Article mis à jour le 15 avril 2020.
Parmi les nombreuses balivernes colportées afin d’encourager le développement des industries des énergies dites « vertes », « propres » ou « renouvelables », dans l’optique de donner à croire qu’il pourrait exister une civilisation techno-industrielle « verte », « propre » ou « renouvelable » (et partant du principe que ce serait chose souhaitable), on retrouve cette idée selon laquelle, au surplus, recourir à ces technologies permettrait aux petites gens de récupérer « le pouvoir », ou « du pouvoir ».
Ainsi peut-on lire, dans un article intitulé « Autoconsommation : un mouvement citoyen qui pourrait rabattre les cartes de l’industrie », publié en octobre 2017 dans Les Échos (média ultra-subversif s’il en est), que le développement des énergies dites « renouvelables » ou « vertes » constitue « une occasion pour les citoyens de reprendre les pleins pouvoirs sur leur consommation ». Ou dans un article du média alternatif/indépendant Reporterre, que l’achat de panneaux solaires (ou d’autres appareils de production d’énergie dite « verte »), c’est : « L’appropriation des outils de production et de distribution par les citoyens ». Ou encore, dans un article intitulé « Des citoyens s’organisent pour fournir de l’énergie renouvelable et locale dans toute la Wallonie », publié par Mr Mondialisation (un autre formidable média alternatif/indépendant), que ces « initiatives » consistant à financer et organiser eux-mêmes le développement de technologies de production d’énergie dite « verte » permettent à des citoyens de se réapproprier « les compétences stratégiques de production et de fourniture d’électricité à un niveau régional et local ». Comme quoi, Reporterre, Les Échos, Mr Mondialisation, c’est la même soupe avariée.
En réalité, en achetant un (ou plusieurs) panneau solaire photovoltaïque, ou en ayant des parts dans un parc éolien, ou un barrage hydroélectrique, « les citoyens » ne reprennent le pouvoir sur rien du tout. Ils ne se réapproprient aucunement « les compétences stratégiques de production et de fourniture d’électricité à un niveau régional et local ». C’est complètement absurde, et faux. Ils achètent des panneaux solaires. Ou prennent des parts dans un parc éolien. C’est tout. Une partie de l’énergie qu’ils consomment sera désormais produite par ces appareils. Mais ils ne fabriquent pas eux-mêmes lesdits panneaux ou éoliennes, ni tous les appareils qui vont avec (onduleurs, batteries, câbles, etc.) qui sont les produits de la civilisation industrielle globalisée, et des organisations autoritaires que sont les États-nations, et du capitalisme. Ils ne contrôlent pas ni n’ont eux-mêmes fabriqué les outils ayant servi à construire lesdits panneaux solaires ou éoliennes. Ils ne savent sans doute pas grand-chose de tout ce qu’implique leurs productions. En quoi sont-ils faits ? D’où proviennent les matières premières ? Qui les a extraites ? Traitées ? Transportées ? Où ses composants ont-ils été fabriqués ? Où ont-ils été assemblés ? Par qui ? À l’aide de quels outils, ou appareils ? etc. La totalité de leur projet s’inscrit dans le cadre des règles imposées par l’État-capitaliste. Ils deviennent simplement eux-mêmes promoteurs/financeurs de projets industriels. La belle affaire, n’est-ce pas.
On n’a jamais vu personne sortir d’un magasin Ikea, après y avoir acheté un couteau de cuisine, se vanter d’être propriétaire d’un outil de production, prétendre par-là se réapproprier des « compétences stratégiques de production et de fourniture d’alimentation à un niveau régional et local ».
En outre :
1. L’énergie soi-disant « verte » que produisent et produiront ces centrales (solaires, éoliennes, peu importe) s’ajoute et s’ajoutera simplement au « mix énergétique » global, elle ne supplante pas la production d’énergie officiellement non-verte.
2. Cette énergie, dont le caractère « vert » est déjà un fameux mensonge[1], produite par des appareils issus du système techno-industriel capitaliste qui détruit la planète, sert à alimenter tout un éventail d’appareils (autant de futurs e‑déchets) eux-mêmes issus du système techno-industriel capitaliste mondialisé qui détruit la planète. Voilà pour l’écologie.
Pour le dire autrement : les éoliennes et les panneaux solaires ne poussent pas dans les arbres et ne servent pas à faire fleurir les jonquilles ; ils sont construits à l’aide de matériaux obtenus ou extraits ici et là, dans des usines dispersées ici et là, au moyen de tout un ensemble d’infrastructures et de machines industrielles, le tout reposant sur les régimes gouvernementaux (tout sauf démocratiques) des États-nations du monde et sur le capitalisme qu’ils imposent ; et ils servent à alimenter des téléviseurs, des réfrigérateurs, des ordinateurs, et tout un tas d’autres machines.
