Planète des humains ou Comment le capitalisme a absorbé l’écologie (par Michael Moore, Jeff Gibbs, Ozzie Zehner)

Nous vous pro­po­sons une ver­sion sous-titrée en fran­çais du film docu­men­taire Pla­net of the Humans (« Pla­nète des humains »), dont Michael Moore est le pro­duc­teur exé­cu­tif, Ozzie Zeh­ner un copro­duc­teur, et Jeff Gibs un autre copro­duc­teur, et le réa­li­sa­teur. Un docu­men­taire qui expose des réa­li­tés très rare­ment dis­cu­tées concer­nant les soi-disant « éner­gies vertes », « propres » ou « renou­ve­lables », mais des réa­li­tés que les lec­teurs de notre site connaissent déjà, très cer­tai­ne­ment, étant don­né que nous avons publié de nom­breux articles sur le sujet.

Ozzie Zeh­ner est un cher­cheur états-unien, auteur d’un livre inti­tu­lé Green Illu­sions : The Dir­ty Secrets of Clean Ener­gy and the Future of Envi­ron­men­ta­lism (« Les illu­sions vertes : les sales secrets des éner­gies propres et le futur de l’écologisme »), publié en 2012, sur le sujet, vous l’aurez com­pris, des men­songes mas­si­ve­ment col­por­tés par les médias de masse concer­nant les éner­gies vertes-propres-renou­ve­lables. Nous avons d’ailleurs publié, sur ce site, une tra­duc­tion d’un entre­tien qu’Ozzie Zeh­ner a accor­dé à un jour­na­liste du site Truth-out. Jeff Gibbs a pro­duit ou co-pro­duit plu­sieurs des films docu­men­taires de Michael Moore (dont Fah­ren­heit 9/11 et Bow­ling for Colum­bine). Et Michael Moore, on ne le pré­sente plus.

Pla­nète des humains ou Com­ment le capi­ta­lisme a absor­bé léco­lo­gie (Jeff Gibbs, Michael Moore) from Herodote.net on Vimeo.

Venons-en au film. Si vous ne sou­hai­tez pas décou­vrir son conte­nu avant de l’avoir vu, arrê­tez de lire, et repre­nez la lec­ture après son vision­nage. Dans la mesure où il expose une grande par­tie des arnaques que consti­tuent les éner­gies dites « vertes », la tar­tu­fe­rie des grandes orga­ni­sa­tions éco­lo­gistes et de leurs figures de proue, l’emprise du capi­ta­lisme sur l’é­co­lo­gie en géné­ral, et où il encou­rage la décrois­sance, il est assez bon. Je ne revien­drai donc pas sur ces aspects-là. En outre, chose rare, il tend à pro­mou­voir une pers­pec­tive bio­cen­triste, en consi­dé­rant la vie sur Terre non pas comme un ensemble de res­sources à exploi­ter dura­ble­ment mais comme ce qu’il nous faut res­pec­ter et pré­ser­ver en pre­mier lieu, pour elle-même.

Cepen­dant, on peut déplo­rer quelques choix, ou man­que­ments (aux­quels il n’é­tait sans doute pas impos­sible de pal­lier dans la durée moyenne qu’un tel docu­men­taire ne doit pas dépasser) :

