À la suite de la diffusion du film Planet of the Humans, réalisé par Jeff Gibbs, et produit par Michael Moore et Ozzie Zehner, dont nous vous proposons ici une version sous-titrée en français, Bill McKibben, le fondateur de l’ONG 350.org, dont l’hypocrisie et la duplicité sont bien exposées dans le documentaire, s’est fendu d’une petite réponse, espérant ainsi limiter les dégâts, ou redorer son blason.
L’absurdité de sa réponse appelle quelques remarques. Ce qui devrait sauter aux yeux de ceux qui ont vu le documentaire, c’est qu’il occulte, dans ladite réponse, l’essentiel de ce que Jeff Gibbs met en lumière, à savoir les liens entre toutes les industries de production d’énergie dite « verte » et l’industrie des combustibles fossiles et/ou du nucléaire. Dans sa réponse, Bill McKibben se contente de mettre en avant le fait qu’il ne soutient désormais plus la biomasse, et affirme que l’ONG qu’il a créée, 350.org, n’a jamais touché d’argent de la part d’aucune entreprise.
De l’art de la démagogie. D’une certaine manière, en prenant les gens pour de fieffés imbéciles, on peut effectivement concevoir et énoncer une telle affirmation. La réalité, c’est que 350.org reçoit beaucoup d’argent de la part de nombreuses entreprises et de nombreux richissimes capitalistes, mais pas directement, au travers de fondations privées liées à ces entreprises et ces richissimes capitalistes. L’hypocrisie dont il faut faire montre pour oser soutenir que dès lors que cet argent provient des fondations privées de ces entreprises et de ces riches capitalistes, il ne provient pas desdites entreprises, c’est tout de même quelque chose.
En effet, le financement de l’ONG 350.org, née, entre autres, grâce à l’argent du Rockefeller Brothers Fund, qui continue de la financer, dépend majoritairement de fondations privées, dont la ClimateWorks Foundation, une fondation qui regroupe, entre autres, la David and Lucile Packard Foundation, la William and Flora Hewlett Foundation (HP, ça vous dit quelque chose ? Hewlett-Packard, une des principales multinationales de l’informatique) et la Ford Foundation (Ford, tout le monde connaît) ; et le Clowes Fund, Inc., lié à la Eli Lilly and Company, une immense multinationale de l’industrie pharmaceutique (le Prozac, c’est elle), 10e groupe pharmaceutique mondial par son chiffre d’affaires ; et la Silicon Valley Community Foundation, dont les membres du conseil d’administration travaillent chez Microsoft, eBay, Electronic Arts, etc. ; et le New Venture Fund, une fondation financée, entre autres, par la Rockefeller Foundation, par la fondation de Bill & Melinda Gates, par la Ikea Foundation, etc. ; et la Overbrook Foundation, créée et encore dirigée par la famille Altschul, dont l’actuel président, Arthur Altschul Jr., a travaillé, comme son père avant lui, pour Goldman Sachs, et pour un paquet de multinationales américaines dans le secteur de l’industrie pharmaceutique, de la banque, etc. ; et la Tides Foundation, qui reçoit de l’argent de Warren Buffett, un des hommes les plus riches du monde, qui possède des investissements dans à peu près toutes les industries du monde, et aussi de George Soros, un autre milliardaire américain ; et de bien d’autres fondations liées à bien d’autres industries et à bien d’autres industriels, banquiers, etc.
Par ailleurs, ce qu’il faut bien voir, c’est que Bill McKibben n’a aucun problème avec le capitalisme, avec l’industrialisme, avec la société techno-industrielle. Il déplore la mauvaise forme de capitalisme qui règne aux USA mais loue le « capitalisme d’une saveur différente » qui règne apparemment en Scandinavie, qu’il qualifie de « socialisme démocratique ». Et s’il a changé d’avis concernant la biomasse, il encense plus que jamais la production industrielle de panneaux solaires photovoltaïques et d’éoliennes. Dans son dernier livre (Falter : Has the Human Game Begun to Play Itself Out ?, soit « Péricliter : le jeu humain tire-t-il à sa fin ? »), il compare plusieurs fois les panneaux solaires photovoltaïques à un miracle (il faut savoir que Bill est un fervent chrétien). Exemple : « Le panneau solaire, en particulier (comme nous le verrons dans la dernière partie de ce livre), est une sorte de miracle, mais un genre de miracle différent du combustible fossile, qui était si dense en énergie, si facile à transporter ».
