l’a­nec­dote per­son­nelle, plé­bis­ci­té par les écri­vains tran­si­den­ti­taires, avec des cri­tiques for­mu­lées à l’en­contre de plu­sieurs autrices fémi­nistes de pre­mier plan. Il décrit comme une expé­rience for­ma­trice le fait d’a­voir eu le béguin au lycée pour une fille qui lui a ulté­rieu­re­ment avoué qu’elle s’é­tait ren­du compte qu’elle était lesbienne.

« La véri­té, c’est que je n’ai jamais pu faire la dif­fé­rence entre aimer les femmes et vou­loir leur res­sem­bler », écrit Chu. « J’ai tran­si­tion­né pour les ragots et les com­pli­ments, le rouge à lèvres et le mas­ca­ra […] pour les sex toys, pour me sen­tir sexy, pour me faire dra­guer par des butch, pour cette connais­sance secrète des gouines dont il faut se méfier, pour les Dai­sy Dukes, les hauts de biki­ni et toutes les robes, et, mon dieu, pour les seins. » (C’est lui qui souligne.)

Cet article marque le début de sa car­rière de rédac­teur d’articles uni­ver­si­taires sur le thème de l’i­den­ti­té de genre. La même année, il a été invi­té à s’ex­pri­mer dans plu­sieurs uni­ver­si­tés répu­tées, comme l’u­ni­ver­si­té de Ber­ke­ley et l’u­ni­ver­si­té de Colum­bia, où il a pré­sen­té un expo­sé inti­tu­lé « Did Sis­sy Porn Make Me Trans ? » (« Le por­no sis­sy m’a-t-il ren­du trans ? »). [Comme on peut le lire sur la page Wiki­pé­dia fran­çaise qui lui est consa­crée, le terme « sis­sy » qui, à la base, était un dimi­nu­tif du mot anglais sis­ter, signi­fiant sœur, est aujourd’­hui un terme péjo­ra­tif, homo­phobe et miso­gyne, qui désigne un gar­çon ou un homme effé­mi­né, un peu comme « fillette ». NdT] Il y affirme avec assurance :

« Se faire bai­ser fait de vous une femme parce que la baise, voi­là ce qu’est une femme. La péné­tra­tion fait de vous une femelle […] Dans le por­no sis­sy, le pénis lui-même est un sym­bole de castration. »

L’an­née sui­vante, le pre­mier livre de Chu, inti­tu­lé Females, a été publié par Ver­so Books. La prin­ci­pale thèse de ce petit livre de 94 pages, c’est que n’im­porte qui peut deve­nir une femme, et que le fait d’être péné­tré lors d’un rap­port sexuel est une défi­ni­tion de ce qu’est une femme.

« La por­no­gra­phie, c’est ce que l’on res­sent lors­qu’on pense avoir un objet, mais qu’en réa­li­té c’est l’ob­jet qui nous pos­sède. C’est donc la quin­tes­sence de l’ex­pres­sion du fait d’être femelle », écrit Chu. « Le por­no sis­sy m’a ren­du transgenre. »

Au cours des années sui­vantes, Chu a évo­qué à plu­sieurs reprises l’in­fluence de la por­no­gra­phie sur son désir de prendre des hor­mones fémi­ni­santes et même de subir une inter­ven­tion chi­rur­gi­cale. En 2018, il a décla­ré au NYC Trans Oral His­to­ry Pro­ject (« Pro­jet d’his­toire orale trans de New York ») : « [M]on addic­tion au por­no atten­dait depuis le début quelque chose comme le por­no sis­sy […] Cela […] vous demande d’i­ma­gi­ner votre expé­rience du por­no comme quelque chose qui vous trans­forme en femme. Il ne s’a­git pas seule­ment de regar­der des gens qui se trans­forment en femmes, mais d’i­ma­gi­ner que l’acte de regar­der vous trans­forme en femme. »

Le « por­no sis­sy », forme abré­gée de l’expression « por­no­gra­phie de sis­si­fi­ca­tion » [que l’on pour­rait tra­duire par « por­no­gra­phie pour te trans­for­mer en fillette », « por­no­gra­phie de fillet­ti­sa­tion », NdT], consti­tue l’un des nom­breux genres qui intègrent des thèmes plus larges de fémi­ni­sa­tion for­cée, dans les­quels un homme est osten­si­ble­ment « for­cé » à se trans­for­mer en femme, que ce soit par l’ad­mi­nis­tra­tion d’hor­mones ou par l’u­ti­li­sa­tion de maquillage et de lingerie.