  1. Le fait de ver­ser dans l’indifférenciation, d’utiliser le « nous » voire « l’humanité » de manière indis­cri­mi­née. « Pla­nète des humains » ? C’est aus­si et sur­tout une seule et même culture humaine qui s’étale désor­mais d’un bout à l’autre de la pla­nète. Pla­nète du capi­ta­lisme. Pla­nète de la civi­li­sa­tion (indus­trielle). « Nous » n’avons pas choi­si « d’utiliser le pétrole », d’industrialiser la pla­nète entière, etc. Une élite de diri­geants a fait ça.
  2. En lien avec ce pre­mier point : les pro­blèmes sociaux/sociétaux mis de côté. Ne reste que le pro­blème de la sou­te­na­bi­li­té, la ques­tion éco­lo­gique. Les inéga­li­tés éco­no­miques, les injus­tices sociales colos­sales (qui com­prennent une dis­tri­bu­tion du pou­voir incroya­ble­ment inique, une dépos­ses­sion ter­rible de la plu­part, etc.), les nom­breuses coer­ci­tions qui consti­tuent la civi­li­sa­tion indus­trielle capi­ta­liste (le tra­vail n’a rien d’un objec­tif, le tra­vail, c’est un escla­vage sala­rié, la « créa­tion d’emplois », c’est la créa­tion de ser­vi­tudes modernes), tout ça est occul­té. L’industrialisme est aus­si incom­pa­tible avec la démo­cra­tie, avec l’égalité et la liber­té, qu’avec l’écologie. Même si la socié­té indus­trielle par­ve­nait à une sorte de sou­te­na­bi­li­té au tra­vers de tech­no­lo­gies magiques (ça n’ar­ri­ve­ra pas), elle consti­tue­rait tout de même un désastre social. Ce qu’on ne peut décem­ment occulter.
  3. Le « déve­lop­pe­ment » n’est pas non plus ques­tion­né. Il cor­res­pond pour­tant à une idéo­lo­gie très spé­ci­fique, par­ti­cu­liè­re­ment nuisible.
  4. L’examen de la sou­te­na­bi­li­té de la socié­té indus­trielle, et donc des tech­no­lo­gies soi-disant « vertes », « renou­ve­lables », ou « propres », aurait pu et aurait dû s’appuyer sur la ques­tion : « de l’énergie, pour quoi faire ? ». Les cen­trales solaires et les parcs éoliens pour­raient pous­ser dans la nature comme de la mau­vaise herbe, si l’usage que nous avons de l’énergie qu’ils pro­duisent est nui­sible, ça nous ferait une belle jambe. La ques­tion n’est pas posée. Les ins­tal­la­tions pro­duc­trices d’énergie soi-disant « verte » servent à ali­men­ter des appa­reils tous issus du sys­tème tech­no-indus­triel, qu’ils appar­tiennent à des par­ti­cu­liers (réfri­gé­ra­teurs, ordi­na­teurs, smart­phones, télé­vi­seurs, voi­tures élec­triques, etc.) ou à des entre­prises (telles ou telles machines, ou ensembles de machines en usine, etc.), et dont la pro­duc­tion requiert elle-même (outre tout ce qui pré­cède, escla­vage sala­rié, etc.) d’épuiser les res­sources de la pla­nète, de la pol­luer, et de la dégra­der. Concer­nant la bio­masse, spé­ci­fi­que­ment, il est éton­nant de ne pas avoir sou­li­gné le fait que lorsqu’on prend à la forêt, des arbres en l’occurrence, on leur ôte… de la bio­masse : les arbres morts sont cen­sés retour­ner au sol pour l’enrichir, et rem­plir de nom­breuses fonc­tions dans ces éco­sys­tèmes. En pillant tout le bois mort des forêts ou, pire, en cou­pant leurs arbres, on leur nuit pro­fon­dé­ment (évi­dem­ment). On regret­te­ra aus­si l’absence de cri­tique du nucléaire (nous vous en pro­po­sons sur notre site, dans cet article, par exemple) et de la dan­ge­reuse absur­di­té des tech­no­lo­gies dites de « cap­ture et sto­ckage du car­bone » (les­quelles sont mas­si­ve­ment finan­cées par les ultra-riches, et pro­mues par les orga­nismes supra­na­tio­naux, comme le GIEC).

Pour aller plus loin

Une fois qu’on a com­pris ce qui pose pro­blème avec les tech­no­lo­gies de pro­duc­tion d’éner­gies dites « vertes » (ou « propres » ou « renou­ve­lables ») en géné­ral, il ne devrait pas être néces­saire de s’at­tar­der sur cha­cune d’elles (toutes dépendent de l’u­ti­li­sa­tion de com­bus­tibles fos­siles, du bon fonc­tion­ne­ment de la socié­té tech­no-indus­trielle, c’est-à-dire d’un désastre social et éco­lo­gique, toutes servent à pro­duire de l’éner­gie pour ali­men­ter des machines ou des appa­reils eux-mêmes issus du sys­tème indus­triel qui détruit la pla­nète, etc.). Mais ceux qui sou­haitent appro­fon­dir la cri­tique des tech­no­lo­gies de pro­duc­tion d’énergie dite « verte » ou « propre » ou « renou­ve­lable », qui auraient aimé savoir ce qu’il en est des bar­rages, par exemple, peuvent regar­der le film Blue Heart (ci-après, sous-titré en fran­çais), qui expose assez bien en quoi ces der­niers consti­tuent aus­si de ter­ribles nui­sances (cela étant, le docu­men­taire sug­gère absur­de­ment qu’il faut alors se tour­ner vers les pan­neaux solaires et les éoliennes, sans aucu­ne­ment exa­mi­ner la ques­tion, plu­tôt comme un réflexe NIMBY : ne tou­chez pas à ces rivières que l’on appré­cie ; les pan­neaux solaires et les éoliennes, on ne sait pas trop de quoi il retourne, les mines ou les cen­trales ne sont pas près de chez nous, alors allez‑y) :

