Pour compléter la note de Kévin, je me propose d’exposer davantage le charlatanisme effondrologique en examinant un de ses thuriféraires les plus en vue.
« Ingénieur en aérospatial de formation », « conférencier, formateur et consultant, analyste des vulnérabilités des sociétés humaines et expert des stratégies de résilience », « spécialiste des limites et vulnérabilités des sociétés humaines et des stratégies de résilience collective », « systémicien », « expert des récits comme leviers de mobilisation et de transformation », « spécialiste des questions de couplage entre activité économique et impacts écologiques », « expert des risques systémiques, des vulnérabilités des sociétés modernes et des stratégies de résilience collective et de durabilité », j’en passe, et des plus amusants, Arthur Keller, est une des figures de proue de la collapsologie en France. (Comme on peut le lire sur son (étrangement) élogieuse page Wikipédia : « Régulièrement sollicité par les médias [c’est, pour l’instant, un peu exagéré, il ne l’est qu’assez sporadiquement], Arthur Keller est amené à s’exprimer sur ses domaines d’expertise, dans la sphère des spécialistes et penseurs qui évaluent le potentiel d’effondrements et préconisent des stratégies face aux risques sociétaux ».)
Fort de ces multiples spécialités, Arthur Keller nous avertit : « nous allons droit vers » un effondrement qui « a commencé depuis longtemps ». Une perspective qu’il précise méticuleusement : « tout ce qu’on peut dire avec rigueur, c’est que l’éventualité d’une panne imminente et subite d’une société est désormais envisageable n’importe quand », cela étant, « un déclin gradué sur des décennies est tout aussi possible ».
Parvenir à des prédictions aussi rigoureuses n’est pas chose facile. Ça ne vient pas tout seul. Elles sont, nous dit Arthur Keller, le fruit « de milliers d’heures de réflexions et d’analyses rigoureuses, systémiques, sans concessions » (formulation qui rappelle celle d’un des fondateurs de l’association Adrastia que Keller administre aujourd’hui, à savoir l’effondrologue Vincent Mignerot, lequel écrit être modestement parvenu à « un plan cohérent pour comprendre la totalité du monde » au bout de « quantité de nuits blanches et d’abîmes réflexifs, tempérés progressivement par un minutieux travail de remontage »). Cette formidable somme de travail est loin d’être le seul mérite d’Arthur Keller, qui aime se jeter des fleurs : « Je suis relativement peu sujet au déni. » « […] je me suis sevré de ma prédilection pour les grands voyages. » « J’ai lâché un emploi de manager commercial qui me rapportait près de sept mille euros nets par mois pour un mode de vie largement plus précaire […]. » « La remise en question ne m’effraie pas […] je fais partie des exceptions, sur ce plan-là, et m’efforce de cultiver les consonances cognitives. » « J’ai une compréhension suffisamment profonde dans plein de domaines différents qui me permettent d’en tirer une synthèse cohérente, avec rigueur. »
C’est ainsi qu’Arthur Keller nous « livre une synthèse pluridisciplinaire de ce qu’on peut faire à tout niveau, qu’on soit une organisation, une collectivité, une institution, un collectif citoyen, un investisseur, un artiste, un leader, etc. », en explorant « tous ces champs simultanément pour créer des stratégies systémiques cohérentes et inspirantes ». C’est ainsi qu’il « fabrique activement des espoirs réalistes aux conséquences saines », qu’il se « mobilise […] pour la fondation d’une nouvelle génération de sociétés ». Et notamment en racontant des histoires. Car Arthur Keller était auparavant « formateur et consultant en communication et storytelling » — c’est-à-dire que le monde de l’entreprise (et de la propagande renommée « relations publiques ») lui a appris à parler aux gens. Il sait s’y prendre avec eux : tout d’abord, il faut « amener les gens à digérer, à métaboliser quelques prises de conscience à leur portée afin qu’ils puissent se défaire de leurs idées préconçues et de leurs espoirs irrationnels sur un certain nombre de plans ; il faut ensuite les équiper d’idées et d’outils pour inspirer des passages à l’action constructifs ; puis il faut, pas à pas, sursaut par sursaut, guider les esprits vers des perspectives plus mûres, plus dures. »
De son propre aveu, il se rattache au courant transitionniste de Rob Hopkins. Son analyse de ce qui pose problème et des solutions pour y remédier sont effectivement aussi vagues et/ou absurdes que celles de Rob Hopkins. Selon le Keller, nous devrions « repenser notre place dans la nature », « c’est le comportement même des hommes vis-à-vis de la nature, de ses ressources et de ce qui y vit qu’il faut réformer », il nous faudrait « de grandes mobilisations citoyennes de préservation ou de régénération de la nature, ainsi que de chantiers citoyens de co-construction de résilience », « bâtir de la résilience pour tous et donc pour chacun », « mettre hors d’état de nuire ceux qui étendent leur emprise mondialisée sur les systèmes financiers, monétaires, économiques, législatifs, judiciaires, exécutifs et culturels » (formulation qui laisse entendre que ces systèmes ne posent pas problème en eux-mêmes, mais seulement leurs dirigeants, ce qui est cohérent avec la vision générale de Keller).