On trouve une quan­ti­té stu­pé­fiante de por­no­gra­phie et de conte­nus connexes sur des pla­te­formes comme Red­dit, Tum­blr, 4Chan, des sites pour adultes, et même sur des par­ties en appa­rence non por­no­gra­phiques du web, comme Pin­te­rest, Fli­ckr, Face­book et You­Tube. L’é­cra­sante majo­ri­té du conte­nu porte sur le thème de la trans­for­ma­tion des hommes en femmes. Des hommes publient des pho­tos d’eux maquillés et vêtus de lin­ge­rie et invitent les spec­ta­teurs à les réduire à l’é­tat d’ob­jet. Des comptes Face­book per­son­nels appar­te­nant à des hommes qui se qua­li­fient eux-mêmes de « sis­sies » ou de « trans » ont accu­mu­lé des dizaines de mil­liers d’abonné·es au cours des der­nières années.

Dans cer­tains cas, le viol et la traite des êtres humains sont même consi­dé­rés comme des formes de vali­da­tion pour les hommes qui rêvent de « deve­nir » des femmes. Julia Sera­no [un autre homme qui se dit femme], diplô­mé de l’u­ni­ver­si­té de Colum­bia et auteur, a décrit ses fan­tasmes éro­tiques du fait de deve­nir une femme dans son livre de 2007 inti­tu­lé Whip­ping Girl (« Fille fouet­tée », ou « Fille-bouc-émis­saire ») : « Je m’i­ma­gi­nais être ven­due comme esclave sexuelle et voir des hommes étranges pro­fi­ter de moi. […] C’est ce qu’on appelle la fémi­ni­sa­tion for­cée […] Il s’a­git de trans­for­mer l’hu­mi­lia­tion que vous res­sen­tez en plai­sir, de trans­for­mer la perte des pri­vi­lèges mas­cu­lins en la meilleure baise qui soit. »

Duke Uni­ver­si­ty Press, qui publie la revue Trans­gen­der Stu­dies Quar­ter­ly (pour laquelle Chu a tra­vaillé), est l’une des prin­ci­pales mai­sons d’édition uni­ver­si­taires amé­ri­caines à explo­rer fré­quem­ment la rela­tion entre la por­no­gra­phie et le trans­gen­risme. Mal­heu­reu­se­ment, elle le fait d’une manière qui pro­meut le conte­nu expli­cite (por­no­gra­phique) comme un outil per­met­tant de déve­lop­per une « iden­ti­té de genre », qui, de manière quelque peu para­doxale, est éga­le­ment pré­sen­tée comme innée.

Dans un article inti­tu­lé « Sis­sy Remixed : Trans Por­no Remix and Construc­ting the Trans Sub­ject » (« Sis­sy remixé : remix de por­no trans et construc­tion du sujet trans »), écrit pour le numé­ro de mai 2020 de Trans­gen­der Stu­dies Quar­ter­ly, Aster Gil­bert, un homme tran­si­den­ti­fié [un homme qui se dit femme] défi­nit la « sis­si­fi­ca­tion et la fémi­ni­sa­tion » comme des « formes de jeu de genre ».

« Dans les pra­tiques féti­chistes, l’homme cis est sou­vent humi­lié par une domi­na­trice qui lui fait vivre un fan­tasme de fémi­ni­sa­tion for­cée », écrit Gil­bert. « Les hommes sont encou­ra­gés à s’i­ma­gi­ner avoir des rela­tions sexuelles avec d’autres hommes, mais en tant que femme plu­tôt qu’en tant qu’­homme, comme dans la por­no­gra­phie gay tra­di­tion­nelle. Le spec­ta­teur com­mence en tant qu’­homme et se fait trans­for­mer en sis­sy ou en femme […] À tra­vers ce pro­ces­sus, la vidéo construit le sujet sis­sy en tant que sujet trans. »