Par ailleurs, la cri­tique des éner­gies renou­ve­lables expo­sée dans le docu­men­taire de Jeff Gibbs, Michael Moore et Ozzie Zeh­ner, risque de lais­ser bon nombre de spec­ta­teur désem­pa­rés. Un rap­pel peut s’avérer utile :

Si les éner­gies « renou­ve­lables » déve­lop­pées par les États, pro­mues par les orga­nismes inter­gou­ver­ne­men­taux onu­siens (le GIEC), et déployées par les mul­ti­na­tio­nales de l’énergie ne sont pas sou­hai­tables, c’est parce qu’elles sont indus­trielles. Parce qu’elles s’inscrivent dans le cadre de la socié­té tech­no-indus­trielle. La caté­go­rie « éner­gies renou­ve­lables » désigne en réa­li­té de nom­breuses tech­niques extrê­me­ment diverses. Elle com­prend aus­si bien la com­bus­tion dans un poêle de bois mort ramas­sé en forêt que le fonc­tion­ne­ment de la méga-cen­trale ther­mique à bio­masse de Gar­danne qui englou­tit des hec­tares et des hec­tares de forêt chaque jour ; le mou­lin à eau uti­li­sant le cou­rant d’une petite rivière aus­si bien que le bar­rage des Trois-Gorges en Chine, res­pon­sable de l’inondation de 600 km² de terres agri­coles et de forêts, et du dépla­ce­ment (l’expulsion) d’1,8 mil­lions de per­sonnes ; l’action du vent cap­té par des mou­lins low-tech aus­si bien que l’exploitation indus­trielle du vent par des aéro­gé­né­ra­teurs construits prin­ci­pa­le­ment avec béton et acier.

C’est-à-dire qu’il est pos­sible d’utiliser le vent, le soleil ou la force des rivières ou des fleuves de manières sou­te­nables. Ce que l’humanité a fait pen­dant des mil­lé­naires. Cela étant, l’idée n’est pas de cher­cher à retour­ner dans le pas­sé, c’est impos­sible, absurde, mais de savoir dis­tin­guer ce qui peut être sou­te­nable, ce qui ne peut pas l’être, ce qui est dési­rable, et ce qui ne l’est pas. Ain­si que Ber­trand Louart le formule :

« Si on veut bâtir une socié­té réel­le­ment démo­cra­tique et éco­lo­gique (et je pense que les deux vont néces­sai­re­ment de pair, ils s’impliquent l’un et l’autre), je suis convain­cu qu’il faut reve­nir en arrière. Non pas à un moment du pas­sé qui serait défi­ni comme idyl­lique et par­fait – il n’y en a pas et je n’ai pas inven­té la machine à voya­ger dans le temps ! – mais à des formes d’organisation tech­niques et sociales plus simples, plus à la por­tée de la maî­trise et com­pré­hen­sion de cha­cun. Lewis Mum­ford avait déjà eu le cou­rage de dire ça dans les années 1960 : “Les avan­tages authen­tiques que pro­cure la tech­nique basée sur la science ne peuvent être pré­ser­vés qu’à condi­tion que nous reve­nions en arrière, à un point où l’homme pour­ra avoir le choix, inter­ve­nir, faire des pro­jets à des fins entiè­re­ment dif­fé­rentes de celles du sys­tème.” » (“Tech­nique auto­ri­taire et tech­nique démo­cra­tique”, Dis­cours pro­non­cé à New York, le 21 jan­vier 1963)

Ce que nous ne vou­lons pas, ce sont ces éner­gies renou­ve­lables indus­trielles essen­tiel­le­ment basées sur l’extractivisme (l’exploitation mas­sive des res­sources minière de la Terre). Ce que nous ne vou­lons pas, ce sont ces machines gigan­tesques rava­geant les ter­ri­toires et les pay­sages, ces tech­no­lo­gies com­plexes et donc inap­pro­priables par une com­mu­nau­té véri­ta­ble­ment démo­cra­tique, loca­le­ment, ces tech­no­lo­gies connec­tées à dif­fé­rents macro-sys­tèmes tech­niques, y com­pris inter­na­tio­naux, dont la ges­tion repose sur et appelle néces­sai­re­ment un appa­reil gou­ver­ne­men­tal, une orga­ni­sa­tion sociale struc­tu­rel­le­ment antidémocratique.