En bon démagogue, le Keller emploie par ailleurs nombre d’expressions radicales en vue de flatter, de séduire les aspirants radicaux. Il affirme que la situation présente « est une guerre, ne nous y trompons pas », et qu’ainsi « la part de l’humanité qui comprend l’impératif de protéger la nature doit affronter l’autre part, celle qui a déclaré la guerre au vivant ». « L’heure est plus que venue, pour chacun d’entre nous, de choisir son camp : s’engager pour préserver le vivant ou collaborer avec les forces de mort. » Il nous encourage à organiser une « Résistance avec un R majuscule, en référence ouverte aux mouvements clandestins qui se sont opposés, en France et dans d’autres pays d’Europe, à l’occupation allemande durant la Seconde Guerre mondiale », à entreprendre « des actes de désobéissance civile, de blocage ». Il affirme également, toujours pour se donner des airs de radicalité, que « rien de moins qu’un changement complet de civilisation ne pourra résoudre quoi que ce soit », qu’aucune « “solution endogène” n’est possible, aucune sortie par le haut façonnée dans les règles du système qui pose problème », qu’il nous faut « une révolution radicale de nos systèmes de valeurs », car « seule une réponse systémique pourrait représenter une voie de sortie face à un dérèglement systémique ». Autant de formules qui, telles quelles, ne disent pas grand-chose. Mais peu importe. Il s’agit de storytelling, c’est-à-dire de ne rien dire, mais de le dire avec les formes. C’est ainsi que le Keller termine un article pour Reporterre en nous expliquant que :
« L’horloge sonne l’heure de la réinvention. À nous de déployer nos plus belles créativités, de proposer des imaginaires inspirants pour que chacun réalise que loin d’être en compétition, lutte sociale et lutte écologique se renforcent.
Nulle société possible dans un monde en effondrement écologique ; nulle stabilité durable possible dans un monde où l’homme se comporte en maître et possesseur, sans limite, de tout ce qui vit à ses côtés ; nul bien-être ou bonheur possible dans un univers de dissonances cognitives. Travaillons ensemble pour poser les bases d’une société respectueuse de l’altérité sachant s’autolimiter de façon lucide et humble, solidaire et digne.
Un sursaut. »
Magnifique.