Les médias, groupes et individus qui font la promotion des technologies vertes en général n’ont en général aucune analyse des implications politiques des instruments techniques, de la technologie. Sans État et sans capitalisme (sans l’organisation sociale hiérarchique qu’il constitue, avec d’immenses spécialisations et divisions du travail, etc.), impossible de produire le moindre panneau solaire photovoltaïque ou la moindre éolienne. Pourtant, parmi lesdits médias, groupes et individus, plusieurs n’hésitent pas à se déclarer anticapitalistes, et à affirmer, de manière parfaitement irréfléchie, que ces technologies ne posent aucun problème en elles-mêmes, que le problème, c’est simplement qu’elles ne sont pas encore au point et qu’elles se développent selon les « logiques du marché » (alors, encore une fois, que sans le capitalisme, elles ne pourraient tout bonnement pas exister). Pour une discussion plus approfondie des liens entre le degré de complexité technologique d’une société et son potentiel démocratique, des liens entre certaines catégories de technologies et certains types d’organisation sociale, entre hautes technologies et autoritarisme, notamment, je vous renvoie à cet article, et à celui-là.
Les escrologistes qui font la promotion de ces illusions vertes de la société technocapitaliste ne valent pas mieux que le Gaël Giraud, idole des collapsologues (Pablo Servigne chante régulièrement ses louanges), ex-crapule (« économiste ») en chef de l’AFD, selon lequel un « capitalisme viable » est possible, à condition qu’il y ait « un service public fort » (un État fort, un État-providence fort), et que celui-ci ait pour ambition de « relocaliser et de lancer une réindustrialisation verte de l’économie française ».
En promouvant le développement des énergies dites « vertes » ou « renouvelables », ces champions de l’écologie et de l’anticapitalisme font la promotion : du capitalisme, du « développement », de l’industrialisme. C’est-à-dire de tous les fléaux contre lesquels nous devrions lutter.
Nicolas Casaux
(L’image qui accompagne cette publication est tirée de l’article de Mr Mondialisation que je mentionne).
- Voir : https://www.partage-le.com/2017/07/04/letrange-logique-derriere-la-quete-denergies-renouvelables-par-nicolas-casaux/ ou : https://www.partage-le.com/2017/02/06/lecologie-du-spectacle-et-ses-illusions-vertes/ ou bien : https://www.partage-le.com/2016/12/14/le-mythe-des-energies-renouvelables-par-derrick-jensen/, ou encore : https://www.partage-le.com/2016/06/29/le-desastre-ecologique-renouvelable-des-tokelau/ ↑
Mise à jour du 15 avril 2020 :
MR MONDIALISATION ET LA PROMOTION DES ÉNERGIES DITES « RENOUVELABLES » — SUITE
Ou comment les écolos se retrouvent à jouer les idiots utiles des industriels et du capitalisme en favorisant « l’acceptabilité sociale » de « l’industrialisme vert »
À la suite de ma critique, l’équipe de Mr Mondialisation a légèrement amendé son article de promotion du déploiement des technologies de production d’énergie dite « renouvelable ». Il précise désormais que :
« la réalisation [?] de technologies productrices d’énergie renouvelable n’est pas vraiment sans impact écologique. De l’extraction des matières premières à la transformation en passant par les transports et la maintenance, aucune énergie n’est 100% propre, d’autant plus que les filières d’extraction et de fabrication actuelles, principalement centralisées en Chine, ne sont pas des plus durables faute de réglementation efficace et écologique. Par ailleurs, dans le modèle actuel axé sur la croissance, l’énergie durable produite à tendance à s’ajouter au total de l’offre énergétique globale sans vraiment la remplacer (paradoxe de Jevons).
Cependant, l’énergie grise liée au cycle de production des renouvelables est probablement celle qui est la plus à même d’évoluer positivement et d’être contrôlée à l’avenir. C’est d’ailleurs l’esprit de Cociter : redonner aux citoyens une forme de contrôle sur la production d’énergie, aussi imparfaite soit-elle. Contrairement aux énergies fossiles dont le potentiel d’évolution a déjà été exploité et appartient à de grands groupes industriels, les renouvelables, depuis les conditions d’extraction au spectre technique (matériaux, recyclabilité,..), continuent d’évoluer de manière spectaculaire chaque année. Suffisant pour enrayer la méga-machine mondialisée et l’effondrement ? Probablement pas sans une profonde remise en question du champ économique. Mais pour absorber les chocs sociétaux à venir, semble-t-il inévitables, et ainsi préserver un semblant de paix sociale dans les communautés les mieux préparées, continuer d’explorer les pistes du renouvelable tout en optant pour une sobriété heureuse semble un moindre mal à ce stade. »
Plusieurs remarques :
- Affirmer que le développement des « technologies productrices d’énergie renouvelable n’est pas vraiment sans impact écologique », c’est un euphémisme. En réalité, ledit développement est, de bout en bout, nuisible pour le monde naturel, et repose intégralement sur bien d’autres industries, sur tout un tas d’infrastructures industrielles toutes plus nuisibles les unes que les autres pour la planète. Pour un petit aperçu des nuisances liées au développement des technologies dites « vertes » en général, on se tournera, pour prendre un exemple parmi plein d’autres, vers les luttes de ces villages du nord du Portugal qui sont menacés par l’industrie du lithium (qui espère établir des mines de lithium sur leur territoire).