Il ne s’a­git pas d’une pra­tique ou d’une pers­pec­tive mar­gi­nale dans le monde de l’i­déo­lo­gie du genre. Même un émi­nent psy­cho­logue de la cli­nique d’i­den­ti­té de genre Tavi­stock, à Londres, le Dr. Chris­ti­na Richards (un homme qui se dit femme), a déjà appe­lé à nor­ma­li­ser non seule­ment la « sis­si­fi­ca­tion », mais aus­si l’« age­play » [« jeu d’âge » ou « jeu de régres­sion », une forme de jeu de rôle, sou­vent sexuel, dans lequel un indi­vi­du en traite un autre comme s’il avait un âge dif­fé­rent de celui qu’il a en réa­li­té, en géné­ral, l’individu pré­tend être un enfant ou un bébé], le féti­chisme des « fur­ries » (des gens qui trouvent du plai­sir sexuel à enfi­ler des cos­tumes d’animaux) et diverses pra­tiques sexuelles sado­ma­so­chistes. Chris­ti­na Richards est aus­si le coau­teur d’un guide pro­fes­sion­nel sur la sexua­li­té et le genre, qui place les pra­tiques sexuelles féti­chistes sur le même spectre que l’hé­té­ro­sexua­li­té, l’ho­mo­sexua­li­té et la bisexualité.

Richards décrit la manière dont les adultes qui se livrent à des « jeux de régres­sion » (age­play) accu­mulent divers objets asso­ciés à l’en­fance, y com­pris des vête­ments. En géné­ral, un adulte joue le rôle d’une per­sonne de n’im­porte quel âge, entre la petite enfance et l’a­do­les­cence, tan­dis qu’un autre adulte joue un rôle sexuel dominant.

« Les expres­sions que l’on peut ren­con­trer dans cet uni­vers com­prennent “la petite fille à papa” (daddy’s lit­tle girl, DLG), une situa­tion dans laquelle un homme plus âgé domi­na­teur (top) traite une femme plus jeune (bot­tom) comme un enfant bien éle­vé », pré­cise Richards. « Le terme “sis­si­fi­ca­tion” recoupe le jeu d’âge [ou jeu de régres­sion] lorsqu’un homme adulte est consen­suel­le­ment “for­cé” à revê­tir les vête­ments d’une jeune fille et à se com­por­ter comme elle dans le cadre d’une scène BDSM. L’hu­mi­lia­tion res­sen­tie par l’homme adulte lors­qu’il est habillé comme une jeune fille est la source de l’é­ro­ti­sa­tion. » Richards a sié­gé au conseil d’ad­mi­nis­tra­tion de l’Asso­cia­tion pro­fes­sion­nelle euro­péenne pour la san­té des per­sonnes trans­genres (EPATH) et au conseil d’ad­mi­nis­tra­tion de l’Asso­cia­tion pro­fes­sion­nelle mon­diale pour la san­té des trans­genres (WPATH) en tant que membre extraordinaire.

Le mois der­nier, des cher­cheurs de l’u­ni­ver­si­té de Not­tin­gham Trent ont qua­li­fié le « por­no sis­sy » de « por­no­gra­phie per­sua­sive auto­gy­né­phi­lique » (Auto­gy­ne­phi­lic per­sua­sive por­no­gra­phy, AGPP), au motif qu’il encou­rage le féti­chisme sexuel appe­lé auto­gy­né­phi­lie, c’est-à-dire le plai­sir sexuel qu’un homme éprouve en s’i­ma­gi­nant en femme.

La plu­part des per­sonnes ayant par­ti­ci­pé à l’étude ont décla­ré que l’AGPP les avait aidées « à expri­mer le côté fémi­nin de leur sexua­li­té ». Cer­taines ont affir­mé que l’AGPP les avait inci­tées à effec­tuer une tran­si­tion. Les auteurs de l’é­tude ont sou­li­gné qu’il exis­tait une « asso­cia­tion fré­quente entre la fémi­ni­té et la sou­mis­sion sexuelle ».

Dans les scènes de por­no­gra­phie sis­sy, l’acte qui éta­blit qu’un homme a été trans­for­mé avec suc­cès en femme, c’est la péné­tra­tion. Chu le for­mule expli­ci­te­ment dans son livre Females [qui a mal­heu­reu­se­ment été tra­duit en fran­çais, sous le titre Femelles, NdT] en écri­vant qu’« au centre du por­no sis­sy se trouve le trou du cul, une sorte de vagin uni­ver­sel par lequel il est tou­jours pos­sible d’ac­cé­der au fait d’être femelle ».

Il est inquié­tant de consta­ter que ce sont de telles croyances qui sous-tendent le lan­gage dit « trans-inclu­sif » aujourd’­hui recom­man­dé pour décrire l’a­na­to­mie fémi­nine. Par­mi les termes pro­po­sés ces der­nières années pour dési­gner les organes géni­taux fémi­nins, citons « trou de devant » (front hole) et « trou bonus » (bonus hole), qui dési­gnent tous deux la vulve et le vagin comme de simples « trous » des­ti­nés à être péné­trés, à côté de l’anus.