Si, jusqu’ici, vous n’avez aucune idée de ce qui, selon Arthur Keller, pose foncièrement problème, c’est normal. Il ne désigne rien de concret, il n’approfondit jamais rien. Il ne saurait pas. Il se contente de baragouiner quelques condamnations en trompe l’œil, qu’il serait bien incapable de soutenir plus en détail, concrètement. Le spécialiste de tout n’est en réalité spécialiste de rien. Il dénonce « la sacralisation aveugle et l’emprise toxique de l’innovation technologique », la « financiarisation de tout », etc., de manière parfaitement creuse. Même un Emmanuel Macron serait d’accord avec l’idée qu’il faut que l’on cesse de détruire la nature, qu’on respecte la vie, qu’on se garde d’une croyance absolue en la technologie, et avec toutes les platitudes du même tonneau qu’on peut imaginer. En quoi l’innovation technologique est-elle toxique ? Est-ce tout ? Quid de la technologie ? Et le capitalisme pose-t-il problème en lui-même ? Et qu’est-ce que le capitalisme ? Il dénonce « l’exploitation tyrannique et désormais industrialisée du vivant », mais l’industrialisme pose-t-il problème ? Et qu’est-ce que l’industrialisme ? Il prétend que seul un « changement complet de civilisation » pourra nous sauver, qu’il n’existe « aucune “solution endogène” », « aucune sortie par le haut façonnée dans les règles du système qui pose problème », et pourtant soutient la taxe sur la spéculation de Pierre Larrouturou, qu’il présente comme « une solution qui apporte plus de 50 milliards € par an pour un budget européen beaucoup plus ambitieux sans demander 1€ aux citoyens ni aux budgets nationaux », et pourtant affirme que ce qu’il nous faut, c’est « une relocalisation de tout ce qui peut l’être en matière de production de biens et de services essentiels », et pourtant s’adresse aux « patrons, leaders et investisseurs » pour leur dire : « tant que vos projets ne concourront pas à la résilience territoriale, à la régénération de la nature et à la réinvention du lien qui nous lie à elle, ils seront voués à l’échec, et au lieu de faire partie de la solution, vous resterez du côté du problème », et pareillement aux « dirigeants politiques et économiques », pour leur dire : « dorénavant, votre rôle consiste avant tout à faciliter. Plutôt que de vouloir tout décider, donnez aux gens les moyens de redevenir citoyens et de s’organiser, faites jouer l’intelligence collective et suscitez la codécision et l’implication dans tous les choix stratégiques ».
Confusion et démagogie, donc. Nous en sommes en guerre contre de méchants dirigeants, contre une méchante partie de l’humanité, qu’il nous faut combattre, et pourtant « on a tous un rôle à jouer dans le changement », et pourtant on s’adresse aux dirigeants, aux patrons, aux gouvernementeux. Il faut radicalement tout changer, mais en fait pas tant que ça, il faut surtout relocaliser autant que faire se peut les activités industrielles, préserver « ce système dont l’activité est essentielle à notre résilience »… et aussi s’en débarrasser complètement pour précipiter « un changement complet de civilisation » ?
En réalité, si le Keller s’inscrit dans le courant transitionniste de Rob Hopkins, les choses sont claires. Arthur Keller n’a rien d’un radical, même s’il tente maladroitement de s’en donner des airs. Le courant transitionniste de Rob Hopkins ne considère pas que le capitalisme pose problème en lui-même, ni l’industrialisme, ni la technologie. Il s’agit d’un courant majoritairement réformiste, qui s’imagine, comme bien des courants se proclamant « écologistes », et notamment les plus médiatiques, qu’une sorte de civilisation techno-industrielle écologique et démocratique, soutenable et « socialement juste », est possible moyennant quelques ajustements, réformes (un peu de low-tech par-ci, des énergies dites vertes, propres ou renouvelables, par-là, des réglementations et des planifications étatiques, et hop, le tour est joué). On le constate d’ailleurs dans le programme présidentiel de Charlotte Marchandise qu’il a lui-même conçu, lequel prévoyait de : « Suivre à la lettre les principes structurants du scénario négaWatt : sobriété — efficacité — déploiement des renouvelables », notant que : « Mettre en œuvre la transition énergétique créera entre 600 000 et un million d’emplois dans l’isolation, la réhabilitation écologique, la construction “vertueuse”, les énergies renouvelables… » Bref, les inepties électrologistes habituelles, une nouvelle déclinaison sur le thème du développement durable. Aucun changement de civilisation, aucun changement radical en perspective.
Ailleurs, il écrit que « les terres cultivables, les écosystèmes, les aquifères et les systèmes de potabilisation, d’adduction et de traitement des eaux, l’école et l’hôpital, les infrastructures essentielles, les réseaux de télécommunications, etc. : toutes ces choses et d’autres encore qui ont trait aux besoins et aux droits fondamentaux, doivent être résolument préservés des logiques spéculatives et des calculs économicistes devenus la norme, qui sont en train de tout détruire et de mettre en danger des sociétés entières. »
Par ailleurs, ajoute-t-il, « à l’heure où l’optimisation logistique du monde vacille, il y a un impératif vital à ré-industrialiser à l’échelle nationale, européenne tout au plus, les industries les plus stratégiques […] ».