- Ils ne disent strictement rien de l’utilisation de cette énergie faussement verte. On produit de l’énergie faussement verte, youpi, mais pour quoi faire ? Pour alimenter quoi ? Des appareils bio ?
- Ils continuent d’affirmer que le fait d’acheter un panneau solaire (ou d’avoir des parts dans un parc éolien), c’est avoir « une forme de contrôle sur la production d’énergie ». Ainsi que je le rappelais, c’est franchement grotesque.
- Ils affirment que le « potentiel d’évolution » des énergies dites « renouvelables » ne repose pas sur « de grands groupes industriels », ce qui est largement faux, puisque le développement desdites énergies repose sur l’industrie minière, l’industrie du transport, l’industrie de la construction d’infrastructures (routes, etc.), et bien d’autres industries. Et surtout parce que les différentes industries de la construction d’appareils de production d’énergie dite « renouvelable » sont — évidemment ! — dominées par de grands groupes industriels (pour le solaire : Trina Solar, Canadian, Solar, JinkoSolar, etc. ; pour l’éolien : Vestas, Gamesa, Enercon, etc.). La coopérative dont ils chantent les louanges se fournit certainement auprès d’un ou plusieurs de ces grands groupes industriels du capitalisme.
- Ils opposent « énergies fossiles » et « renouvelables », alors que le développement des secondes repose intégralement sur l’utilisation des premières (extractions minières, construction et maintenance des infrastructures de transport, etc.).
- Ils justifient leur apologie de ce développementisme vert par un espoir absurde. Je paraphrase : à l’avenir, peut-être que le déploiement de ces appareils de production d’énergie dite « renouvelable » polluera moins. Il s’agit donc de miser sur une expectative hautement improbable, et de toute façon indésirable, absurde (comme si des destructions moindres, comme si détruire le monde, mais un peu moins, c’était un horizon désirable, comme si une moindre destruction du monde par le capitalisme industriel pouvait constituait un objectif digne de ce nom). Ce faisant, ils font fi des réalités présentes, occultent les innombrables ramifications du développement de ces technologies (énergie pour quoi faire ? Dépendance d’autres industries ; nuisances environnementales très réelles actuellement ; participation au développement de la société industrielle ; etc.)
- Ils se demandent, étrangement, si le développement de ces technologies de production d’énergie dite « renouvelable » suffira à « enrayer la méga-machine mondialisée et l’effondrement ». « Enrayer la méga-machine mondialisée », est-ce que ça ne désigne pas précisément l’effondrement de ladite « méga-machine » ? Donc enrayer à la fois la méga-machine et son effondrement, qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire ? En outre, cela semble signifier que, selon eux, le développement d’un nouveau secteur industriel du capitalisme constitue une dynamique propre à nuire à la société industrielle capitaliste mondialisée (en termes de n’importe quoi, difficile de faire mieux).
- Au bout du compte, ils justifient leur défense de ce développementisme vert par l’idée selon laquelle il permettra d’ « absorber les chocs sociétaux à venir » et ainsi de « préserver un semblant de paix sociale dans les communautés les mieux préparées ». Quoi que cela puisse vouloir dire, ça me semble une très mauvaise justification, notamment en raison de tout ce qui précède. Ainsi qu’un ami qui étudie le sujet le rappelle : « la majorité des projets dits « participatifs » ou « citoyens » sont en réalité investi par des agriculteurs conventionnels, parfois de la FNSEA, pour profiter du tarif de rachat en soutien de ces filières. » C’est-à-dire que « l’investissement citoyen dans les parcs éoliens profitent à… ceux qui ont les moyens de mettre de l’argent dedans ».