***

Pierre Thies­set, de La Décrois­sance, le résume comme suit :

« Il ne s’agit pas seule­ment de réduire notre consom­ma­tion pour allé­ger notre “empreinte éco­lo­gique”, mais de repen­ser les rap­ports sociaux, rééva­luer les besoins, trans­for­mer notre mode de pro­duc­tion, notre orga­ni­sa­tion poli­tique, en finir avec la mon­dia­li­sa­tion, avec l’urbanisation et l’industrialisation sans fin.

C’est tout un mode de vie qui est à revoir, pour faire naître des socié­tés qui ne sont plus struc­tu­rées autour de l’impératif d’expansion illi­mi­tée. Des socié­tés beau­coup plus simples, plus auto­nomes, plus éga­li­taires, des socié­tés convi­viales disait Ivan Illich, où les hommes dominent leurs outils, où l’économie est encas­trée dans les rela­tions sociales.

Des socié­tés qui refusent la déme­sure, qui se libèrent de l’aliénation mar­chande et du règne des experts, où les tra­vailleurs pro­duisent pour répondre aux besoins et non pour ali­men­ter les pro­fits, dans l’entraide et l’autolimitation. »

***

Quelques article sur le capitalisme et la cooptation des ONG, de l’écologisme et des mouvements sociaux

La nui­sance phi­lan­thro­pique : cor­po­ra­tions, ONG, élec­tri­ci­té et nou­veaux marchés

Les fon­da­tions phi­lan­thro­ca­pi­ta­listes et l’écologisme cor­po­ra­tiste (par Nico­las Casaux)

Le pro­blème de l’activisme finan­cé par le Grand Capi­tal (par Mac­do­nald Stainsby)

https://www.partage-le.com/2019/02/11/les-ong-des-institutions-neoliberales-par-ana-minski/

« Qui a tué l’écologie ? » ou Com­ment l’ONG-isation étouffe la résis­tance (par Fabrice Nicolino)

Pour­quoi les ONG sont un pro­blème (par Ste­pha­nie McMillan)

L’ONG-isation de la résis­tance (par Arund­ha­ti Roy)

***

Quelques-uns de nos articles sur ce sujet des illusions vertes :

Confu­sion renou­ve­lable et tran­si­tion ima­gi­naire (par Nico­las Casaux)

Les indus­tries des éner­gies « vertes » et le « man­ger­bio » : deux fausses solu­tions (par Nico­las Casaux)

350.org et les éner­gies « renou­ve­lables » : le green­wa­shing de la colo­ni­sa­tion (par Nico­las Casaux)

L’étrange logique der­rière la quête d’énergies « renou­ve­lables » (par Nico­las Casaux)

L’écologie™ du spec­tacle et ses illu­sions vertes (espoir, « pro­grès » & éner­gies « renouvelables »)

Le mythe des éner­gies renou­ve­lables (par Der­rick Jensen)

Le désastre de la civi­li­sa­tion et de la tech­no­lo­gie (verte ou non) : l’exemple des Toke­lau (par Nico­las Casaux)

Le pro­blème des éner­gies soi-disant « renou­ve­lables » (par Kim Hill)

Repor­terre, Mr Mon­dia­li­sa­tion, Les Échos et la pro­mo­tion des illu­sions vertes (par Nico­las Casaux)

Les illu­sions vertes : brû­ler des forêts (ou des mono­cul­tures d’arbres) pour l’électricité

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Contre le fatalisme & le statu quo : l’activisme (par Derrick Jensen)

[...] dernièrement, je remarque une excuse particulièrement frustrante que beaucoup de gens semblent utiliser pour justifier leur inaction : ils disent que c'est trop tard, que divers points de basculement ont déjà été franchis en matière d'accélération du réchauffement planétaire, et ceci en raison du temps de latence entre les émissions de carbone et l'augmentation de la température ; nous sommes déjà condamnés, à quoi servirait donc de riposter ?