Les réseaux de télécommunications et les « infrastructures essentielles » comme « droits fondamentaux » et la réindustrialisation comme horizon. Formidable.
*
Si l’on peut potentiellement se réjouir de la radicalité — superficielle — des propos de l’Arthur Keller, de son plaidoyer en faveur du sabotage, de la désobéissance civile (expressions qui, cela dit, sont également assez floues, derrière lesquelles on peut mettre beaucoup de choses différentes et très inégales), c’est bien la seule chose à peu près défendable de son discours. Le reste est soit largement amphigourique, soit nuisible. Une déplorable démagogie. Car Arthur Keller sait s’adapter à son public (selon les principes de la communication), et peut ainsi aussi bien plaire à un financier éco-anxieux qu’à un ministre inquiet pour le futur de la société industrielle ou de la République française, ou qu’à un « militant climat » ou un végane en quête d’éthique animale, parce qu’il s’agit de propos ambigus, parce qu’on y trouve à boire et à manger, du bio et de l’industriel.
Avide de notoriété, le Keller incarne très bien le collapsologue-type, ex-ingénieur ou scientifique, ex-banquier, ex-PDG, ex-manager commercial (ex-enfoiré ayant vu la lumière), qui parle de tout mais mal, mais pour ne pas dire grand-chose, qui défend tout et son contraire, qui prétend posséder des solutions pour résoudre à peu près tous les problèmes que nous connaissons : « qu’on soit une organisation, une collectivité, une institution, un collectif citoyen, un investisseur, un artiste, un leader, etc. », Arthur Keller saura quoi nous faire faire (ou dire, ou penser) pour sauver la situation. N’est-ce pas génial ? On en redemande.
Les effondrologues issus du même moule qu’Arthur Keller (il y en a une tripotée, dont Loïc Steffan, et tous ceux qui gravitent autour de l’association Adrastia) aspirent au bout du compte (en réalité) à sauver l’essentiel du mode de vie industriel capitaliste — en le rendant soutenable, résilient, tout ce que vous voulez. Non seulement sont-ils donc de piètres penseurs, mais aussi de fameux opportunistes et de terribles baratineurs.
Risquons une prédiction : ils ne sont et seront d’aucune aide dans les combats en faveur de ce qui mérite d’être défendu, ils ne nous aideront en rien à sauver ce qui mérite de l’être, à penser la situation, mais ils continueront de gagner en audience à mesure que le désastre s’étendra.
Nicolas Casaux
P.S. : je n’ai rien à proposer en alternative aux élucubrations du Keller. Je ne saurais conseiller « une organisation, une collectivité, une institution, un collectif citoyen, un investisseur, un artiste, un leader, etc. » Je ne suis pas conseiller d’orientation. Je ne cherche aucunement à l’être. Si tout ce qui vous vient en tête à la suite de la lecture de cette note, c’est que je devrais « proposer autre chose », « une alternative », ou que sais-je, alors vous venez de passer à côté de l’essentiel. Si la vacuité et la fatuité d’un Arthur Keller — qui relève d’un foutage de gueule caractérisé vis-à-vis de son audience — ne vous pose aucun problème, alors je ne peux rien pour vous, et vous souhaite une bonne résilience.
Sources : les citations que j’utilise sont tirées de son interview dans le livre L’Effondrement de l’empire humain, d’une interview publiée sur le site du Mouvement Up, d’un texte qu’il a publié sur le site de Mr Mondialisation, et d’une vidéo publiée sur YouTube.
Je vais le suivre sur LinkedIn, ça fera bien sur mon profil !
Non sérieusement, des prétendus ingénieurs repentis il y en a plein, on peut parler de Jancovici aussi. Très médiatisés et prompts à dénoncer les méfaits de l’industrie « sale », on les écoute jusqu’à un certain point. Jusqu’à ce qu’ils expliquent qu’ils vendent leurs conseils stratégiques aux industriels de l’énergie, de l’eau, des télécoms. Leur éloquence ne tient qu’à l’intérieur de la société productiviste : le nucléaire plutôt que le charbon, la voiture électrique plutôt que thermique, mais surtout le fantasme technologique plutôt que la sobriété…
Pour l’instant ce cher Arthur semble faire monter les enchères, voyons à quelle multinationale il va bientôt vendre sa marque.