Chu est loin d’être le seul à avoir inté­rio­ri­sé l’image tota­le­ment por­ni­fiée de la femme, et à la trou­ver sédui­sante au point de la célé­brer. Il ne s’a­git pas d’une ano­ma­lie, mais d’un prin­cipe fon­da­men­tal du sys­tème de croyance de l’i­den­ti­té de genre, qui réduit les femmes à des pièces et des par­ties modi­fiées et trans­for­mées en marchandises.

Dans une confé­rence qu’il a don­née en 2020 à l’u­ni­ver­si­té de Prin­ce­ton (l’une des ins­ti­tu­tions uni­ver­si­taires les plus éli­tistes des États-Unis), Río Sofia, qui s’i­den­ti­fie comme une femme trans­genre, a dis­cu­té de la por­no­gra­phie de fémi­ni­sa­tion for­cée et a par­ta­gé des exemples de conte­nu de sis­si­fi­ca­tion qu’il avait fait de lui-même. Sofia a sou­li­gné qu’­his­to­ri­que­ment, il y avait sou­vent des publi­ci­tés pour des hor­mones « fémi­ni­santes » dans les pages de garde des publi­ca­tions por­tant sur le thème du BDSM :

« Il existe en fait une culture autour de la fémi­ni­sa­tion for­cée et du por­no sis­sy […] Il y a d’autres moyens de tran­si­tion­ner. Lorsque nous par­lons de ce genre d’his­toires, qu’elles soient fic­tives ou réelles, cer­taines d’entre elles vont jusqu’au fait de contraindre leurs maris à por­ter des implants mam­maires, ou de contraindre leurs maris à por­ter un dis­po­si­tif de chas­te­té pen­dant six mois, ou à prendre des hormones. »

En effet, un mar­ché noir basé sur la vente illi­cite d’œs­tro­gènes était pro­po­sé aux hommes par le biais de maga­zines por­no­gra­phiques et féti­chistes il y a plu­sieurs décen­nies. De même, d’autres aspects de ce que l’on appelle aujourd’­hui les « soins d’affirmation genre » ont été déve­lop­pés paral­lè­le­ment à l’in­dus­trie du sexe.

La chi­rur­gie plas­tique n’a pas tou­jours été une entre­prise à moti­va­tion sexuelle. Cer­taines des pre­mières inter­ven­tions ont été mises au point pour répondre aux besoins des sur­vi­vants de la Pre­mière Guerre mon­diale. Les sol­dats reve­nant des tran­chées avec des visages cica­tri­sés et défi­gu­rés consti­tuèrent un nombre impor­tant de patients pour les­quels on envi­sa­gea des trai­te­ments esthé­tiques. Mais après ce pre­mier essor des chi­rur­gies expé­ri­men­tales sur les hommes bles­sés, les méde­cins orien­tèrent rapi­de­ment leurs scal­pels vers les corps sains des femmes.

Les chi­rur­gies esthé­tiques sur les femmes se sont déve­lop­pées sous l’in­fluence de la por­no­gra­phie et de la traite des êtres humains, afin de satis­faire les dési­rs sexuels des hommes. Les pre­miers implants mam­maires en sili­cone ont été réa­li­sés sur des Japo­naises réduites en escla­vage sexuel pen­dant l’oc­cu­pa­tion amé­ri­caine après la Seconde Guerre mon­diale. Le sili­cone, volé sur les quais d’embarquement, était injec­té direc­te­ment dans leurs seins, ce qui entraî­nait une gan­grène ou « pour­ri­ture de sili­cone » (sili­cone rot) et, dans cer­tains cas, la mort.

La pro­cé­dure a ensuite été intro­duite en Cali­for­nie. On estime que 50 000 femmes ont reçu des injec­tions directes de sili­cone aux États-Unis entre les années 1940 et 1960, dont beau­coup tra­vaillaient dans l’in­dus­trie du spec­tacle. L’au­to­ri­té de régle­men­ta­tion, la Food and Drug Admi­nis­tra­tion, n’a pas exi­gé de recherche avec sui­vi à long terme pour la pro­cé­dure, mal­gré la nou­veau­té des injec­tions de sili­cone. La décou­verte de la pos­si­bi­li­té de modi­fier le corps d’une femme pour encou­ra­ger la féti­chi­sa­tion de cer­taines par­ties de sa chair allait s’a­vé­rer indis­pen­sable aux por­no­graphes et aux proxénètes.