Son écologie n’a pas pour but de préserver la biosphère et de restaurer le monde naturel, mais pour objectif de remplacer toute la production énergétique issue du fossile et du nucléaire par des panneaux solaires photovoltaïques, des éoliennes et des centrales hydroélectriques afin d’endiguer le changement climatique (qui menace la perpétuation de la société industrielle). Les innombrables problèmes écologiques actuels se réduisent presque, chez Bill, au seul changement climatique. Et pour le combattre, un effort industriel digne d’une bonne guerre est de mise :
« Oui, il faudrait construire un sacré paquet d’usines pour produire des milliers d’hectares de panneaux solaires, et des éoliennes de la longueur d’un terrain de football, des millions et des millions de voitures et de bus électriques. Mais là encore, les experts ont déjà commencé à faire des calculs. Tom Solomon, un ingénieur à la retraite ayant supervisé la construction de l’une des plus grandes usines construites ces dernières années, la gigantesque usine de semi-conducteurs Rio Rancho d’Intel au Nouveau-Mexique, a utilisé les données de Stanford et calculé la quantité d’énergie propre que l’Amérique devrait produire d’ici 2050 pour remplacer complètement les combustibles fossiles. La réponse : 6 448 gigawatts. “En 2015, nous avons installé seize gigawatts d’énergie propre”, explique Solomon. “À ce rythme, cela prendrait quatre cent cinq ans, ce qui est un peu trop long. ”
Alors Salomon a calculé combien d’usines il faudrait pour produire 6 448 gigawatts d’énergie propre dans les trente-cinq prochaines années, en analysant notamment la nouvelle grande usine de panneaux solaires de Tesla à Buffalo. “Ils l’appellent la giga usine”, explique Solomon, “parce que les panneaux qu’elle construit produiront un gigawatt d’énergie solaire chaque année”. En utilisant cette usine comme référence, Solomon estime que l’Amérique a besoin de 295 usines solaires d’une taille similaire pour vaincre le changement climatique (environ six par État), plus un effort similaire pour les éoliennes.
Nous nous sommes déjà mobilisés à cette échelle une fois par le passé, la dernière fois que nous avons fait face à ce qui semblait être un ennemi existentiel. Après l’attaque de Pearl Harbor, la plus grande usine industrielle du monde sous un seul toit a été construite en six mois, près d’Ypsilanti, dans le Michigan ; Charles Lindbergh l’a appelée le “Grand Canyon du monde mécanisé”. En quelques mois, elle a produit un bombardier B‑24 Liberator par heure. Des bombardiers ! Des avions énormes et compliqués, infiniment plus complexes que des panneaux solaires ou des pales d’éolienne — chacun était composé de 1 225 000 pièces, avec 313 237 rivets. Tout près, à Warren, dans le Michigan, l’armée américaine a construit une usine de chars plus vite qu’elle n’a pu construire la centrale électrique nécessaire à son fonctionnement — elle a donc simplement remorqué une locomotive à vapeur à une extrémité du bâtiment pour fournir de la chaleur et de l’électricité. Cette seule usine a produit plus de chars que les Allemands n’en ont construits pendant toute la durée de la guerre. »
S’il ne se prive jamais de rappeler tout le mal que causent les industries des combustibles fossiles, il omet parfaitement — outre la dépendance des industries des technologies de production d’énergie dite « verte » vis-à-vis des industries des combustibles fossiles et/ou du nucléaire — de discuter de la production industrielle de ces appareils à produire de l’énergie « verte » que sont les panneaux solaires photovoltaïques et les éoliennes. De quoi sont-ils faits ? Comment ? Où ? Avec quels impacts environnementaux ? Le lecteur n’en saura rien. En revanche, le lecteur sera enthousiasmé par le côté miraculeux des panneaux solaires photovoltaïques et des éoliennes. Voire même par leur côté magique :
« L’énergie solaire est un miracle, ou quelque chose qui s’en rapproche en ce qui concerne nos objectifs. Tout comme l’ingénierie génétique et l’intelligence artificielle, elle trouve ses racines dans la science du XIXe siècle, mais elle est arrivée à maturité au XXe siècle et a atteint sa véritable vitesse de décollage au XXIe siècle. […] Il n’est plus nécessaire de creuser ou de forer pour trouver du charbon, du gaz ou du pétrole, puis de l’expédier vers une énorme centrale électrique, de le brûler à haute température et d’utiliser la chaleur pour faire tourner une turbine, puis d’augmenter le courant pour le transporter à travers un réseau éloigné, et enfin de le réduire à nouveau pour l’usage domestique. Vous pouvez maintenant orienter une vitre vers le ciel, et le courant, en retour, fait circuler la lumière, le froid et l’information. C’est de la magie digne de Poudlard. »
Devrait-on s’étonner de cet article publié dans le prestigieux quotidien britannique The Guardian, intitulé : « Bill McKibben : “Il y a clairement de l’argent à faire dans le solaire et l’éolien” ». Sacré Bill. Avec des gars comme lui, la planète peut dormir tranquille.