Hello,
Vu ce qu’il brasse, et ce qu’il a en poupe… c’est tout vu : au secteur industrio-éolien ! 😀
Bon, si c’est vrai que notre civilisation thermo-industrielle totalitaire est vouée à s’écrouler en raison de diverses contraintes qu’elle juge externes ou internes à elle-même, les récits de l’après venant de ces experts sur-éclairés sont plutôt fades. Je trouve qu’il est au moins plus sain encore de se plonger dans le genre romanesque pour y puiser des idées, plutôt que d’écouter en boucle leurs discours anxiogènes et leurs brochures sophistiquées — faute de prendre la pioche pour dégommer dans un premier temps tout ce qui a été bâtit depuis au moins… houuu, 7 siècles minimum.
En tout cas, merci Nicolas de garder un œil critique et averti sur les personnes surfant sur cette vague, c’est qu’en cette période propice, on s’endort tellement facilement qu’on se laisserai embobiner par le premier loup effondrologiste qui passe et qui montrerai patte radicale.
Il me semble que Jancovici ne parle que de technologie comme parachute mais insiste justement sur une nécessaire sobriété dans tous les domaines, y compris (ce qui peut en choquer beaucoup) dans celui de la santé.
Le bobo collapsophile en général me fait bien rire, ces histoires qu’ils se racontent pour se faire peur. Mais paradoxalement, moi j’y trouve un peu d’espoir.
Car dans ce bas monde,tel qu’il est aujourd’hui, je ne trouve aucune consolation. Je trouve bien dommage que mon potentiel de fourrageur reste inexploité.
Vive le collapse donc, le plus tôt possible même !
Le concept d’effondrement est fascinant, peut-être plus particulièrement dans une société sur-industrialisée.
La fascination qu’on peut avoir pour un monde dévasté, post-apocalyptique, a certainement quelque-chose à voir avec l’étouffement qu’on ressent dans un monde urbanisé, artificialité, oppressé par la technologie. C’est la promesse d’une libération quelque-part, d’un grand « reset » de ma charge mentale. Au fond de moi, derrière l’inquiétude de voir disparaître des institutions rassurantes, j’espère secrètement vivre une expérience de sobriété forcée, faite de longues promenades le long des anciennes routes bitumées, d’exploration dans les centres commerciaux désaffectés, à l’affût du danger. Pour le danger la science fiction nous laisse un large choix : zombies, créatures extra-terrestres, population underground menaçante, groupes de cannibales, etc…
« Dans le monde tel que je le vois, on chassera des élans dans des forets humides et rocailleuses du Rockfeller center. On portera des vêtements en cuir qui dureront la vie entière. On escaladera des immenses lianes qui entoureront la tour Sear. Et quand on baissera les yeux, on verra de minuscules silhouettes en train de piller du maïs ou de faire sécher de fines tranches de gibier sur l’aire de repos déserte d’une super-autoroute abandonnée. »
Tyler Durden dans Fight Club
Fight-Club a marqué une génération entière. Peu pourtant y ont décelé l’idéal anticivilisationnel anarchiste caché dans cette fable moderne.
En ce qui me concerne, je pense que Chuck Palahniuk s’est inspiré de Ted Kaczynski pour écrire son bouquin. Le fait qu’il l’ait écrit peu de temps après sa capture,mais pas seulement : le Figth Club a les mêmes initiales que le F.C., les bombes, le terrorisme, le discours éco anarchiste de Tyler Durden.
Bonjour,
Il est possible que le flou présent dans ces articles soit tout simplement par manque de place. Au final, en un article il peut pas détailler grand chose. La série Next c’est plus pour amener à une curiosité sur ce sujet j’ai l’impression.
Quitte à publier une critique sur lui, je pense que ce serait plus intéressant de l’avoir sur son propos complet, dans sa conférence sur « les Défis Systémiques » : https://youtu.be/OrDASn1Igv8?t=354 . C’est bien sur plus long (surtout au démarrage) mais beaucoup moins flou que ce qu’il dit ci-dessus.