Ce n’est donc pas une coïn­ci­dence si l’État de Cali­for­nie, qui a été le pre­mier pro­duc­teur mon­dial de por­no­gra­phie à son apo­gée et qui com­prend la Porn Val­ley, la Sili­con Val­ley et Hol­ly­wood, est aus­si le ber­ceau offi­cieux du mou­ve­ment pour l’i­den­ti­té de genre.

C’est en Cali­for­nie que Vir­gi­nia Prince, l’homme qui a popu­la­ri­sé le terme « trans­genre », a fait connaître la pra­tique du tra­ves­tis­se­ment éro­tique mas­cu­lin dans son maga­zine Trans­ves­tia.

Prince, né Arnold Low­man, a décla­ré en 1985 : « Vous devez dépas­ser le stade de l’homme éro­ti­que­ment exci­té dans une robe, qui abou­tit fina­le­ment à un orgasme. » Mais « une fois l’or­gasme pas­sé, si vous conti­nuez à por­ter la robe, vous com­men­cez à décou­vrir qu’il y a une autre par­tie de vous-même. Vous ces­sez d’être un homme éro­ti­que­ment exci­té et vous deve­nez sim­ple­ment un homme qui se rend compte qu’il y a quelque chose d’a­gréable dans le fait d’être une fille et que je prends plai­sir à en faire l’expérience. »

L’u­ni­ver­si­té de Cali­for­nie à Los Angeles (UCLA) a éga­le­ment été au centre du mou­ve­ment en faveur de l’i­den­ti­té de genre. Elle a créé la pre­mière « cli­nique de l’i­den­ti­té de genre » aux États-Unis en 1962. La phi­lo­sophe Judith But­ler, qui a intro­duit l’i­déo­lo­gie du genre dans les éta­blis­se­ments uni­ver­si­taires des États-Unis et d’ailleurs, est affi­liée à l’UC Ber­ke­ley. Grace Lave­ry, maître de confé­rences tran­si­den­ti­taire à l’U­CLA, a un jour par­ta­gé publi­que­ment un pro­gramme d’é­tudes des­ti­né à ses étu­diants qui incluait du por­no sis­sy trou­vé sur Porn­Hub.

Le créa­teur du dra­peau de la fier­té trans­genre (du dra­peau trans), un vété­ran de l’armée amé­ri­caine, a com­men­cé à pra­ti­quer le tra­ves­tis­se­ment éro­tique en fré­quen­tant des clubs de drag en Cali­for­nie. Plus tard, Moni­ca Helms, alias Robert Hogge, a tra­vaillé dans un maga­sin de vidéos pour adultes où il se dégui­sait avec des pro­thèses mam­maires. À l’époque où il a décla­ré qu’il pen­sait être une femme les­bienne, il fré­quen­tait des sex-clubs et des bars les­biens le week-end.

Mais l’as­pect le plus trou­blant de la sexua­li­sa­tion de la chi­rur­gie, c’est peut-être l’in­clu­sion d’en­fants dans l’univers adulte du féti­chisme de la modi­fi­ca­tion cor­po­relle. Corey Mai­son, un jeune gar­çon qui a fait sen­sa­tion en 2016 à l’âge de 14 ans en décla­rant qu’il était en fait une fille, pro­duit désor­mais des images por­no­gra­phiques de lui-même. Fait trou­blant, les blo­queurs de puber­té qui lui ont été admi­nis­trés à l’a­do­les­cence ont pro­duit une sorte d’in­fan­ti­lisme [on pour­rait aus­si par­ler de néo­té­nie, NdT] qui s’est pour­sui­vi jus­qu’à l’âge adulte.

Des enquêtes ont éga­le­ment été menées avec la par­ti­ci­pa­tion ano­nyme d’hommes impli­qués dans un forum pédo­phile féti­chiste de la cas­tra­tion, où ils écrivent et hébergent des fic­tions por­no­gra­phiques sur la cas­tra­tion chi­mique et chi­rur­gi­cale. Près de la moi­tié des his­toires impliquent des enfants, et les his­toires les plus popu­laires décrivent la cas­tra­tion for­cée de mineurs.