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Comme lui, son ONG, 350.org, n’a pas pour principal objectif de mettre un terme à la destruction de la nature qu’engendre inéluctablement le fonctionnement normal de la civilisation industrielle, mais vise au contraire à rendre ladite civilisation industrielle durable. La première chose affichée, en majuscules, sur le site de 350 : « ARRÊTER LES COMBUSTIBLES FOSSILES. PASSER AU 100% RENOUVELABLES ».
Une illustration de plus de ce que Mark Boyle souligne dans son article intitulé « L’écologisme se souciait de préserver le monde naturel — ce n’est plus le cas » :
« La plupart d’entre nous sommes moins dérangés par l’idée de vivre dans un monde sans martres des pins, sans abeilles mellifères, sans loutres et sans loups qu’à l’idée de vivre dans un monde sans médias sociaux, sans cappuccinos, sans vols économiques et sans lave-vaisselle. Même l’écologisme, qui a un temps été motivé par l’amour du monde naturel, semble désormais plus concerné par la recherche de procédés un peu moins destructeurs qui permettraient à une civilisation surprivilégiée de continuer à surfer sur internet, à acheter des ordinateurs portables et des tapis de yoga, que par la protection de la vie sauvage. »
Nous sommes face à un double problème, sur le plan social et sur le plan écologique. Social, d’une part, parce qu’industrialisme et démocratie ne sont et ne seront jamais compatibles, l’industrialisme impliquant l’exploitation inhumaine des êtres humains dans le cadre de sociétés de masse structurellement antidémocratiques. Et écologique, d’autre part, parce que l’industrialisme, la société industrielle, n’est pas et ne sera jamais soutenable.
En bref :
- La production massive de panneaux solaires photovoltaïques et d’éoliennes (et la construction de barrages hydroélectriques, etc.) que promeuvent Bill et son ONG repose sur l’utilisation de combustibles fossiles et ou du nucléaire.
- Elle implique toutes sortes de dégradations et pollutions du monde naturel.
- Elle repose sur l’esclavage moderne (salarial), la dépossession généralisée, la machinerie sociale foncièrement inique que requièrent et qu’imposent le capitalisme et l’État, l’industrialisme.
- Outre ces nuisances sociales, remplacer toute la consommation énergétique reposant sur les combustibles fossiles et le nucléaire de la société industrielle par des « renouvelables », c’est impossible (parce que les secondes dépendent des premières, et parce qu’il faudrait recouvrir la planète d’éoliennes et de panneaux solaires dont la production aurait alors déjà ravagé ce qu’il reste de nature).
- C’est aussi indésirable, ça n’aurait aucun sens, ça ne rendrait pas la société industrielle soutenable pour autant : l’utilisation que nous avons de l’énergie nuit elle-même au monde naturel (toute l’énergie que la civilisation industrielle consomme, elle l’utilise pour détruire la planète et exploiter les humains ; l’électricité que génèrent les centrales solaires, parcs éoliens, etc., ne sert qu’à alimenter des machines ou des appareils eux-mêmes issus du système industriel qui détruit la planète).
- Rendre durable la société techno-industrielle capitaliste, c’est bien la dernière chose que nous devrions souhaiter.
Pour parvenir à la fois à des sociétés démocratiques et écologiques, il nous faudrait sortir de la société industrielle, la démanteler, mettre un terme à l’industrialisme, désindustrialiser, désurbaniser, démondialiser, décroître. Dans une telle optique, inutile de déployer massivement de nouvelles installations et structures de production d’énergie, utiliser les existantes puis les démanteler suffirait.
Nicolas Casaux
Relecture : Lola Bearzatto
Je viens de lire L’anthropocène contre l’histoire de Andreas Malm. Il cite le géologue Murchison, qui à l’époque du boom du charbon dans la première moitié du 18e siècle a écrit : « La vapeur est le nouvel élément reconnu de tous du progrès, par lequel cet âge se distingue de tous ceux qui l’ont précédé. Par son pouvoir magique la distance est annulée… Le charbon doit doit être désormais le moteur et la mesure de toutes les nations commerciales »
Déjà la magie!!!