Il y est assez critique du développement durable, de la croissance, du solutionnisme technologique et de l’augmentation constante de la complexité. Sans parler de notre tendance à ignorer le système en place et ses freins au changement, ce qui fait que la plupart des activistes « pissent dans un violon » (je cite). Il explique notamment la dynamique globale qui nous conduit dans le mur, et comment essayer d’organiser un « après » au niveau plus territorial (assez grand pour assurer l’autonomie, mais pas trop sinon on retombe dans la complexité). Il précise d’ailleurs que la démocratie ça marche au niveau local (à cette échelle, je ne pense pas que le capitalisme puisse encore survivre, ni l’état d’ailleurs). Plus intéressant, il donne des éléments pour amener à un changement plus collectif, notamment au niveau psychologique, parce que bon, les arguments c’est bien gentil mais on a bien vu que ça marchait pas.
Pourrais-je savoir ce que vous en pensez, et d’éventuels angles morts dans son argumentaire que je n’aurais pas vus ?
Je suis désolé mais non. Je n’aime pas regarder des vidéos sur YouTube. L’incohérence et la contradiction ne résultent pas d’un manque de place. Il n’y a pas de raison. Ce type dit tout et n’importe quoi.
Effectivement, dans les deux articles en lien, il est ultra flou. Il n’y a pas grand chose à en retenir et j’ai déjà oublié ce qu’il disait à la fin de l’article (impossible de faire une analyse systémique dans une interview, mais ça me semble une opportunité manquée). J’ai surtout l’impression qu’il s’adapte énormément à son public. Son objectif dans ses différentes prises de parole me semble plutôt de pousser la norme sociale dans une certaine direction, selon ce que ceux qui écoutent seront prêts à entendre. Dire la brutale vérité c’est bien, mais pas utile si celui en face décide de l’ignorer. Son discours « médiatique » n’a donc pas beaucoup de cohérence globale, parce que la capacité fantastique de notre cerveau au déni l’empêche de dire la même chose à tout le monde.
Il soutient donc des idées entendables, qui ont une chance de passer (ramener la production sur le territoire, diminuer le potentiel de nuisance des marchés avec une taxe, promettre des emplois à des électeurs effrayés par le chômage). C’est très largement insuffisant à résoudre quoi que ce soit (ce qu’il admet), mais ça pousse à faire des « petites actions » intermédiaires dans l’optique d’amener à des actions plus grandes derrière.
« Il ne désigne rien de concret, il n’approfondit jamais rien. »
C’est pour ça que sa conférence, face à un public plus technique, est beaucoup plus intéressante (et bien plus claire au sujet de « comment amener au changement »). Il approfondit une vision plus globale de la situation, où nous amène le système en place, et aussi qu’on a pas vraiment la moindre chance de changer ce système sans casse… Il annonce que la complexité croissante fait partie de l’origine du problème, et que le capitalisme ne peut pas être durable (on comprend qu’il ne va pas dire ça à un politique ou un économiste s’il veut être entendu, d’où son ambiguïté).
En fait, j’y ai trouvé des constats globaux sur la situation qui ne me semblaient pas si éloignés que ce qu’on retrouve parfois ici. Plus particulièrement celui-ci : « Il se peut que passer aux énergies renouvelables et nucléaire génère plus de GES au total, parce que la société thermo-industrielle durera plus longtemps que si elle suivait juste la déplétion des hydrocarbures ».
Comme vos analyses sont fortement pertinentes, ça m’aurait intéressé d’avoir votre position. Sa conférence risque de pas mal m’influencer dans le futur, et j’aimerais savoir s’il a tort dans son constat ?
“Il se peut que passer aux énergies renouvelables et nucléaire génère plus de GES au total, parce que la société thermo-industrielle durera plus longtemps que si elle suivait juste la déplétion des hydrocarbures”.