Le site The Eunuch Archive est cité par l’As­so­cia­tion pro­fes­sion­nelle mon­diale pour la san­té des trans­genres (WPATH) dans la der­nière mou­ture de ses « Stan­dards de soins ». L’an­née der­nière, la WPATH a sup­pri­mé les res­tric­tions d’âge spé­ci­fiques pour les inter­ven­tions médi­cales concer­nant le « genre » effec­tuées sur des enfants.

Avec la por­no­gra­phie, ce n’est pas seule­ment l’acte sexuel qui devient un pro­duit : le corps sexué lui-même devient à la fois un spec­tacle et une mar­chan­dise. Tan­dis que les inter­ac­tions humaines se dis­solvent dans les écrans et que la por­no­gra­phie rem­place de plus en plus les rela­tions réelles, le féti­chisme émerge comme une conta­gion sociale puis­sante que ses pra­ti­ciens célèbrent comme un fac­teur d’autodétermination : une fin, plu­tôt qu’un moyen.

La phi­lo­so­phie de l’i­den­ti­té de genre, comme l’a écrit Mar­tha Nuss­baum dans sa cri­tique de Judith But­ler inti­tu­lée « Le pro­fes­seur de paro­die », est un sys­tème de croyances qui « col­la­bore avec le mal » — il sup­plante un moi authen­tique par une ver­sion fabri­quée. Il s’a­git en effet de « cas­ser des œufs », en fai­sant de nos corps une res­source, un pro­duit et une publi­ci­té, tout à la fois.

Les idéo­logues du genre expliquent aux indi­vi­dus éga­rés que cette iden­ti­té externe et ache­table leur confé­re­ra la liber­té. Entre autres choses, ils omettent de men­tion­ner l’im­pact de ce pro­ces­sus por­no­gra­phique sur notre huma­ni­té col­lec­tive et sur les femmes et les enfants en par­ti­cu­lier. Par le biais du trans­gen­risme, l’i­den­ti­té, la digni­té et la sécu­ri­té des femmes sont frag­men­tées — et ven­dues comme de la fer­raille au plus offrant.

Gene­vieve Gluck

Gene­vieve Gluck est autrice et défen­seuse des droits des femmes. Elle est cofon­da­trice de Reduxx et ani­ma­trice du pod­cast Women’s Voices.


Tra­duc­tion : Nico­las Casaux

Pour aller plus loin : Gene­vieve a déjà écrit un article sur la rela­tion entre trans­gen­risme et tran­si­den­ti­té, c’est par ici :

Pour­quoi per­sonne ne parle du rôle du por­no dans l’essor du mou­ve­ment trans ? (par Gene­vieve Gluck)

Pour illus­trer le pro­pos de Gene­vieve, on peut men­tion­ner un article tout récem­ment paru (le 14 août 2023) sur le site demotivateur.fr, inti­tu­lé « Un homme hété­ro dévoile les 5 rai­sons de sor­tir avec une femme trans­genre, les inter­nautes l’ap­plau­dissent ». L’homme en ques­tion, Adam Kubatzke, qui tient le compte Tik­Tok « Suc­cess­ful Dege­ne­rates » (« Les dégé­né­rés qui ont du suc­cès »), a tour­né et publié une vidéo avec « la star du por­no Emma Rose, une femme trans­genre abso­lu­ment canon », vidéo qui a déjà récol­té près de 1,3 mil­lion de vues.

Et aus­si : Niki­ta Dragun.

Et aus­si : JADE CVE.

Et aus­si : Mia Costello.

Et aus­si : dans une émis­sion de télé­vi­sion dif­fu­sée en août 2019 sur la chaîne de la Natio­nal Aca­de­my of Tele­vi­sion Arts and Sciences, et copro­duite par Walt Dis­ney Tele­vi­sion, Lil­ly (ex-« Andy ») Wachows­ki répond, à la ques­tion de savoir quelle image l’a ame­né à « s’intéresser à la com­mu­nau­té trans­genre » : « Hon­nê­te­ment, les pre­mières images qui ont vrai­ment réson­né en moi, ce sont celles des “femmes trans” dans la por­no­gra­phie. Quelque chose s’est déblo­qué dans mon cer­veau en voyant ces mer­veilleuses et intré­pides actrices deve­nir dési­rables. Dans ma tête, j’ai pu fran­chir le pas. Je me suis dit que si je pou­vais deve­nir dési­rable, alors peut-être que je pour­rais être aimé. »

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