Dans l’ensemble, les médias qui, à l’instar de Mr Mondialisation ici, promeuvent ce genre de développementisme vert, participent très précisément à mettre en pratique les recommandations de cette étude intitulée « Examiner l’acceptabilité sociale de l’énergie éolienne : Guide pratique pour le développement de projets éoliens terrestres en France », réalisée par Peter Enevoldsen et Benjamin K.Sovacool, du Center for Energy Technologies, Department of Business Technology and Development (Centre pour les technologies énergétiques, département du business de la technologie et du développement) de l’université d’Aarhus au Danemark. Université qui compte parmi ses conseillers externes le directeur des recherches de Siemens Wind Power et parmi les entreprises partenaires à l’embauche Siemens, encore une fois, et Vestas (la plus importante entreprise au monde de l’industrie de l’éolien).
Le résumé de l’étude :
« Cette étude examine les méthodes permettant d’accroître l’acceptabilité sociale locale des projets éoliens terrestres en France. Elle s’appuie sur des entretiens de recherche semi-structurés et sur les observations d’une entreprise française d’énergie éolienne. Cette société a constaté que le manque d’acceptabilité sociale locale des projets éoliens augmentait le risque d’échec, d’escalade des coûts et de retard dans les projets. Dans cette étude, nous résumons d’abord les études récentes concernant l’opposition sociale locale et l’acceptabilité de l’énergie éolienne à travers une sélection de littérature sur le sujet et des études de cas de projets éoliens à travers l’Europe. Nous utilisons ensuite ces données pour dégager des lignes directrices sur la manière d’augmenter la probabilité d’acceptabilité sociale dans le développement de projets éoliens terrestres en France, et pour informer les débats actuels dans la littérature des études sur l’énergie, sur l’acceptabilité de l’énergie éolienne et les transitions énergétiques. »
Quelques extraits de la conclusion :
« Nous avons constaté qu’il existe une opposition sociale contre les parcs éoliens en France, en effet les décideurs politiques locaux et les habitants sont susceptibles de s’opposer aux projets éoliens. Cependant, l’acceptabilité sociale de l’énergie éolienne peut être obtenue par toute une série d’activités, généralement en informant et en impliquant un large consortium d’investisseurs [l’énergie renouvelable « citoyenne », coopérative, promue par Mr Mondialisation].
Ainsi que notre étude l’a montré, les projets éoliens ont besoin de soutien public, particulièrement de celui des habitants locaux et du maire. En sus, la propriété communautaire [là encore, les fameuses coopératives] favorise l’acceptabilité sociale locale, de même que l’inclusion d’actionnaires locaux favorise l’acceptabilité communautaire. »
Je suis d’accord avec l’article : j’ai installé chez moi un panneau solaire (qui est asiatique) couplé à un onduleur (qui est américain) relié à un disjoncteur/compteur (français avec des pièces asiatiques). Je n’ai pas pris \« l’option\ » du suivi de la production sur mon portable ou mon ordinateur (qui n’a aucun sens : je sais lire et j’ai des jambes pour aller voir directement sur le compteur/disjoncteur).
Bien sûr, quand je parle de mon panneau solaire, tout le monde me parle d’écologie et que je suis super en avance et tout le monde pense indépendance.
Mais… voilà…l’installation ne peut pas marcher si le fournisseur d’électricité décide de me couper le courant. Ce n’est pas autonome.
Ai-je fait çà pour être écolo ? Non, j’ai fait çà parce que les factures d’électricité n’arrêtent pas d’augmenter et que les 15% à 50% que j’arrive à produire moi-même selon les mois et l’ensoleillement, c’est toujours çà que je ne donne pas à des connards qui contrôlent le business de l’énergie.
Et puis, le panneau sans se poser de questions sur sa consommation, çà n’a strictement aucun intérêt.
Donc, le panneau n’a rien d’écolo en soi, c’est les questions que vous décidez de vous poser sur votre consommation électrique qui sont la vraie démarche écologique. Le panneau n’est pas une fin, et à peine un moyen.
Le panneau, ce n’est pas de l’indépendance car il est soumis au fil à la patte géré par EDF et consorts. C’est juste un tout petit peu plus d’autonomie, mais dans le monde capitaliste que nous avons, l’indépendance n’existera jamais.
Merci Nicolas pour cet article.
Je lis depuis plusieurs années vos écrits sur ce site et je trouve la critique radicale toujours très intéressante. Dans un monde de \« développement durable\ » la critique radicale est une boussole qui permet de ne pas perdre le Nord et de sombrer dans l’absurde croyance que le progrès dit vert sauvera les pauvres et l’environnement.
La fabrique du consentement est intense. Les illusions et manipulations sont nombreuses pour forcer l’installation d’ aérogénérateurs de 220m de haut, de parcs photovoltaiques et d’autres faux projets pour remplacer le nucléaire. Ces industries n’ont pour l’instant qu’un seul avantage : ventiler efficacement d’énormes subventions. 120 milliards !!!