Il se peut, effectivement, mais il se peut qu’appréhender notre situation sous cet angle soit assez problématique. Peu importe le carbone. Cette fixette sur une unique problématique carbonique est très nuisible. Les principaux problèmes de notre temps ne relèvent pas de ce que la civilisation industrielle émette du carbone, mais de l’asservissement, de la dépossession, de l’aliénation, de l’entr’exploitation généralisés sur lesquels elle repose. Le problème, c’est que l’Etat et le capitalisme, largement imbriqués, l’Etat-capitalisme, soit une machine à exploiter les humains, à créer des inégalités et à détruire le monde. Peu importe le carbone, in fine. Il se pourrait bien que quelques inventions technologiques permettent de retirer tout le carbone de l’atmosphère. Les écolos carbonistes n’auraient alors plus rien à dire. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes. Sauf que non. Je suis arrivé à l’écologie par le social, par le militantisme anarchiste (et d’abord, de gauche assez classique). Les Keller du monde s’adressent surtout à des écolos dépolitisés, ou peu politisés. Certainement pas à des initiés du marxisme, du communisme ou de l’anarchisme. Les iniquités sociales n’ont rien à voir avec le carbone, il y en avait avant que la civilisation ne devienne « thermo-industrielle ».
Les énergies renouvelables et le nucléaire sont des technologies produites par l’Etat-capitalisme, c‑a-d grâce à l’asservissement et l’entr’exploitation généralisés des êtres humains, et notamment grâce à l’exploitation du plus grand nombre par le petit nombre. Il faut l’Etat-capitalisme, le salariat, la propriété privée, l’obligation de vendre son temps de vie sur un prétendu « marché » du travail pour fabriquer des panneaux solaires ou construire une centrale nucléaire. Mon premier grief à leur encontre, il est ici. Dans le fait que la technologie est intrinsèquement contraire à la liberté, la démocratie, la justice. Pas dans le fait que, oui, effectivement, en plus tout ça n’a strictement rien de vert (ce qui est exact).
D’ailleurs les problématiques de l’écologie et du carbone sont différentes. S’il est à peu près certain que la civilisation industrielle détruit et détruira toujours le monde naturel, en revanche, encore une fois, elle pourrait parvenir à développer de nouvelles technologies ou industries de décarbonation (séquestration, capture du carbone) efficaces. C‑a-d que le cas échéant, les écolos carbonistes n’auraient plus rien à opposer au développement des industries de production de panneaux solaires et d’éoliennes et au nucléaire.
Est-ce que ça répond à ta question ?
Ah, ça résume bien les propos que je retrouve sur ce site. Je suis d’accord avec le diagnostic, ça recoupe ce que j’ai lu récemment dans « Où est le sens ? » où il explique que la technologie nous a coupé des sources de sens et des valeurs morales qui en découlent, allumant un signal d’alarme diffus dans notre cerveau qui nous pousse à nous retrancher sur des plaisirs immédiats (très intéressant d’ailleurs, le besoin de sens pourrait être un levier puissant à notre disposition).
Mais je viens de me rendre compte que j’ai mal posé ma question : elle ne portait pas sur la citation (Keller parle dans sa présentation des dommages sur la biodiversité, l’eau, les sols, etc. qui vont s’aggraver aussi si la société thermo-industrielle continue. Il énonce même « La civilisation est une machine d’annihilation du vivant » https://youtu.be/OrDASn1Igv8?t=4338. Le carbone lui sert à montrer l’incapacité du système actuel à limiter les dégâts.).
Je souhaitais plutôt avoir votre avis sur deux points :
— Son constat est : le système ne peut pas décroitre, pour des raisons comme la dette, sinon il s’effondre… (https://youtu.be/OrDASn1Igv8?t=6404). Mais il va décroitre, à cause de la baisse de l’énergie disponible, notamment du pétrole nécessaire pour extraire tout le reste et acheminer les possessions et la nourriture (https://youtu.be/OrDASn1Igv8?t=2502). Enfin, il ne s’effondre pas forcément : il dit qu’il y aura une descente énergétique et matérielle forte (https://youtu.be/OrDASn1Igv8?t=5034)… sauf si on la pilote. Mais il y a trop de freins pour ça.
Question : La conclusion que le système va se casser la gueule tout seul est-elle valide ? Et donc qu’il faut préserver au maximum les écosystèmes qui restent en attendant, ainsi qu’organiser une résilience communautaire pour l’après ?
- Quand ça arrivera, c’est donc la résilience communautaire qui sera importante (démocratique et territoriale). Ce qu’il propose (quoi prioriser et comment amener au changement) débute à partir de là : https://youtu.be/OrDASn1Igv8?t=8359. Je voulais savoir : 1. Qu’est-ce qui est utile dans ce qu’il a dit ? 2. Qu’est-ce qui peut ne pas marcher ?
« Il se pourrait bien que quelques inventions technologiques permettent de retirer tout le carbone de l’atmosphère. Les écolos carbonistes n’auraient alors plus rien à dire. Tout irait pour le mieux dans le meilleur des mondes. »
C’est en cela que l’organisation des pseudo-débats est un leurre, tous ces experts (issus du gigantesque déploiement d’institutions qui ne cessent de se multiplier à mesure que leur objet d’étude, la « biodiversité » comme ils disent, ne cesse de se réduire à peau de chagrin) autorisés à s’exprimer dans les médias ne font que parler le langage du pouvoir, tous appelant à une extension des contraintes de la société totale (la disparition pure et simple de celle-ci leur paraissant une chose inouïe et absolument inimaginable, même sur un plan strictement théorique), et c’est bien le piège grossier, même quand elle a voulue s’ériger en une forme d’autorité de contre-expertise, dans lequel une certaine écologie est tombée.
En 1992, une brochure énonçait déjà le dévoiement de cette sorte d’écologie :
« Les écologistes sont sur le terrain de la lutte contre les nuisances, ce qu’étaient, sur celui des luttes ouvrières, les syndicalistes : des intermédiaires intéressés à conserver les contradictions dont ils assurent la régulation, des négociateurs voués au marchandage (la révision des normes et des taux de nocivité remplaçant les pourcentages des hausses des salaire), des défenseurs du quantitatif au moment où le calcul économique s’étend à de nouveaux domaines (l’air, l’eau, les embryons humains ou la sociabilité de synthèse) ; bref, les nouveaux courtiers d’un assujetissement à l’économie dont le prix doit maintenant intégrer le coût d’un « environnement de qualité ». On voit déjà se mettre en place, cogéré par les experts « verts », une redistribution du territoire, entre zones sacrifiées et zones protégées, une division spatiale qui réglera l’accès hiérarchisé à la marchandise-nature. Quant à la radioactivité, il y en aura pour tout le monde ». (« Adresse à tous ceux qui ne veulent pas gérer les nuisances mais les supprimer »).
A quel point on peut se rendre compte de la justesse de ce propos et combien il a été facile pour les industriels de retourner à leur propre compte ces revendications en une petite chose complètement inoffensive pour leurs intérêts, on peut le mesurer en lisant ce passage du livre de José Ardillo :
« Le réchauffement de la planète qui, pris comme objet d’une réflexion objective, pourrait être la pierre angulaire du démontage des discours progressistes des deux derniers siècles, se transforme entre les mains des environnementalistes et selon le schéma qui domine le monde, en un élément de soutien à une plus grande intégration de tous les agents économiques et politiques. En d’autres termes, il ne s’agit aucunement de trouver des solutions à la crise du climat, mais plutôt de savoir comment intégrer cette crise sans perturber l’ordre social qui la sous-tend.
Dans ce sens, le noyau dur de la pensée économique libérale peut être considéré comme étant plus cohérent que le discours environnementaliste. Les partisans de l’économie destructrice propre au capitalisme industriel n’ont en effet aucune leçon d’éthique à recevoir de l’environnementaliste qui, depuis le protocole de Kyoto, dans sa croisade pour la réduction des émissions, tente de modifier par de simples ajustements quantitatifs ce qui nécessiterait une transformation qualitative radicale de l’activité humaine. Les contradictions de cette écologie politique douteuse sont facilement décelables par les rapaces de l’économie qui, en jugeant conformément à leurs critères de croissance constante, ne voient dans la catastrophe climatique qu’une variante de plus dans les prévisions d’investissement et la répartition des ressources. Pour résumer, si la contamination est seulement une question de quantité, la logique du marché disposera dans l’avenir des ajustements nécessaires. L’économie ne peut être vaincue sur son propre terrain. » (« Les illusions renouvelables, énergie et pouvoir : une histoire »).